La Valette (Var) et l’insurrection de décembre 1851
La Valette (Var) et l’insurrection de décembre 1851
par René Merle
Conférence, La Valette, 13 mars 2001
Nous commémorons cette année un événement majeur de notre histoire, histoire nationale et histoire du Var. La résistance au coup d’Etat qui souleva une vingtaine de départements, et au premier chef le Var.
Et paradoxalement la préparation de cette commémoration nous montre à la fois l’écho que cet événement vieux de 150 ans peut encore avoir, tout comme l’ignorance profonde dans laquelle les citoyens ont pu être tenus devant cette résistance.
Merci donc aux Amis de la Vieille Valette de consacrer une soirée à cet épisode de notre histoire, et je dirai merci doublement, car non seulement l’événement est important, nous l’avons dit, mais il est tout à fait intéressant de le traiter dans une commune où, a priori, il ne s’est rien passé en 1851, a priori seulement, car, nous le verrons, cette apparente indifférence des Valettois est d’une certaine façon tout aussi significative que la levée en masse qui va faire se dresser les communes du Centre Var et du Haut Var.
Le coup d’État de décembre 1851 met brutalement fin à la brève vie d’une République, la seconde que la France connaissait, une République née en février 1848 d’une insurrection parisienne. Une fois de plus c’est Paris qui avait décidé du destin de la France, c’est dans la capitale que tout s’était joué. Les provinces n’avaient plus eu qu’à entériner une mutation dont elles n’avaient pas été partie prenante.
Pour autant, les provinces ne pouvaient qu’accueillir favorablement le nouveau régime, car la République satisfaisait une profonde aspiration démocratique : elle instaurait aussitôt le suffrage universel. Décision inouie, qui fondait en droit l’égalité des citoyens. Désormais, instruits ou analphabètes, riches ou pauvres, les Français disposaient du droit de vote.
Avant 1848, ce sont moins de 3 millions de Français qui peuvent participer aux élections municipales, et moins de 250.000 qui peuvent voter aux législatives. Dorénavant, ce sont 9 millions de Français qui obtiennent le droit de vote. J’ai bien dit les Français, car même dans les rangs du républicanisme avancé, bien peu considéraient que les femmes puissent voter. Et ceci était particulièrement vrai en Provence. “Fremas non son gents”, disait le proverbe provençal. Mesurez à propos de cette décision bien la dialectique du progrès et de la régression : jusqu’alors, le fait que la plupart des hommes n’avaient pas le droit de vote entraînait entre les femmes et les hommes une sorte d’égalité dans l’absence de citoyenneté. Dorénavant, la loi proclamait l’égalité entre les hommes et l’inégalité entre hommes et femmes.
Égalité entre les hommes ? Voyons les chiffres.
En 1848 La Valette a 2275 habitants, et sa voisine la Garde 2429. Ce qui est tout à fait dans la moyenne des localités varoises. Les grandes villes, je devrais mettre des guillemets à grandes, Hyères, Draguignan, Brignoles, La Seyne, Grasse, ont entre 5 et 10000 h. La métropole Toulon en a 45434.
La Valette est petite ville comme tant d’autres, ville d’artisans, de commerçants, d’agriculteurs, une étape sur la grand route vers le nord et l’est du département. Elle vit bien sûr sous l’influence de Toulon, mais les moyens de transport de l’époque font que Toulon est beaucoup plus loin qu’aujourd’hui, et donc que le vie communale valettoise est beaucoup plus autonome.
2275 habitants, et combien d’électeurs ? Si je prends le chiffre des électeurs pour les élections municipales à la veille de la République, nous avons 174 électeurs. Si je prends le chiffre des électeurs pour les législatives, nous en avons 10 fois moins !
Et voici qu’avec la République ce sont plus de 700 Valettois qui vont disposer du droit de vote, 688 en 1848, 729 en 1850.
Donc 500 Valettois au moins qui de leur vie n’ont jamais voté, et qui, dès le printemps 1848, vont se porter en cortège vers le chef lieu Toulon, où les habitants de la Valette comme ceux du Revest doivent voter pour les législatives. Quant aux élections municipales de ce même printemps, sans surprise la municipalité de l’ancien régime, dirigée par Auguste Chabert, est remplacée par une municipalité sagement républicaine, regroupant des notables locaux il y a peu encore royalistes orléanistes, des républicains modérés, voire des républicains avancés. Le poste de maire est attribué à Antoine Mège.
En cette fin d’année 1848, grande nouveauté, les Français sont appelés à élire au suffrage universel le Président de la République, chef d’un exécutif fort. Et à cet égard la constitution de 1848 est en quelque sorte la matrice de la constitution de la Seconde République.
La France, la France rurale surtout, ne confortera pas la candidature du républicain officiel Cavaignac. Elle va plébisciter la candidature d’un aventurier politique, Louis Napoléon Bonaparte. Candidat caméléon, qui promet l’Ordre aux bourgeois effrayés par le mécontentement social, qui promet la sécurité et le mieux être aux travailleurs de la ville et des champs, et qui jouit de l’énorme prestige de l’oncle, du grand Napoléon, lequel représente encore pour beaucoup, 35 ans après sa chute, la grandeur d’une France conquérante et révolutionnaire. À noter cependant que quelques départements vont placer en tête le candidat de la démocratie socialiste, Ledru-Rollin, et le Var est parmi ces départements originaux. En cette phase d’apprentissage du politique, La Valette ne contribuera pas vraiment à cette victoire des Rouges, comme on disait. La Valette vote plutôt comme vote la France, et Louis Napoléon sera son favori.
729 Valettois ont le droit de vote en début 1850. Ils ne sont plus que 347 à disposer de ce droit de vote à la fin de 1850.
Que s’est-il passé ? En 1849, et à nouveau en 1850, le chiffre des déçus de la République a augmenté, ce qui d’une part conforte le camp des abstentionnistes, mais qui d’autre part permet à la démocratie socialiste de se structurer, de s’affirmer électoralement et de se consolider. On peut en juger par le résultat des élections législatives de 1850 dans la très modérée La Valette : 729 inscrits, 359 abstentions ou votes nuls, la gauche rouge est en tête avec 191 voix, les conservateurs en ont 179. majorité donc pour les rouges, majorité qui aurait pu être plus importante si les travailleurs de l’arsenal avaient pu voter dans la commune, comme précédemment, et non dans l’entreprise, comme on venait de le leur imposer (ce qui relativise aussi le nombre d’abstentions).
Au printemps 1850, devant ces progrès électoraux de la démocratie socialiste, et la possibilité d’une victoire de celle-ci aux élections de 1852, la majorité conservatrice a donc décidé de modifier la loi électorale.
Sont privés du droit de vote ceux qui résident depuis moins de trois ans dans la commune, et ceux qui ne sont pas inscrits au registre des contributions directes, ceux qui ne paient pas l’impôt. Les plus pauvres, les plus modestes donc. Soit 3 millions sur 9 millions d’électeurs. Un tiers. Et à La Valette, le chiffre vous donne une idée de la sociologie valettoise, c’est plus de la moitié des électeurs qui sont rayés des listes électorales.
Il fallait que la majorité conservatrice soit aux abois pour en venir à cette mesure extrême, et vous vous en doutez grandement impopulaire.
Mais cette mesure n’est que l’aboutissement d’un processus initié pratiquement dès les débuts de la République, processus qu’il est indispensable de situer si l’on veut comprendre les caractéristiques de la résistance, ou de la non-résistance varois, au coup d’État de 1851.
Dès 1848, l’avènement de la démocratie politique a été indissolublement lié à la solution des problèmes sociaux. Dans ses quatre brèves années d’existence, la Seconde République a été confronté à une question qui demeure plus que jamais d’actualité : la politique doit-elle influer sur l’économique et le social, ou au contraire sont-ce les contraintes économiques qui doivent s’imposer au politique ?
Dès 1848, est écrasée dans le sang l’exaspération des masses ouvrières des grandes villes, Paris, Marseille, Rouen, et bientôt Lyon, masses ouvrières qui revendiquaient au premier chef le droit au travail, la sécurité d’un salaire décent, un minimum de protection sociale.
Aux yeux du parti de l’Ordre, le péril rouge de la révolution purement ouvrière était ainsi écarté. Mais il était relayé par une aspiration beaucoup plus vaste, qui va porter dans nombre de départements les paysans, les artisans, les petits commerçants, vers les idéaux de la démocratie socialiste. C’est l’aspiration à la sécurité, au maintien de la petite propriété ou à l’accession à cette propriété, la lutte contre le prêt usuraire, le souhait d’une éducation nationale gratuite pour tous les enfants. C’est la rencontre avec la grande tradition révolutionnaire et jacobine, au meilleur sens du mot, demeurée vivace dans une bonne partie de la petite et moyenne bourgeoisie éduquée, médecins, pharmaciens, avocats, notaires, et chez les enseignants.
La majorité conservatrice portée au pouvoir par les élections de 1848 va donc faire de la République une république répressive, une république de peur sociale, où les Blancs royalistes légitimistes et les Bleus, républicains modérés, se retrouvent unis dans la même dénonciation du péril rouge.
Le Var sera véritablement un département témoin de cette progression des idées de la démocratie socialiste. Il sera en contrecoup département témoin de la politique répressive du pouvoir, représenté ici par un préfet à poigne, Haussmann. On casse les municipalités rouges, on interdit la propagande démocrate, on tue par les amendes et les procès le journal Le Démocrate du Var, on licencie de l’arsenal les meneurs républicains…
Le tout aux applaudissements de la presse conservatrice varoise. Il faut lire cette presse bien-pensante, toulonnaise et dracénoise de l’époque pour mesurer la haine portée à l’adversaire.
Ainsi pouvons-nous lire dans Le Toulonnais, à la veille des élections de 1850, à propos du programme électoral de la Démocratie socialiste :
“Ce programme se compose de 14 articles dont les principaux sont :
le nivellement des fortunes, au moyen de l’impôt progressif
la création d’assignats hypothécaires
l’enseignement gratuit et obligatoire
la révolte à main armée, si le suffrage universel venait à changer la forme de gouvernement.
Les électeurs feront leur choix, entre la spoliation des propriétaires et le respect de la propriété ; entre l’obligation d’envoyer leurs enfants à l’école révolutionnaire ou la liberté de les élever comme ils l’entendent ; entre la perspective d’une nouvelle révolution en 1852, ou la marche régulière du suffrage universel et le développement légal de la constitution de 1848”.
Le coup d’État de décembre 1851 ne peut se comprendre que dans ce climat de guerre civile larvée. D’un côté les conservateurs de tout poil qui ne rêvent que d’un ordre social égoïste, de l’autre des masses populaires de plus en plus désireuses de la vraie République, la Bonne, la Sainte, qui verra le règne de l’égalité. Certes, les points de désaccord sont nombreux entre le Président Louis-Napoléon et cette majorité conservatrice, mais ils sont d’accord sur l’essentiel : tout faire pour éviter une victoire des Rouges en 1852.
Le Président y est d’autant plus enclin que 1852 sera aussi l’année des élections présidentielles, et que la constitution lui interdit de se représenter.
C’est donc très habilement que son entourage et lui même vont manœuvrer pour chloroformer le peuple avant un coup d’État soigneusement préparé avec le concours de l’armée, et particulièrement des hommes formés à la cruelle guerre d’Algérie.
En novembre, le président propose à l’assemblée le rétablissement du suffrage universel, rétablissement que évidemment l’assemblée refuse.
Et le 2 décembre, date éminemment symbolique, le Président s’arroge tous les pouvoirs, au nom de la défense de la paix civile, de la défense de la démocratie et de la constitution…
Vous connaissez sans doute la suite. Vous avez qu’une vingtaine de département se soulevèrent. Pourquoi ceux-là, et pas les autres ? Grande question dont nous pourrons parler tout à l’heure, si vous le désirez, dans la discussion.
Vous savez sans doute aussi que parmi ces départements insurgés, le Var connut certainement, avec les Basses Alpes, l’insurrection la plus puissante et la plus résolue. Du détail de ces événements, nous traiterons si vous voulez dans la discussion, en fonction de vos questions. Donnons-en simplement les grands traits, pour être rapide.
le 3, la nouvelle arrive dans le Var. Dans de nombreuses communes les démocrates appliquent le plan arrêté depuis longtemps : en cas d’usurpation du pouvoir central, c’est dans la commune que doit se concrétiser la légalité démocratique. Il convient de désarmer les gendarmes, de rassembler les citoyens, de destituer les élus qui soutiendraient le coup d’état. À cet égard, la prise du pouvoir communal par les démocrates dans nombre de communes, pour citer la plus proche et la plus importante, Cuers, est en quelque sorte une revanche contre la multitude de mini-coups d’état que le préfet Haussmann avait déjà effectués, en cassant les municipalités démocratiquement élues.
On comprend mieux aussi par là l’attitude des Valettois. La Valette, comme Grasse, comme La Seyne, est une ville où la municipalité républicaine modérée a pu tant bien que mal éviter les écueils de la répression. Le maire Antoine Mège est resté en place depuis 1848. Malgré sa modération, il représente donc la légitimité aux yeux des démocrates, qui se retrouvent bien plus dans l’engagement de son adjoint le menuisier Donadey.
On attend les nouvelles, et au premier chef les nouvelles de Toulon. Or, la ville est indécise. La démagogie présidentielle a troublé les esprits. La concentration de troupes est considérable, Et, dès le 5, les manifestations toulonnaises sont dispersées, les républicains arrêtés en masse. Et la prise de pouvoir républicaine à Cuers est brisée dans le sang par la colonne militaire remontant de Toulon. C’est dire que dans les communes avoisinantes, dont La Valette, toute velléité de résistance est aussitôt brisée, et les arrestations qui vont suivre seront de pures et simples arrestations pour délit d’opinion. Au sens propre du mot, il n’y a pas eu insurrection.
Par contre, c’est tout le Var intérieur qui s’insurge. Partout ou presque les démocrates prennent le pouvoir municipal, les gendarmes sont désarmés. Le 6 les colonnes d’insurgés du centre Var rassemblés au Luc ou venant des Maures convergent sur Vidauban. Le 7 la puissante colonne marche sur Draguignan, mais l’indécision de ses chefs, le désir de ne pas provoquer un bain de sang dans la préfecture où les forces s’équilibrent, font qu’elle marche sur Salernes, où elle reçoit des renforts importants, puis sur Aups. Et c’est à Aups que le 10 décembre l’armée la rejoint, la disperse et l’anéantit. Si les insurgés ont été complètement respectueux des personnes et des biens, la répression sera impitoyable. Des dizaines de victimes le 10 et le 11. Trois mille arrestations. Des malheureux entassés pendant des semaines dans les cachots glaciaux du Fort Lamalgue. Alors que débute cette terrible répression, dans sa Proclamation du 11 décembre, le préfet Pastoureau félicite l’armée et les bons citoyens du Var : « Le parti de l’anarchie et des brigands » est écrasé, l’autre triomphe, « celui des lois, du travail, de l’ordre, de la justice, de la paix, celui du pays honnête ». On chasse l’insurgé dans tout le département. Le dernier contingent d’insurgés arrive à Riez (Basses-Alpes) le 11 au matin, il continuera vers le Piémont.
« La démagogie est morte dans le Var, de longtemps elle ne relèvera la tête » (« Récit des événements, extrait des notes officielles », Le Toulonnais, 31-12-51).
Commémorer cela veut dire à la fois donner sens à l’événement dans sa réalité de l’époque, et lui donner sens par rapport à nous, aujourd’hui.
Dans la réalité de l’époque, l’image d’Épinal qu’il faut abandonner serait celle d’un méchant et ambitieux président violant une constitution et une république que dans son unanimité le bon peuple méridional défend en conscience citoyenne. Nous l’avons vu, l’opinion était partagée, le Var avait ses rouges, mais qui s’opposèrent au coup d’état, mais il avait aussi ses bleus et ses blancs, qui le soutinrent.
Il n’est pas question bien sûr de distribuer à 150 ans de distance le blâme et l’éloge, et reproduire stérilement l’affrontement des conservateurs du parti de l’Ordre et des tenants de la République démocratique et sociale.
Je voudrais surtout insister sur deux aspects qui éclairent singulièrement l’événement dans son temps mais qui sans doute aussi ont toujours des résonances contemporaines.
Le premier est le basculement dans sa totalité de l’appareil d’état du côté du coup d’Etat : officiers, magistrats, administrateurs se rangent aussitôt et sans émotion du côté du président. Unanimité qui peut nous rappeler d’autres basculements de la République à la dictature, et au premier chef celui de 1940. Paradoxe donc d’une insurrection qui va se faire au nom de la loi, de la légalité, de la constitution, et qui va être brisée par ceux-là même qui devaient défendre la légalité et la constitution. Le second aspect est pour le simple citoyen la profonde ambiguïté de l’événement et la difficulté de prendre ses responsabilités par rapport à lui.
La République est violentée par son président, non pas au nom d’une ambition personnelle, mais au nom de la démocratie : défense de la constitution, rétablissement du suffrage universel.
Le premier acte du président du coup d’État est de rétablir le suffrage universel dans son intégralité. Celui qui allait bientôt devenir Napoléon III faisait ainsi entrer la France dans une modernité redoutable : celle où c’est en utilisant les moyens et les formes même de la démocratie que l’autoritarisme allait l’emporter. Dominer les esprits pour les amener à se prononcer comme on le désire. Redoutable intelligence politique que ne comprirent pas tout de suite les notables locaux du parti de l’Ordre : dès 1852 le pouvoir essaiera d’effacer la tache originelle de la répression, et promulguera des mesures d’apaisement. C’est du côté des maires à la solde du pouvoir que viendra l’opposition au retour des Varois déportés en Algérie, mis en surveillance ou exilés en Piémont… Et sans les approuver, on peut les comprendre, car le feu couvera sous la cendre tout le Second Empire, pour s’enflammer dès le retour de la République en 1870, retour qui verra le Var, et pour longtemps, symboliser aux yeux de la nation une des citadelles du républicanisme avancé.
René Merle
Association 1851-2001 |
Pensionnés valettois de 1882
DONADEY Jacques, menuisier
MAUREL Leopold, entrepreneur d’autobus
OLIVIER Françoise, vve ALLIOT, journalière
GUEIT Joseph, dit CRUDY
MORIN Joseph André, cultivateur
REBOUL Antoine Laurent, bûcheron
REBOUL Antoine Laurent, aux 3 enfants
REY Jean Antoine Pierre, bûcheron
REY Louis Hyacinthe Célestin, cultivateur
REY Louis Lazare, bucheron