Clamecy et la résistance au coup d’Etat
article publié dans le Bulletin de l’Association 1851-2001, n° 8, février – mars 2000 Clamecy et la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851
La nouvelle de l’abdication de Louis-Philippe et de la proclamation de la République avait été apportée dans cette active petite sous-préfecture de 6000 habitants, par la diligence de Paris dès la nuit du 25 février 1848. Cette nouvelle avait été accueillie avec autant de stupéfaction que de joie : la ville avait spontanément illuminé, car Clamecy, qui abritait cependant un fort parti bourgeois conservateur, possédait aussi de nombreux « républicains de la veille », issus des professions libérales, avoués, avocats, médecins, banquiers, imprimeurs, fabricants ou entrepreneurs de tannerie, beaucoup d’artisans et de boutiquiers, et surtout les « gens de rivière », car Clamecy était un très important centre de flottage des bois descendus des forêts du Morvan. Si le centre, la haute ville groupée autour de la collégiale Saint-Martin, était plutôt conservateur – mais des « républicains du lendemain » y apparurent très vite – les quartiers populaires étaient bien plus avancés ; c’était à l’ouest, Beuvron, du nom de la rivière qui confluait avec l’Yonne et, sur la rive droite de ce cours d’au, Bethléem, du nom d’un ancien évêché in partibus, reliquat des croisades, où se trouvaient le port et ses travailleurs, flotteurs et surtout conducteurs de « trains » (radeaux faits de troncs d’arbres), qui avaient de nombreux contacts avec paris, gens résolus n’ayant pas froid aux yeux.
Deux courants opposaient les bourgeois républicains plutôt modérés, tels le sous-préfet Parent, pharmacien de son état, conseiller municipal très influent, très populaire, propulsé à ce poste par les événements, son ami d’enfance le docteur Lachevrie, en fait plus radical, « le médecin des pauvres », le banquier Cornu, modéré lui aussi ou encore Née, le maire plutôt rallié par opportunisme, et les quartiers de Bethléem et de Beuvron qui comptaient beaucoup de « démo-soc », artisans, boutiquiers, flotteurs, entraînés par des bourgeois très ardents et fort actifs, comme Guerbet, avocat reconverti dans la quincaillerie, « la nuance Ledru-Rollin », les Milletot, père et fils, Eugène et Numa, imprimeurs, l’avoué Rousseau, entre autres, acquis à un socialisme plus révolutionnaire.
Ces messieurs se réunissaient en basse ville, chez Gasnier, au café des Colonnes, qui abritait aussi la loge maçonnique, fondée par Guerbet, tandis qu’artisans et flotteurs se retrouvaient chez Denis Koch qui tenait un cabaret plus modeste.
Les comités démocratiques ayant été interdits, leurs membres se retrouvaient dans les sociétés secrètes. Les Mariannes étaient très nombreuses dans la Nièvre et un réseau sans failles couvrait toute la campagne. Les « frères » étaient en rapport avec ceux de Lyon et de Paris, et pour les Clamecyois, avec les Auxerrois. Leur très active propagande avait gagné aux idées « démo-soc » les paysans qui attendaient fermement la « République des Petits », « La Belle », et encore, une expression qui faisait frémir les « hommes d’ordre », « La Sarclée ». Les Mariannes de Clamecy et des environs rassemblaient 300 hommes résolus. Tous ces « rouges » mettaient ouvertement leur espoir dans la campagne électorale présidentielle de 1852. On conçoit aisément que les lois de 1850, restreignant la liberté de la presse et le suffrage universel y aient été particulièrement mal reçues.
Pour l’instant, la politique réactionnaire du gouvernement frappait lourdement la Nièvre, révocation des préfets et sous-préfets dès 1848, en particulier parent si populaire à Clamecy, destitution de nombreux maires, procès de presse et disparition des journaux républicains, à Nevers Le Bien du Peuple de Duvivier et Le Peuple de la Nièvre (à Clamecy Le Peuple de Guerbet n’avait eu que 14 numéros, faute de moyens), révocation d’instituteurs, tel « l’instituteur rouge », Malardier, ou de Durand, principal du collège de Clamecy depuis des années, alors qu’il avait rendu florissant un établissement réduit à peu de choses en 1830, épuration de l’administration à tous ses échelons, à commencer par le secrétaire de mairie de la ville, en poste depuis plus de vingt-cinq ans et ancien combattant des guerres de l’Empire. Il y avait pourtant les rapports alarmants du procureur général de Bourges, Corbin, qui signalait la misère ouvrière et la détresse paysanne, « qui sont de mauvaises conseillères ». Celui-ci avait en outre, on le savait, bénéficié des révélations d’une « taupe », introduite chez les Mariannes, un certain Moyeux, employé aux chemins de fer de Lyon, arrêté à Cosne, qui avait donné « un tableau saisissant des troupes démocrates-socialistes », prêtes à descendre dans la rue au premier signal (1). Il fallait donc mater ce « département rouge » ; le 21 octobre 1851, le gouvernement décrétait l’état de siège, ce qui donnait toute autorité au général Pellion. Dès le 25 octobre, les arrestations commencèrent dans les arrondissements de Nevers, Cosne et Château-Chinon, démantelant le réseau socialiste et anéantissant le parti démo-soc. On peut dire avec Pascal Bernard (2) que « c’est en octobre novembre 1851 que le coup d’État a eu lieu préventivement dans la Nièvre ».
Cependant, il faut ajouter avec Marc Autenzio (3) que, par prudence et en raison du manque d’effectifs, il n’y eut à Clamecy et alentour, aucune arrestation préventive, seulement quelques perquisitions et fermetures de cabaret dans « ce pays (pourtant) dégarni de troupes où il règne une grande exaltation », comme le signalait avec inquiétude le procureur de Clamecy, Baille de Beauregard. Or le sous-préfet Saulnier, arrivé en juillet 1851, était très jeune – 23 ans – et sans doute sans aucune expérience. C’était une dangereuse imprudence alors que seuls six gendarmes assurent l’ordre.
Grâce au télégraphe, Clamecy apprit le coup d’État perpétré dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, dès le mercredi au petit matin, suscitant la stupéfaction générale et, pour beaucoup, l’indignation. La journée et le lendemain passèrent dans l’attente et l’incertitude. À la Marianne, un changement s’était produit dans les derniers mois, accusant un net virage plus à gauche. Si Guerbet, qui avait recueilli plus de 20000 voix aux élections législatives de 1849, sans être élu d’ailleurs, conservait une stature départementale en tant que chef des démo-soc de Clamecy, son influence locale avait décliné au profit de deux jeunes Millelot, Eugène qui avait 28 ans et Numa, 27 ans, ardents, impulsifs, impérieux aussi, qui ne reculaient pas devant la perspective d’une action révolutionnaire : Guerbet, beau parleur, en fait plus timoré, n’y poussait pas. Les deux partis étaient en lutte ouverte. Le plus âgé – Guerbet avait 37 ans – sûr de lui, sympathique mais ironique, emporté et souvent cassant, irritait facilement ses « frères », qui écoutaient de plus en plus volontiers les Millelot. On ne lui faisait plus crédit : « un homme dévoué mais une tête faible », disait-on de lui, propagandiste inlassable mais inconscient : il allait jusqu’à distribuer ses tracts au commissaire de police, son bureau et son magasin étaient remplis de papiers, brochures et livre compromettants. De toute façon, Guerbet fut étranger aux débuts de l’insurrection car il était sous les verrous pour avoir injurié plusieurs magistrats en pleine rue et perdu le procès qui avait suivi ce fâcheux incident.
Dès le 4 décembre, les démo-soc réussirent à se rencontrer au café des Colonnes, ils y attendaient fébrilement le mot d’ordre de Paris, au moins de Nevers, pour descendre dans la rue afin de défendre, au besoin au péril de leur vie, la constitution violée et la République trahie. Mais rien ne vint…
Vers le soir, une longue colonne de 7 à 800 hommes, des flotteurs mais aussi de nombreux artisans et boutiquiers, plus ou moins armés, très excités, traînant avec eux femmes et enfants, s’ébranla, tambours battant, vers la ville haute, en chantant La Marseillaise. L’insurrection semble n’avoir eu aucun plan bien déterminé. Son premier objectif était d’attaquer la prison et de délivrer les onze détenus qui s’y trouvaient, dont Guerbet.
Affolés, le sous-préfet, sans même avoir le temps de revêtir son uniforme, et le procureur coururent se réfugier à la gendarmerie, à l’entrée du faubourg résidentiel du Crot-Pinçon, au sud de la ville. La garnison, ayant reçu des renforts de Tannay et de Varzy, avait doublé. De son côté, le maire qui n’était plus Née mais le banquier Legeay, avait hâtivement réuni à l’hôtel de ville, mitoyen de la prison, place Saint-jean où s’élève aussi la collégiale, une centaine d' »hommes d’ordre », quelques armes et munitions.
Dans cette atmosphère tendue, accrue par les sons du tocsin venu des villages voisins, la colonne débouche enfin sur la place. Legeay, revêtu de son écharpe, et quelques conseillers municipaux tentaient de parlementer quand soudain six gendarmes armés apparurent au bas de la rue du marché. « À cette vue, écrit Parent (4), une commotion électrique (sic), un aveuglement fratricide frappèrent les deux partis et un engagement de quelques secondes eut lieu, le temps d’une décharge et d’une riposte ». Quant à savoir qui avait commencé, nul ne le sut jamais, les deux bords s’en accusèrent mutuellement. Quoi qu’il en fut, il y eut des morts, deux chez les gendarmes et un chez les insurgés, outre, respectivement, deux et cinq blessés, tout cela vers les 9 heures du soir, dans la nuit noire de décembre, à la pauvre lumière des réverbères à gaz ont Clamecy était si fière.
Épouvantés, les défenseurs de l’ordre se dispersèrent précipitamment, non sans péril : l’instituteur Munier fut tué d’une balle perdue en traversant la place, l’avocat Mulon, ancien bâtonnier, d’ailleurs républicain modéré, fut abattu d’un coup sur la nuque, peut-être par erreur… Pendant ce temps, les insurgés enfonçaient les portes de la prison, occupaient l’hôtel de ville et la sous-préfecture désertés outre la tour de Saint-Martin d’où le tocsin sonna lugubrement toute la nuit. Les Millelot installèrent un nouveau maire, l’avoué Roussseau. Des barricades barrèrent les principales entrées de la ville. La peur submergea bon nombre des habitants, calfeutrés chez eux. Elle s’accrut le 6 décembre quand arrivèrent les « frères » des villages voisins, armés de fusils et de fourches. Ces « jacques » tonitruants, campant dans la ville comme en pays conquis, venus de tous les alentours, Surgy, Pousseaux – où un vieillard fut abattu pour avoir refusé de livrer son fusil – Entrain, Corvol, Chevroches, Armes, Brèves, Dornecy, et même Druyes, dans l’Yonne, souvent éméchés, dont le nombre, 5 à 6000, doublait la population locale, semèrent l’épouvante. La journée passa dans une extrême confusion, les Millelot attendant vainement les renforts espérés d’Auxerre et d’Avallon où des émissaires avaient été envoyés, les insurgés montant la garde auprès d’une quinzaine de barricades ou déambulant en ville où l’on réquisitionnait, parfois sans douceur, le pain, la viande, le vin et naturellement la poudre et les balles, où l’on visitait les demeures en exigeant des armes ou en obligeant de paisibles citoyens à courir en renfort aux barricades. Eugène Millelot réquisitionna 5000 F. chez le receveur, sans doute pour payer quelques commerçants qu’on prétendait aussi régler avec des bons, imprimés en toute hâte, et, évidemment, dépourvus de toute valeur (5).
Il y eut encore quelques victimes, tuées ou blessées par accident ou par ivresse.
L’épisode le plus sanglant intervint quand on voulut désarmer les gendarmes. Une bande d’excités rencontra Guerbet, le saisit pour chef – pour son malheur – et s’en prit au gendarme Bidan, brave homme au demeurant, mais détesté parce qu’il était strict dans le service, imprudemment sorti sir le perron. Guerbet tenta en vain de le sauver ; la foulé déchaînée se jeta sur lui et malgré Séroude qui joignait ses efforts à ceux de Guerbet, il fut sauvagement massacré.
Le sous-préfet s’était éclipsé dès le 5 au soir afin de prévenir le préfet, Petit de Lafosse, et demander la troupe. Le 6, les gendarmes épargnés purent fuir aussi. Le maire Legeay réussit à sortir de la ville barricadée et rencontra le préfet à Prémery, le pressant d’intervenir.
Eugène Millelot, qui avait intercepté le courrier à son arrivée, comprit que Paris ne s’était pas soulevée et que la province en dépit de quelques îlots de forte résistance, demeurait calme. Le dimanche 7 au matin, son père, aussi prompt à se décourager qu’à s’enflammer, parlait de tout abandonner. Quand les premiers soldats apparurent sur les hauteurs du Crot-Pinçon, la plupart des paysans s’enfuirent précipitamment ; pour eux, la défense d’une constitution qui ne représentait rien, dont ils ignoraient parfois jusqu’à l’existence, n’avait aucun sens. Imperturbable, Eugène Millelot continuait de signer des ordres de réquisition et de rédiger des proclamations « de salut public ». Un moment, il songea, avec Guerbet, à entraîner les quelques hommes qui lui restaient pour marcher sur Auxerre. Déjà, le préfet et le général Pellion campaient aux portes de la ville. Deux personnes envoyées pour négocier la reddition, furent immédiatement fusillées sous prétexte d’espionnage. Soudain désabusé, Eugène, sur les onze heures du soi, donna l’ordre aux derniers résistants de se disperser. Le lendemain, le général et le préfet firent leur entrée solennelle dans une ville morte.
La répression fut à la mesure des événements et de la peur qu’ils avaient suscitée, c’est-à-dire particulièrement implacable. Parent reconnaît que « le simple bon sens devait envisager ce soulèvement improvisé comme la plus stupide des folies » (6). D’accord avec Victor Hugo, il pensait que l’émeute fait toujours surgir « les inconnus de la misère et du néant » (7) qui ne cherchent qu’à profiter des troubles « pour mener leur coupable industrie ». Parent ajoutait : « Qui aurait donc pu blâmer la sévérité de la loi ? ». mais la peur vécue durant ces journées-là fit aller bien au-delà du nécessaire, et ceci d’autant plus que le préfet Petit de Lafosse, qui pourtant connaissait Clamecy pour y avoir été sous-préfet, après avoir été alerté par Saulnier et Baille de Beauregard, n’avait rien fait pour prévenir les désordres ; il craignait, bien évidemment, qu’on le lui reprochât en haut lieu. Le maire Legeay, qui avait fait de son mieux, servit de premier bouc émissaire, il fut destitué avec des considérants aussi infamants qu’injustes.
Clamecy connut une longue occupation militaire, d’abord bien accueillie, mais qui devint vite pesante et coûta fort cher. Le conseil municipal échu fut remplacé par une commission de 12 membres, composée d' »hommes sûrs », laquelle accueillit délations et calomnies sans aucun discernement. La troupe fut employée à une véritable chasse à l’homme à travers bois et campagne, trop souvent aidée par ceux qui avaient eu si peur. Guerbet fut arrêté dans un cabaret de Monceau-le Comte, les trois Millelot également. Eugène réussit à s’enfuir, mais fut repris. Certains purent se sauver à temps : le docteur Lachevrie déguisé en ecclésiastique, Quenouille caché dans une futaille, Rousseau grâce au sang-froid de sa femme gagnèrent la Belgique, tandis que le docteur Bellin, de Corvol, se réfugia au Brésil ! Gagnier, lui, alla mourir misérablement en Turquie. C’était une très petite minorité. La masse fut reprise et s’entassa à la prison, à l’école (qui n’avait plus de maître), à l’asile, au besoin dans les caves. Plus de 700 personnes croupirent là pendant plusieurs semaines glaciales dans des conditions innommables. 300 à 400 familles se trouvèrent concernées et sombrèrent dans la pire misère. Beuvron et Bethléem semblaient dépeuplés.
Des conflits de compétence entre l’Intérieur, la Justice et l’Armée retardèrent la mise en place d’une impitoyable répression. Une commission militaire entreprit un premier tri. 165 prisonniers furent libérés mais plus de 500 furent désignés pour une déportation en Algérie ou à Cayenne. 242 d’entre eux avaient avoué appartenir à une société secrète, 67 enfin, considérés comme de dangereux meneurs, furent réservés au conseil de guerre.
Devant ces chiffres, le procureur général Corbin, pourtant peu suspect d’une excessive indulgence, dénonça énergiquement « cette razzia effroyable, par centaines », à l’encontre « d’un troupeau d’imbéciles ».
Cependant, le nouveau sous-préfet Marlière (9) se plaint de l’indulgence de la commission et le procureur s’indigne de l’impertinence de certains prévenus. La Gazette des tribunaux rapporte en effet les fermes réponses des Millelot. « Je nie nullement la part que j’ai prise à l’insurrection, dit Eugène, elle était légitime », et aussi, « J’ai agi avec la conviction d’être dans mon droit », et son père ajoute : « Je me serais considéré comme déshonoré si je n’avais pas pris part à l’insurrection en présence de la violation de l’article 111 de la constitution » (10).
La commission mixte – le préfet, un général et un procureur – vit défiler 580 détenus : tous furent entendus, ce qui ne fut pas le cas partout. 228 furent condamnés à la déportation en Algérie, c’est à dire en forteresse et employés à de pénibles travaux. 133 autres à la déportation sous simple surveillance : Georges Tillier, le fils du pamphlétaire bien connu et auteur de Mon oncle Benjamin, fut du nombre. Cela faisait tout de même 361 personnes dans la force de l’âge, qui manqueraient beaucoup à leur famille et à l’activité de la ville. Celle-ci fut encore privée de 148 citoyens internés ou déplacés en France, assignés à résidence parfois très loin de chez eux.
Le conseil de guerre, présidé par le colonel de Martemprey, siégea du 31 janvier au 27 mars 1852. Il condamna 7 exilés volontaires par contumace, 44 autres au bagne de Cayenne, dont Guerbet, François et Numa Millelot, 7 enfin à mort dont Circasse de Pousseaux qui s’était bruyamment vanté d’avoir abattu le vieux Bonneau, pure fanfaronnade qui lui coûta la vie. Cuisinier, accusé principal du meurtre de Bidan, et Eugène Millelot malgré la brillante plaidoirie d’un jeune avocat, Me Alapetite, peine qui fut commuée en déportation en Guyane où il mourut d’épuisement à la suite d’une tentative d’évasion, comme 22 de ses concitoyens, y compris le pauvre Guerbet, mort le soir du jour où sa grâce était enfin arrivée… Trois réussirent le véritable tour de force d’une évasion réussie, qui les mena à New York. Quant à Circasse et Cuisinier, ils furent guillotinés à Clamecy même, en haut du Crot-Pinçon, là où devait s’élever la colonne expiatoire (30 juillet 1852). Volets baissés, magasins fermés, la ville parut frappée de stupeur devant cet événement inouï.
Ainsi s’achevait lamentablement le courageux sursaut de la bourgeoisie républicaine du Clamecy devant la violation de la constitution. Ainsi s’effondrait le rêve d’instaurer une « République des Petits » chez les paysans, exaspérés par le manque de terre et par les conditions draconiennes des contrats de métayage, si nombreux dans un département de grande propriété où survivait quelque chose de l’esprit féodal. « la peur sociale » devant un mouvement qui rappelait une « Jacquerie » d’antan, l’avait emporté sur tout autre sentiment. Quand le Prince Président, alarmé par le nombre des condamnations, envoya le général Canrobert revoir ces décisions, celui-ci, chambré par des « hommes d’ordre », non encore revenus de leur immense frayeur se crut « au cœur d’un pays rouge » et ne trouva pas grand chose à rectifier.
La ville ne se remit pas vraiment de l’aventure. Le recensement de 1856 accuse une baisse significative de la population que l’amnistie de 1859 n’améliora guère. La misère des femmes seules fut telle que la municipalité dût ouvrir un ouvroir pour leur faire gagner quelques sous. Des entreprises, soudain dépourvues de leur chef, périclitèrent durablement quand elles ne sombrèrent pas.
Clamecy se partagea en deux factions irréductiblement ennemies, qui se détestaient encore et ne se voyaient pas, plus de cinquante ans après les événements. Même entre cux qui avaient combattu ensemble, la haine fut si forte – les petites gens accablant les bourgeois qui les avaient entraînés dans le malheur – que certains durent quitter la ville, telle Mme Guerbet et ses enfants, ou n’osèrent pas y revenir après l’amnistie, ainsi de mme Rousseau, veuve et ruinée, de Quenouille qui s’établit à Sens, et même du « docteur des pauvres » Lachevrie. Pendant le Second Empire, la ville semble somnoler. L’arrivée du chemin de fer, en 1867, lui donna un dernier coup en ruinant le flottage.
Simone WAQUET
1 – P. Bernard, De la presse au sociétés secrètes, le parti socialiste-démocratique dans le Nivernais, 1848-1852, mémoire de maîtrise dirigé par P.Vigier, Nanterre, 1979.
2- op.cit.
3 – M. Autenzio, La résistance au coup d’État du 2 décembre 1851 dans la Nièvre, mémoire de maîtrise dirigé par P. Vigier, Tours, 1970.
4 – Manuscrit de J.B. Parent, Evénement de 1851 à Clamecy, Bibl. de la Soc. scient. de Clamecy, cité in S.Waquet, Une dynastie républicaine dans la Nièvre, les Parent (Clamecy, 1796-1885), Gueugnon, 1987, p.187.
5 – Avant de quitter Clamecy, Eugène Millelot remboursa la recette, à 400 f. près, sans doute employés à régler les commerçants.
6 – J.B. Parent, op.cit. in S. Waquet, p.215.
7 – V. Hugo, Les Misérables, éd. La Pléiade, Paris, 1964, p.1072.
8 – A.N. BB30 374. Rapports des procureurs généraux de Bourges.
9 – Marlière redoublait de zèle pour faire oublier l’attitude très compromettante qu’il avait eu en 1848 à Chauny, où il dirigeait une petite fabrique en difficulté. Par la suite, il avait réussi à connaître Louis Napoléon Bonaparte, alors emprisonné à Ham. Ce protecteur inattendu l’avait tiré de la misère en le nommant à Clamecy où il était arrivé à la sous-préfecture le 16 décembre 1851.
10 – Gazette des tribunaux du 15 février 1852, cité aussi par E.Tenot, La province en décembre 1851, étude historique sur le coup d’État, Paris, 1865.
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