LE COUP D’ETAT du 2 décembre

LE COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851

 

PAR LES AUTEURS DU DICTIONNAIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

[Joseph Décembre et Edmond Allonier]

 

3e ÉDITION PARIS 1868

 

DÉCEMBRE-ALONNIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

VI.

Message du Président. — Demande d’abrogation de la loi du 31 mai. — Singulière situation faite à la gauche de l’Assemblée. — Illusions des républicains. Circulaire du général Saint-Arnaud.

 

 première partie

 

A la séance d’ouverture de l’Assemblée nationale, le 4 novembre, le Président de la République envoya son message, qui devint, entre l’Assemblée et la présidence, le signal d’une lutte ouverte. On y lisait, à la suite d’une protestation de fidélité à la Constitution le passage suivant :

 

« Déjà , dans mon dernier Message , mes paroles à ce sujet, je m’en souviens avec orgueil, furent favorablement accueillies par l’Assemblée. Je vous disais : L’incertitude de l’avenir fait naître, je le sais, bien des appréhensions en réveillant bien des espérances. Sachons tous faire à la patrie le sacrifice de ces espérances, et ne nous occupons que de ses intérêts. Si, dans cette session, vous votez la révision de la Constitution, une Constitution viendra refaire nos lois fondamentales, et régler le sort du pourvoir exécutif. Si vous ne la votez pas, le peuple, en 1852, manifestera solennellement l’expression de sa volonté nouvelle. Mais, quelles que puissent être les solutions de l’avenir, entendons-nous, afin que ce ne soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du sort d’une grande nation. Aujourd’hui les questions sont les mêmes, et mon devoir n’a pas changé. »

 

Le rétablissement du suffrage universel était demandé dans les termes suivants :

 

« Je me suis demandé s’il fallait, en présence du délire des passions, de la confusion des doctrines, de la division des partis, alors que tout se ligue pour enlever à la morale, à la justice, à l’autorité leur dernier prestige, s’il fallait, dis-je, laisser ébranlé et incomplet le seul principe qu’au milieu du chaos général la Providence ait maintenu debout pour nous rallier. Quand le suffrage universel a relevé l’édifice social, par cela même qu’il substituait un droit à un fait révolutionnaire, est-il sage d’en restreindre plus longtemps la base ? Enfin, je me suis demandé si, lorsque des pouvoirs nouveaux viendront présider aux destinées du pays, ce n’était pas d’avance compromettre leur stabilité que de laisser un prétexte de discuter leur origine et de méconnaître leur légitimité.

 

Le doute n’était pas possible, et, sans vouloir m’écarter un instant de la politique d’ordre que j’ai toujours suivie, je me suis vu obligé, bien à regret, de me séparer d’un ministère qui avait toute ma confiance, pour en choisir un autre, composé également d’hommes honorables connus par leurs sentiments conservateurs, mais qui voulussent admettre la nécessité de rétablir le suffrage universel sur la base la plus large possible.

 

Il vous sera donc présenté un projet de loi qui restitue au principe toute sa plénitude…

 

Ce projet n’a rien qui puisse blesser cette assemblée ; car, si je crois utile de lui demander aujourd’hui le retrait de la loi du 31 mai, je n’entends pas renier l’approbation que je donnai alors à l’initiative prise par le ministère, qui réclama, des chefs de la majorité dont cette loi était l’œuvre, l’honneur de la présenter.

 

En se rappelant les circonstances dans lesquelles elle fut présentée, on avouera que c’était un acte politique plus qu’une loi électorale, une vraie mesure de salut public ; mais les mesures de salut public n’ont qu’un temps limité.

 

La loi du 31 mai, dans son application, a même dépassé le but qu’on pensait atteindre. Personne ne prévoyait la suppression de trois millions d’électeurs, dont les deux tiers sont habitants paisibles des campagnes. Qu’en est-il résulté ? C’est que cette immense exclusion a servi de prétexte au parti anarchique, qui couvre ses détestables desseins de l’apparence d’un droit ravi à reconquérir. Trop inférieur en nombre pour s’emparer de la société par le vote, il espère, à la faveur de l’émotion générale et au déclin des pouvoirs, faire naître, sur plusieurs points de la France à la fois, des troubles qui seraient réprimés sans doute, mais qui nous jetteraient dans de nouvelles complications…

 

Une autre raison décisive appelle votre attention.

 

Le rétablissement du vote universel, sur sa base rationnelle, donne une chance de plus d’obtenir la révision de la Constitution. Vous n’avez pas oublié pourquoi dans la session dernière, les adversaires de cette révision se refusaient à la voter. Ils s’appuyaient sur cet argument qu’ils savaient rendre spécieux : La Constitution, disaient-ils, oeuvre d’une assemblée issue du suffrage de tous, ne peut pas être modifiée par une assemblée née du suffrage restreint. Que ce soit là un motif réel ou un prétexte, il est bon de l’écarter et de pouvoir dire à ceux qui veulent lier le pays à une constitution immuable : « Voilà le suffrage universel rétabli. » La majorité de l’Assemblée, soutenue par deux millions de pétitionnaires, par le plus grand nombre des conseils d’arrondissement, par la presque totalité des conseils généraux, demande la révision du pacte fondamental. Avez-vous moins confiance que nous dans l’expression de la volonté populaire ? La question se résume donc ainsi pour tous ceux qui souhaitent le dénoûment pacifique des difficultés du jour.

 

La loi du 31 mai a ses imperfections ; mais fut-elle parfaite, ne devrait-on pas également l’abroger, si elle doit empêcher la révision de la Constitution, ce voeu manifeste du pays ? …

 

La proposition que je vous fais, Messieurs, n’est ni une tactique de parti, ni un calcul égoïste, ni une résolution subite ; c’est le résultat de méditations sérieuses et d’une conviction profonde. Je ne prétends pas que cette mesure fasse disparaître toutes les difficultés de la situation. Mais à chaque jour sa tâche. Aujourd’hui, rétablir le suffrage universel, c’est enlever à la guerre civile son drapeau, à l’opposition son dernier argument. Ce sera fournir à la France la possibilité de se donner des institutions qui assurent son repos. Ce sera rendre aux pouvoirs à venir cette force morale qui n’existe qu’autant qu’elle repose sur un principe consacré et sur une autorité incontestable. »

 

La proposition était habile ; car le Président de la République était bien certain, en demandant le rétablissement du suffrage universel, de diviser l’Assemblée et par suite de l’affaiblir. En effet le parti républicain, devait accueillir avec empressement ce retour à la constitution tandis que la majorité persisterait à maintenir une loi dirigée surtout contre l’ambition du chef du pouvoir exécutif. Malheureusement la situation faite à la gauche était telle qu’elle ne pouvait peser dans l’un des plateaux de la balance que pour donner la victoire à la présidence ou à la coalition parlementaire, personnifiée par le général Changarnier.

 

Dans ce conflit, l’avantage était évidemment du côté de la présidence, qui s’appuyait sur les innombrables pétitions par lesquelles on réclamait l’abrogation de la loi du 31 mai.

 

Les bonapartistes avaient donc à craindre que la gauche républicaine, disposée à se prononcer pour celui des deux partis rivaux qui lui inspirerait le moins d’ombrage et à le renverser ensuite, ne crût que Louis-Napoléon était plus fortement armé que l’Assemblée nationale. Ainsi s’expliquaient ces déférences que le chef du pouvoir exécutif parut avoir jusqu’au dernier moment pour l’autorité législative même au plus fort de la lutte. Les républicains en furent la dupe en ce sens qu’ils attribuèrent à la majorité antirépublicaine, protégée par la constitution, plus de puissance et de vitalité qu’au chef du pouvoir exécutif. Cette erreur devait amener leur perte.

 

Néanmoins les républicains virent dans le rétablissement du suffrage universel un hommage rendu au peuple souverain, ne pouvant concevoir qu’il fût dans la pensée du Président de la République de se servir de ce même suffrage pour établir une dictature impériale. Au surplus, ils espéraient encore que la majorité de l’Assemblée nationale, cédant à la pression de l’opinion publique revenant de son égarement momentané, et rendant ainsi hommage aux institutions républicaines qu’elle avait constamment combattues, n’oserait pas maintenir la loi de méfiance qui lui avait été inspirée par le souvenir de nos discordes civiles et la crainte de leur retour. Pendant quelques jours on parut respirer plus librement ; on ne songeait déjà plus à la terreur qui avait été annoncée comme le résultat du maintien de la constitution républicaine ; on parlait même de se préparer à la grande lutte pacifique de mai 1852 autour de l’urne électorale ; de tant de bruit et d’agitation il ne devait bientôt plus rester qu’un souvenir amer sans doute, mais qui n’aurait eu aucune conséquence sur les destinées de la nation. On oubliait les menaces des ennemis de la République ; la crainte même d’un coup d’Etat semblait écartée. On pensait d’ailleurs qu’un complot tramé par le Président ne pouvait réussir qu’à la condition d’être dirigé par des hommes importants et dont la célébrité fût un gage de succès. Or, de tels hommes n’apparaissaient pas autour du Président de la République.

 

On n’imaginait point que le coup d’État pût être exécuté par des hommes nouveaux. On contestait même aux généraux sortis de l’expédition de Kabylie et aux autres généraux de promotion récente une influence égale à celle des Changarnier, des Lamoricière, des Bedeau, etc. Telles furent les courtes illusions des républicains.

 

La majorité parlementaire, plus clairvoyante, s’alarmait du rapprochement qui semblait s’être opéré entre la gauche et la présidence, sur le terrain du rétablissement du suffrage universel ; elle s’indignait de ce que l’abrogation de la loi du 31 mai fût demandée précisément par le chef du pouvoir exécutif, qui avait consenti autrefois à ce qu’elle fût présentée comme une digue à opposer aux efforts et aux tentatives des républicains. L’accord de la présidence et de l’Assemblée, à cette époque, ne pouvait en effet être contesté. On rappelait à ce propos le mot brutal de Lagrange à la tribune, lors de la présentation du projet de loi relatif à l’augmentation de la dotation présidentielle :

 

« L’Assemblée vient de payer au Président un pot-de-vin de trois millions, pour solder le décret de la violation du souverain.[1] »

 

Enfin ce qui achevait d’entretenir les soupçons de la majorité, c’est que la loi du 31 mai avait été appuyée par la présidence pour empêcher le triomphe de la démocratie socialiste et que son abrogation était demandée par le même pouvoir, dans un temps où le danger, loin de disparaître, n’avait fait qu’augmenter à l’approche des élections générales.

 

Des membres de la coalition parlementaire trouvaient tellement étrange et inexplicable l’entente momentanée qui venait de se faire entre la présidence et les républicains, qu’ils criaient déjà à la trahison. Beaucoup d’esprits accueillirent de bonne foi cette absurde supposition.

 

Les chefs de la droite ne doutaient plus que le coup d’État ne fût à la veille d’éclater.

 

M. de Thorigny, ministre de l’intérieur, déposa, immédiatement après la lecture du message, le projet d’abrogation de la loi du 31 mai. L’urgence fut aussitôt demandée, et fortement appuyée par la gauche. Cependant la droite s’y opposa après des débats tumultueux. M. Berryer crut embarrasser le ministère en demandant la nomination immédiate d’une commission parlementaire, qui, avant toute discussion de loi entendrait les ministres, recueillerait des informations et publierait solennellement le résultat de cette enquête sur la situation du pays. Mais M. de Thorigny, répondit à cette proposition :

 

« Que voulez-vous ? Des explications ?

 

Nous allons vous les donner.

 

Les voulez-vous demain ? Les voulez-vous sur-le-champ ? Parlez, nous sommes prêts à vous répondre. »

 

La discussion immédiate eût mis en relief la profonde scission qui existait entre la majorité et la gauche ; une enquête, au contraire, eût pu changer les dispositions des uns et des autres, et peut-être les rallier autour d’un comité de salut public. Le langage du ministère était donc fort habile. Il ne fut pas donné suite à la proposition de M. Berryer.

 

L’Assemblée préféra attaquer immédiatement le chef du pouvoir exécutif, en relevant une circulaire du général Saint-Arnaud, ministre de la guerre qui contestait implicitement le droit des mandataires de la nation de pourvoir à leur propre sûreté. On lisait dans cette circulaire adressée aux généraux de l’armée de Paris, les passages suivants :

 

« Plus que jamais, dans les temps où nous sommes, le véritable esprit militaire peut assurer le salut de la société.

 

Mais cette confiance que l’armée inspire, elle le doit à sa discipline ; et nous le savons tous, général, point de discipline dans une armée où le dogme de l’obéissance passive ferait place au droit d’examen.

 

Un ordre discuté amène l’hésitation ; l’hésitation la défaite.

 

Sous les armes, le règlement militaire est l’unique loi.

 

La responsabilité, qui fait sa force, ne se partage pas ; elle s’arrête au chef de qui l’ordre émane ; elle couvre à tous les degrés l’obéissance et l’exécution. »

 

Cette pièce révélait suffisamment l’intention du chef du pouvoir exécutif d’employer l’armée contre l’Assemblée nationale, en faisant appel à l’obéissance absolue, à la soumission aveugle aux ordres d’un chef qui assumait sur sa tête la responsabilité de ses actes, mais qui n’entendait pas qu’on les discutât. La circulaire du général Saint-Arnaud, en mettant en question le droit de réquisition par l’Assemblée des forces dont elle croirait devoir s’entourer, portait atteinte à l’article 32 de la Constitution, qui portait :

 

« L’Assemblée nationale détermine le lieu de ses séances. Elle fixe l’importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose. »

 

D’autres symptômes contribuèrent encore à alarmer les esprits.

 

Quelque temps avant la fameuse séance du 17, raconte M. Bélouino, le général Magnan avait réuni dans son salon tous ses officiers généraux :

 

« — Messieurs, leur avait-il dit, il peut se faire que d’ici à peu de temps votre général en chef juge à propos de s’associer à une détermination de la plus haute importance. Vous obéirez passivement à ses ordres. Toute votre vie, vous avez pratiqué et compris le devoir militaire de cette façon-là. Du reste, avait-il ajouté, si quelqu’un de vous hésitait à me suivre dans cette voie, qu’il le dise ; nous nous séparerions et ne cesserions pas de nous estimer. Vous comprenez ce dont il s’agit ; les circonstances sont d’une immense gravité. Nous devons sauver la France ; elle compte sur nous. Mais, quoi qu’il arrive, ma responsabilité vous couvrira. Vous ne recevrez pas un ordre qui ne soit écrit et signé de moi. Par conséquent, en cas d’insuccès, quel que soit le gouvernement qui vous demande compte de vos actes, vous n’aurez qu’à montrer, pour vous garantir, ces ordres que vous aurez reçus. Seul responsable, c’est moi, Messieurs, qui porterai, s’il y a lieu, ma tête à l’échafaud ou ma poitrine à la plaine de Grenelle. »

 

Le général Reybell, le doyen de tous, prit la parole :

 

« Personne ne m’a chargé de parler, général, dit-il, pourtant je le fais au nom de tous. Vous pouvez compter que nous vous suivrons, et que nous voulons engager notre responsabilité à côté de la vôtre. »

 

M. Bélouino ajoute :

 

« Il n’y eut pas imprudence à parler ainsi ; le général en chef s’adressait à l’honneur des généraux sous ses ordres. D’un autre côté, c’était nécessaire ; car il fallait qu’au moment venu il pût compter sur chaque chef de corps.[2] »

 

M. Granier de Cassagnac rapporte la même scène, qu’il place au 26 novembre. Les vingt et un généraux alors réunis étaient MM. Magnan, Cornemuse, Hubert, Sallenare, Carrelet, Renault, Levasseur, de Cotte, Bourgon, Canrobert, Dulac, Sauboul, Forey, Rippert, Herbillon, Marulaz, de Courtigis, Corte, Tartas, d’Allonville et Reybell[3].

 

L’Assemblée nationale était, comme on le voit, mise en demeure de prendre une attitude énergique devant la menace d’un coup d’Etat, ou de résilier son mandat entre les mains du Président et de s’incliner devant la force. C’est alors que la majorité législative mit en avant le fameux projet, connu sous le nom de proposition des questeurs. Mais avant de faire connaître les débats et les décisions sur cette question, disons un dernier mot du projet d’abrogation de la loi du 31 mai, auquel la proposition des questeurs avait pour objet de répondre.

 

L’Assemblée était visiblement ébranlée après le dépôt du rapport de la commission et les débats qui intervinrent après la première lecture du projet de loi. La gauche espérait déjà que la majorité se diviserait, et que, sacrifiant la loi du 31 mai, qui avait été si longtemps son cheval de bataille contre la présidence, elle faciliterait l’union de touts les partis contre leur ennemi commun, c’est-à-dire contre le chef du pouvoir exécutif. Celui-ci, de son côté, redoutait une conciliation qui eût sans doute ruiné ses espérances. Aussi MM. de Thorigny et Daviel, qui étaient chargés de soutenir devant l’Assemblée la proposition du rétablissement du suffrage universel, montrèrent-ils une faiblesse telle, que la presse républicaine fut unanime pour accuser la présidence d’avoir désiré le rejet de sa proposition, qui n’aurait été ainsi mise en avant que pour diviser plus profondément la droite et la gauche de l’Assemblée.

 

La droite n’avait aucune bonne raison à opposer à l’abrogation de la loi du 31 mai. Le ministère fut plus faible encore dans son argumentation à l’appui d’une cause si facile. Il parait établi que la plupart de ceux qui votèrent le maintien de la loi craignirent de paraître se soumettre à l’autorité du pouvoir exécutif, et d’augmenter sa force en lui donnant solennellement raison.

 

« La loi du 31 mai, disait M. Piscatory, doit être révisée, elle devra l’être bientôt ; mais refaire la loi aujourd’hui, ce serait donner raison au Message.[4] »

 

Et M. Monnet :

 

« Je ne défends pas la loi du 31 mai ; elle a été trop loin ; mais l’Assemblée ne doit pas l’abroger dans les conditions actuelles, sous la pression du pouvoir exécutif.[5] »

 

Et M. Daru, rapporteur de la commission :

 

« Nous ne méconnaissons pas qu’il puisse être utile ou nécessaire de modifier quelques-unes des dispositions que la loi du 31 mai consacre. Si l’on fait appel à la sagesse et à l’impartialité de l’Assemblée, pour introduire les améliorations que conseillera la justice ou qu’indiquera l’expérience, nous ne doutons pas que cet appel ne soit entendu ; mais le devoir de l’Assemblée est de résister aux entraînements qui ressembleraient à de la faiblesse[6]. »

 

C’est sous l’impression de ces considérations que la loi du 31 mai fut maintenue, à la majorité de quatre voix seulement : trois cent cinquante-trois voix se prononcèrent pour son maintien et trois cent quarante-sept pour son abrogation. Encore cette majorité de quatre voix fut-elle réduite à une par suite des réclamations que MM. Desjobert, Levavasseur et Cambacérès adressèrent au Moniteur du 14 novembre 1851[7].

 

La loi était définitivement condamnée par ce résultat, et le seul prétexte qui eut été jusqu’alors mis en avant pour justifier un coup d’Etat se trouvait réduit à néant : il y avait promesse, de la part de ceux qui avaient conservé la loi, de l’abroger en temps opportun !

 


[1] Séance de l’Assemblée législative du 8 juin 1850.

 

[2] Bélouino, Histoire d’un Coup d’État, p. 59 et 60.

 

[3] La biographie du général Magnan nous offre un fait qui ne peut être passé sous silence, et qui se produisit lors de l’affaire de Boulogne. On ne peut croire qu’il explique les rapports qui s’établirent plus tard entre le général Magnan et le prince Louis-Napoléon, mais on y trouve néanmoins des révélations piquantes, qui sont sorties de la bouche du général. Celui-ci commandait la place de Lille au moment où le prince débarquait à Boulogne ; il reçut alors la visite d’un ami, M. Mésonan, qui était également lié avec le prince. M. de Mésonan avait été chargé de faire certaines ouvertures au général Magnan. Celui-ci raconta en ces termes, devant la Cour des pairs, les diverses circonstances de cette entrevue :

 

« Le 17 juin, le commandant Mésonan, que je croyais parti, entre dans mon cabinet, annoncé comme toujours par mon aide de camp. Je lui dis : « Commandant, je vous croyais parti.

 

— Non, mon général, je ne suis pas parti. J’ai une lettre à vous remettre.

 

— Une lettre pour moi, et de qui ?

 

— Lisez, mon général.

 

Je le fais asseoir, je prends la lettre ; mais au moment de l’ouvrir, je m’aperçus que la suscription portait : A monsieur le commandant Mésonan. Je lui dis : Mais, mon cher commandant, c’est pour vous, ce n’est pas pour moi. — Lisez, mon général ! J’ouvre la lettre et je lis :

 

Mon cher commandant, il est de la plus grande nécessité que vous voyiez de suite le général en question ; vous savez que c’est un homme d’exécution et sur qui on peut compter ; vous savez aussi que c’est un homme que j’ai noté pour être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez 100,000 francs de ma part, et vous lui demanderez chez quel banquier ou chez quel notaire il veut que je lui fasse compter 300000 francs, dans le cas ou il perdrait son commandement.

 

Je restai stupéfait, je fus comme anéanti, je ne trouvai en ce moment aucune parole à dire ! L’homme que j’avais reçu chez moi, que j’estimais et dont je croyais être estimé, me remettait cette lettre à brûle-pourpoint sans m’avoir jamais parlé du prince Napoléon, sans que, dans ma conduite ou dans mes discours, rien ait pu donner ouverture à une pareille communication.

 

Cependant, l’indignation que je ressentais se calma ; je pris la lettre en tremblant, et je dis : Commandant ! à moi, à moi une pareille lettre ! je croyais vous avoir inspiré plus d’estime. Jamais je n’ai trahi mes serments, jamais je ne les trahirai. Mais vous êtes fou, commandant ; mon attachement, mon respect pour la mémoire de l’Empereur ne me feront jamais trahir mes serments au Roi. Je remis la lettre au commandant en lui disant que c’était un parti ridicule et perdu. Le commandant était interdit, pâle, inquiet. Malgré mon irritation, j’en eus pitié. Je l’avoue, mon devoir, je ne l’ai pas fait, c’était d’envoyer au ministre de la guerre cette lettre dont on abuse aujourd’hui pour me faire passer pour un dénonciateur. » (Moniteur du 1er octobre 1840.) Le commandant Mésonan, qui à la suite du coup d’État devint député de Quimper, a toujours soutenu que la déposition du général Magnan devant la Chambre des pairs ne ressemblait en rien à ce qui s’était passé entre eux.

 

[4] Discussion dans les bureaux, Patrie du 7 novembre 1851.

 

[5] Ibid.

 

[6] Rapport de M. Daru, du 11 novembre 1851.

 

[7] Un fait digne de remarque, c’est que plusieurs députés connus pour leurs relations avec l’Elysée s’abstinrent de prendre part au vote.