Délibération du Conseil général du Var pour l’érection du monument d’Aups

Ce document fait partie d’une série consacrée à l’inauguration du monument d’Aups.

 

Le 27 février 1879, Alfred Talandier[1] présente à la Chambre une proposition de loi qui demande la nomination d’une commission d’enquête parlementaire « à l’effet de rechercher parmi les citoyens français victimes du coup d’Etat du 2 décembre 1851 ceux qui, ayant été atteints dans leur position, dans leur fortune ou dans leurs moyens d’existence, ont droit à une indemnité. »[2]

Il s’agit de la reprise de la proposition que le député varois Pierre Dréo avait formulée en vain en 1872.

C’est dans ce contexte que le Conseil général du Var décide de l’érection du monument d’Aups.

 

Séance du 22 avril 1879 du Conseil général du Var

Érection d’un monument commémoratif dans le territoire d’Aups

 

M. Blache donne lecture de la proposition suivante :

« Les soussignés ont l’honneur de proposer au Conseil général de voter une somme de 500 fr. pour élever dans le territoire d’Aups un monument destiné à honorer la mémoire des citoyens courageux qui, en 1851, sont morts noblement pour la défense de la constitution républicaine odieusement violée par le criminel auteur du coup d’Etat du Deux Décembre. »

Noël BLACHE, ROUBION[3].

Noël Blache

 

M. Roubion propose de charger le conseil municipal d’Aups de désigner l’emplacement et du soin de faire élever le monument.

Le Conseil général adopte la proposition, ainsi que la motion de M. Roubion.

MM. Gamel[4], Bagarry[5] et de Gassier[6] demandent qu’il soit fait mention au procès-verbal qu’ils votent contre la proposition de MM. Blache et Roubion.

M. le Président[7] invite ces messieurs à motiver la déclaration dont ils demandent l’insertion au procès-verbal.

M. Gamel dit alors que surpris, ainsi que ses honorables collègues, MM. Bagarry et de Gassier, par une proposition inattendue, sur laquelle on demande un vote immédiat, sans examen préalable d’aucune Commission, il déclare, tant en son nom qu’en celui de MM. Bagarry et de Gassier, que sans examiner la question de compétence du Conseil général, qui s’arroge le droit de faire élever un monument public et charge un conseil municipal de l’exécution de sa décision, il proteste contre le vote de l’allocation d’une somme quelconque dans le but de faire ériger un monument commémoratif d’un fait de guerre civile où le sang français a coulé des deux côtés.

Nous refusons de concourir à un vote qui doit perpétuer le souvenir de nos discordes civiles et des luttes sanglantes qu’elles ont produites, le devoir des bons citoyens n’est pas de raviver les haines, mais de les éteindre, de rouvrir les blessures, mais de laisser au temps le soin de les cicatriser.

M. Blache dit que les auteurs de la proposition n’ont aucunement eu l’intention de faire appel à des sentiments de haine, qu’ils ont voulu uniquement honorer des citoyens qui se sont levés pour défendre la constitution et le droit.

M. le Président s’étonne qu’on ne parle d’effacer le souvenir du Deux-Décembre que lorsque les victimes de cet attentat élèvent la voix pour le flétrir et pour demander justice.

Le crime du 2 décembre s’est installé dans nos lois et sur les monuments publics. Ses auteurs et ses complices occupent encore des fonctions publiques importantes et l’on voudrait nous empêcher d’élever une humble colonne destinée à honorer la mémoire des citoyens morts pour la défense de la Constitution ! Le Conseil général s’associera à la proposition de ses collègues, Blache et Roubion.

MM. Bagarry, Gamel et de Gassier persistent à protester contre ce vote.

La proposition de MM. Blache et Roubion est mise aux voix et adoptée avec enthousiasme par l’unanimité des Conseillers présents, à l’exception de MM. Gamel, Bagarry et de Gassier.

 


[1] Député de Paris, extrême gauche, ancien exilé de 1851.

[2] Denise Devos, La Troisième République et la mémoire du coup d’Etat de Louis-Napoléon-Bonaparte. La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881, Archives nationales, 1992, p. X.

[3] Joseph Blaise Roubion est alors propriétaire à Moustiers, maire et conseiller général d’Aups.

[4] Jean Baptiste Amédée Gamel est président honoraire du tribunal civil de Marseille. Il habite La Cadière et est conseiller général du canton du Beausset.

[5] Louis Bagarry, avocat, maire orléaniste et conseiller général de Brignoles.

[6] Ernest de Gassier, grand propriétaire et conseiller général du canton de Rians.

[7] Honoré Pastoret, avocat à Nice, conseiller général du canton de Fayence.