La première proposition d’indemnisation (1872)

Ce document fait partie d’une série consacrée à l’inauguration du monument d’Aups.

 

La première proposition d’indemnisation des victimes du coup d’Etat

 

Le 31 juillet 1881, le député de l’arrondissement de Brignoles, Amaury Dréo, prononce un discours lors de l’inauguration du monument d’Aups. Il y rappelle qu’il fut le premier à proposer devant l’Assemblée une indemnisation des victimes du coup d’Etat, le 21 décembre 1872.

 

Amaury Pierre Dréo est né le 7 décembre 1829 à Rennes. Gendre de Garnier-Pagès, pris avec lui dans le procès des Treize en 1863, secrétaire du gouvernement de la Défense nationale en 1870, il est élu député du Var de 1871 à 1882. D’abord radical, un des 363 en 1877, il se range à l’opportunisme en 1881. Décédé le 11 septembre 1882 à Trouville.

 

Journal Officiel de la République française, 22 décembre 1872, page 8013

 

M. le président. M. Dréo a la parole pour le dépôt d’une proposition de loi.

M. Dréo. J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Assemblée une proposition de loi qui se compose d’un article unique et dont je lui demande la permission de donner lecture :

« Article-unique. – Une commission d’enquête parlementaire, composée de trente membres, sera nommée par l’Assemblée nationale à l’effet de rechercher, parmi les citoyens français victimes du coup d’Etat du 2 décembre 1851, ceux qui ayant été atteints dans leur position, dans leur fortune, ou dans leurs moyens d’existence ont droit à une indemnité.

Cette commission soumettra ses propositions à l’Assemblée, qui statuera définitivement. » (Exclamations et mouvements divers.)

M. Galloni d’Istria[1], ait milieu du bruit. Il faut rechercher aussi les désastres causés par la révolution du 4 septembre et indemniser tous ceux qui ont eu à souffrir des conséquences de cette révolution néfaste.

M. Dréo. Je demande l’urgence. Je n’ai qu’un mot à dire pour justifier ma demande. Messieurs, la proposition que nous avons l’honneur de vous soumettre, plusieurs de mes collègues et moi, est considérée par nous, et j’estime qu’elle le sera par vous, comme un acte de réparation dont la justice et la moralité ne nous paraissent pas contestables.

J’ajouterai que vous venez aujourd’hui même de rapporter définitivement le décret du 2 janvier 1852[2]. Eh bien, messieurs, avant que ce décret eut été rendu, le coup d’Etat avait été fait, des citoyens en avaient été victimes. (Interruptions sur divers bancs.)

M. Charles Abbatucci[3]. Et le 4 septembre !

M. Dréo. Je n’ai plus qu’un mot à ajouter, messieurs ; veuillez l’entendre.

Je dis qu’avant, le décret du 2 janvier 1852 que vous venez définitivement de rapporter, des violences avaient été commises, un coup d’Etat avait été effectué. Des citoyens, pour la défense des lois et de la Constitution violées, avaient sacrifié les uns leur vie, les autres leur fortune et leur position. (Oh ! oh! à droite. — Très-bien ! à gauche.)

M. Lestourgie[4]. N’oubliez pas le 4 septembre! (Bruit.)

M. Dréo. Je le répète, nous considérons qu’il y a là, un acte de réparation et de justice à faire par cette Assemblée. (Nouvelles interruptions à droite.)

Remarquez-le, messieurs, ces citoyens auxquels je fais allusion ne se sont pas plaints. Au lendemain des désastres de la France, ils n’ont, eux, rien réclamé ; ils n’ont songé qu’à une chose : aux douleurs, aux désastres de la France ; et à la possibilité de les réparer avec la République et la liberté. (Bruit à droite.)

Mais c’est à nous, messieurs, qu’il appartient de rechercher les victimes du coup d’Etat, qui ont oublié leurs propres infortunes pour ne se rappeler que celles de la patrie ; c’est à nous de leur venir en aide en leur allouant des indemnités qui constitueront un grand exemple et une juste réparation.

Je persiste donc à demander l’urgence pour notre proposition. (Approbation à gauche.)

M. le président. M. Dréo demande l’urgence pour sa proposition. Je la mets aux voix.

(L’urgence est mise aux voix et n’est pas déclarée.)

M. le président. La proposition est renvoyée à la commission d’initiative parlementaire.

 

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Le projet est repoussé sur le rapport de Théophile Bidard[5] qui argue de l’irresponsabilité du gouvernement en place[6].

 


[1] Jérôme Galloni d’Istria (1815-1890), député bonapartiste de Corse.

[2] Lire 22 janvier. Il s’agit des décrets confisquant les biens de la famille d’Orléans. L’Assemblée vient de les abroger quelques instants plus tôt, et ainsi rendre ses propriétés à cette famille.

[3] Jean-Charles Abbatucci (1816-1885), député bonapartiste de Corse.

[4] Marie Casimir Auguste Lestourgie (1833-1885), député de Corrèze.

[5] Théophile Jean Marie Bidard (1804-1877), député orléaniste d’Ille-et-Vilaine.

[6] Denise Devos, La Troisième République et la mémoire du coup d’Etat de Louis-Napoléon-Bonaparte. La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881, Archives nationales, 1992, p. X.