Jean Delouche

JEAN DELOUCHE

 

Jean Delouche est né le 1er mars 1823 à Germigny (Cher). Il s’est marié le 8 mai 1848 à Germigny avec Jeanne CORDONNY.

Alors qu’il exerce la profession de carrier, en décembre 1851, ils ont deux enfants. Jeanne est enceinte et accouchera le 10 mai 1852 de Jean-François pendant la transportation de son mari. Son deuxième enfant, Catherine, décèdera le 2 mai de la même année.

A la suite du coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, Jean Delouche, âgé de 28 ans, et ses frères Claude, 38 ans, et Louis, 36 ans, sont arrêtés. Le mobile : ils sont Républicains. Leur arrestation a lieu en décembre1851 ou janvier 1852.

Pour Claude et François, les motifs et observations de la commission mixte indiquent : « mal dirigés par un des frères, à surveiller 2 ans. »

Pour Jean : « très dangereux, mauvais sujet ». Il est condamné à Algérie moins, et transporté en Algérie à DOUÉRA.

 

Entre BOURGES et DOUÉRA nous n’avons aucun document[1] mais on peut supposer que comme tous ses camarades du Cher qui ont laissé des témoignages*, il a été transporté par train au Fort d’Ivry ; après quelques jours, il est arrivé par train au Havre, puis par bateau jusqu’à la rade de Brest.

Là, il a croupi quelques semaines sur un bateau–prison avant d’embarquer pour ALGER en passant par le Détroit de Gibraltar.

Ensuite, c’est à pied, qu’il a gagné DOUÉRA (30km), camp de transit. Comme il a accepté de travailler (empierrer les routes), il a été envoyé à pied, à AÏN-SULTAN 60km.

 

Il arrive à AÏN-SULTAN le 16 mai 1852 et y travaille 10 mois.

Il bénéficie de la « grâce du mariage » de Napoléon III et quitte AÏN-SULTAN le 28 février 1853 avec ce qu’il a gagné en 10 mois : 44 francs et 54 centimes (on leur avait promis 1 franc par jour).

Il débarque à Toulon et obtient un passeport d’indigent le 12 mars 1853 pour se rendre à La Guerche (Cher).

Les communes traversées lui doivent secours en route.

Le 14 mars à Aix en Provence, il perçoit 2,70 frs pour se rendre à Avignon.

Le 15 mars, 2 francs…..

Il remonte la France par Pierrelatte, Montélimar, Loriol, Vienne, Tarare, Roanne, Varennes s/Allier, Villeneuve s/ Allier, St Pierre le Moutiers, Nevers et arrive à Germigny (Cher) le 24 mars 1853.

Il retrouve son épouse et ses 2 enfants. Un troisième enfant, Berthe-Louise, va naître le 27 décembre 1853 à Germigny.

Ils vont déménager pour s’établir à Ineuil où naîtra leur quatrième enfant, Auguste, le 31 mars 1860. Puis ce sera la naissance d’Ernestine le 17 août 1862.

La IIIe République, le 30 juillet 1881, vote la loi de Réparation Nationale qui indemnise les “Transportés“. Jean Delouche reçoit une rente de 900 francs par an.

Il est recensé en 1891 à Lignières (Cher) avec son épouse Jeanne Cordonny mais ses enfants sont ailleurs.

Il décède à Lignières le 30 avril 1894 âgé de 71 ans. Son épouse percevra alors une reversion de sa rente de 450 francs par an.

 

Auguste Delouche (1860-1918), fils de Jean, fut mon grand-père.

Ernestine Delouche (1862-1951) a habité Lignières dans la maison familiale. Je l’ai peu connue, elle n’a jamais rien raconté ; mon père Joseph Delouche, fils d’Auguste, ne nous a jamais rien raconté non plus.

C’est en fermant la maison que nous avons trouvé les documents suivants :

Le Livret de transporté de Jean Delouche avec le règlement du Gouverneur-Général Randon et son “Passe-port d’Indigent“ avec secours de route.

 

Mon mari Jacques Guérin a commencé par faire la généalogie de la famille et ensuite de nombreuses recherches par internet et aux Archives de Bourges. C’est ainsi qu’il a reconstitué l’histoire de mon ancêtre Jean Delouche.

 

Françoise Delouche

 

 

 

*Voir le livre de Hélène TIERCHANT et Bernard CHERRIER : Bagnard pour la République. Journal d’Hilaire Maréchal proscrit du 2 décembre 1851, éditions le Sémaphore, 2014, 206 p.

 

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Notes de l’éditeur du site

 

Françoise Delouche et Jacques Guérin nous ont fait parvenir ces deux superbes documents :

 

Le livret de transporté (consultable ici)

 

Il porte quelques informations d’identité fantaisistes :

  • Jean Delouche est né le 1er mars 1823 et non le 24 juin 1821
  • Il s’est marié le 8 mai 1848 et non en 1844 à Jeanne et non Henriette Cordonny, née à Ourouer (les-Bordelins), canton de La Guerche (sur-Aubois) et non au Bourg de Lin, canton de Blé.

 

Il comporte le règlement sur le régime des transportés du 20 mars 1852 que nous avons transcrit. (consultable ici)

« Le Gouverneur Général de l’Algérie avait pris quelques libertés avec les sanctions prononcées par les Commissions mixtes. Ainsi, si ces dernières avaient distingué deux catégories distinctes (assignation à résidence [Algérie moins] et internement [Algérie plus] de condamnés à la transportation en Algérie, le Maréchal Randon propose quant à lui d’emprisonner tous les nouveaux arrivants. »

Thierry Bertrand, Exil et transportation. Sources pour l’étude des proscriptions bonapartistes (1848-1870), mémoire de DEA, sous la direction de Ralph Schor, Université de Nice-Sophia-Antipolis, 2002, 44 p.

 

Voir également : Mme Sers, « Recherches sur l’activité des transportés en Algérie », 1848. Revue des révolutions contemporaines, Tome 42, Numéro 185, février 1950. pp. 47-75.

 

Plus généralement, du voyage du Fort d’Ivry en Algérie, via Brest, et sur les conditions de la transportation, on pourra voir : Charles Ribeyrolles, Les bagnes d’Afrique, histoire de la transportation de décembre, Londres, Jeffs, 1853, 263 p.

 

 

Le passeport d’indigent (consultable ici)

 

Dans le Règlement de 1816, tous les Français de plus de 15 ans désireux de se déplacer au-delà des limites de leur département doivent demander un passeport aux autorités compétentes. Pour un déplacement en France, ils doivent être munis d’un passeport « à l’intérieur » en acquittant un droit de timbre de 2 francs. Ceux qui n’ont pas les moyens d’acquitter ces droits fiscaux peuvent obtenir un « passeport pour indigent ». Non seulement sa délivrance est gratuite, mais le plus souvent il donne droit à des « secours de route » que les pouvoirs publics accordent pour permettre au voyageur sans ressources de survivre pendant son déplacement.

Les passeports avaient été supprimés par la Constitution de 1791, comme atteinte à la liberté de se déplacer mais rétablis par une loi du 1er février 1792. C’est sous le Premier Empire que la législation acquiert toute sa rigueur. L’objectif étant de placer sous surveillance, de communes en communes désignées pour le trajet, les individus « suspects » de par leur indigence ou leurs antécédents politiques.

d’après Gérard Noiriel, « Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la Ière à la IIIème République », Genèses, 30, 1998. Emigrés, vagabonds, passeports, sous la direction de Jean Leroy. pp. 77-100.

 

Sur le recto, on remarquera que le formulaire utilisé indique « Police générale du Royaume », transformé en « de France » et que la mention manuscrite « République française. Liberté. Egalité. Fraternité » a été barrée conformément à la circulaire de Morny du 6 janvier 1852 qui demande à ce que cette devise soit effacée de tous les documents et édifices publics.

Le passeport, établi par le sous-préfet de Toulon, est valable pour se rendre à La Guerche (sur-Aubois), chef-lieu de canton où se trouve Germigny (l’Exempt), destination de Jean Delouche.

Il est dénommé Pierre Jean Delouche alors que son acte de naissance porte seulement Jean et son dossier d’indemnisation en 1881 François Jean Delouche.

Son signalement, très succinct, lui donne une taille de 1m58. Il était noté 1m55 sur son livret de transporté en Algérie.

Sur le verso, figurent les secours de route versés qui nous permettent de reconstituer son trajet :

le 12 mars 2.55 frs à Toulon jusqu’à Aix par Le Beausset et Roquevaire.

le 14 mars, 2.70 frs d’Aix à Avignon

le 15 mars, 2.10 frs à Avignon

le 17 mars, 1.90 frs à Montélimar de Pierrelatte à Loriol (sur-Drôme)

le 17 mars, 2.55 frs à Valence de Loriol à St Rambert (d’Albon)

vu à la sous-préfecture de Vienne

le 18 mars, 2 frs à Vienne

le 19 mars, 1.50 frs à Lyon jusqu’à Tarare

le 20 mars, 2.40 frs à Roanne jusqu’à St Martin (d’Estréaux)

le 21 mars, 1.50 frs à La Palisse de St Martin (d’Estréaux) à Varennes (sur-Allier)

le 22 mars, 1.45 frs à Moulins de Varennes à Villeneuve (sur-Allier)

le 22 mars, 1.50 frs à St Pierre (le-Moûtier) de Villeneuve à Nevers

le 24 mars, visé par le maire de la commune de Germigny

 

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Quelques notes sur la répression dans le Cher

 

« Le Cher avait été mis en état de siège dès le mois d’octobre [1851], à la suite de troubles qui avaient éclaté dans le val de la Loire. Il fut peu agité au 2 décembre. La ville de Saint-Amand vit seule se produire un essai de résistance.

Dans la nuit du 3 au 4, des groupes nombreux traversèrent les rues au chant de la Marseillaise. On essaya de sonner le tocsin. Le lendemain, une foule très-animée se porta devant la sous-préfecture. Le sous-préfet et le commissaire de police essayèrent de haranguer le peuple. Une sorte de lutte s’engagea ; le commissaire de police tua d’un coup de pistolet, à bout portant, un citoyen nommé Boileau, qui, a-t-on dit, le menaçait. L’arrivée des grenadiers du 41e et de la gendarmerie mit fin à cette agitation. »

Eugène Ténot, La province en décembre 1851. Étude historique sur le coup d’Etat, Paris, 1865

 

Sur la résistance à St Amand, voir René Gandilhon, « Documents sur l’émeute advenue à Saint-Amand (Cher) le 3 décembre 1851 », La Révolution de 1848 et les révolutions du XIXe siècle, tome XXXIII, 156, 1936, pp. 44-48

 

Toutefois, 938 républicains du Cher furent poursuivis par la commission mixte. Soit le 7e département par rapport au nombre d’habitants. Ce département est l’archétype d’une répression qui a visé l’ensemble du parti républicain, et pas seulement là où une résistance armée s’était manifestée en Décembre.

Les condamnations à la déportation en Algérie y ont été particulièrement élevées : 105 à l’Algérie plus, 143 à l’Algérie moins.

Avec Jean Delouche, 29 autres habitants de Germigny ont fait l’objet de cette répression.

Six ont été condamnés à l’Algérie moins (5 transportés) et 6 à l’Algérie plus (tous transportés, dont un, Jean Guillot, décèdera à Douéra le 7 avril 1853).

 

[1] Le Courrier de Bourges du 5 mars 1852 publie un communiqué où Jean Delouche fait partie des 43 détenus politiques, la plupart du canton de La Guerche, celui de Germigny, envoyés depuis Bourges à Paris par le convoi du soir par le train. (note de l’éditeur du site)