LA RÉSISTANCE AU COUP D’ETAT A VIDAUBAN

LA RÉSISTANCE AU COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 À VIDAUBAN

 

par Jean-Bastien Urfels

Mémoire pour l’obtention de la maîtrise,

sous la direction de Jean-Marie Guillon

Année 2000-2001

 

INTRODUCTION GÉNÉRALE

 

La “ légende noire ” du Second Empire, construite par Victor Hugo et les historiens républicains dès la seconde moitié du 19e siècle, a fait depuis les années 1970 l’objet de nouvelles interprétations. Elles tendent, pour la plupart, à rappeler que le régime de Napoléon III n’a pas été qu’autoritaire, et que les progrès économiques réalisés durant cette période sont le fruit d’une politique résolument moderniste qui pourrait justifier certains travers politiques. Notre but n’est pas de nous engager dans un débat historiographique, mais de rappeler que la critique du pouvoir impérial, certes employée comme instrument de propagande, “ n’est pas dénuée de fondements ”[1]. Ainsi, la dénonciation de la mise en place illégale du régime, avec le coup d’État du 2 décembre 1851, ne s’apparente pas à une construction politicienne et postérieure : dans plusieurs régions, des démocrates se sont levés et ont résisté, au nom du droit républicain, au coup de force des conservateurs bonapartistes.

Comme dans de nombreuses localités du Var, département qui fournira le contingent d’insurgés le plus important, un mouvement de résistance populaire se constitue à Vidauban, le 3 décembre 1851. Au-delà de son caractère apparemment anecdotique, ce soulèvement d’une commune réputée “ rouge ” de longue date est révélateur du caractère novateur de l’événement ; En effet, pour la première fois depuis 1789, la province ne se contente pas de constater et d’enregistrer les bouleversements politiques qui interviennent à Paris. À un niveau local, une communauté villageoise d’à peine plus de 2 000 âmes se sent responsable et solidaire du devenir de la nation.

Pourtant, la période qui a précédé le 2 décembre avait préparé l’opinion publique à accepter la mainmise bonapartiste sur le pouvoir. La dérive autoritaire du régime républicain, instauré en février 1848, était perceptible depuis les journées de juin, et surtout l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Les républicains appartenaient désormais à une opposition progressivement comprimée et surveillée. Peu à peu, le président Bonaparte constituait autour de lui une force politique autonome, se détachant du comité de la rue de Poitiers qui l’avait soutenu en décembre 1848. Or, l’année 1852 qui approchait laissait entrevoir deux échéances : la sortie de charge présidentielle, inéluctable après l’échec de la tentative de révision de la constitution, et les élections législatives, succès annoncé du parti républicain. C’est pourquoi le président de la République s’empare du pouvoir, en violation totale de son serment solennel. La résistance à Paris est rapidement maîtrisée, mais une partie de la province se soulève spontanément du 3 au 14 décembre. 1789, 1830 et 1848 avaient montré le poids politique de la capitale ; 1851 illustre l’éveil de la province. Le mouvement populaire se développe conformément aux articles 68 et 110 de la constitution de la Seconde République, promulguée le 4 novembre 1848. Ceux-ci prévoient les dispositions suivantes :

“ Toute mesure par laquelle le président de la République dissout l’Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à son mandat, est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance (art. 68) […] L’Assemblée nationale confie le dépôt de la présente Constitution, et des droits qu’elle consacre, à la garde et au patriotisme de tous les Français (art. 110).[2] ”

Au nom de ces principes, près de 90 communes participent, dans le Var, à un mouvement qui prend fin avec la défaite d’Aups, le 10 décembre 1851. Parmi elles, les observateurs et historiens se sont souvent intéressés aux localités emblématiques de la résistance et du républicanisme, telles que Le Luc, Brignoles, ou La Garde-Freinet. L’étude de l’insurrection à Vidauban a certainement quelque peu pâti de la proximité de ces pôles “ démoc’soc ” renommés et influents, malgré un engagement réel. En fait, les événements qui s’y sont déroulés ont été évoqués, jusqu’à une récente recherche de M. Georges Gayol[3], à travers deux points de vue : tout d’abord, dans la dénonciation, engagée par Eugène Ténot[4], des crimes du coup d’État, notamment le meurtre du vidaubannais Célestin Gayol à Lorgues. Mais l’implication de Vidauban est avant tout rappelée dans l’analyse de la formation de la colonne insurrectionnelle varoise, commandée par le journaliste Camille Dutheil, qui s’est organisée dans la commune, dans la nuit du 6 au 7 décembre.

Pourtant, Vidauban appartient aux municipalités où plus de 3 % des habitants ont été inculpés de participation à l’insurrection, au moment de la répression[5]. De plus, le tiers de la population masculine, tous âges confondus, s’est trouvé engagé dans la colonne municipale en marche vers Aups, avec l’armée des insurgés. Autant de facteurs qui poussent à s’interroger sur les conditions de ce mouvement, d’autant plus que le déroulement “ classique ” et désormais connu de l’insurrection varoise revêt ici une originalité. En effet, on retrouve souvent deux étapes dans le soulèvement : une phase municipale, où la déchéance du président de la République est annoncée par le renversement et le remplacement des autorités qui lui sont restées fidèles, et une phase départementale, où les insurgés se regroupent avec les républicains des villages voisins pour marcher sur la préfecture. On retrouve bien, du 3 au 6 décembre, puis du 7 au 10 décembre, ce schéma à Vidauban. Mais il est rendu plus complexe par des divisions internes qui provoquent plusieurs hésitations et certaines tensions dans l’action des insurgés. Elles sont dues à une scission au sein du parti républicain entre modérés et exaltés qui s’opposent sur la stratégie à adopter.

C’est pourquoi, sans trop anticiper sur l’analyse des faits insurrectionnels, notre attention s’est autant portée sur l’engagement massif des Vidaubannais, que sur les divergences qui semblent naître entre les démocrates, au moment du coup d’État. Cette double approche s’est enrichie de l’observation du légalisme constant manifesté par les insurgés, pour orienter nos recherches vers l’observation et l’évaluation du républicanisme des habitants de la commune. Ainsi, la spontanéité de la mobilisation contre l’usurpateur, mais aussi les difficultés éprouvées dans l’orientation du mouvement municipal, conduisent à s’interroger sur le degré de politisation atteint par les républicains en décembre 1851, au sein de la population.

Pour mesurer cette imprégnation démocratique, notre étude s’articule donc autour d’un triple questionnement. Il s’agit, tout d’abord, de déterminer les conditions favorables à une acquisition des idées avancées à Vidauban, pour discerner les voies et les moyens de diffusion de ces opinions nouvelles. En outre, il est nécessaire de distinguer quelles parties de la population sont touchées ; ainsi nous pourrons vérifier si l’adhésion des Vidaubannais à la République, correspond au processus de “ descente de la politique vers les masses ” évoqué par Maurice Agulhon, dans son étude des populations varoises[6]. Mais il sera également important de démontrer, en examinant les données politiques de Vidauban après le coup d’État, si cette politisation républicaine apparaît profonde et durable.

Nous envisagerons donc la position privilégiée de Vidauban, au cœur d’une zone de contacts et d’échanges, et les premiers contacts de la population avec les idées libérales. Puis, l’étude de la vie politique sous le Seconde République nous permettra d’observer l’organisation et l’action du parti républicain ; nous pourrons ensuite évaluer son efficacité dans le combat pour la République, du 3 au 10 décembre 1851. Enfin, l’évocation du rôle et de la place des démocrates après le coup d’État, pourra souligner la permanence et le progrès des opinions républicaines dans la commune.

                                                               



[1] François Caron, La France des patriotes, de 1851 à 1918, Histoire de France, tome 5, Fayard, Livre de poche, 1985, p.13.

[2] Les Constitutions de la France depuis 1789, Garnier-Flammarion, 1970, textes présentés par Jacques Godechot, p. 271 et 277 (Si le lieu d’édition n’est pas indiqué, il s’agit de Paris).

[3] Georges Gayol, “ Vidauban et le coup d’État de 1851 ”, Bulletin de la Société d’Études archéologiques et scientifiques de Draguignan, tome XXXIX, 1998.

[4] Eugène Ténot, La Province en décembre 1851, Étude historique sur le coup d’État, Armand Le Chevalier, 1868.

[5] 72 insurgés ont été condamnés par la Commission mixte de Draguignan, soit 3,3 % environ de la population.

[6] Maurice Agulhon, La République au village, Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République, Seuil, 1979, chapitre VI.