Règlement sur le régime des transportés en Algérie

Règlement sur le régime des transportés en Algérie

 

Chapitre Ier

Division des transportés en catégories

 

1 Les transportés sont divisés en trois catégories :

La première catégorie comprend ceux internés[1] dans les forts et les camps ;

La seconde catégorie se compose de ceux admis dans les villages ;

La troisième catégorie est formée de ceux autorisés à se livrer à des exploitations particulières ou à résider sur certains points déterminés.

2 A leur arrivée en Algérie, tous les transportés font partie de la première catégorie.

3 Le passage d’une catégorie dans une autre a lieu en vertu de décisions su Gouverneur-Général.

4 Les transportés appartenant à la première catégorie sont soumis au régime du règlement du 28 janvier 1839 sur les pénitenciers militaires.

5 Les transportés compris dans les autres catégories sont soumis au régime déterminé par le présent règlement.

 

Chapitre II

Des transportés placés dans les villages

 

6 On choisit, pour les placer dans les villages, les transportés qui se font remarquer par leur bonne conduite, par leur disposition au travail, qui exercent la profession de cultivateur ou une profession utile à l’agriculture.

7 Les transportés sont divisés en escouades de vingt hommes.

8 Lorsqu’un convoi doit être formé dans un des forts ou camps, pour être dirigé sur un village, l’officier commandant désigne nominativement autant de chefs d’escouade que le chiffre total des partants en comporte, à raison de un par vingt hommes.

Les noms de ces chefs d’escouade sont affichés dans le camp, avec un numéro d’ordre, vingt-quatre heures avant le départ du convoi.

Les condamnés désignés pour partir s’inscrivent chez le commandant du camp pour faire partie de telle ou telle escouade.

Le commandant du camp complète les escouades qui n’auraient pas atteint le chiffre ci-dessus indiqué de vingt hommes, et dresse, ensuite, l’état nominatif et définitif des escouades.

Cet état est soumis à l’approbation du Gouverneur-Général.

9 Chaque homme reçoit une fourniture de literie, composée de deux tréteaux avec planches, d’un sac de campement, d’une paillasse et d’une couverture.

10 La nourriture est en commun par escouade.

11 Chaque escouade reçoit les ustensiles de campement indispensables.

12 Le chef d’escouade transmet, à son escouade, les ordres de l’officier-directeur, et veille à leur exécution, ainsi qu’au bon ordre, et aux travaux de son escouade.

13 Lorsqu’une escouade juge que la présence d’un de ses membres lui est nuisible, soit par paresse, inconduite, ou mauvais vouloir, elle peut demander, par l’organe du chef d’escouade, à en être débarrassé.

14 Tout transporté qui croit ses intérêts et son avenir compromis dans son escouade, peut demander à l’officier-directeur à passer dans une autre, plus en rapport avec son aptitude, et où une place se trouve vacante.

15 Si un transporté, renvoyé de son escouade, ou qui aura demandé à la quitter, ne peut être employé individuellement dans le village, il sera renvoyé dans un des forts ou camps.

16 Les transportés sont employés en commun, par escouade, selon leur aptitude, aux travaux intéressant le village, tels que défrichements, dessèchements, cultures, plantations, terrassements, empierrements, constructions, etc.

17 Les travaux sont exécutés à la tâche, selon un prix fixé d’avance, et porté à la connaissance des transportés.

18 Les dimanches et jours fériés sont consacrés aux exercices religieux et au repos.

19 Chaque transporté reçoit à son arrivé e dans le village, un livret, en tête duquel se trouve le présent règlement et le signalement du porteur, et où sont inscrits ses gains et ses dettes, ainsi qu’il sera expliqué ci-après.

Le chef d’escouade reçoit, en outre, un livret spécial pour l’inscription des gains et des dettes afférents à son escouade.

20 Le prix fixé à l’avance pour un travail, après que ce travail a été exécuté et reçu par le directeur, est décompté en fin de trimestre, tant sur le livret de l’escouade qui l’a accompli, que sur le livret de chaque homme, dans la proportion suivante :

9/20e sont prélevés comme part de l’Etat, pour avances faites ; [2]

4/20e [remplacé par 10/20e] servent à former une masse individuelle pour chacun des travailleurs. C’est sur cette masse que sont soldés les objets d’habillement et autres qui sont fournis au transporté pour son usage personnel, sur sa demande ou d’office.

Cette masse devra arriver et se maintenir à cent francs.

1/20e sera versé à la masse d’escouade : celle-ci servira à parer aux besoins généraux de l’escouade.

Elle devra arriver et se maintenir au maximum de cent francs.

6/20e seront remis à chaque travailleur, déduction faite de ce qui sera nécessaire :

1° Pour porter la masse individuelle aux cent francs règlementaires, si elle est au-dessous de ce chiffre ;

2° Pour parfaire, par un prélèvement au prorata du nombre des hommes, la masse d’escouade, si elle est au-dessous des cent francs règlementaires.

Le restant libre, auquel sera ajouté ce qui excèderait les cent francs de la masse individuelle, ainsi que la part revenant à chacun dans ce qui serait en excédent sur la masse d’escouade, sera remis au transporté.

21 Tous les envois d’argent que les transportés expriment le désir de faire à leurs familles, ont lieu par les soins des officiers-directeurs.

22 A la fin de chaque trimestre, il est dressé, par les soins de l’officier-directeur, un relevé général de toutes les sommes gagnées par la totalité des travailleurs à la tâche.

Cette somme totale, divisée par le nombre des travailleurs et des journées de travail effectif pendant le même trimestre, sert à fixer le prix moyen de la journée de travail.

Les transportés qui n’ont pu être employés à la tâche, sont rétribués d’après ce prix moyen.

23 Les ouvriers sédentaires et les transportés qui leur sont assimilés, recevront, comme salaire de leur journée de travail, ce prix moyen, décompté comme il a été dit ci-dessus.

24 Les secrétaires reçoivent la même allocation, augmentée de 25 p.%. Ils supportent les mêmes retenues, mais sur le prix de la journée seulement.

25 Ces augmentations sont versées à la masse individuelle de chacune des parties prenantes.

26 Chaque transporté recevra, à titre de sou de poche, dix centimes par jour. Le décompte lui en sera fait tous les cinq jours ; cette allocation sera imputée trimestriellement au débit de la masse individuelle.

 

Chapitre III

Des transportés autorisés à créer des exploitations particulières

 

27 Les transportés dont la conduite et le travail auront été satisfaisants, et qui déclareront vouloir se fixer en Algérie, comme cultivateurs, avec leurs familles, seront admis à en faire la demande.

Dès que leur demande aura été agréée, ils pourront être autorisés à disposer de leurs ressources en achat d’instruments aratoires, bestiaux, etc.

28 Des associations de travailleurs, ou de travailleurs et de bailleurs de fonds, seront autorisées pour l’exploitation de terres mises à leur disposition par l’Etat, dans la mesure des ressources qu’elles pourront y appliquer, ou acquises par elles avec l’autorisation du Gouverneur-Général.

Ces exploitations auront lieu sous la surveillance de l’autorité militaire, qui veillera à la répartition équitable, entre les associés, des produits obtenus, dans la proportion déterminée par l’acte d’association.

29 Les transportés autorisés à faire venir leur famille, pourront recevoir aussi des concessions particulières, avec titres provisoires. Ces titres deviendront définitifs, quand ils auront mis les terres en plein rapport, si, du reste, leur conduite a continué à être satisfaisante.

30 L’autorisation d’acquérir des terres sur un point déterminé pourra être accordée aux transportés, individuellement. Ceux qui l’auront obtenue, devront résider sur les terres acquises par eux ; ils seront soumis à une surveillance spéciale, et ne pourront, sans autorisation, s’éloigner de la circonscription qui leur a été assignée.

31 L’arrivée de la famille, l’octroi d’une concession particulière, ou l’autorisation d’acquérir des terres fera cesser le travail en commun, le régime d’escouade et les allocations de vivres.

La liquidation de la masse individuelle et son remboursement au transporté qui se trouvera dans l’un des cas prévus au paragraphe qui précède, seront la conséquence de cette mesure.

32 L’étendue des terres concédées provisoirement aux transportés pourra être augmentée en proportion du bon travail et de la bonne conduite du transporté, ainsi que du nombre des bras valides dont se composera sa famille.

Elle pourra être également augmentée en raison des dépenses qu’il aura faites dans l’édification de sa maison, dans son matériel agricole, et en proportion des ressources pécuniaires dont il justifiera pouvoir disposer.

 

Chapitre IV

Dispositions particulières

 

33 Le Gouverneur-Général pourra assigner une résidence spéciale à certains transportés ; ils seront soumis à la surveillance de l’autorité militaire et ne pourront s’éloigner du lieu où ils auront été internés[3].

34 Quand un transporté se sera rendu recommandable par sa bonne conduite et ses travaux, le Gouverneur-Général pourra demander que la transportation soit changer pour lui en une résidence temporaire en Algérie.

 

Alger, le 20 mars 1852

Le Gouverneur-Général, Randon[4]

Pour ampliation, le Secrétaire-Général du Gouvernement, G. Mercier

 

N. B. : Le 4 avril 1852, St Arnaud, ministre de la Guerre, a donné son approbation pleine et entière aux dispositions de ce règlement.

 

[1] Contrairement à l’acception alors adoptée par les commissions mixtes départementales, qui utilisent le mot internement pour désigner une assignation à résidence hors du département d’origine du condamné, le mot signifie ici une détention.

[2] Alinéa barré dans le livret de Jean Delouche, ainsi que les 4/20e de l’alinéa suivant, remplacés par 10/20e. (voir ce livret et sa présentation)

[3] On retrouve ici l’acception utilisée par les commissions mixtes.

[4] Jacques Louis Randon (Grenoble 1795 – Genève 1871) fut, après avoir été ministre de la Guerre en 1851, gouverneur de l’Algérie du 11 décembre 1851 au 24 juin 1858.