L’insurrection de Thiers
L’insurrection de Thiers (Témoignage du sous-préfet Jules Courtet)
« Le 9 décembre [1851] j’affrontai seul nos 500 insurgés, j’arrêtai la guerre civile et sauvai la ville du pillage« . Ce témoignage est contenu dans une lettre écrite le 25 juin 1853 au préfet de la Drôme par ce sous-préfet, qui entre temps avait été muté à Nyons. Par opposition aux insurrections les mieux connues, les traces de cette action sont vagues : – « Des troupes dirigées sur Thiers et Issoire prévinrent une insurrection imminente« , pouvait-on lire dans Le Moniteur, cité par l’historien Eugène Ténot. – [La gendarmerie n’a pas pu empêcher un détachement de condamnés politiques de chanter en entrant ] « à Thiers, où ils ont été suivis par beaucoup de mauvais sujets qui ont été maintenus à peine » écrivait en d’autres circonstances le Procureur de la Cour d’appel de Riom, d’après Iouda Tchernoff (1906) On soupçonne souvent que la police minimise le nombre des manifestants et que les organisateurs le majorent. Qu’en est-il des insurgés de Thiers et du témoignage de Jules Courtet ? Les conditions dans lesquelles la lettre fut écrite permettent-elles de s’en faire une idée ? Il était né 46 ans plus tôt dans une vieille famille bourgeoise. Sous-préfet depuis 1845, ses revenus étaient modérés (8000 F), nous savons qu’il « a un léger bégaiement… une taille élevée, une assez belle figure, une bonne tenue et des manières ordinaires d’un homme du monde… Il est plus obéi comme fonctionnaire que par sympathie… Il a de l’expérience, il manque parfois de jugement… Ce n’est pas un administrateur supérieur, mais… on peut compter sur son dévouement… » et qu »en décembre 1848, il contribua à l’élection du Prince Louis Napoléon« . Dans ses fonctions, il était certainement spécialiste des candidatures officielles lors des élections. Sous-préfet de Die en 1847, il était parti en congé à Avignon pendant les législatives pour amener « de 60 à 70 voix dont [il] dispos[ait] pour ainsi dire » au candidat du préfet du Vaucluse. (Le scrutin était alors censitaire) Orléaniste libéral de l’opposition dynastique, il se trouvait ainsi officiellement allié à des légitimistes et à des libéraux ! Il retrouva de l’occupation lorsque la Deuxième République commença à battre de l’aile, lors des présidentielles de 1848. En récompense, il eut un nouveau poste en 1849, d’abord à Orange, dans son département d’origine, puis à Neufchâtel (Seine Inférieure), où il passa un peu plus d’un an. […] Quand j’étais à Neufchâtel, on me demanda mon avis sur le compte d’un juge d’instruction qui sollicitait la place de président. Je ne fus que l’écho de la voix publique. Le préfet partagea mon avis, qu’il savait, du reste, être vrai. Cependant, le juge fut nommé, parce qu’il était ami intime de M. Baroche, alors ministre de l’intérieur. Mais il sut, je ne sais comment, l’avis que j’avais donné. Indè inc [sic][1] Il demande ma révocation, qui allait être signée, quand M. le préfet le sut et s’y opposa énergiquement. Sur ces entrefaites M. Baroche sort du ministère. Je vais trouver M. Waïsse (sic), son successeur ; je lui explique l’affaire et j’obtiens mon changement avec avancement, puisque je monte d’une classe. » Visiblement, la préparation du coup d’état entraînait des incohérences. Son prétexte était de lutter contre les royalistes, alliés de décembre 1848. Il fallait les affaiblir. Le 15/03/1850 Jules BAROCHE devient ministre de l’Intérieur. Il contribua à épurer les cours de justice pour en éliminer les juges de gauche et les royalistes. Sa carrière fut sinueuse, mais, surtout fidèle à Napoléon III, il fut le plus détesté de ses ministres. Il quitta l’Intérieur le 24 janvier 1851. Son successeur, Claude Marius VAÏSSE, dura si peu, du 24/01/1851 au 10/04, que Courtet arriva à Thiers sous les ordres de Faucher, à qui succéda bientôt Thorigny le 26/10/1851. La haine de ce Monsieur ne me laisse pas tranquille à Thiers. On profite de la mort de mon pauvre enfant, et de sa maladie surtout qui me retint quelque temps renfermé dans l’Hôtel pour dire à M. de Thorigny que je ne m’occupais pas des affaires, que je ne voyais personne, que j’étais sans action dans mon arrondissement et M. de Thorigny me révoqua brutalement. Le Moniteur m’arriva juste le jour où je pus donner un puissant démenti, le 9 décembre où malgré ma destitution si proche, j’affrontai seul nos 500 insurgés, j’arrêtai la guerre civile et sauvai la ville du pillage. Il est vrai que, fort de ma conscience, je ne fis aucun préparatif de départ et que M. de Morny, par le télégraphe, me confirma immédiatement à mon poste. La population entière avait protesté contre cet acte brutal et M. le préfet refusa d’installer mon successeur qui était arrivé presque aussitôt que le Moniteur[2]. Ainsi, Monsieur le préfet, l’injustice de M. de Thorigny n’est qu’une conséquence, une suite du mauvais vouloir de M. Baroche. Or, ces deux ministres étaient indignement trompés ; je ne puis leur en vouloir […] Dans toutes mes élections municipales, départementales, j’ai fait avoir à M. de Pierre, pour le corps législatif, infiniment plus de voix que ce qu’on était en droit d’attendre et aux deux élections napoléoniennes, mon arrondissement a pris la tête de tous les arrondissements pour le nombre relatif des Oui et des Non. Tous les préfets m’ont rendu la justice que j’étais toujours en avance sur mes collègues. […] après huit ans de bons et loyaux services[3], après avoir, quoique destitué injustement, offert ma poitrine aux poignards et aux pistolets des brigands, je finis par où j’ai commencé… Justice humaine !… Veuillez me pardonner, Monsieur le préfet, ce petit accès de mauvaise humeur… « Le terme poignard suggère poétiquement une insurrection d’ouvriers couteliers. Il est amusant de voir quel acte brutal avait – selon Courtet – fait protester la population entière : son limogeage par Thorigny ! À la même époque un coup d’état bien policé était organisé par le préfet de police de Paris à la barbe de Thorigny, bonapartiste docile et scrupuleux. Il applaudit au 2 décembre, mais Morny le remplaça aussitôt à l’Intérieur. Les diatribes de Courtet contre les insurgés sont bien dans le style de ce ministre qui développait éloquemment la thèse du « péril rouge » et de « la jacquerie ». Le plébiscite eut lieu les 20 et 21 décembre, mais un mois plus tard une partie des biens des Orléans fut nationalisée, du coup Morny, le principal instigateur du coup d’état, démissionna[4]. C’est Persigny qui nomma Courtet à Nyons. Dès sa nomination à Nyons en mars 1853, Courtet avait demandé une lettre de soutien à son supérieur précédent, Guillaume CREVECOEUR. « Il a été deux ans sous mes ordres et je n’ai jamais eu qu’à me louer de son zèle et de son énergie, notamment au 2 décembre 1851; je l’ai même fait décorer pour sa conduite à cette époque… Je ne puis m’expliquer l’apparente disgrâce qui le frappe que par la demande qu’il avait faite d’être rapproché d’Avignon qui est je crois sa ville natale. On a cru, ou on a feint de croire que ce rapprochement sollicité par M. Courtet compensait la différence de classe« . En effet Courtet s’étant plaint au préfet Crèvecœur d’être rétrogradé, celui-ci a enquêté au ministère. Faute de soutien, d’être de la bonne coterie, il avait été sacrifié parce « qu’on cherchait des sous préfectures de seconde classe« . Il n’a pas grand espoir, conscient d’intervenir trop tard. Il fait pourtant une liste des qualités de Courtet, « très empressé à suivre la direction qui lui est donnée par son Préfet et faisant bien les affaires » Il a le seul défaut « peut-être de manquer un peu de tact envers ses administrés.« Courtet a cherché à s’entourer de tous les appuis possibles : la parentèle, les chefs de service, et finalement son nouveau préfet. Il aura fait flèche de tout bois, d’où le nombre des allusions à ses brillantes campagnes électorales. Il est donc très possible que son évocation de la guerre civile imminente à Thiers ait été teintée d’exagération ! Il reste aux chercheurs de cette ville à confirmer mon hypothèse. Gaston FUGIER Un article plus complet doit être publié à l’automne 2007 dans Terre d’Eygues (contact) [1] « Inde hinc » C’est un prêté pour un rendu [2] Eusèbe CEZAN est en effet nommé (probablement par Morny) le 5 décembre 1851 à Thiers, puis aussitôt le 11 à Roanne ! [3] Il compte les années où il était orléaniste [4] Il sera réélu député du Puy de Dôme, mais Courtet ne fait pas appel à lui.
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