LA RÉSISTANCE AU COUP D’ETAT A VIDAUBAN
LA RÉSISTANCE AU COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 À VIDAUBAN
par Jean-Bastien Urfels Mémoire pour l’obtention de la maîtrise, sous la direction de Jean-Marie Guillon Année 2000-2001
QUATRIÈME PARTIE LES DÉMOCRATES APRÈS LE COUP D’ÉTAT
CHAPITRE 11 : Les proscrits sous l’Empire. L’Empire reste un période contrastée pour tous les républicains. La répression sévère a provoqué, outre l’affaiblissement considérable du mouvement démocrate, une adhésion populaire au régime. Un état policier et autoritaire est mis en place, poursuivant la restriction des libertés acquises en février 1848. Mais la volonté du nouveau gouvernement de créer un large consensus autour de sa politique aboutit à des mesures d’indulgence envers les insurgés, dont les peines vont être commuées ou annulées. Cet assouplissement du cadre répressif, ajouté au rétablissement du suffrage universel, va jouer sur le long terme en faveur du républicanisme. Le processus de reconquête de l’opinion publique, accéléré par la défaite militaire du 4 septembre 1870, va se poursuivre jusqu’en 1879. Il en va autrement pour de nombreuses communes “ rouges ” de la Seconde République, dont Vidauban. Soumise dans un premier temps à l’autoritarisme du régime, elle va connaître une évolution plus rapide. En effet, les progrès des idées radicales y sont enregistrées dès la période “ libérale ” de l’Empire, preuve que le parti républicain, mené par les anciens insurgés, s’est reconstitué et a repris la lutte, bénéficiant d’un soutien populaire croissant. Ainsi, il semble que le degré de politisation atteint à Vidauban en 1851 ait évité aux démocrates de s’organiser ex nihilo. Toutefois l’expérience de la défaite, les souffrances endurées pendant la répression, mais aussi le temps qui a passé, ont sensiblement modifié les cadres et les principales figures républicains. Pour analyser l’influence de ces facteurs et distinguer les signes de résurrection du parti républicain à Vidauban, il faut tout d’abord déterminer les effets de la répression ; puis nous discernerons les mesures d’apaisement engagées par le pouvoir impérial, pour évoquer enfin l’action politique proscrits.
11.1 Les effets de la répression. Le parti républicain de Vidauban est très affaibli après la répression. On compte, selon André Compan[1], 17 Vidaubannais réfugiés dans le comté de Nice. Nous avons pu en retrouver seize, inscrits sur un état nominatif de la Commission mixte[2]. Parmi eux, on trouve Célestin Maillan. Son exil marque la fin de sa carrière politique ; en effet, malgré la commutation de sa peine[3], il rest à Nice où il ouvre un commerce de vins en s’associant avec le dénommé Mayer. D’autres cadres du mouvement montagnard se sont exilés, tels que Isaac Voltrain, Baptistin Jouannet, Florentin Robert, Émile Truc et Jules Sermet. Ce dernier, condamné pour viol par les tribunaux sardes, décède en prison le 22 avril 1856. Les transportations en Algérie viennent renforcer l’impression d’une Montagne décapitée. Le 2 mars 1852, un premier convoi de 243 Varois quitte Toulon pour l’Algérie, à bord de la frégate Labrador où les “ transportés [se livrent] à quelques manifestations, entonnant Le chant du départ ou La Marseillaise ”[4]. 25 démocrates de Vidauban embarquent dans ce convoi, dont Frédéric Cavalier, Célestin Sermet, Alfred Truc et Alexandre Dubois. Si l’on ajoute à cette liste les 5 expulsés et les 2 éloignés, il apparaît que les principaux chefs de l’insurrection et de la société secrète ont été chassés de Vidauban. Privés de leur encadrement, les républicains subissent également le retour de l’ancienne municipalité. En effet, Victor Bernard est récompensé de sa fidélité au coup d’État : il retrouve immédiatement son siège de maire. Mais son attitude révèle une volonté de créer un consensus fondé sur l’ordre public ; tout d’abord, il semble tenir compte des événements de décembre en révoquant le commissaire Terrasse. Cette décision provoque l’indignation de l’ancien brigadier de gendarmerie, ennemi tenace des montagnards : “ C’est au moment où je m’y attendais le moins que ma révocation est arrivée […] d’un dévouement irrécusable j’ai été interné pendant trois jours par les insurgés. Vos deux derniers prédécesseurs ont-ils oublié que je leur ai dénoncé l’existence de sociétés secrètes à Fréjus et Vidauban. Aux dernières élections [le plébiscite de 1851] j’ai distribué plus de 80 bulletins OUI que les gens ont mis devant moi dans l’urne ”[5]. Terrasse a visiblement été révoqué en raison de l’animosité d’une partie de la population, surtout les familles d’insurgés, contre le commissaire. Victor Bernard adopte donc une attitude plus modérée qu’auparavant, autorisant systématiquement le retour des proscrits bénéficiant d’une amnistie[6]. Il est vrai que celui qui va rester maire de Vidauban jusqu’en 1871 a tout intérêt à ménager les insurgés et leurs familles qui représentent une grande partie de la population, d’autant plus que la vie de la commune doit être bouleversée par le déficit d’actifs. Certaines activités, comme la bouchonnerie et certains commerces, doivent être ralenties par le brusque manque de main-d’œuvre. La population, à l’image de toutes les localités qui ont résisté au coup d’État, doit être en état de choc. Ce dernier aspect est peut-être à l’origine du vote favorable des habitants au plébiscite de décembre 1851. Sur 487 votants, seuls deux Non sont enregistrés. L’adhésion au gouvernement est confirmée lors des élections législatives, mais elle n’est en rien exceptionnelle ; “ la plupart des communes démocrates votent docilement en donnant leurs voix au candidat officiel : c’est le cas des Arcs, […], Cogolin, La Garde-Freinet, Le Luc, Salernes, Vidauban, Gonfaron, Baudinard, toutes ces communes votent bien ”[7]. Le retournement de l’opinion publique vidaubannaise est sûrement provoqué par un sentiment de peur et de soumission : la répression est un “ argument électoral ” pour les autorités. En effet, les familles et les proches des insurgés veulent sans doute faire oublier leurs liens avec l’insurrection, tout comme les personnes qui ont été arrêtées et emprisonnées, avant la mise en place des Commissions mixtes. De plus, la lettre de protestation du commissaire Terrasse, citée plus haut, mentionne des procédés électoraux peu démocratiques : quand le policier se fait fort d’avoir “ distribué plus de 80 bulletins OUI que les gens ont mis devant [lui] dans l’urne ”, il semble que le scrutin est loin d’être libre. Mais il ne faut pas non plus occulter l’expression d’une réaction à travers ces votes favorables. Les conservateurs ont certainement été choqués par les événements de décembre, et trouvent en Napoléon III un refuge contre les “ rouges ” ou les “ partageux ”. Enfin, la popularité du régime est renforcée, dès 1852, par une série de mesures d’indulgences envers les insurgés qui apparaissent comme une tentative d’apaisement.
11.2 Des tentatives d’apaisement : grâces et commutations de peines. Le 26 mars 1852, un décret du prince-président nomme le conseiller d’État Quentin-Bauchard commissaire extraordinaire. Ce dernier est chargé de réviser les décisions des Commissions mixtes. La mission de Quentin-Beauchard est le fruit d’un évident calcul politique : Louis-Napoléon Bonaparte veut provoquer l’adhésion aux autorités issues du coup d’État. Il s’agit de gagner par le soutien populaire une légitimité contestable d’un point de vue juridique. En fait, “ M. Quentin-Beauchard ne vint pas seulement diminuer, supprimer, commuer des condamnations. Il vint surtout pour rallier les populations au gouvernement de décembre ”[8]. Cette première marque d’indulgence concerna essentiellement la commutation de peines de transportation en internement. Ainsi Célestin Maillan, condamné le 25 février 1851 à 10 ans d’Algérie, voit sa peine transformée en internement à Tarbes[9]. De plus, Joseph Pellegrin, menuisier de 26 ans, est finalement condamné à la surveillance à Vidauban grâce à l’intervention du curé de la commune auprès de Quentin-Beauchard[10]. Cependant, faute d’un état nominatif exhaustif des bénéficiaires de l’action du commissaire extraordinaire dans le Var, il est difficile de mesurer le nombre exact de Vidaubannais concernés, d’autant plus que les mesures prises sont provisoires. En effet, le 2 février 1853, un décret impérial ordonne plusieurs grâces[11] : 27 insurgés de la commune sont totalement graciés, tels que Baptistin Jouannet, Frédéric Cavalier et Jean Barthélémy. Ce dernier peut donc quitter le bagne de Cayenne et revenir dans ses foyers. 4 montagnards sont encore graciés en 1853, 15 en 1854, 1 en 1855. Enfin, le 16 juillet 1856, à l’occasion de la naissance du prince impérial, l’autorisation de rentrer en France est accordée à tous ceux qui acceptent de reconnaître le gouvernement et lui font leur soumission ; 6 républicains, dont Alexandre Dubois et Jacques Goirand, obtiennent la grâce provisoire. Au total, 52 des 72 condamnés par la Commission mixte ont vu leur peine annulée entre 1852 et 1856. Finalement, la majorité des insurgés de décembre 1851 est de retour à Vidauban, 5 ans plus tard. La politique du prince-président, puis de l’empereur, ne manque pas cependant de soulever l’inquiétude des autorités, notamment préfectorales. Le préfet s’est par exemple opposé à la demande d’amnistie de Célestin Sermet, dont la peine de déportation en Algérie avait été commuée le 6 novembre 1854 en mise sous surveillance. Le 29 octobre 1856, il transmet au ministre une lettre du maire de Vidauban, dans laquelle Victor Bernard qualifie son confrère[12] de débauché, rappelant que son père “ a toujours été révolutionnaire ” et qu’il a toujours montré des “ opinions socialistes très avancées et proudhoniennes contre la propriété ”[13]. La gendarmerie aussi s’inquiète fréquemment du retour de certains individus, tels que Jacques Goirand et Édouard David, qui auraient “ provoqué l’effroi chez les gens d’ordre de la commune ”[14]. De la même manière, le capitaine commandant la gendarmerie du Var écrit au préfet, le 20 avril 1852 : “ Si la bienveillance de M. le prince-président n’avait atteint que les égarés ou ceux qui s’étaient laissés entraîner par ignorance elle aurait été généralement approuvée et aurait produit le plus grand bien, mais malheureusement plusieurs chefs contumax ont été graciés et le gouvernement ne doit pas compter de ramener à lui pareils hommes qui tôt ou tard causeront sa ruine. Le sieur Vautrin [Voltrain] pharmacien à Vidauban condamné à 10 ans d’Afrique et Bouchard ex-huissier à Brignoles contre lesquels j’avais fait plusieurs rapports, même avant les événements de décembre, ont obtenu leur grâce ”[15]. Cette lettre nous indique qu’au niveau local, les décisions de clémence sont perçues comme un dangereux affaiblissement de la répression antirépublicaine. Les conservateurs craignent une reconstitution du mouvement montagnard. Les faits confirment leurs craintes rapidement, car les militants républicains de Vidauban reprennent peu à peu leurs activités politiques.
11.3 La reprise de l’activité politique républicaine. Dès leur retour, les démocrates les plus déterminés reprennent leurs activités, certes restreintes par la surveillance des autorités et les mesures très autoritaires du régime, tel que le décret impérial du 25 mars 1852 interdisant toute réunion de plus de 20 personnes. Ainsi, les états nominatifs rédigés par la gendarmerie, où figurent “ les personnes dangereuses pour l’ordre et la tranquillité publique appartenant au parti démagogique ”[16] font souvent mention de Vidaubannais, tels que Célestin Sermet, Alfred Truc, Antoine Gayol ou Édouard David. Certains rapports confidentiels sur les anciens insurgés nous renseignent également sur le rôle actif de plusieurs proscrits de Vidauban. Joseph Pellegrin, par exemple, est l’objet d’une lettre du commissaire départemental au préfet. L’émetteur indique que, refusant la commutation de sa peine en surveillance, le menuisier a préféré s’expatrier à Malte où il s’est associé avec Clérian du Luc. De retour à Marseille en décembre 1853, il passe les fêtes de Noël à Vidauban, en toute illégalité, puisqu’en rupture de ban. Il aurait avoué dans le courrier qui le ramenait à Marseille qu’il était ami avec Alfred Gaillard – auteur, selon le rapport, de la machine infernale de Marseille –. Ce Gaillard serait le correspondant à Malte du comité de Londres, appelé en Angleterre par Ledru-Rollin ; Pellegrin semblerai sur le point de le remplacer, espérant bien devenir “ le correspondant du fameux comité révolutionnaire européen ”[17]. Au-delà de la véracité des faits rapportés par la gendarmerie, ce courrier illustre bien les soupçons portés par les autorités sur les anciens insurgés. En outre, même si l’agitation n’est en aucun cas comparable à celle de la période 1849-1851, certains événements fournissent aux républicains l’occasion de manifester leur hostilité au pouvoir impérial. Le 11 septembre 1855 notamment, des troubles éclatent autour de l’enterrement d’Antoine Gastinel, cordonnier condamné à la transportation en Algérie. Une manifestation de 30 à 35 personnes est organisée, menée par Eugène Marin, Marius Sauvaire et Donat Julien[18]. Elle ne donne cependant lieu à aucune poursuite judiciaire, même si la gendarmerie renforce sa surveillance des militants vidaubannais. Une résurrection du parti républicain s’opère donc. Quelques renseignements, comme la création de chambrées ou de sociétés de secours mutuel regroupant les proscrits et permettant d’organiser l’opposition, nous manquent toutefois pour confirmer cette tendance. En revanche, les consultations électorales nous apportent de précieux renseignements sur la renaissance des opinions démocratiques. Aux élections de mai-juin 1869, les voix de l’opposition augmentent sensiblement[19] : les républicains, conduits par Édouard David, réalisent environ 35% des suffrages. Ce progrès est d’autant plus encourageant que le nombre assez élevé d’abstentions – plus de 41% des inscrits – laisse espérer une mobilisation de la partie hésitante de l’électorat en faveur des démocrates. Le plébiscite du 8 mai 1870 vient confirmer cette analyse : comme le note Émilien Constant, “ la majorité gouvernementale tombe à presque rien, les Non atteignant 48,4% de voix ; les progrès de l’opposition par rapport à 1869 paraissent venir d’abstentionnistes gagnés au radicalisme ”[20]. Il apparaît donc que les républicains ont nettement reconstitué leurs forces politiques dans la commune, de 1852 à 1870. Toutefois, l’utilisation par M. Constant du terme “ radicalisme ” pour qualifier les opposants au régime en 1870, est révélatrice d’une réalité plus complexe. En effet, comme plusieurs sources nous l’ont confirmé[21], certains insurgés se sont rapprochés des autorités et du pouvoir. Deux situations peuvent être distinguées : tout d’abord des insurgés qui, après la répression, se sont ralliés à l’Empire, mais surtout des proscrits qui ont soutenu la candidature d’Émile Ollivier aux élections de 1869. Ils se sont détachés peu à peu des radicaux, “ républicains irréconciliables ”[22]. Ainsi, pour des raisons et dans des conditions que nous examinerons ultérieurement[23], une scission semble s’être opérée au sein du mouvement républicain de décembre 1851.
La période impériale ne marque pas la fin du mouvement républicain à Vidauban. Même si la répression a profondément marqué les mentalités villageoises, les mesures de clémence du pouvoir, fondées sur un calcul politique, se sont finalement retournées contre les autorités. Comme le redoutaient les conservateurs locaux, les principaux cadres du soulèvement de 1851 ont repris la lutte. Malgré l’adhésion initiale de la majorité de la population, et le ralliement de certains montagnards à l’Empire, ils ont su retrouver leur influence au sein de la population, preuve d’une imprégnation républicaine durable. Avec la chute inattendue du régime et la proclamation de la République, ils se retrouvent désormais en position de force pour rendre à Vidauban son statut de pôle démocratique.
[1] André Compan, “ Les réfugiés politiques provençaux dans le Comté de Nice, après le coup d’État du 2 décembre 1851 ”, Provence Historique, tome VII, fasc. 27, janvier-mars 1957, p. 67. [2] A.D.V., 4 M20 6, état nominatif des contumax de Vidauban. [3] Cette commutation intervient après la soumission de Maillan aux autorités. [4] Émilien Constant, Le département du Var sous le Second Empire et au début de la Troisième République, th., 1977, tome 1, p. 22. [5] Lettre du commissaire Terrasse au préfet du Var, citée in G. Gayol, op. cit. [6] Nous n’avons trouvé aucune trace de refus du maire conservateur. [7] E. Constant, Le département du Var, op. cit. [8] CH. Dupont, op. cit., p. 143. [9] Il est gracié le 26 mai 1856. [10] A.D.V., 4 M31 4, lettre du commissaire départemental du Var au préfet, le 26 janvier 1854. Ce document constitue la seule référence à l’action de l’ecclésiastique pendant ou après les événements de décembre. [11] A.D.V., 4 M31 4, liste des condamnés politiques graciés par le décret impérial de 2 février 1853. [12] Les deux hommes sont d’anciens chirurgiens militaires reconvertis dans le civil. [13] A.D.V., 4 M31 4, lettre du maire de Vidauban au préfet, le 29 octobre 1856. [14] A.D.V., 4 M20 6, lettre du lieutenant de gendarmerie Buisson au préfet, le 25 mars 1852. [15] A.D.V., 4 M20 6, lettre du capitaine commandant la gendarmerie duVar au préfet, le 20 avril 1852. [16] A.D.V., 4 M33, états nominatifs dressés par la gendarmerie, juillet 1853 et octobre 1855. [17] A.D.V., 4 M31 4, lettre du commissaire départemental au préfet du Var, le 26 janvier 1854. [18] Ibid., lettre du commissaire de police du Luc au préfet du Var, le 12 septembre 1855. [19] Nous avons choisi de ne pas mentionner les scrutins précédents qui ne révèlent pas une progression notable du parti radical. [20] É. Constant, op. cit., t. 5, p. 1395. [21] Ces renseignements sont notamment tirés d’un rapport rédigé en 1881 par la municipalité républicaine. [22] Alain Plessis, De la fête impériale au mur des fédérés, 1852-1871, Seuil Points Histoire, p. 218. [23] Cette adhésion de plusieurs insurgés à l’idéologie conservatrice fera l’objet d’une étude spécifique dans le chapitre 12.
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