LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE EN AVEYRON

LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE AU COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 EN AVEYRON

Mémoire de maîtrise présenté par GRÉGORY POUGET 

sous la direction de JEAN-CLAUDE SANGOÏ et JEAN RIVES 

septembre 2002

Première partie : LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE

Chapitre II : La résistance républicaine dans les arrondissements de Millau, Saint-Affrique et Villefranche

A  –  Le mouvement insurrectionnel à Millau :

L’autorité préfectorale a des craintes particulières au sujet de Millau. Le préfet connaît la population et il n’ignore pas que les propos socialistes ont un certain écho auprès des ouvriers.

La nouvelle du coup d’Etat parvient à Millau le jeudi 4 décembre à 9 heures du matin par la diligence de Rodez. Le sous-préfet fait appeler aussitôt les brigades de gendarmerie les plus proches, fait convoquer la compagnie des sapeurs pompiers, et en accord avec la mairie prend des mesures de précautions pour garantir l’ordre.

Bonhomme, chef du parti républicain de Millau est le premier à être informé. Le menuisier Jean Antoine Decombis arrive chez lui au moment ou il reçoit les avis et les instructions du Comité de résistance de Rodez. Tous deux se rendent ensuite dans un café pour s’entretenir avec leurs amis. La nouvelle se diffuse comme une traînée de poudre.

Un instant après des ouvriers se rassemblent devant le café Vilherm. Les deux hommes s’affairent, courant d’un groupe à l’autre, pour les encourager à manifester leur désapprobation. Bonhomme se rend sur la place du Mandaroux, au café Marcillac, et envoie des ouvriers partout où les républicains ont l’habitude de se réunir. La liste d’un comité de résistance à établir est arrêtée.

Des émissaires sont dirigés sur St Georges et sur St Affrique pour communiquer au plus vite le mot d’ordre de la révolte. D’autres sont envoyés dans les ateliers de la ville pour avertir tous les ouvriers et leur apprendre le coup d’Etat avec le mot d’ordre suivant : Louis Napoléon est traître envers la patrie ! Son acte le fait immédiatement déchoir de la Présidence[1]. Les hommes du Comité de résistance de Millau engagent tous les ouvriers et toutes les personnes de bonne volonté à se réunir à midi et demi sur la place du Mandaroux.

Les républicains envisagent de transporter la foule de cette place à la mairie, de s’en emparer, d’y former officiellement un comité de résistance, suivant l’exemple de celui de Rodez, et de procéder ainsi au remplacement des autorités.

Vers 11 heures, Bonhomme, accompagné de Tarayre clerc d’avoué et de Vincent Rozier avocat, se rend chez M. Carrère et lui demande l’impression sous forme de placard de l’art. 68 de la Constitution. L’imprimeur rejette cette demande.

Au rendez-vous donné, entre midi et demi et 1 heure, plus de 300 individus, pour la plupart ouvriers, se rassemblent. Au milieu d’eux Bonhomme répète les propos tenus pendant la matinée et annonce que le Président de la République est déjà à Vincennes. Puis il se met à la tête de la foule et la conduit à l’hôtel de ville. Les gendarmes reçoivent l’ordre d’aller le protéger, mais ils y arrivent alors que la foule est en train de l’envahir. Face à 300 ou 400 personnes leur action est impossible.

Le maire, surpris par ce mouvement soudain, se présente sur la porte de son cabinet pour essayer de calmer la foule. Il est vivement interpellé par Bonhomme, qui lui déclare : « le Président de la République n’est plus rien »[2] et lui demande la clé de la grande salle de la mairie pour pouvoir procéder en ce lieu à l’élection du Comité de résistance de Millau. Il l’invite à se joindre à ceux qui sont réunis devant lui pour la défense de la Constitution. Il lui déclare aussi que s’il ne veut pas s’unir à la protestation du peuple contre la violation de la Constitution, il doit cesser immédiatement ses fonctions et ajoute que, si par un acte quelconque il s’associe à cette violation, il sera brisé… Ces paroles obtiennent une vive et bruyante adhésion de la part de la foule qui envahit la salle. Sur le refus de l’autorité, la porte de la grande salle est enfoncée. Les insurgés s’y réunissent immédiatement. Là, Bonhomme monté sur une table, harangue de nouveau la foule et fait proclamer le Comité de résistance dont il est le membre principal. Il demande ensuite au maire, qui est parvenu non sans difficulté à rentrer dans la grande salle, de lui remette la clé de l’arsenal où sont déposés les fusils de la garde nationale. Le maire s’y refuse. La porte vole en éclats et près de 250 fusils sont pris.

Bonhomme organise la distribution des armes. Il forme des escouades de 16 hommes et met à la tête de chacune un ancien militaire. Ainsi armés, les manifestants projettent d’aller investir la poudrière. La foule se met en marche, mais Vincent Rozier, survenu entre temps, la détourne de ce dessein car il craint des débordements, et secondé par quelques modérés, il parvient à faire abandonner ce projet.

Après avoir laissé une garde suffisante à l’hôtel de ville, Bonhomme conduit la colonne vers la Place de la Fraternité, où un Commandant en chef est choisi. Ce choix arrêté, les républicains font une proclamation aux habitants. Tarayre en propose le texte qui est accueilli favorablement par les membres présents du Comité de résistance. La proclamation étant faite, la troupe se remet en marche pour en faire la publication dans tous les quartiers. Les insurgés en armes et tambour en tête vont sur deux rangs au milieu d’un important cortège.

Pendant ce temps, le sous-préfet secondé par la brigade de gendarmerie, les pompiers et quelques citoyens – parmi lesquels figurent M. De Saint-Martin, ancien sous-préfet, et

M. Bachelier, receveur particulier des finances – essaye de faire bonne figure et de montrer à la population que l’autorité n’est pas vacante.

Quand la proclamation est terminée les républicains reviennent sur la place de la Fraternité. Bonhomme donne l’ordre au Commandant en chef d’aller à la mairie avec 100 hommes, de la garder et de s’y maintenir. Il lui annonce qu’un poste de 20 hommes a été placé à la poudrière et qu’il faut les faire relever d’heure en heure. Il se rend ensuite à la mairie, s’adresse au secrétaire et s’entend avec lui pour la réquisition d’un local convenable pour loger sa troupe pour que la nuit ne soit pas trop pénible. Un corps de garde est établi.

La clé du magasin et des biens de la commune lui sont livrées. Bonhomme renvoie quelques insurgés inutiles pour le moment, les invite à emporter avec eux les fusils, et ajoute qu’au premier coup de baguette ils doivent se rendre armés à la mairie.

Les dispositions ainsi prises, la mairie occupée et défendue par l’insurrection maîtresse des fusils et de la poudre, les républicains n’ont plus rien à craindre. Aussi les membres du comité de résistance quittent-ils tous la salle où ils se sont tenus en permanence et rentrent chez eux. Ils ont les choses bien en mains. Ils décident d’attendre les nouvelles qui doivent arriver de Rodez par la diligence du soir avant d’aller plus loin.

L’impatience est grande mais les nouvelles sont loin d’être celles attendues. Le préfet est toujours maître de la situation. Les colonnes républicaines n’ont pu le chasser de la préfecture. Dès ce moment l’ardeur des démocrates faiblit considérablement. Il n’y a plus aucun membre du Comité à la mairie. Les permanences sont terminées et la salle est déserte.

Le commandant en chef, après avoir inspecté la poudrière, retourne à son poste. Il est étonné de ne voir aucun des chefs. Ne voulant pas assumer seul la responsabilité des évènements, il les envoie chercher. A son appel Bonhomme, Tarayre, Valhibouse, Maury et Jules Vassière répondent négativement. Les ouvriers insurgés veulent absolument de la poudre. Informés des préparatifs qui se font à la sous-préfecture pour les chasser le lendemain et avertis de l’arrivée en ville des brigades de gendarmerie de l’arrondissement, ils souhaitent être en mesure de faire respecter leur position. Ils ignorent que les « frères de Rodez » n’ont pas réussi à chasser le préfet. Le Comité de résistance qui connaît les nouvelles de Rodez et qui sent que les efforts sont à peu près inutiles ne se montre plus aussi audacieux. Il repousse de toute son énergie la demande des hommes du rang à l’aide de raisons plus ou moins sincères et décide qu’il n’y a plus qu’à déposer les armes et à rentrer chez soi.

Cette décision qui anéantit d’un coup toutes les espérances des sympathisants républicains et des ouvriers est loin d’être acceptée sans protestation par des hommes qui n’ont pas hésité à se soulever le matin. Malgré l’abandon des chefs dont ils accusent la défection, ils entendent persister. Vers les 10 heures du soir l’explosion d’un fusil retentit dans la cour de l’hôtel de ville en guise d’alarme. Le tambour bat la générale dans les rues. Tous les hommes de bonne volonté sont recrutés pour voler au secours des frères et amis qu’on dit – faussement- attaqués à la poudrière par les gendarmes. Bonhomme essaye de s’adresser à eux sur leur passage.

Il leur demande de rentrer chez eux, d’arrêter le combat et de restaurer la tranquillité publique. Ils lui répondent violemment : « Vous membre du Comité, vous qui nous avez engagé à recruter à la République ! Vous ! Vous ! Allons tambour en marche ! [3]» et ils continuent leur route pour aller se procurer de la poudre.

A la tombée de la nuit, les brigades appelées en renfort le matin arrivent. Les insurgés ne consentent à déposer les armes et à cesser le combat qu’à 11 heures du soir après l’arrivée du courrier de Paris et alors que les gendarmes ont repris le contrôle de la poudrière. A minuit, cinq brigades sont réunies à la sous-préfecture. Les républicains savent qu’il leur est définitivement impossible de garnir les canons de leurs fusils, mais aussi que le coup d’Etat est victorieux à Paris et dans les grandes villes. A la même heure, les amis de la Constitution, faute d’appuis ou de nouvelles extérieures, évacuent la mairie. L’autorité fait immédiatement réoccuper celle-ci et commence à recueillir des informations contre les fauteurs des troubles.

 

B  –  Les troubles à Saint-Affrique :

A Saint-Affrique, le 4 décembre, les républicains de Millau Aimé Alric, Emile Sabathier et Auguste Labattut arrivent en tilbury annoncer la nouvelle du coup d’Etat. Ils se rendent au domicile de Puech. Ils lui amènent l’affiche émanant du Comité central de résistance de Rodez, qui a été apportée à Millau puis de là à Saint Affrique. Immédiatement on fait une copie, on la signe et le Comité central de résistance de Saint Affrique est constitué. Cet original est à l’instant même copié pour servir aux publications et aux affiches.

Les frères et amis sont convoqués chez Puech par Fages et Bonnafous. La maison de Puech qui sert de quartier général à l’insurrection est vite pleine. On discute et on délibère jusqu’à 2 heures et demi de l’après-midi. Puech sort avec Fourcaud, Fages, Bonnafous et deux ou trois autres. Ils vont chercher chez lui le tambour Lavabre qui demeure à deux pas de la sous-préfecture. Ils l’emmènent avec eux. Comme ils passent sous ses fenêtres, le sous-préfet M. Mammès l’entend, sort à son balcon et interpelle Lavabre en lui enjoignant au nom de la loi de cesser de battre et de rendre immédiatement la caisse. Lavabre hésite un moment mais il est entraîné par les insurgés républicains.

Le sous-préfet rentre dans ses appartements, revêt son uniforme puis descend dans la rue avec quelques civils, parmi lesquels le Procureur de la République, le maire et les avocats De Cabantous et Come. Il doit faire face au courroux des démocrates qui se pressent menaçants autour de lui.

L’arrivée du commissaire de police n’apaise pas la population. Il s’approche du rassemblement et somme ceux qui le composent de se disperser ; mais il n’est pas entendu. Bonnafous et Fourcaud le repoussent, lorsque celui-ci tente d’empêcher Lavabre de battre le tambour, en lui disant : « Que venez-vous faire ici ? Retirez-vous ! Vous, vous n’êtes plus rien ! Nous sommes à notre tour les maîtres ! [4] » Ils lui résistent comme ils ont résisté quelques instants plus tôt au sous-préfet. Les autorités le rejoignent.

Au milieu du tumulte, Fourcaud monte sur une chaise et fait à haute voix lecture de la protestation. L’autorité tente d’intervenir : le sous-préfet s’adresse au lecteur et l’invite à cesser la publication et à se retirer. « Nous sommes, lui répond Fourcaud, dans la légalité.

Ce n’est autre chose que la Constitution que nous lisons au peuple. Nous continuerons malgré vous [5]. » En fait, les républicains font lecture de la protestation insurrectionnelle.

Les autorités sont séparées dans le rassemblement, elles tentent en vain de se faire entendre, en appellent à la loi et à la raison. Les républicains leur répondent qu’ils les rendent responsables du désordre. La manifestation suit son cours. Les cris : Vive la Constitution ! A bas les traîtres ![6] » se font entendre. Fages et quelques hommes s’en prennent au sous-préfet, et Puech au Procureur de la République. Les autorités se rendant compte qu’elles ne peuvent pas faire face à la foule nombreuse décident de se retirer et d’aller chercher l’appui des gendarmes. La publication suit son cours dans la ville. Une fois finie, Fourcaud et Fages placardent un exemplaire de la protestation[7] sur la porte de la mairie.

Sur l’invitation du sous-préfet, les autorités se réunissent chez le lieutenant de gendarmerie pour mettre en place leur stratégie de défense. Conscientes de leur faiblesse numérique et des risques qu’elles prendraient à vouloir faire face aux insurgés, elles décident d’attendre les renforts des brigades de gendarmerie de l’arrondissement que le sous-préfet a fait appeler à Saint Affrique.

Vers 4 heures et demi, quelques républicains ayant à leur tête Flottes, Grand fils et Marouck vont à la mairie. Ils enlèvent le drapeau tricolore en disant qu’il faut le remplacer par le drapeau rouge. A ce moment là, la femme du concierge est seule à la mairie et comme elle s’oppose à ce qu’on arrache le drapeau et que Grand hésite, Flottes lui dit : « Comment ! Nous nous laisserions arrêter par une femme ? [8] » Le drapeau est alors arraché et déchiré. Une proclamation du préfet de l’Aveyron apposée par l’autorité sur la porte de la mairie est également arrachée.

Le commissaire de police et un de ses agents, se conformant en cela aux ordres donnés par le sous-préfet, retirent des murs les placards du Comité de résistance. Des démocrates le surprennent. Puech l’apostrophe : « De quel droit avez-vous arraché nos affiches ? Vous n’êtes plus rien, entendez le bien ! Nous avions nous le droit de faire ce que nous avons fait et vous pourrez plus tard vous repentir de l’opposition que vous nous avez manifesté ! Rendez cette affiche ! [9] » Les républicains saisissent le commissaire au collet, le fouillent, mais ne trouvent rien. Son agent a pu s’enfuir avec celle-ci.

Toute la soirée le cabinet de Puech ne désemplit pas. Vers 5 heures du soir une réunion rassemble les principaux chefs républicains chez Fabre, puis ils se rendent au nombre de 15 vers 8 heures chez l’aubergiste Bories. Là, ils délibèrent des moyens de maîtriser le sous-préfet. Ils imaginent des plans pour s’assurer des autorités. Les avis sont partagés. Certains sont favorables à cette idée, d’autres y sont hostiles. « Fages émettait l’avis que quelques uns devraient […] attendre [le sous-préfet] le soir au sortir de chez lui, ou bien encore qu’un seul devrait se cacher dans les caves ou les pièces adjacentes à la cour de la sous-préfecture pour, la nuit venue et tout le monde étant couché, venir ouvrir aux amis[et] saisir le sous-préfet [10]. »

Le soir des émissaires sont envoyés en divers endroits de l’arrondissement pour tenter de soulever les campagnes et les rallier au mouvement insurrectionnel.

Au cours de la nuit du 4 décembre près de 150 personnes se réunissent dans l’atelier de Fages. Il s’agit de voir quelle suite donner au mouvement. Deux clans s’opposent. Certains souhaitent passer à l’action avant que les renforts de gendarmerie n’arrivent. Ils veulent s’emparer des autorités et des armes provenant du désarmement de la garde nationale.

Les modérés demandent d’attendre des informations du Comité de Rodez. Toute la nuit, des hommes font des rondes deux par deux ou trois par trois et assurent la sécurité de la réunion. Les modérés sont entendus. Au petit matin, les hommes désunis se séparent.

 

Flottes et Louis Grand, envoyés à Saint Rome de Tarn descendent à l’auberge de Crespy où ils dînent en compagnie de Fraysse et Lafon. Il leur faut trouver un tambour pour faire dans le bourg les publications révolutionnaires de la protestation du comité de Saint Affrique. On propose à Lafon de prendre une caisse et de battre le rappel, il s’y refuse, on va alors chercher chez lui Bonnafous qui accepte. De là, ils se rendent au Café Boat et demandent du papier et de l’encre pour faire des copies de la protestation qu’ils veulent publier. Ils sortent éclairés de quatre torches et précédés du tambour. Ils chantent La Marseillaise et font en public, en huit ou dix endroits différents des publications qui se terminent par les cris : « Vive la République Rouge ! Vive la République ! [11]» Ils retournent ensuite au Café Boat où ils annoncent que le Président de la République est arrêté et que le Comité de résistance de Saint Affrique fonctionne à la place des autorités de la ville et de l’arrondissement. Ils disent également que les communes n’ont plus d’ordre à recevoir que des délégués de ce Comité, et qu’il faut en organiser un à Saint Rome. Divers noms sont signalés de personnes la plupart absentes. Les républicains de Saint Affrique n’obtiennent aucun résultat, aucune signature.

Devant l’auberge de Crespy, alors que leur voiture est attelée, ils disent à leurs frères et amis : « Nous allons partir, demain vous recevrez des ordres du comité de St Affrique. Nous vous enverrons des drapeaux rouges [12] » ; et avant de partir, ils conviennent du mot de liaison pour reconnaître les émissaires venus de Saint-Affrique : « Vous leur demanderez quelle heure est-il ? Ils devront vous répondre : l’heure de la lumière [13] .» A neuf heures, les deux émissaires quittent St Rome de Tarn et s’en retournent à Saint Affrique.

Schneblein arrive à six heures du soir chez Bonal, aubergiste à Saint Victor, dans la commune de Saint Rome de Tarn. « Je vous annonce – dit-il – que nous avons la République – mais nous l’avions lui répond-t-on – C’est égal réplique-t-il, celle-ci est la bonne ![14] »  Il va ensuite chez l’adjoint au maire et tirant de sa poche le texte de la protestation, il la lui lit en entier. L’adjoint lui répond : « je n’aperçois pas que vous me citiez là des noms bien remarquables ni recommandables de la ville. Schneblein lui répond : Nous verrons tout cela plus tard ! [15] »

Le lendemain matin il affiche des protestations sur la porte de l’église et sur celle du citoyen Bonal . A table il dit que « le gouvernement est changé, que les républicains ont conquis la République Rouge et qu’il faut aller aux Costes pour organiser un comité de résistance [16] » semblable à celui de Saint Affrique et une nouvelle « administration communale [17] ». A son retour de St Victor il rencontre sur la route un habitant du village des Costes. Il le charge d’aller dire à Antoine Décup des Costes d’aller chercher Bonnafous Jean et Pierre Daures et de les envoyer le lendemain à St Affrique où l’on doit proclamer « la République Rouge [18]». Il passe finalement lui même aux Costes et à Melvieux.

 

Le cinq décembre, les républicains de St Affrique tentent une nouvelle fois de mobiliser la population. L’autorité répond en envoyant les brigades de gendarmerie. L’enthousiasme et l’effervescence de la veille n’y sont plus. L’autorité est restaurée.

Le six décembre le maire de Saint Affrique ouvre un cahier de souscription.

« Les soussignés se mettent à la disposition de M. le sous-préfet et de l’autorité municipale de Saint Affrique pour les suivre à leur premier appel contre les fauteurs de désordres et dans le but de maintenir la tranquillité publique si elle venait à être troublée.

Le lieu de ralliement est fixé à l’hôtel de la sous-préfecture [19]. »

Quelques notables et amis de l’ordre viennent signer cette souscription. Parmi eux figurent ceux qui ont, au côté du sous-préfet, tenu tête aux républicains. Il y a également Paul Fourcaud[20], l’un des insurgés de la journée du 4 décembre !

C  –  La mobilisation à Villefranche:

Le 3 décembre 1851, vers les huit heures et demi du soir, les autorités de Villefranche, sont informées des évènements de Paris par un gendarme arrivant de Toulouse[21]. Prévoyant une action des socialistes, elles se réunissent à l’hôtel de ville, où existe un dépôt d’armes. « Elles [font], en même temps, prévenir quelques amis de l’ordre, de leur position et de leur intention [22]. » Leurs prévisions sont fondées.

Galtié Sylvain, parti le matin de Rodez, arrive dans la soirée à Villefranche. Il informe ses amis des évènements de Paris et de Rodez et les invite à marcher sur l’hôtel de ville. En compagnie de Moins, imprimeur, Frayssines, ancien ingénieur civil et Gausserand, de Montauban, il essaye de recruter du monde au café Lafont situé sur la promenade Guiraudet. Le « Chant du départ » et « La Marseillaise » sont entonnés, un rassemblement se forme, et lorsqu’il a acquis des proportions jugées suffisantes, il parcourt les boulevards et les rues principales de la ville. Moins, juché sur une estrade de fortune, harangue la foule :

« Je vais vous donner des armes. Je vais vous armer tous. Allons à la mairie [23] » . Ses propos soulèvent les applaudissements.

A neuf heures il arrive devant l’hôtel de ville, mais sa longue promenade a donné le temps à une vingtaine de volontaires de se s’unir aux sept gendarmes et à la garde nationale autour des autorités. A leur approche, le lieutenant des gendarmes leur crie : « halte ! on n’entre pas !» Comme la foule ne tient pas compte de cette injonction, les gendarmes croisent les baïonnettes. Un instant débordées, les forces de police parviennent tout de même à contrôler la foule. Moins demande alors à parler aux autorités qui se rendent aussitôt sur la porte de l’hôtel de ville. Moins, Frayssines et Orcibal, délégués par l’attroupement[24] pour parlementer, disent que la Constitution est violée. Ils annoncent leur ferme volonté de la défendre et demandent des armes. Les autorités, le docteur Bras en tête, maire de la ville, interpelle la foule pour l’exhorter au calme, à s’unir et à leur faire confiance. Le sous-préfet D’Abel Libran donne lecture de la dépêche télégraphique reçue de Paris et de la proclamation que vient de lancer le préfet pour calmer les esprits. La tension a l’air de retomber. L’attroupement semble vouloir se disperser. Voyant cela, les chefs républicains s’exclament : « La Constitution est violée ! Nous venons la défendre et savoir si vous voulez la défendre avec nous. Faites délivrer des armes à la garde nationale et si vous ne voulez pas nous en donner, nous allons nous armer ! [25]» Le sous-préfet estime alors n’avoir aucune opinion à formuler et déclare que les armes ont été distribuées à qui de droit pour la défense de la cité et de l’hôtel de ville.

Frayssines s’écrie alors : « il n’y a plus d’autorités ! [26]» A ses mots l’attroupement fait un mouvement en avant sur un signe de tête de Moins, qui, en compagnie de Gras, se porte vivement vers les autorités, en criant que, « puisqu’on en veut à leur vie on n’a qu’à leur prendre [27] ». Espèrent-ils par cette manœuvre, en profiter pour pénétrer dans l’hôtel de ville? Les défenseurs semblent le supposer car ils croisent aussitôt les baïonnettes.

Voyant cela, Moins dit que puisqu’on leur refuse des armes, il va aller en chercher et se retire en criant, avec toute sa suite : « aux armes ![28] ». Ils se dispersent pour aller s’armer ou recruter de nouvelles forces et se donnent rendez-vous sur la place du Couvert. « Tous se portent devant la maison de Caussanel, autour de l’arbre de la Liberté, auprès de la Croix [29]. » Bientôt ils y sont réunis au nombre de 40 à 50. A mesure qu’ils arrivent, Moins et Frayssines les rangent par huit. Une quinzaine seulement ont des armes. Bien souvent, il s’agit de fusils de chasse pour la plupart sont fort anciens et hors d’usage. A ceux qui se plaignent de ne pas être armés, Frayssines répond : « Prenez des fourches ! Prenez des faux ! Tout est bon[30] .»

La place s’est peu à peu remplie. Des mères, des épouses, des sœurs sont venues, malgré l’heure avancée, se mêler aux hommes rassemblés. Beaucoup pleurent et implorent leurs hommes de rester. On entend aussi des cris et des chants. Mme Cestan, tente de s’opposer par force larmes et supplications au départ de son frère, Moins. Celui-ci n’entend pas reculer devant le danger et décidant montrer l’exemple se place à la tête de la colonne. La bande se met en marche et se dirige sur Rodez.

 

 

                            



[1]  Arch. dép. Aveyron  : 4 M 1 –16 : dossiers des condamnés millavois.

[2] Arch. dép. Aveyron  : 4 M 1 –16 : dossier du banquier Jules Bonhomme.

[3] Arch. dép. Aveyron : 4 M 1-16. Dossiers individuels des prévenus de Millau.

[4] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Bonnafous Pierre, op.cit.

[5] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Flottes (agent voyer révoqué de ses fonctions, célibataire âgé de 37 ans, détenu, n°1 en 2ème catégorie) faite à  St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture.

[6] Ibid.

[7] Document publié dans l’annexe n°5.

[8] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Flottes (agent voyer révoqué de ses fonctions, célibataire âgé de 37 ans, détenu, n°1 en 2ème catégorie) faite à St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture.

[9] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Puech Augustin Bénigne (avocat, célibataire, âgé de 28 ans, détenu, n°1 en 1ère catégorie) faite à St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture.

[10] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Fages François (menuisier, marié et père de 4 enfants, âgé de 40 ans, contumax, n°2 de la 1ère catégorie) faite à  St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture. Le sous-préfet note que « la femme Roussel, témoin de ce propos, l’a répété à plusieurs reprises [aux gendarmes comme au sous-préfet lui-même] ».

[11] Arch. dép. Aveyron: 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Fourcaud Paul (rentier, célibataire, âgé de 34 ans, demeurant à St Affrique, détenu, n°5 de la 1ère catégorie) faite à  St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture.

[12] Ibid.

[13] Arch. dép. Aveyron: 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Flottes (agent voyer révoqué de ses fonctions, célibataire âgé de 37 ans, détenu, n°1 en 2ème catégorie) faite à  St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture. Propos soulignés dans le rapport du sous-préfet.

[14] Arch. dép. Aveyron: 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Schneblein Edouard (cafetier, âgé de 35 ans, marié et père de 4 enfants, demeurant à Saint Affrique, contumax puis détenu : n°3 2ème  catégorie) faite à St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture. Propos soulignés dans le rapport du sous-préfet.

[15] Arch. dép. Aveyron: 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Schneblein Edouard, op. cit

[16] Ibid.

[17] Ibid.

[18] Arch. dép. Aveyron: 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Daures Pierre (demeurant aux Costes, contumax, n°7 2ème catégorie) faite à St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture. Il est fidèle au rendez-vous et est accusé d’avoir placardé à la porte de l’église des Costes une affiche de la protestation du Comité de St Affrique.

[19] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Pièce jointe faîte par le maire de Saint Affrique datée du 21 janvier 1852.

[20] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Feuille individuelle de renseignements concernant Fourcaud Paul (rentier, célibataire, âgé de 34 ans, demeurant à St Affrique, détenu, n°5 de la 1ère catégorie) faîte à  St Affrique, le 20 janvier 1852, par le sous-préfet et à destination des services de la préfecture. Lors de la réunion nocturne du 4 décembre, il faisait déjà partie des modérés qui s’opposaient au plan visant à enlever le sous-préfet. Le maire rapporte que « M. Paul Fourcaud […] signa spontanément la dite souscription », et il juge même bon de donner sur ce prévenu l’avis suivant : « Nous déclarons en outre connaître personnellement le dit Fourcaud comme doué d’un caractère loyal, honnête et généreux ».

[21] Ancourt A., Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et ses répercussions à Villefranche-de-Rouergue, extrait de la Revue du Rouergue d’Avril-Juin 1953, P.Carrère, Rodez. Citation p 18. « Le gendarme Louis Viguier, venant de Toulouse, où il s’était rendu pour service extraordinaire, annonçait au maréchal des logis Laur que le Prince-président avait dissous le Parlement et lancé un appel au peuple et à l’armée. Celui-ci en informait aussitôt le lieutenant Carles qui, à son tour, alertait les autorités, en vue de prendre immédiatement toutes dispositions utiles pour prévenir des désordres. Le sous-préfet convoquait le maire et le procureur de la République ».

[22] Arch. dép. Aveyron : 1 M 826. “Marche des insurgés de l’arrondissement de Villefranche (Aveyron), depuis leur réunion, le 3 décembre 1851, à Villefranche, jusqu’à leur dispersion, le 5 du même mois, entre Le Pas et Rodez par le Commissaire de la République Bartine, en date du 30 janvier 1852 ».

[23] Ancourt A., op.cit., p 19.

[24] Un certain nombre de membres sont soigneusement cités par les gendarmes de Villefranche, op. cit.

[25] Arch. dép. Aveyron : 1 M 826. “Marche des insurgés de l’arrondissement de Villefranche (Aveyron), depuis leur réunion, le 3 décembre 1851, à Villefranche, jusqu’à leur dispersion, le 5 du même mois, entre Le Pas et Rodez, par le Commissaire de la République Bartine, en date du 30 janvier 1852 ».

[26] Arch. dép. Aveyron : 1 M 826. Rapport du commissaire de la République Bartine, op.cit..

[27] Ibid.

[28] Arch. dép. Aveyron : 1 M 826. Propos rapporté par le sous-préfet de Villefranche dans son rapport au préfet de Rodez en date du 9 décembre 1851.

[29] Ancourt A., op.cit., p 21. Le rassemblement s’est ici placé sous le double patronage du leader des républicains Caussanel, et sous celui de l’arbre de la liberté. Dans une note (n°2), il rappelle que cet arbre se dressait depuis 1848, au milieu de la place, à l’emplacement de l’ormeau depuis longtemps abattu, qui y avait été planté au temps de la grande Révolution. On observe en quelque sorte une continuité dans le temps de la symbolique de cette place – avec à travers cet arbre de la liberté des références à la Révolution de 1789 et aux prémices de l’idée républicaine – mais sur cette place trône également une croix, symbolique quant à elle de l’importance de l’Eglise et du rôle qu’elle joue en Aveyron. Dans ce département, les deux symboliques ne sont pas antinomiques, et il est bien d’autres lieux où comme à Villefranche on érigea des arbres de la liberté et des croix sur les mêmes places, places où d’ailleurs l’église et la mairie se côtoient le plus souvent. Il est même des lieux où l’on déposa des croix en 1789, 1792 voire même 1793 ! Les dépositions donnèrent lieux à de grandes cérémonies et processions. Tout cela à une heure où la religion s’attirait les foudres de Robespierre et consorts…

[30] Arch. dép. Aveyron : 1 M 826.Rapport du sous-préfet de Villefranche, op.cit.  « La place fut évacuée par l’attroupement. Bientôt le bruit du tambour se fit entendre : on cherchait à organiser la colonne qui devait se diriger sur Rodez, l’empressement ne fut pas grand, on se plaignait de n’avoir pas d’armes : en effet, la 3ème Compagnie de la garde nationale qui comptait dans ses rangs beaucoup d’anarchistes, avait été désarmée quelque temps auparavant ».