Quelques éléments sur la résistance de décembre 1851 à Barjols

page mise en ligne le 30 avril 2021

Cette page présente seulement quelques éléments locaux retenus pour la conférence donnée à Barjols le 10 mai 2019 par Frédéric Negrel. Vous voudrez bien en excuser l’écriture.

La video est disponible sur le site de l’Université populaire de Barjols.

  

Quelques éléments sur la résistance de décembre 1851 à Barjols

 

Lors de l’élection présidentielle de décembre 1848, Barjols donne seulement 8 % des voix à Louis-Napoléon Bonaparte contre 68 % à Ledru-Rollin.

 

Aux élections législatives de 1849, Barjols place en tête les démocs-socs Etienne Achard (le maire), Arnaud, Ledru-Rollin et Albin Thourel.

 

Le 16 janvier 1849, jour de la St Marcel, 4 à 500 rouges, dont un grand nombre des localités environnantes, défilent à travers la ville au chant de la Marseillaise. Louis Mealy, délégué du club de la Montagne, marchait en tête du cortège, vêtu d’un manteau rouge, ses compagnons ayant revêtu des vestes à collet rouge. Louis Mealy, que les gendarmes ont pris pour un Parisien, était en fait un émissaire des Républicains toulonnais.

 

Les principaux animateurs du parti républicain barjolais, les frères Louche, ont prénommé leurs enfants Cabet, Barbès et Raspail, et Thomas Moulan a prénommé son fils Félix Pyat.

 

Barjols compte 3302 habitants en 1851. La plupart des actifs sont cultivateurs mais la ville a aussi une activité industrielle. On y trouve : des tanneries, des cordonneries, une papeterie, une fabrique de cartes à jouer, des distilleries, quatre minoteries, cinq moulins à huile, une cotonnerie.

 

On dénombre 12 chambrettes à Barjols.

Louche cadet a fondé la Société des amis réunis ou du niveau, la chambrée rouge, noyau de la société secrète, QG de la résistance. On y reçoit le Populaire de Cabet.

Les chambrées de la Fraternité et des Montagnards reçoivent le Peuple.

 

La Fraternité républicaine est dissoute le 21 août 1849.

Le 26 novembre 1850, enlèvement de portraits de Ledru-Rollin, Barbès et Raspail du café Ducros.

 

A Barjols, la société secrète se tient dans la chambrée de la Société des amis réunis qui se trouve dans la maison Constans, esplanade de la Rouguière.

Il y avait 18 à 20 chefs de section en décembre 1851.

Président : Louis Trotobas, ouvrier corroyeur

Vice président : Louis Granier, cultivateur, ex marin

Trésorier : Etienne Agnely, cultivateur.

 

La liste de la répression recense 111 affiliés.

La société secrète est dirigée par des taillandiers (fabricants d’outils de taille), les trois frères Louche : André, Antoine Clerc et Joseph François dit cadet[1].

Les réceptions à la société ont lieu chez eux, dans leur campagne.

 

Si l’on ne connaît pas les dates des premières affiliations, on sait qu’elles ont été faites par un boulanger de La Verdière, Louis Arnaud, visiblement peu après que ce village a créé sa société, venue de Gréoux, au début de 1850.

Les Barjolais vont faire des initiations à Rians, Brue-Auriac, Fox-Amphoux, jusqu’à Jouques et St Paul. Louche cadet a fondé la société de Tavernes.

 

La loi du 31 mai 1850 ampute de 32% le corps électoral de Barjols.

 

La nouvelle du coup d’Etat arrive à Barjols le jeudi 4 décembre.

On pouvait voir des groupes qui se rendaient sur l’esplanade de la Rouguière boire et manger à la chambrée rouge.

 

Le vendredi 5, les groupes devinrent plus nombreux car on vit arriver une masse d’ouvriers et de cultivateurs qui ont quitté leurs travaux sur l’ordre qui leur a été donné (par exemple, on va au domaine St Ferréol de M. Delille pour faire quitter leur travail à la quarantaine de paysans).

Louis Trotobas va à Brignoles prendre les ordres de Constant.

Au cabaret Ducros on projette de changer la municipalité et de désarmer les gendarmes.

 

Le samedi 6, dès le point du jour, le rappel est battu par tambour. A 8h, une colonne de 2 à 300 hommes armés, tambour, drapeau rouge en tête, se forme sur la Rouguière et se rend à l’hôtel de ville où elle se place en carré.

Au milieu de ce carré devant Hôtel de Ville, monté sur une table, Joseph Maille dit Cafetier, ouvrier tanneur, proclame Louis Napoléon Bonaparte coupable de haute trahison et déchu de ses fonctions, la dissolution du conseil municipal et la formation d’une nouvelle municipalité. Etienne Achard est maintenu maire, André Louche adjoint. Casimir Gérard, Jean-François Simon, Honoré Pons, cordonnier, Jean Joseph Constans cadet, Jean Louis Gueidon cadet, Joseph Antoine Sumian, menuisier, Etienne Agnely, Etienne Beauciel, tanneur, Marius Tissot tanneur en sont les autres membres.

Procès verbal est dressé par Eugène Fassy, signé par Trotobas, nommé commandant de place et envoyé à Brignoles, au sous-préfet de l’insurrection, Constant.

On place des sentinelles sur toutes les avenues de la ville, on s’empare de la poudre chez le buraliste Victor Trucy contre reçu ; on s’empare du bureau de poste pour se saisir des dépêches ; on visite le bureau de la diligence pour vérifier les paquets

Après-midi, nouvel appel au tambour : une colonne commandée par Louis Fassy se dirige sur Ponteves avec drapeau rouge portée par la Césarine Maille l’épouse de Cafetier, puis sur Tavernes.

Les sentinelles ne laissent sortir de la ville que les personnes munies de laisser-passer délivrés par la commission municipale

 

Le dimanche 7, arrivée le matin des insurgés de Varages et de la Verdière. Ces derniers, drapeau rouge en tête, sont dirigés par Charles Edouard. On l’appelle aussi Charles de la Blaque, du nom de sa campagne. Il est le président de la société de La Verdière, société marraine de celle de Barjols. C’est lui qui pousse les Barjolais au départ. Il impressionne la foule : « Il était bien vêtu et il parlait français. »

M. Mathieu fils et sa dame ainsi que Mlle de Ponteves voulaient partir pour Marseille, on les bloque : c’est l’ordre du peuple souverain. Le maire Achard, qui leur avait donné un laisser-passer, intervient pour les laisser partir. Les sentinelles refusent ; Achard menace de démissionner. Un nouveau laisser passer est délivré.

Vers les 10h, une colonne insurrectionnelle part pour Salernes formée des détachements de Barjols, Varages, La Verdière et Ponteves. Antoine et le cadet Louche sont en tête des Barjolais. En tout 250 hommes.

Le soir on publie la réquisition des armes ; on forme une garde nationale.

 

Le lundi 8 décembre, au matin, nouveau départ de 25 à 30 hommes pour Salernes sous la conduite d’André Louche.

Dans l’après-midi, derrière un tambour, arrive une colonne de Bras et Brue-Auriac. Elle s’arrête sur la Rouguière. Quelques Barjolais se joignent à eux pour partir vers Salernes.

Le soir vers 7h, un estafette, Thomas Arnoux dit Trabuc, apporte de Salernes un ordre signé Laverny portant qu’il fallait envoyer 200 hommes à Cotignac. Louis Trotobas (ouvrier tanneur) renvoie l’estafette disant que l’on n’enverrait pas les hommes demandés mais qu’au contraire on voulait le retour des Barjolais étant à Salernes.

Arrivent ensuite deux émissaires de Brignoles demandant une levée en masse, en tête de laquelle on placerait les principaux du pays.

 

Le mardi 9, le matin, arrive une réquisition du maire de Fox demandant 400 kg de pain. On rassembla plus de pain que demandé mais il ne put être acheminé : une des charrettes n’arriva pas à Fox, l’autre fit demi-tour et le pain fut distribué aux pauvres de Barjols.

Le soir, on apprend qu’une colonne de l’armée composée de fantassins et de cavaliers était arrivée à Brignoles.

 

Le mercredi 10, les sentinelles sont retirées et les corps de garde abandonnés.

Le colonel Sercey, parti de Marseille et arrivé à Brignoles le 9 décembre, marche ensuite sur Barjols où il arrive vers 4h de l’après-midi. Il s’installe sur la Rouguière avec deux pièces de canon.

Le commandant Duchemin établit une garnison temporaire dans la ville.

Pendant ce temps, les Barjolais sont à Tourtour avec Arambide. Et parmi eux, Ferdinand Martin, dit Bidouré, qui deviendra le martyr, varois puis national, de la résistance de 1851[2].

 

La répression a établi une liste de 115 insurgés. Soixante-douze vont être condamnés :

26 à la surveillance

6 à l’internement

1 à 6 mois de prison par le tribunal correctionnel

2 à l’éloignement

31 à la déportation en Algérie moins, dont plusieurs contumace (6 Barjolais se sont réfugiés à Nice)

5 à l’Algérie plus (ils sont tous transportés)

1 à Cayenne : Jean-Baptiste Blanc, dit Sauveur, tanneur, gracié le 29 juillet 1856.

 

 

Durant plusieurs semaines, sur la route départementale n°5 qui, depuis Quinson via Montmeyan et Barjols, relie les Basses-Alpes au port de guerre de Toulon, ce sont des convois quasi-journaliers de proscrits bas-alpins, enchaînés deux à deux, que l’on traîne vers la déportation.

 

 

Mais le parti républicain n’est pas mort à Barjols. En juillet 1852, « l’arbre de la Liberté est toujours entretenu à Barjols. Le journal l’Union du Var s’en indigne et la gendarmerie abat l’arbre. La population se tait, mais chacun en prend un débris et l’emporte comme une sainte relique. »

 

En 1858, par la loi de sûreté générale, des républicains barjolais sont de nouveaux condamnés à l’internement en Algérie :

Jean-Baptiste Blanc, dit Sauveur, tanneur, celui-là même qui avait été transporté à Cayenne. « Repris de justice. Plus mauvais que jamais. »

Jean-Louis Bouis, cordonnier-cultivateur, « Toujours exécrable ».

Louis-Pierre-Eugène Fassy, fabricant tanneur. « Ex-adjoint à la municipalité insurrectionnelle. Toujours dangereux. »

 

En janvier 1863 meurt à Barjols un ancien transporté d’Algérie. C’est le petit cultivateur Marcel Barlatier. Rentré au pays, il avait quelque temps travaillé dans une tannerie avant de retourner aux champs. « Son convoi, rapporte le procureur impérial, avait attiré un nombre plus considérable de personnes que (ne) le comportait la position sociale qu’il occupait (…). Les ouvriers tanneurs dominaient dans le cortège et ceux de la fabrique dans laquelle Barlatier avait travaillé pendant quelque temps s’y trouvaient au grand complet conduits par leur contremaître, ancien affilié aux sociétés secrètes des Basses-Alpes et connu encore aujourd’hui pour ses opinions avancées ». Manifestation calme, sans discours.

 

C’est Eugène Fassy, après quelque temps d’exil à Nice qui va diriger le parti républicain. II fait sa rentrée politique, d’abord aux législatives de 1865, en soutenant ouvertement le candidat d’opposition, puis aux municipales de 1865 où il est élu avec sa liste d’opposition, il devient maire.

 

Eugène Fassy, dès le 5 septembre 1870, a proclamé la République et envoyé une adresse au gouvernement provisoire.

André Louche sera président de la commission municipale et maire jusqu’en 1874).

 

Lors de la Commune de Paris, le conseil municipal déclare que :

« Tout citoyen patriote, à cœur droit et honnête, doit désirer ardemment la cessation d’une guerre fratricide qui ruine et affaiblit la France, et ce, non par la victoire qui ne résoudrait rien, mais bien par la conciliation, au moyen de concessions mutuelles.

Tels sont les vœux que le Conseil municipal de Barjols, soussigné, poste aux pieds de M. Thiers, républicain, chef du pouvoir exécutif, sur lequel il compte pour faire droit et justice à toute la France républicaine« 

 

Soixante-quatre résistants recevront en 1881 une pension aux victimes du coup d’Etat. Ils fêteront le 24 février 1882 l’anniversaire de la Seconde République par un “banquet des victimes de 51”.

 

Jean Marie Guillon a étudié la souscription du monument à Martin Bidouré érigé sur la Rouguière :

« Après le monument d’Aups érigé en 1881, une deuxième vague d’initiatives commémoratives marque le début du XXe siècle. Martin Bidouré est alors héroïsé. Il entre dans la toponymie urbaine de diverses localités, Toulon en particulier où l’avenue et la place principale (celle de l’Eglise) du bastion ouvrier du Pont-du-Las lui sont attribuées en 1904. En 1901, un comité a lancé une souscription pour qu’une statue soit érigée en son honneur dans sa commune natale de Barjols. Dirigé par Octave Vigne, vice-président du Conseil général, futur député socialiste et militant du mouvement viticole, il est patronné par le sénateur Victor Méric, fils de l’un des héros de l’aventure, accompagné par tous les autres parlementaires, radicaux ou socialistes, du département. L’appel lancé le 3 décembre dans Le Petit Var lie cette initiative et la situation politique du moment, alors que “les forces de la contre-révolution se comptent et se liguent pour donner un furieux et désespéré assaut à l’œuvre de la Révolution et enrayer toute marche vers le progrès”. Le monument de Barjols qui porte sur son socle l’inscription “à Martin Bidouré” est inauguré en 1906. »[3]

 

 

C’est également le professeur Guillon qui a relevé la manifestation du 1er mai 1944 à Barjols devant le monument de Martin Bidouré où est inscrit : « La résistance à Martin Bidouré ».[4]

 

Frédéric Negrel

 


[1] à ne pas confondre avec le Louche Joseph dit Ledru-Rollin, cultivateur de Seillons, 42 ans, qui sera interné à Ajaccio.

[2] A son sujet, lire René Merle, « Martin Bidouré, fusillé deux fois », Bulletin de l’Association 1851-2001, 12, octobre/novembre 2000.

[3] Jean-Marie Guillon, « Une histoire sans légende ? La résistance au coup d’Etat du 2 décembre 1851 », dans Montagnes, Mémoire, Méditerranée. Mélanges offerts à Philippe Joutard, Grenoble-Aix, Musée Dauphinois et Publications de l’Université de Provence, 2002.

[4] Jean-Marie Guillon, « Villages varois entre deux républiques », dans La France démocratique. Mélanges offerts à Maurice Agulhon, sous la direction de Christophe Charles et alii, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, pp. 99 – 105.