Les trois Tartanson

Les trois Tartanson

étude réalisée pour un usage familial par Marie Joseph Ferdinand Alphonse Tartanson vers 1951,

communiquée par son petit-fils, François Tartanson

Le coup d’État du 2 décembre 1851

 

 

Le département des Basses-Alpes avait été tout-à-fait étranger jusqu’en 1848 aux luttes politiques. L’influence du clergé était restée prépondérante parmi les populations, le rôle de la noblesse parait avoir été à peu près nul.

 

Henri [Eugène] TENOT, dans son ouvrage « La province en décembre l85l » page 161, se demande par quel étrange et subit entraînement ce pays se trouve-t-il des plus ardents à accueillir l’idée républicaine ? – Il déclare qu’il n’est pas possible de l’expliquer d’une façon satisfaisante, mais à quelle cause qu’on lui attribue, le fait est positif.

 

L’organisation secrète des Montagnards y avait été établie avec une rare perfection.

 

L’ancien maire de Manosque BUISSON, prit la direction des opérations du département. Il aurait dit dans une réunion des délégués des sociétés secrètes où l’on ébauchait un plan de lutte pour 1852 : « On peut compter sur la levée en masse des Basses-Alpes, nous sommes prêts à marcher au premier signal. »

 

A part quelques communes isolées, le parti démocratique était en majeure partie composé d’ouvriers et de paysans. Il avait pour chefs des hommes de la bourgeoisie (avocats, notaires, médecins), auxquels leur éducation et leur position indépendante donnait un ascendant considérable sur les masses. L’Administration se trouvait placée en face de ces populations complètement hostiles ; le parti révolutionnaire avait renoncé à la lutte.

L’arrondissement de Forcalquier fut le vrai centre de l’organisation secrète et c’était de là que devait partir l’impulsion.

 

Une modération égale à l’énergie et au courage déployés fut le caractère de cette insurrection. Ce soulèvement éclatait partout à la fois. Cette marche immédiate sans hésitation, sans tâtonnement, révéla une organisation de longue date et un plan préconçu. Les autres départements n’ont rien vu de semblable.

 

Le 6 décembre, la troupe des insurgés fit son entrée à DIGNE. La défense de la Préfecture avait été abandonnée. Le Préfet n’avait pas cru prudent de rester à DIGNE ; il partait le soir même pour le fort de SEYNE d’où il ne tarda pas à gagner les Hautes-Alpes. Le Procureur de la République fit de même et se cacha chez un ami sûr.

 

8 à 9.000 hommes passèrent deux jours à DIGNE, maîtres absolus de cette ville qui avait alors de 4 à 5.000 habitants – ni un vol ni un acte de violence ne furent commis. Ces Jacques (ils étaient tous fils de paysans) se montrèrent scrupuleusement honnêtes.

 

Cependant le comité ne tardait pas à recevoir les nouvelles les plus funestes pour la cause républicaine. Il apprenait successivement la pacification complète de Paris et la tranquillité des principales villes de France ; Marseille surtout, sur laquelle les Républicains des Basses-Alpes avaient compté, non seulement n’était pas au pouvoir du peuple, mais ne s’était même pas insurgée.

 

Le jeu de Napoléon avait été de faire croire à la classe possédante qu’elle avait besoin d’être sauvée par lui alors qu’une menace de révolution n’existait pas en 1851.

 

A Paris, il avait créé la terreur, le massacre du boulevard du 4 décembre (des coups de fusil à la troupe qui n’ont jamais été tirés avaient motivé, disait-on, des représailles). Cette répression terrifia les esprits au point d’anéantir toute velléité de résistance ; il y eut plusieurs centaines de morts, le nombre n’en a jamais été fixé.

 

La presse de son côté, avait créé l’ambiance. Dans la Nièvre, dans l’Hérault, dans l’Allier, dans le Gers, puis en Provence, dans la Drôme des mouvements socialistes et communistes se produisaient partout, marqués par d’inimaginables forfaits. C’est la Jacquerie et le spectre rouge qui se matérialisaient. La Patrie, le Moniteur (9 décembre) annoncent que, dans l’Hérault « des énergumènes avides de sang et de pillage se sont portés chez les légitimistes et les ont assassinés dans leur maison », et qu’à Béziers les démagogues ont égorgé plusieurs des principaux propriétaires de la ville. Le Constitutionnel, l’Union, l’Univers, les Petites Gazettes Elyséennes contiennent des articles circonstanciés dans lesquels ils relatent les abominations des rouges qui mettent une partie de la France à feu et à sang. Ils assassinent les prêtres, brûlent les châteaux, dévalisent les gens de Dieu et violent les femmes, ils livrent aux flammes les bibliothèques et les musées. VIEL CASTEL enregistre dans son journal qu’à CLAMECY une femme avait été violée devant son mari, puis les deux jeunes filles ont subi le même sort ; tous ont fini par être égorgés, père, mère et enfants. Deux jours après le même VIEL CASTEL a vu s’enrichir encore ses informations. « Les bandes socialistes se sont fait servir à dîner et ont contraint 38 des plus jolies filles ou femmes de la localité à les servir dans un complet état de nudité. Ces malheureuses ont été violées sur la place publique. Les parents attachés à des poteaux assistaient à ces saturnales. Les insurgés se relayent pour violer les victimes » – (d’après Henri GUILLAUMIN [Guillemin] – Le coup d’état du 2 décembre I851).

 

Il est historique que la résistance provinciale au coup d’état n’a été accompagnée d’aucun pillage ; pas un château n’a été brûlé pas une femme violée ; il n’y a eu de Jacquerie nulle part.

 

Spécialement dans le département des Basses-Alpes, l’attitude des insurgés fut particulièrement digne et correcte. On leur a reproché le traitement dont fut victime le sous préfet de FORCALQUIER, ainsi que la mise à sac de la maison du maire de Saint Etienne.

 

Il importe de rétablir les faits. Le Sous Préfet PAILLARD fut menacé par les insurgés, mais il ne fut en aucune façon maltraité. Grâce à l’autorité du chef ESCOFFIER, du médecin SAVY, du juge d’Instruction CORRENCON, il ne fut pas attenté à sa personne, et il a pu, aidé par DUVAL, ingénieur, DEVAUX officier en congé, SAUNIER receveur particulier, sortir de la prison de Forcalquier où il était interné et partir pour Avignon sans être inquiété en aucune manière.

 

A Saint Etienne les Orgues, les nommés GENDRON et CHAUVIN, amis personnels du maire, entrèrent chez lui et se livrèrent au pillage du mobilier ; tout fut brisé, sali ou lacéré. Le chef des insurgés ESCOFFIER, averti de ces excès accourut avec ses hommes. Les deux coupables pris sur le fait furent arrêtés, enchaînés et conduits à la prison de FORCALQUIER. Le chef du détachement républicain en partant avait annoncé qu’ils seraient fusillés le lendemain, ce qui n’eut pas lieu, fort heureusement, du reste.

 

 

J’ai recherché quelle fut l’activité des insurgés dans le canton de BAREME et dans l’arrondissement de CASTELLANE. Mon oncle Lucien avait certainement pris les armes et cherché à recruter des prosélytes dans la région de Barème. Il ne m’a été possible d’avoir aucune précision à son sujet.

 

Cependant j’ai connu à Barème, indépendamment de mon grand-père, diverses personnes pensionnées en vertu de la loi de 1880 [1881] – la famille ROUSTAN. Casimir GARON, Magloire BLANC de CLUMANC qui, tous, avaient pris une part active à l’insurrection (Blanc avait été déporté à Lambey [Lambessa]). Rien aux archives départementales. Rien à celles du tribunal.

 

Dans le registre des délibérations de cette juridiction voici la seule trace que j’ai trouvée :

 

–                              5 avril 1852

 

Monsieur le président dit qu’il y a lieu à distribution entre les juges d’une somme de 398 francs provenant des retenues faites à Monsieur le vice-président Latil en raison de son absence (Latil était en fuite) et il a proposé de donner à cette somme la destination suivante :

 

Indemniser le fournisseur de chauffage par abonnement de l’excès de consommation sur l’approvisionnement qui se trouvait dans le palais lorsqu’il a été occupé successivement par les insurgés et les militaires.

 

–                              26 avril 1852

 

Monsieur Marquezy, Conseiller à la Cour d’appel d’Aix en présence du Préfet, du général et de toutes les autorités civiles et militaires a reçu le serment suivant de tous les membres du Tribunal, des Officiers ministériels, Juges de paix suppléants et greffiers : « Je jure obéissance à la Constitution et fidélité au Président. » Tartanson, notaire à Clument, n’a pas répondu à l’appel de son nom.

 

 

Le coup d’état devait avoir de sérieuses répercussions dans notre famille.

 

Mon grand-oncle Lucien (notaire à CLUMANC), averti qu’il allait être arrêté avec son père Roch, partit pour NICE ainsi que ce dernier, vraisemblablement dans les premiers jours de décembre.

 

J’ai souvent entendu raconter à la maison qu’au lendemain du coup d’état et alors que ma grand-mère venait de recevoir des proclamations que lui avait apportées Lucien, elle avait eu la visite de policiers qui venaient perquisitionner chez elle. Elle n’eut que le temps de cacher ces proclamations sous ses jupes, de s’asseoir sur son fauteuil et de s’excuser auprès de la police de ne pouvoir se lever, prétextant son état de grossesse avancée.

 

Mon grand-père était resté à CASTELLANE où il était notaire, et il en partit dans les conditions qui se trouvent indiquées dans le brouillon de lettre que j’ai trouvé dans mes papiers de famille. Cette lettre est datée de Nice, 13 février 1852. Elle est adressée au Procureur de la République de CASTELLANE et ainsi rédigée :

 

« Monsieur le Procureur de la République,

 

Ma qualité de fonctionnaire public et le bienveillant accueil que j’ai reçu de vous à la fin du mois de janvier dernier m’imposent l’obligation de vous expliquer avec franchise les motifs de ma retraite à NICE.

 

Vous savez, Monsieur, que je quittais momentanément CASTELLANE d’abord pour une affaire que j’avais à traiter avec mon beau-père, ensuite pour aller visiter mon vieux père sur la terre d’exil. J’étais parti avec un passeport qui m’avait été délivré avec votre adhésion et j’appris à mon retour qu’un ordre d’arrestation avait été lancé contre moi.

 

Je voulus dans un premier mouvement me rendre dans votre Parquet pour connaître les motifs qui faisaient les rigueurs de la loi sur le dernier membre d’une malheureuse famille qui eut conservé sa liberté ; mais les sollicitations de ma femme et le souvenir de la conversation que j’avais eu l’honneur d’avoir avec vous quelques jours avant triomphèrent bientôt de ma première résolution. Vous m’aviez dit en effet que sous le régime de l’état de siège, j’étais exposé à la déportation, sans forme de procès et par une mesure purement administrative.

 

Malgré le respect que ma qualité de notaire et de citoyen m’impose pour les mandats de justice, je n’ai pas eu la force d’affronter une position aussi rigoureuse que celle que vous m’aviez fait entrevoir. Que mes actes, ma conduite et ma vie toute entière soient soumis aux sévères investigations d’un Tribunal régulier, qui entend avant de juger, qui ne frappe qu’après avoir été convaincu, j’y consentirai toujours ; mais je ne puis me résigner malgré mes devoirs envers la justice qui deviennent plus impérieux pour moi en ma qualité de notaire, à aller au devant d’une mesure de rigueur qui m’atteindrait peut-être innocent ou coupable, puisque la manière expéditive dont s’instruisent et se jugent les procès politiques me mettent à la merci d’un ennemi personnel qui pourrait facilement égarer la religion de mes juges.

 

J’ai cru devoir, Monsieur le Procureur de la République vous fournir les explications de ma conduite ; je connais votre loyauté d’homme et de magistrat pour n’être pas convaincu que vous les apprécierez avec bienveillance. »

 

 

Au lendemain du 2 décembre, une circulaire fit connaître la mise sous séquestre des biens de tous les fugitifs qui ne se rendraient pas dans un délai de 10 jours. Une autre décida que des garnisaires occuperaient les maisons et seraient nourris au frais des fugitifs jusqu’au moment où ils se seraient constitués prisonniers.

 

Cette dernière circulaire fut appliquée à mes grands-parents. Un garnisaire, en l’espèce un hussard, vint occuper la maison et il fallut le nourrir et le loger jusqu’au retour des fugitifs. Souvent il fallait se rendre à Seisset et faire tuer un mouton pour assurer la nourriture du garnisaire et de la famille. Mon père se souvenait de ce militaire qui le faisait amuser et était pour lui un camarade.

 

Ma grand-mère Solange avec ses deux enfants était venue venu après le départ de son mari pour NICE habiter BARREME avec mon arrière-grand-mère. La vie matérielle à la maison était difficile. Les revenus étaient plus que modestes, les études de Notaire de CASTELLANE et de CLUMANC étaient fermées et il fallait pourvoir aux besoins de la famille et des trois proscrits avec les seuls revenus de SEISSET. Entre temps, mon arrière-grand-père et ses deux fils étaient jugés par contumace par la Commission Mixte des Basses-Alpes qui avait siégée à DIGNE du 5 février au 14 mars 1852.

 

Victor HUGO, dans son livre « Histoire d’un crime« , nous renseigne sur ce que furent les tribunaux d’exception chargés de juger les républicains.

 

« Il y eut deux espèces de justices : les commissions militaires et les commissions mixtes.

 

La commission militaire jugeait à huis clos, un colonel président.

 

La commission faisait comparaître l’accusé ; l’accusé, c’était le dossier ; on le feuilletait.

 

L’acte d’accusation était bref, deux ou trois lignes – ceci par exemple :

 

–                                             Nom. Prénom. Profession. Homme intelligent. Va au café.

 

–                                             Lit les journaux. Parait dangereux.

 

L’accusation était laconique, le jugement moins prolixe encore : c’était un simple signe :°

 

–                                             – signifiait : envoi à LAMBESSA (ALGERIE)

 

–                                             ÷ signifiait : déportation à CAYENNE

 

–                                             ° signifiait : acquittement

 

Un marchand de vin des Batignolles, nommé BRISADEC, a été déporté à CAYENNE pour cette simple ligne à son dossier :

 

Son cabaret est fréquenté par des socialistes.

 

Autre forme de la justice – Commission mixte –

 

(C’est cette commission qui a jugé mes grands-parents).

 

Trois individus quelconques, un préfet, un procureur et un général s’asseyaient à une table et jugeaient.

 

Qui ? Vous, moi, tout le monde. Pour quel crime ? Ils inventaient les crimes. Quelles peines appliquaient-ils ? Ils inventaient les peines. Connaissaient-ils l’accusé ? Non. L’entendaient-ils ? Non. Quels témoins interrogeaient-ils ? Aucun. Quels débats engageaient-ils ? Aucun. Quel public appelaient-ils ? Aucun.

 

Ainsi ni public, ni débats, ni défense, ni témoins, des juges qui ne sont pas des magistrats, un tribunal qui n’en est pas un, l’accusé absent, la loi absente ; de toutes ces choses qui ressemblent à un songe il sortait en réalité la condamnation des innocents, l’exil, le bannissement, la déportation, la ruine, la mort, le désespoir de 40 000 familles.

 

C’est là ce que l’histoire appellera les commissions mixtes. »

 

 

J’ignore de qui était composé la commission mixte des Basses-Alpes.

 

Ainsi que je l’ai dit plus haut, je n’ai rien pu trouver à DIGNE, ni aux archives départementales, ni au tribunal en ce qui concerne les décisions rendues par cette commission. C’est de l’obligeance de Monsieur VIGIER, Agrégé de l’Université, professeur au lycée de GRENOBLE, que je tiens les renseignements qui vont suivre concernant le sort fait à famille. Ils ont été extraits des documents figurant aux archives nationales B B (30) – 398 gros registres.

 

Les errements regrettables dont parle Victor HUGO ont été suivis à la lettre en ce qui concerne mes grands-parents. Ils ont été condamnés sur de simples notes de police.

 

Voici ce qui figure sur leurs dossiers :

 

N° 1076 – TARTANSON Louis Michel Roch (prénommé inexactement Rodolphe) Alphonse, 63 ans, propriétaire à BARREME, condamné à la déportation pour 10 ans en ALGERIE.

 

MOTIF : a pris à un gendarme une dépêche qu’il portait à DIGNE. Démagogue dangereux.

 

N° 1868 –TARTANSON Alphonse, notaire à CASTELLANE, 40 ans, condamné à la déportation en ALGERIE

 

Affilié société secrète, président. Son frère envoyé pour insurger CASTELLANE s’est rendu chez lui. Il a dit que si la justice l’avait saisi, il avait sous la main 60 hommes déterminés à la délivrer.

 

Homme ruiné, exalté, dangereux pour son influence locale.

 

N° 912 –TARTANSON Lucien Etienne, 30 ans, notaire à CLUMANC, condamné à la déportation en ALGERIE

 

A fait partie des bandes armées et a mis en réquisition des chevaux de gendarmerie pour porter des instructions aux insurgés ainsi que des proclamations révolutionnaires.

 

 

Des trois membres de la famille, c’est Lucien qui parait avoir jouer le rôle le plus actif : Il est hors de doute qu’il a tenté de soulever CASTELLANE et, ainsi que je le dis plus haut, il avait porté chez mon grand-père à CASTELLANE des proclamations républicaines pour être apposées et distribuées.

 

Nous savons, toujours par les Archives Nationales, ce qu’il advint par la suite de mes grands-parents.

 

Lettre du Préfet des Basses-Alpes, le comte de BOUVILLE au Ministre de l’Intérieur du 12 octobre 1852 :

 

(Archives nationales (F° III- Basses-Alpes 8) – Esprit Public)

 

« Trois condamnés par contumace à la déportation :

 

TARTANSON Rodolphe (Roch) ex notaire                         n° 1076

 

  d°                   Alphonse                     notaire à CASTELLANE         n° 1268

 

  d°                   Lucien                         notaire à CLUMANC             n° 912

 

Ces trois derniers qui s’étaient réfugiés au PIEMONT (NICE ne sera rattaché à la France que 8 ans plus tard) sont venus se livrer à moi spontanément et demandent grâce.

 

Ils étaient accompagnés de leur parent, Me TARTANSON avocat à CASTELLANE, conseiller général pour le canton de SENEZ – homme sûr, dévoué, très estimé – qui depuis longtemps avait parlé au Préfet de ses parents. Mais celui-ci exigeait avant tout une soumission complète, publique.

Il est constant, ajoute le Préfet, que la participation de MM. TARTANSON à l’insurrection a été très fâcheuse ; ils n’ont cédé qu’à leur propre suggestion et par leur fonction de notaires ont exercé une influence loin de la subir. »

 

 

Il faut noter que MM. TARTANSON n’ont fait que suivre « la voie d’opposition sur laquelle leur famille se trouvait placée depuis 1815 à l’égard de la royauté et de tous les royalistes. C’est à BARREME prés de CASTELLANE et de CLUMANC dans la maison encore occupée par MM. TARTANSON et occupé alors par leur père et aïeul que l’Empereur est descendu au retour de l’île d’ELBE ; on y conserve religieusement toute la chambre. »

 

Quelques mois après, cela leur a valu des persécutions qui « jetèrent la famille dans une opposition aveuglement suivie jusqu’à l’insurrection de Décembre. »

 

Ainsi, les TARTANSON possèdent un napoléonisme, peu éclairé sans doute, mais qui a coûté à la famille de nombreux sacrifices. C’est pourquoi le préfet demandait la clémence de l’Empereur.

 

En attendant, il avait fait interner mon grand-père comme prisonnier sur parole à CASTELLANE et la peine de Lucien avait été commuée en celle d’internement dans le département de la Loire.

 

La grâce intervint le 13 avril 1853.

 

C’était certainement Lucien TARTANSON, avocat à CASTELLANE, cousin germain de Roch qui l’avait obtenue, mais je crois bien aussi ma grand-mère, qui lors de la visite du Préfet à l’occasion du conseil de révision, lui avait montré « les objets religieusement conservés » et lui avait remis l’un d’eux, le service à café dont s’était servi l’Empereur alors qu’il avait passé la nuit chez mes grands-parents.

 

Ma grand-mère s’en était certainement défaite sans nulle peine, le « napoléonisme peu éclairé » dont parle de BOUVILLE n’étant pas le fait de mes grands-parents qui, sous certaines réserves, admiraient NAPOLEON le grand, mais méprisaient et détestaient NAPOLEON le petit. J’en ai eu souvent l’écho chez moi, mon grand-père qui ne disait du mal de personne faisant une exception lorsqu’il parlait de Badinguet.

 

Mon grand-père était revenu à CASTELLANE depuis le mois de septembre 1852, mais il était dans l’impossibilité d’exercer sa profession ; il devait au préalable prêter serment à l’Empereur. A la suite de diverses lettres échangées avec le Parquet et la Préfecture, malgré l’obstruction de l’administration qui mettait une mauvaise volonté évidente à l’empêcher de gagner sa vie, il put enfin prêter le serment prescrit le 14 janvier 1853, à l’audience du Tribunal Civil de CASTELLANE.

 

Il pouvait désormais reprendre l’exercice de ses fonctions, mais il restait sous la surveillance de la police et n’était au bout de ses tribulations.

 

En effet, le 6 décembre 1852, le préfet des Basses-Alpes, comte de BOUVILLE écrivait à Roch, mon arrière grand-père, la lettre suivante :

 

« Quant à l’autre de vos enfants, notaire à CASTELLANE, la surveillance à laquelle il est soumis ne peut en aucune façon le gêner dans l’exercice de son ministère. Il peut, comme l’ont fait jusqu’à présent MM. DENOIZE et RICARD, notaires aux MEES et à PEYRUIS, instrumenter après avoir prêté le serment prescrit. Je viens d’écrire en ce sens à Monsieur le Sous-Préfet de CASTELLANE, pour qu’il se concerte à ce sujet avec Monsieur le Procureur Impérial et lève au besoin toutes les difficultés. »

 

 

La Chancellerie envisageait la situation de mon grand-père d’une toute autre manière. Le garde des Sceaux écrivait au Parquet Général d’AIX, à la date du 21 février 1853, que « la surveillance de police sous laquelle est Mr TARTANSON, notaire à CASTELLANE, nuisait à sa fonction et ne lui permettait pas d’exercer sa fonction dans sa plénitude parce qu’il ne peut sortir de la ville qui lui avait été assignée ; je dois insister pour obtenir sa démission en lui réservant le droit de présenter son successeur. »

 

 

Cette décision du Garde des Sceaux était notifiée à mon grand-père par le Procureur de CASTELLANE, avec la mise à demeure suivante :

 

« Je vous prie de vous conformer aux prescription de la lettre de Mr le Procureur Général en me faisant connaître, si vous refusez à vous soumettrez, les motifs qui vous portent à résister à une injonction émanée de Mr le garde des Sceaux lui-même. »

 

 

Mon grand-père répondait à cette mise en demeure par une lettre du 1er mars 1853 dont ci-après copie :

 

« Pouvant livrer ma vie privée aux investigations les plus sévères du Ministère Public, je ne consentirai jamais à donner ma démission. Si j’ai été condamné par la Commission mixte, ce ne peut être que par suite des calomnies qui ont été dirigées contre moi. La surveillance sous laquelle je me trouve encore placé ne m’empêche pas de remplir mes fonctions de notaire dans toute leur plénitude, car toutes les fois où je suis appelé dans une commune l’autorité locale s’empresse de me donner l’autorisation qui m’est nécessaire. »

 

 

Que s’est-il passé après cette lettre ? Je n’ai pu le savoir.

 

Mon grand-père me parait avoir du céder à la force et s’incliner devant un abominable abus de pouvoir.

 

Je vois en effet, 7 mois après la mise en demeure, un acte sous seing privé en date du 7 octobre 1853 par lequel il a cédé son étude de notaire à CASTELLANE à Antoine GRANIER, ancien notaire et ancien juge de paix à COLMAR. Cette cession est faite sous la forme usitée en cette matière.

 

Le prix était de 5000 francs, alors que l’étude avait été acquise par mon grand-père de LOUIQUY moyennant le prix de 8.000 francs.

 

A la suite de cette cession mon grand-père est resté sans situation jusqu’au 4 août 1855 (30 mois). Il fut à cette date nommé notaire à CLUMANC, en remplacement de son frère Lucien. J’ignore ce qui s’était passé pour ce dernier qui était dans la même situation (sous la surveillance de la police).

 

Pourquoi ne l’a-t-on pas mis en demeure après son retour d’exil, ainsi qu’on la fait pour mon grand-père, d’avoir à se démettre de ses fonctions et céder son Etude ? – Il me parait cependant avoir joué dans l’insurrection un rôle beaucoup plus actif que mon grand-père. C’est un point sur lequel nous ne serons jamais fixés.

 

 

EPILOGUE : Par application de la loi de 1880 [1881], mon grand-père a bénéficié d’une indemnité viagère de 600 francs par an qui a été reversé ensuite sur mes oncles et père à raison de 150 francs pour chacun. Mon bisaïeul Roch et mon grand-oncle Lucien sont morts avant la parution de la loi et n’ont reçu aucune indemnité.

 

La famille n’a par la suite été dédommagée que dans une faible mesure du préjudice que lui avait causé le coup d’état du 2 décembre 1851.

 

 

 

 

                 Petit arbre généalogique des Tartanson cités                              

 

 

Jean Baptiste Charles (1759-1844)

 

 

                    Louis Michel Roch Alphonse (1788-1875)

 

 

                             Alphonse Maximilien Joseph (1811-1901) x 1845 Solange JAUBERT

 

 

                                  Raoul (1846-1913)

 

 

                                            Marie Joseph Ferdinand Alphonse TARTANSON (1877-1957)

 

 

                                  Charles Fantin (1847-1933)

 

 

                             Lucien (1821-1871)

 

 

                    Lucien Aimé dit « l’avocat » (1796- ?)

 

 

 

En gras les « trois Tartanson »

 

En bleu l’auteur du document