LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE EN AVEYRON

LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE AU COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 EN AVEYRON

Mémoire de maîtrise présenté par GRÉGORY POUGET 

sous la direction de JEAN-CLAUDE SANGOÏ et JEAN RIVES 

septembre 2002

Première partie : LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE

 

 Chapitre I : L’annonce du coup d’Etat en Aveyron

 

A  –  L’arrivée des dépêches télégraphiques de Toulouse

 

Le 1er décembre 1851 à onze heures du soir, Louis Napoléon Bonaparte, retiré dans son cabinet pour une réunion préparatoire au coup d’Etat, réunit autour de lui son proche conseiller, le Duc de Persigny, le ministre de l’intérieur Charles de Morny ainsi que le préfet de police Emile Maupas. Le président de la République ouvre un dossier sur lequel est inscrit en première page le mot « Rubicon » et donne lecture du décret de dissolution de l’assemblée ainsi que les proclamations au peuple et à l’armée. Morny, Saint-Arnaud et Maupas discutent ensemble des mesures établies pour faire imprimer et afficher les documents, arrêter les représentants et les agitateurs les plus influents, occuper le Ministère de l’Intérieur, le Palais-Bourbon et les imprimeries, mais aussi fermer les principaux cafés, lieux de réunion de l’opposition. Le 2 décembre vers cinq heures du matin, les premières affiches concernant les actes effectués par le président de la République Louis Napoléon Bonaparte sont portés à la connaissance des habitants de Paris. Ces derniers peuvent lire le décret suivant :

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

Le Président de la République décrète

 

Article. 1. – L’Assemblée nationale est dissoute

 

Article. 2. – Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 Mai est abrogée.

 

Article. 3. – Le peuple français est convoqué dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu’au 21 décembre suivant.

 

Article. 4. – L’état de siège est décrété dans l’étendue de la première division militaire

 

Article. 5. – Le Conseil d’Etat est dissous

 

Article. 6. – Le ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.

 

Fait au Palais de l’Elysée, le 2 décembre 1851.

 

Louis Napoléon Bonaparte.

 

Le ministre de l’Intérieur, De Morny .

 

 

Ces six articles constituent un coup d’Etat institutionnel . Le Président de la République en exercice agit sans respecter les fondements de la Constitution et notamment l’article 48 qui lui interdit de dissoudre l’Assemblée nationale.

 

Le Président de la République accompagne ce décret de dissolution d’une proclamation au Peuple français dans laquelle il lui demande son soutien. Il y justifie ses actes. Il déclare avoir dissous l’Assemblée car celle-ci est « devenue un foyer de complots [1]». Il estime « avoir fidèlement respecté la constitution faite dans le but d’affaiblir d’avance le pouvoir que lui ont confié six millions de français [2]» et entend « fermer l’ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple [3]».

 

Dans une troisième proclamation, Louis Napoléon Bonaparte en appelle à la force armée et aux soldats appelés « l’élite de la nation [4]». Il leur rappelle que leur devoir en cette heure est double. D’une part, il s’agit pour eux « d’aider le pays à manifester sa volonté [5]». D’autre part, ils se doivent «  de réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du peuple [6]». Il compte sur l’armée « non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale [7]» dont il est le représentant.

 

Après avoir pris soin de donner l’ordre de crever les tambours de la Garde nationale pour que celle-ci ne puisse pas donner l’alerte au peuple, le Duc de Morny adresse à tous les préfets un message via le télégraphe Chiappe vers huit heures du matin.

 

Ce message, le préfet de l’Aveyron le reçoit le mercredi 3 décembre, à 7h30 du matin, par l’estafette venant de Toulouse. Cette dépêche est ainsi formulée :

 

 

« Le repos de la France était menacé par l’Assemblée. Elle a été dissoute.

 

 Le Président de la République fait un appel à la nation. Il maintient la République et remet loyalement au pays le droit de décider de son sort.

 

 La population de Paris a accueilli avec enthousiasme cet événement devenu indispensable.

 

 Le gouvernement vous donne tous les pouvoirs nécessaires pour assurer la tranquillité [8]. »

 

 

Juvénal Fluchaire exerce les fonctions de préfet l’Aveyron en décembre 1851. Né à Grenoble le 18 juillet 1814, il est le fils de Jean-Jacques Fluchaire, procureur général de la Cour de Montpellier, puis préfet de la Seine, qui disparut mystérieusement au cours d’un voyage à Londres et de Marie Thérèse Rosalie Didier. Après avoir fait ses études de droit, il rentre dans la magistrature en 1839, comme substitut du procureur du roi à Rodez, puis devient procureur du roi à Perpignan et Carcassonne.

 

La Révolution de 1848 met un terme à sa carrière judiciaire. De nouveau simple avocat, il doit, à une personne qui provoque un jour sa révocation, d’obtenir ce poste de préfet[9].

 

Comme tous les préfets, il reçoit des instructions précises du ministre de l’intérieur. Il doit ainsi afficher les actes et les proclamations du Président, envoyer des circulaires aux maires, recueillir leurs adhésions écrites ainsi que celles des fonctionnaires et arrêter ou remplacer les individus peu sûrs. Le préfet envoie à tous les agents de l’Etat les trois proclamations du Président de la République, le décret de dissolution, « l’Appel au peuple » et « l’Appel à l’armée », destinés à être placardés dans toutes les communes aveyronnaises le matin du 3 décembre[10].

 

Après quelques moments de réflexion, le préfet fait appeler le Général de Gouvenain, commandant le département, le capitaine de gendarmerie et M. Carrère, maire de Rodez.

 

Il leur communique la dépêche et leur demande de s’assurer des moyens nécessaires pour le maintien de l’ordre. Refusant toute action qui pourrait être prise comme une provocation par les démocrates du pays, il demande au Général de se tenir prêt à intervenir mais de conserver ses hommes dans leur caserne. Une fois informés, les deux militaires s’en retournent dans leurs quartiers. Il prépare alors une proclamation qui est affichée sur les murs de Rodez et est envoyée dans toutes les communes du département avec la dépêche du Ministre de l’Intérieur, et qui est formulée comme suit :

 

 

« Habitants de l’Aveyron, dans des circonstances solennelles, où la France, maîtresse de ses destinées, va pouvoir marcher dans sa force vers son avenir de prospérité et de grandeur qui a semblé un instant obscurci, soyez dignes de vous-mêmes, soyez calmes et confiants.

 

« Le gouvernement populaire que vous avez créé au 10 décembre 1848, dans ce jour où vous fûtes inspirés par votre sagesse et votre patriotisme, veille sur le repos de la France avec toute la puissance que vous lui donnâtes alors. Moi, qui ai l’honneur de le représenter au milieu de vous, je comprends les devoirs qui me sont imposés et je saurai, avec l’aide du Ciel, les remplir dans leur plénitude.

 

« De l’ordre, de la confiance. Vos destinées vous appartiennent, et je ne doute pas que le calme ne continue à régner parmi vous.

 

« Le préfet de l’Aveyron, chevalier de la Légion d’honneur. FLUCHAIRE [11]. »

 

 

Une heure environ après avoir été informé du coup d’Etat et alors que la dépêche du Ministre et sa proclamation aux habitants de l’Aveyron sont sous presse, il fait appeler autour de lui les membres de l’autorité judiciaire et les conseillers de préfecture pour les informer et s’entretenir avec eux des nouvelles arrivées le matin. MM. Amans Carrier, Foulquier et H. de Barrau, conseillers de préfecture, Fabre, Président du Tribunal Civil de Rodez (neveu de Mgr Affre, l’archevêque de Paris tué sur une barricade en 1848), et Rouquayrol, substitut du procureur de la République sont introduits dans le cabinet et informés des graves évènements qui viennent de se produire. La rumeur répand la nouvelle dans les rues de la cité.

 

 

B  –  Les républicains viennent aux nouvelles puis passent à l’offensive :

 

Le 1er décembre une réunion des principaux leaders républicains aboutit à la création d’un Comité de Résistance, appelé « Comité des onze ». Son objectif est de mettre en oeuvre les moyens permettant de résister à un éventuel coup d’Etat.

 

Le lendemain matin, le 2 décembre, à 8 heures, se retrouvent chez l’avocat Bouloumié : Louis Caussanel, Médal ancien député, , Lucien Marcillac de Millau, Louis Oustry, Labarthe avocat à Rodez, Roques mécanicien à Rodez, Guibert serrurier à Rodez, et les membres des sociétés secrètes[12] : Casimir Moins, Ramondenc de Camarès et Mazenc, ex agent voyer de Rodez. La stratégie définie consiste à se rendre maître de la préfecture (Rodez). Pour ce faire, à l’annonce du coup d’Etat, ils décident d’appeler aux armes tous les « frères » et de les concentrer sur Rodez.

 

François Mazenc est un des premiers à être informé du coup d’Etat. Il envoie aussitôt Guibert au Monastère, pour engager les habitants, qu’il sait dévoués à la cause républicaine, à s’armer et à marcher sur Rodez. Il envoie également un émissaire dire à Roques d’amener les habitants du faubourg St-Cyrice, avec toutes les armes disponibles. Il s’en va de son côté prévenir Caussanel à l’Hôtel des Princes où celui-ci loge. Il s’entretient avec lui des nouvelles qui circulent en ville et des initiatives qu’il vient de prendre. Sitôt alertés, les chefs républicains se trouvant à Rodez se réunissent dans les salons du Café du Commerce, place de la Cité. On décide de déléguer trois personnes auprès du préfet pour obtenir confirmation de la nouvelle.

 

MM. Bouloumié fils, Labarthe et Galtayries se présentent à la préfecture et demandent des explications. Le préfet leur communique la dépêche qu’il a envoyée à l’imprimerie et qui doit être affichée dans les rues de la ville. Il les invite à se joindre à lui, malgré leurs opinions avancées, affirmant qu’ils ont « tout autant que lui intérêt au maintien de l’ordre qu’il espère ne pas voir troubler[13] ». Bouloumié lui répond : « l’ordre sans doute, mais avant tout la Constitution ; elle est sous la sauvegarde de tous les citoyens » et ils prennent congé[14].

 

Par ces mots les républicains entrent en résistance. Pour le parti de l’ordre, ils deviennent des « insurgés ». Cette réponse et leur comportement laissent présager une action imminente. Le préfet et ses conseillers en prennent conscience et veulent hâter les choses. Deux officiers supérieurs de la garnison, MM. Serres et Boisse viennent à la préfecture[15]. Le préfet leur demande si le général leur a donné des instructions. Devant leur réponse négative, il les informe des évènements et leur demande d’aller au plus vite prendre leurs ordres auprès de leur supérieur. Peu de temps après, MM. de Barrau et Foulquier sortent prendre la température de la rue et prévenir quelques hommes qu’ils savent être du côté de l’autorité. Pendant ce temps, les républicains se sont organisés.

 

Au Café du Commerce, après le retour des émissaires, Caussanel par sa verve emporte les quelques hésitants qui subsistent encore et tous décident d’agir immédiatement. Aux cris de : « Aux armes ! Vive la Constitution ! Vive la République ! » une centaine de démocrates parcourent les rues et entraînent un grand nombre de personnes, auxquelles se joignent les hommes du Monastère et de Saint – Cyrice qui viennent d’arriver.

 

La troupe marche sur l’hôtel de la préfecture. L’objectif est d’enlever le préfet et le général afin de désorganiser l’administration en la privant de ses deux têtes. Les insurgés envahissent sans mal la préfecture[16] et trouvent un préfet abattu et désemparé. Celui-ci trop confiant dans le bon sens de ses administrés n’a pas pris les mesures nécessaires malgré les demandes de ses conseillers et l’avis des militaires. Mais les républicains par leurs tergiversations et leurs discussions donnent aux militaires et aux conseillers de la préfecture le temps de répit nécessaire au rétablissement d’une situation bien mal engagée.

 

Parmi les insurgés qui pénètrent dans le cabinet préfectoral figurent bon nombre des « onze » comme les notables Louis Caussanel de Villefranche, le leader incontesté, ou les trois émissaires Bouloumié, Galtayries et Labarthe, mais aussi Oustry, Mazenc, Ramondenc l’agitateur de Camarès, Guibert serrurier, Roques fondeur. Seul Médal, ancien député manque au rendez-vous. On y retrouve également l’éminent agronome Durand de Gros, et les relais locaux Rozier de Sauveterre et Marcillac de Millau.

 

L’état-major des républicains déclare l’autorité déchue et proclame Caussanel Commissaire Provisoire du département de l’Aveyron. Cette décision est rédigée sur la table même du cabinet préfectoral[17], table qui sert également de tribune pour les chefs républicains. M.Galtayries y proclame, au nom du peuple, la déchéance du préfet. Caussanel acclamé s’y dresse et, au milieu du tumulte, désigne les membres d’une autorité qui a pour charge d’administrer le département avec lui. Le préfet Fluchaire tente en vain de se faire entendre.

 

Il est surveillé de près. Après Caussanel, Fabre, Président du Tribunal civil de Rodez, monte à son tour sur la table pour exhorter la foule à se retirer et laisser discuter les modalités du transfert du pouvoir. « M Durand de Gros se livrait à de longs discours, ou il invoquait le droit national pour le maintien de la constitution, et contre les actes du pouvoir exécutif [18]. »

 

Pendant ce temps l’administration s’est ressaisie. Quelques soldats d’un poste proche attirés par le bruit tentent de pénétrer dans le cabinet préfectoral mais la masse compacte les repousse et les désarme. Trois baïonnettes sont enlevées. Les gendarmes arrivés sur les lieux restent eux aussi dans l’expectative.

 

Cet incident fait monter la pression. La situation s’envenime. Le préfet est pris à parti par Caussanel alors que les républicains tentent de trouver une solution et de calmer leur chef. Aux fenêtres, les républicains appellent la foule à monter. Les cris et les tumultes recommencent : « Que le préfet sorte ! Il faut le garrotter ! Mettons-le en prison ! Qu’on le chasse de la préfecture ! [19]» répète une foule de voix. La porte du cabinet s’ouvre une seconde fois. Le maire ceint de son écharpe et le Général, accompagnés de la gendarmerie et de son capitaine, pénètrent dans la salle, suivis de plusieurs habitants de la ville. « Cette apparition découragea les émeutiers qui ne songèrent plus qu’à se retirer, ce qu’ils firent avec assez de mauvaise grâce, et forcés par les démonstrations résolues de la troupe et des bons citoyens[20]

 

Deux compagnies de la garnison aux portes de la préfecture font définitivement vaciller le moral des républicains. Les divergences entre eux se font de plus en plus jour. La situation paraît de plus en plus compromise. Caussanel tente encore de se saisir du préfet pour l’emmener avec lui, en vain. « Vous êtes mon prisonnier et je ne sortirai pas sans vous![21] »

 

L’heure n’est plus aux discours et les insurgés décident de se replier. Caussanel reste en arrière, refusant ce constat d’échec. Ses amis doivent s’en retourner pour venir le chercher. Après ces temps d’incertitude, ils refluent en bon ordre vers la place de la cité.

 

Une haie de soldats borde la troupe républicaine lorsqu’elle sort de la préfecture.

 

Le préfet peut faire procéder à l’arrestation des principaux meneurs. Il ne le fait pas. Les républicains n’ont pas su tirer partie de l’effet de surprise et du manque d’organisation du préfet, mais ils ressortent libres de son bureau.

 

 

C  –  La formation de la Commission Constitutionnelle Provisoire :

 

Réunis au Café du Commerce, les républicains nomment une Commission Constitutionnelle Provisoire pour le département de l’Aveyron. Elles est composée de 16 membres : Labarthe, Roques, Fosse, Bouloumié, Guibert, Duriol, Vayssade, Ramondenc, Oustry, Marcillac, Galtayries, Noël Baurez, Henri Pons, Mazenc, Durand de Gros et Caussanel son Président. Elle est chargée d’organiser la résistance. Elle rédige une proclamation et envoie certains de ses membres pour faire pression sur l’imprimeur Ratéry pour la faire imprimer[22].

 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

Liberté, Egalité, Fraternité,

 

La Commission Constitutionnelle provisoire du département de l’Aveyron

 

aux habitants du département de l’Aveyron

 

Citoyens,

 

Un pouvoir traître et parjure a porté sur la Constitution une main sacrilège. L’assemblée nationale a été dissoute par le Président de la République pour n’avoir pas voulu servir son ambition.

 

Le devoir du peuple est tout tracé ; il défendra la Constitution confiée à son patriotisme.

 

Nous avons pris l’initiative d’une résistance à la force ; le droit est avec nous, vous serez avec le droit.

 

Le pouvoir est déchu de ce fait ; ses agents essayeront de s’imposer encore à vous, peut-être essayeront-ils de pousser contre vous vos frères armés, les soldats.

 

Quand le moment sera venu, nous serons au milieu de vous.

 

Défiez-vous des agents provocateurs qui cherchent à amener une collusion entre la troupe et vous. Nous rendons les autorités responsables des évènements.

 

Vive la République ! Vive la Constitution !

 

Caussanel, Labarthe, Roques, Fosse, Bouloumié, Guibert, Duriol, Vayssade, Ramondenc, Oustry, Marcillac, Galtayries, Noël Baurez, Henri Pons, Mazenc, Durand de Gros[23]. »

 

 

Qui sont les hommes qui signent cette proclamation ? Voici une esquisse de leurs portraits. La plupart sont des élus républicains, élus à Rodez ou membres du conseil général. D’autres se sont présentés à différentes élections mais n’ont pas été élus.

 

Louis Antoine Caussanel est le principal leader républicain. Négociant et banquier à Villefranche, il a épousé une espagnole exilée pour raisons politiques. En 1848, il préside le club « rouge », le Jeune Cordelier, et est le gérant du journal édité par le club sous la même dénomination du 16 mars au 11 juillet 1848. Aux journées de février, il fait ses preuves en ayant un commandement d’insurgés dans le quartier Montmartre à Paris, pendant que son ami Moins est employé dans le quartier Latin. Candidat malheureux aux élections des 23 avril 1848 et 13 mai 1849, Caussanel appartient avec Casimir Moins à la Loge de la Cordialité. Il dirige le mouvement républicain dans l’Aveyron en 1851. Au préalable, il comparaît à ce titre devant le conseil de guerre du Rhône, le 5 août, parmi les inculpés du complot de Lyon. Il est acquitté.

 

Louis Bouloumié est une autre personnalité de premier plan. Appartenant à une famille de lointaine origine italienne, il fait ses études au Collège Royal de Rodez en même temps que les frères Louis et Charles Blanc. Il conserve des relations avec Louis Blanc et est « sûrement influencé par ses idées politiques républicaines et socialistes [24] ». Sa puissance de travail est exceptionnelle, mais visiblement, la carrière de substitut qu’il a choisie ne satisfait pas complètement ses aspirations. Sous la Monarchie de Juillet, il s’associe si étroitement à l’opposition que sa qualité de fonctionnaire de la monarchie lui apparaît comme incompatible avec son idéal politique. Il démissionne et reprend sa toge d’avocat. « Il redevint avocat, un avocat brillant, autant ami de l’aristocratie locale que des milieux républicains et ouvriers [25]». En 1848, il défend devant la cour d’assises de l’Aveyron 37 personnes prévenues d’être coupables de troubles politiques à Villeneuve. En 1849, il défend à Rodez six habitants de Perpignan accusés de tentative d’insurrection. Il obtient leur acquittement comme en 1851 celui de Louis Antoine Caussanel à Lyon.

 

Louis Oustry  salue avec enthousiasme la proclamation de la République et fonde avec quelques amis l’Aveyron Républicain, où pendant quatre années consécutives il se consacre pleinement à son rôle de rédacteur en chef. Il combat avec vivacité la politique du Prince-Président dont il entrevoit clairement les périls pour la France et pour la République.

 

François Mazenc, né à Cantaranne en 1811, est l’aîné des cinq enfants de Jean-François Mazenc et de Marie-Anne Gaffard. Issu de quatre générations de meuniers et d’agriculteurs, et sans renier son attachement à la terre comme ses frères, il reçoit une éducation qui lui permet de devenir agent-voyer. En 1848, à la proclamation de la République, François se présente aux élections municipales sur la liste avancée et est élu, avec entre autres Carcenac, futur maire, Labarthe et Bouloumié. En septembre 1851, les Conseils municipaux ayant été prolongés par décision de l’Assemblée Nationale, Labarthe, Mazenc et Bouloumié écrivent au maire qu’ils refusent de continuer à siéger, leurs mandats ne pouvant être ainsi modifiés.

 

Durand de Gros, l’un des plus célèbres agronomes aveyronnais, est né à Rodez en 1792. Après avoir fait ses études de droit à Toulouse et s’être essayé aux luttes du barreau dans sa ville natale, il se tourne vers l’agriculture et en fait, le reste de sa vie, l’objet de ses études et de ses méditations. Les domaines de Gros et d’Arsac sont le théâtre de ses travaux. Ameublir et engraisser le sol et arroser, par une déviation de l’Aveyron, les parties susceptibles de l’être, sont l’objet constant de ses soins. Il étudie longtemps l’application de l’association et du travail dans les systèmes d’économie sociale des écoles Saint Simonienne et Fourièriste.

 

La tendance ouvrière est loin d’être absente dans ce mouvement puisque pas moins de 6 membres du Comité insurrectionnel en sont issus. Parmi eux, le serrurier François Guibert, âgé de 34 ans, passe pour un ardent républicain. Impulsif et difficile à contrôler, il est un habile propagandiste des doctrines de son parti auprès des ouvriers. Le fondeur Roques est perçu comme un ouvrier laborieux et habile, qui sait alterner propos intelligents et énergiques. Il exerce une grande influence sur les ouvriers de son secteur d’activité. François Duriol, né à Sauveterre et domicilié à Rodez, cuisinier de 32 ans, est le fils du commissaire de police de Villefranche. C’est l’un des habitués des réunions secrètes. Compagnon du devoir, il fait un Tour de France dont il rapporte ses idées républicaines.

 

Les cinq notables constituent la tête du mouvement insurrectionnel aveyronnais. Le chef incontesté est Louis Caussanel. L’agronome Durand de Gros assure un certain contrepoids. Les trois jeunes Louis Oustry, Louis Bouloumié et François Mazenc apportent leur fraîcheur et un certain sens de l’organisation, mais au sein du mouvement, ils ont peu de poids. Les avocats Casimir Labarthe et Henri Pons, le rentier Noël Baurez et les ouvriers ont, quant à eux, un rôle plus effacé. Ramondenc apparaît comme un aboyeur mais il est peu écouté.

 

Tous les membres présents décident, à l’unanimité, de mettre en place un plan de résistance pour réagir contre le coup d’Etat.

 

 

Pendant que certains se réunissent pour délibérer et chercher comment faire face au coup d’Etat après l’échec de la prise de la préfecture, Oustry et Mazenc s’empressent d’aller alerter leurs frères des campagnes. Si la préfecture n’a pu être conquise par les seules forces de Rodez, les républicains comptent sur l’appui des campagnes et des contingents des amis du Sud du département pour parvenir à leur fin. Avant de sortir du cabinet préfectoral, Labarthe n’a-t-il pas prévenu le préfet en disant : « Vous ne connaissez pas les campagnes ! Elles vont venir en masse à Rodez ! [26] » ?

 

Oustry et Mazenc courent chez le carillonneur Pagès et lui demandent les clefs de la cathédrale. « Il faut, lui dit Oustry, sonner l’agonie du Président de la République ![27] » Il s’y refuse. Ils font chercher le forgeron Acquier pour ouvrir la porte de l’église et aller sonner le tocsin. Une fois la porte ouverte les  Messieurs se retirent se sachant plus utiles ailleurs. Vayssade jardinier, Falq ouvrier imprimeur et Crespy chapelier s’élancent en haut du clocher et bientôt des « tintements lugubres et redoublés [28] » portent au loin l’alarme. Voulant « sonner toute la journée [29] » les hommes sont rapidement appréhendés par un détachement de soldats qui les délogent du clocher et font ainsi cesser leur appel à la résistance.

 

Arrivé à la porte du clocher, l’un d’eux dit alors « il est possible qu’à présent nous ne sortions pas comme nous sommes entrés [30] ». La police appuyée par des militaires procède à leur arrestation. Pagès est arrêté avec eux alors que Crespy leur échappe en remontant se cacher dans le clocher. Il est cueilli un peu plus tard. Lorsque l’on demande à Vayssade et pourquoi ils se sont permis de sonner le tocsin, il répond : « qu’on sonnait bien pour les duchesses, et qu’il [a] bien pû les sonner pour Louis Napoléon [31] ». Ils sont conduits sous bonne escorte sur la place de la Cité mais un attroupement considérable s’étant formé et manifestant l’intention de les libérer, les quatre hommes sont remis en liberté. La force publique se contente de noter les noms des trois insurgés qui ont sonné le tocsin.

 

Pendant ce temps, un autre groupe dirigé par le libraire Victor marche sur l’hôtel de ville laissé sans protection et enlève un tambour avec lequel il bat le rappel sur la place de la Cité. C’est sur cet attroupement que les soldats tombent. En infériorité numérique et voulant éviter d’envenimer la situation, ils n’insistent pas.

 

Les républicains tentent toujours de mobiliser autour d’eux. Ils envoient des émissaires dans les campagnes mais aussi dans les différents quartiers de la ville. En ville, bien peu vont les rejoindre. Les déceptions se succèdent donc. Sur la place de la Cité, Caussanel se plaint de l’inaction des ouvriers ruthénois dont il escompte le soutien. « Les ouvriers de Rodez, vous êtes de la merde ! Nous avons voulu nous faire tuer et vous n’avez même pas voulu nous suivre. Vous êtes de la canaille [32]. » En effet, au lieu du renfort des ouvriers, ce sont le préfet et le Général de Gouvenain qui à la tête de ses troupes font disperser la foule. L’autorité fait apposer les proclamations de Louis-Napoléon Bonaparte, celle du Ministre de l’Intérieur et celle du préfet sur tous les murs de la ville. Les républicains les lacèrent sous les yeux des autorités

 

Les républicains n’ont pu forcer le préfet à se retirer par la force. Un parlementaire, M. de Monseignat[33], se présentant en son nom à l’hôtel de ville, propose au préfet de créer une commission chargée de gérer la situation. Il justifie son acte en disant qu’il fait cela dans un but de paix et pour éviter de regrettables incidents à la ville. M.Fluchaire repousse sans hésitation cette proposition.

 

La Commission Départementale regroupée dans les locaux de L’Aveyron Républicain décide l’envoi d’émissaires aux quatre coins du département afin de contacter les correspondants et les appeler à soulever les populations et engager la résistance. Sylvain Galtié, aubergiste de Cransac, est ainsi envoyé auprès de Moins à Villefranche. Ramond de Sauveterre porte une lettre au docteur Garrigues de Marcillac, alors que Rozier et Charles Caussanel, ,se rendent à Sauveterre afin de mettre en mouvement ce canton.

 

300 à 400 exemplaires de la proclamation républicaine sont édités et placardés partout à travers la ville, dans les lieux publics et dans les communes proches. Plusieurs exemplaires sont envoyés dans chaque chef-lieu d’arrondissement. Informé de la publication de ce manifeste, le préfet riposte en faisant saisir les presses de l’imprimeur Ratéry, privant ainsi la Commission d’un relais – plus ou moins volontaire – important. Les agents de police parcourent les cafés et enlèvent les affiches.

 

M. Carrère, le maire de Rodez, rappelant son autorité et rejetant vigoureusement celle de la Commission Provisoire qu’il ne reconnaît pas, en appelle au calme, aux bonnes volontés et à la défense de l’ordre. Il fait publier de nombreux placards :

 

« Dans les circonstances graves où la France se trouve placée, l’administration municipale fait un appel à ses concitoyens pour maintenir l’ordre et la tranquillité publique ; elle compte sur eux ; qu’ils entendent avec confiance l’issue des évènements, la nation se prononcera. Le seul rôle des bons citoyens est de protéger aujourd’hui par un concours unanime et énergique les personnes et les propriétaires, de prêter main-forte dans ce but aux dépositaires de l’autorité publique [34]. »

 

La force armée s’installe en divers lieux de la ville. Elle occupe militairement la préfecture, l’hôtel de ville où un détachement de troupe s’établit en permanence pour protéger le conseil municipal, la caserne et ses environs. Des patrouilles parcourent la ville.

 

A la mairie un registre est ouvert pour recevoir le nom de toutes les personnes qui veulent se dévouer à la défense de l’ordre. H. de Barrau rapporte que 307 personnes viennent signer ce registre dont l’en-tête porte l’engagement suivant : « Les soussignés déclarent qu’ils sont prêts à prendre immédiatement les armes pour la défense de l’ordre dans la ville de Rodez, s’il vient à être troublé [35]. » L’appel du maire est donc entendu. De grands noms aristocratiques de Rodez y répondent : de Cassan de Floyrac, G. de Cabrières, H. de Valady, de Séguret, Delauro, de Nattes, de Bonald, de Serre, de Saunhac[36] … mais c’est aussi le cas de nombreux citoyens des professions libérales et des activités commerciales. La masse a toutefois été fournie par un nombre bien plus grand de petits artisans, d’ouvriers, de commis et de cultivateurs. Ces volontaires sont réunis et reçoivent des armes et des munitions. Placés sous l’autorité de H. de Barrau, conseiller de préfecture et ancien militaire, ils soutiennent la force armée et en accord avec celle-ci, occupent des postes de surveillance, et participent aux patrouilles et aux sorties de reconnaissance.

 

 

Au total l’autorité possède un millier d’hommes qui se répartissent comme suit : un bataillon du 13e Léger comprenant 600 hommes, des volontaires armés au nombre de 331[37], 3 brigades de gendarmerie et de fonctionnaires venus des environs de Rodez tels le corps des cantonniers ou celui des palefreniers des haras de Rodez (35 hommes).

 

Face à de telles forces, les républicains ne peuvent rien tenter. Il leur faut attendre le renfort des campagnes et des autres arrondissements.

 


[1] Arch. dép. Aveyron. : PER 609. L’Echo de l’Aveyron (1850-1851). N°695 en date du samedi 6 décembre 1851. « Appel au Peuple Français » publié en intégralité dans l’annexe n°3.

[2] Ibid.

 

[3] Ibid.

 

[4] Arch. dép. Aveyron. : PER 609. L’Echo de l’Aveyron (1850-1851). N°695 en date du samedi 6 décembre 1851. « Le Président de la République à l’Armée » publié en intégralité dans l’annexe n°3.

[5] Ibid.

 

[6] Ibid.

 

[7] Ibid.

 

[8] Ibid.

[9] Une notice plus détaillée se trouve en annexe n°4.

[10] Le préfet Fluchaire et le Duc de Morny ont des contacts réguliers pendant les journées de décembre. Le ministre de l’intérieur suit attentivement le déroulement des événements en Aveyron car le département se situe à proximité de Toulouse, une des grandes villes du pays.

[11] Arch. dép. Aveyron : PER 609. L’Echo de l’Aveyron (1850-1851). N°695 en date du samedi 6 décembre 1851.

[12] Le rôle des sociétés secrètes est analysé dans le chapitre IX.

[13] Arch. dép. Aveyron : 1 M 831 : Témoignage de Amans Carrier, conseiller de préfecture, en date du 10 décembre 1851. « Après qu’ils en eurent pris connaissance, ils déclarèrent que l’évènement de Paris était une violation de la constitution, et le firent dans des termes qui annonçaient un peu d’émotion ; M le préfet leur répondit : que le moment de discuter sur les événements ne lui paraissait pas convenable, que quelque fut le résultat des événements, le point capital pour lui et pour le pays, était de faire chacun de son côté les efforts les plus grands pour maintenir la tranquillité de la ville ; et il leur dit de plus qu’il comptait sur eux pour obtenir ce résultat ».

[14] Ibid. : « Ces Messieurs se retirèrent sans réponse formelle ».

[15] Arch. dép. Aveyron: 1 M 831 : Témoignage de Amans Carrier, op. cit : « Après [la sortie de ses messieurs ] MM le Commandant du bataillon, et M le Major obligés de passer devant la préfecture pour se rendre auprès du général où ils étaient mandés entrèrent dans le cabinet du préfet pour lui demander les nouvelles. M le préfet se hâta de les leurs communiquer et les invita à se rendre sur le champ chez le général pour recevoir ses ordres ».

[16]Arch. dép. Aveyron: 1 M 831 : Témoignage de Amans Carrier, op. cit : « M le préfet eut à peine le temps de se concerter avec les personnes qui se trouvaient auprès de lui, que la porte du cabinet fut ouverte avec vivacité, et on vit s’y précipiter tumultueusement la troupe qu’on avait déjà aperçue, elle envahit si promptement le cabinet qu’on pouvait à peine s’y mouvoir ».

[17] Arch. dép. Aveyron: 1 M 831 : Témoignage de Hyppolite de Barrau, conseiller de préfecture, en date du 10 décembre 1851. « J’aperçus un de ses insurgés que je reconnus être le sieur Mazenc, qui écrivait sur le bureau. C’était la démission de M le préfet. Deux individus montèrent sur la table, et proclamèrent la déchéance du préfet ».

[18] Ibid.

[19] Ibid. « Cette scène affligeante qui avait graduellement diminué de violence à mesure que des bons citoyens s’étaient introduits dans la salle, ne cessa complètement qu’à l’apparition de la force armée. Les cris injurieux, dont je ne saurais désigner les auteurs, furent fréquemment proférés pendant cette invasion ».

[20] Arch. dép. Aveyron: 1 M 831 : Témoignage de Amans Carrier, op. cit.

[21] Ibid.

[22] SLAESA : (Fond Pierre Carrère en cours de classement). « La commission constitutionnelle provisoire ordonne au citoyen Ratéry d’imprimer tous les actes de la commission : faute pour lui d’obéir à cet ordre, il y sera contraint par la force ».

[23] SLAESA : (Fond Pierre Carrère en cours de classement).

[24] Delmas J., Vivre en Rouergue n°78, année 1993, p 41-43.

[25] Delmas J., Vivre en Rouergue n°78, année 1993, p 41-43.

 

[26] Arch. dép. Aveyron : 1 M 831 : Témoignage de Amans Carrier, op. cit.

[27] Arch. dép. Aveyron : 4 M1-18 (7) 831. Témoignage n°120, de Célestin Pagès, carillonneur, âgé de 36 ans, demeurant Rodez.

[28] Ibid. Le carillonneur rapporte avoir entendu les insurgés dire que « le président de la République était en prison » et que l’on « voulait sonner son agonie ».

[29] Arch. dép. Aveyron : 4 M1-18 (7) 831. Témoignage de Célestin Pagès, op. cit.

[30] Arch. dép. Aveyron : 4 M1-18 (7) 831. Témoignage de Célestin Pagès, op. cit.

 

[31] Ibid.

 

[32] Arch. dép. Aveyron : propos formulé par un témoin de la scène.

[33] Tenot E., La Province en décembre 1851, Paris, 1865, p 95-97. BnF. 8°LB55-2939.

[34] De Barrau F., Galerie des préfets de l’Aveyron, t. IV, Rodez, E.Carrère éditeur, p 235.

[35] Ibid, p 236.

[36] Ce registre n’ayant pu être retrouvé on reprend ici les noms cités par M. de Barrau.

[37] De Barrau F., Galerie des préfets de l’Aveyron, t. IV, Rodez, E.Carrère éditeur, p 236. Ce chiffre correspond aux 307 signataires du registre sus-énoncés et au personnel de la préfecture qui à l’image des 3 conseillers de préfecture s’occupent de la logistique de la milice bourgeoise.