La province en décembre 1851

La province en décembre 1851

Étude historique du coup d’Etat

par Eugène Ténot

Chapitre VI

Départements du Midi 

Marseille et le Var

seconde partie

Duteil aurait voulu camper à Lorgues, mais les autres chefs s’y opposèrent, craignant une attaque de nuit de la garnison de Draguignan. Il fut décidé que, malgré la distance et la fatigue des hommes, on pousserait jusqu’à Salernes.

Le départ eut lieu à la tombée de la nuit. Les prisonniers de Lorgues furent réunis à ceux du Luc, de la Garde-Freynet. Quelques-uns étaient en voiture. M. de Commandaire, prétextant des rhumatismes, obtint d’aller ainsi et en profita pour s’évader pendant la nuit.

Nous avons dit ce que nous pensions des arrestations de citoyens inoffensifs opérées par les insurgés. Ces réserves faites, nous devons déclarer que la position des prisonniers n’était nullement ce que l’on pourrait imaginer. Leur escorte était commandée par un républicain du Luc, homme convaincu et homme de coeur, M. P. David. Les prisonniers ont été unanimes dans leur reconnaissance pour les égards qu’il leur témoigna. Aucun d’eux n’était attaché ; ils marchaient librement, causant entre eux et avec leurs gardiens et plus d’une fois avec gaîté.

A Salernes, ils furent conduits d’abord à la Mairie dans une salle bien chauffée et, bientôt après, transférés à l’hôtel Basset.

— Le lendemain, dit M. Maquan, on nous servit un repas somptueux pour la situation.

M. de Gasquet exprima le désir de se confesser ; P. David fit aussitôt appeler un prêtre qui put librement communiquer avec tous les prisonniers.

— Ces messieurs du Luc, dit le même narrateur, paraissaient, pour le moins, aussi tranquilles que nous; M. Amalric, surtout, montrait une gaîté imprudente, peut-être.

Tous les prisonniers avaient pu écrire à leurs familles et les rassurer sur leur sort. Les lettres avaient été expédiées par les soins des insurgés.

Ces égards étaient certainement dus à des citoyens arrachés arbitrairement à leurs familles et à leurs travaux. Cependant, nous voudrions bien savoir si les verdets de 1815 traitaient ainsi leurs prisonniers, jacobins ou buonapartistes[1].

La colonne insurgée approchait donc de Salernes. M. Maquan fait un assez curieux tableau de cette ville.

« Un parfait accord régnait entre les pauvres et les riches, les patrons et les ouvriers, les bourgeois et les paysans de Salernes. »

Un grand propriétaire démocrate, un notaire voltairien et un mauvais instituteur, formaient, d’après le pieux écrivain, l’infernal trio qui avait corrompu Salernes.

Il parait toutefois que « cette population conservait un fond d’honnêteté, d’autant plus remarquable, qu’il se faisait jour à travers une épaisse couche de préjugés démagogiques et révolutionnaires[2]. »

La nouvelle du Coup d’État y avait été accueillie de la plus étrange façon.

Ces naïfs républicains crurent que cet événement allait être la cause infaillible de l’avénement de la République démocratique et sociale. Ils protestèrent donc par… une joyeuse farandole. Il est vrai que le tambourin et le galoubet traditionnels ne conduisaient pas la danse chère aux Provençaux ; on les avait remplacés par la Marseillaise.

Le dimanche soir, on annonça l’arrivée de l’armée démocratique. Le crieur public fit savoir qu’on eût à faire la soupe et à préparer des logements pour trois mille hommes.

L’enthousiasme qui s’empara de cette population est indescriptible.

Cabriolets, chars à bancs, charrettes, véhicules de toute espèce partirent pour recueillir les traînards. Les ménagères s’empressèrent de préparer le repas, tandis que les hommes couraient à la rencontre.

A onze heures du soir, les insurgés firent une entrée presque triomphale. Les sombres rues resplendissaient de lumières. Les acclamations, les poignées de main, les accolades n’en finissaient pas. Les habitants se disputaient les insurgés pour leur donner la plus cordiale hospitalité. Ce joyeux désordre était si grand que l’un des prisonniers put sortir et circuler sur la place sans que nul ne fit attention à lui.

Les gens du Luc et de la Garde racontent encore avec émotion la fraternelle réception de Salernes.

Cependant le préfet et le colonel Trauers quittaient le Luc, le lundi matin, et assez mal informés par les gens du pays, se portaient sur Lorgues où ils croyaient les insurgés en position. Après le départ de ceux-ci, une Commission révolutionnaire s’était installée à la Mairie, soutenue par les rares démocrates de la localité. Il faut bien le dire, cette héroïque population, comme l’appelle M. Maquan, n’avait pas eu le facile héroïsme de l’en empêcher. Il fallut les douze cents baïonnettes du colonel Trauers pour y rétablir l’autorité.

Le préfet nomma M. Roux maire de la ville, et M. de Commandaire, récemment évadé des mains des insurgés, commandant de la garde civique qui s’organisa aussitôt.

Apprenant à Lorgues la marche des insurgés sur Salernes, la colonne de troupes se porta sur Draguignan. A la hauteur du village de Flayosc, elle rencontra un détachement républicain, qui était resté en arrière-garde. Cette bande échangea quelques coups de fusil avec les tirailleurs. Un seul soldat fut blessé.

Le préfet Pastoureau prit aussitôt la direction du département des mains de M. de Romand et proclama l’état de siège.

La journée du mardi fut consacrée à s’informer de la position réelle des insurgés et à faire reposer les troupes.

Ajoutons que dans cette journée du mardi, la ville de Lorgues fut de nouveau en proie à la plus affreuse panique. Sur le bruit de la marche d’une bande d’insurgés revenant de Salernes, la garde civique s’évanouit ; le nouveau maire et le nouveau commandant se trouvèrent presque seuls. Toute la population s’enfuit et se cacha dans la campagne[3].

Le lundi, Brignoles avait été occupée par la troupe. Le colonel de Sercey avait quitté Marseille le dimanche avec un bataillon d’infanterie, deux pièces de canon et quelques hussards. Il devait opérer dans la partie occidentale du Var et entrer dans les Basses-Alpes, après avoir occupé Brignoles et Barjols.

Les républicains brignolais, après avoir songé à barricader la ville et à la défendre, renoncèrent à leur projet et partirent emmenant avec eux quinze quintaux de poudre, et armés de fusils de la garde nationale, pris à la Sous-Préfecture. Ils se dirigèrent sur Salernes

Cette journée du lundi fut celle où commença la démoralisation des insurgés. Les journaux interceptés leur apprirent, de manière à n’en pouvoir douter, la pacification de Paris et la tranquillité de toutes les grandes villes. Ils apprenaient en même temps la marche des troupes envoyées contre eux.. Les chefs se méfiant déjà de Duteil, ne cachèrent pas assez ces nouvelles pour qu’il n’en transpirât quelque chose dans la masse.

Cependant, l’arrivée continuelle de nouveaux contingents de tous les points des cantons de Salernes, Cotignac, Barjols, etc., entretenait une animation factice et diminuait les inquiétudes qui commençaient à se faire jour.

A vrai dire, pour les chefs intelligents, tous ces renforts n’étaient guère un motif d’assurance. Les insurgés de ces contrées étaient loin d’avoir l’ardeur et les convictions qui animaient les contingents du Luc et de la Garde-Freynet. Pauvres paysans, ne comprenant guère ce qui leur mettait les armes à la main, ils allaient comme enivrés de bruit et de clameurs, peu résolus et sentant déjà le regret d’avoir quitté leurs villages.

P. David, dans un moment d’abandon, disait aux prisonniers :

— J’aimerais mieux n’avoir que mille hommes bien armés et résolus que toute cette cohue qui nous arrive.

Dans la nuit du lundi au mardi, une fausse alerte eut lieu, les insurgés ne se comportèrent pas trop mal. Le bataillon du Luc sortit avec ardeur et alla bivouaquer sur la montagne.

Le contingent des Arcs et celui de Salernes étaient partis à l’entrée de la nuit pour aller occuper Aups, gros bourg situé à quelques lieues à l’est.

Le mardi arrivèrent les insurgés brignolais. MM. Giraud et Constant, celui même qui s’était d’abord opposé à la prise d’armes, conduisaient cette colonne. Leur arrivée ne contribua guère à relever le moral des insurgés. Il était évident qu’ils reculaient devant les troupes envoyées contre eux.

La démoralisation faisait des progrès. Beaucoup d’insurgés comprenaient qu’ils jouaient une partie déjà perdue. Tous, au reste, sentaient qu’ils n’avaient à leur tête qu’un chef sans force et sans talent. Duteil avait achevé d’user le peu d’autorité qui lui restait. Ses menaces continuelles de faire fusiller les insubordonnés, menaces jamais suivies d’effet, le discréditaient complètement. Il était évident qu’il n’avait aucun plan de conduite, et que sous sa direction, le mouvement était sans but. Comme il arrive toujours en pareil cas, des bruits de trahison circulaient dans cette foule soupçonneuse[4].

Parmi les chefs, il fut question de le déposer. On offrait le commandement au docteur Campdoras ; mais celui-ci refusa en prétextant sa jeunesse.

Cependant Duteil prit ce jour-là quelques mesures raisonnables. Il fit occuper par Arambide et son bataillon les hauteurs de Tourtour, excellente position qui barre la route de Draguignan à Aups ; un autre détachement occupa Villecrose, et le gros des insurgés reçut ordre de se porter sur Aups.

Cette position était meilleure que celle de Salernes. Elle éloignait les insurgés de la route suivie par le colonel de Sercey et permettait en cas d’échec une facile retraite sur les Basses-Alpes. Ajoutons que la route d’Aups à Draguignan abondait en excellentes positions défensives.

Le mardi soir, toutes les bandes se portèrent donc sur Aups, occupé déjà par les insurgés de Salernes et une foule de paysans des communes voisines. Le nombre des insurgés réunis autour de ce point dépassait six mille.

Au moment où Camille Duteil marchait sur Aups, le préfet et le colonel Trauers prenaient la résolution d’occuper cette ville, le lendemain. M. de Sercey devait atteindre Barjols ce jour-là. Les insurgés que l’on supposait toujours à Salernes allaient être serrés dans cette ville par le colonel Trauers à Aups ; et le colonel de Sercey à Barjols. Un mouvement concentrique devait les mettre entre deux feux et les écraser infailliblement.

Le mercredi matin, 10 décembre, le préfet Pastoureau et le colonel Trauers se mirent en marche avec onze compagnies du 50e de ligne, cinquante gendarmes à cheval et vingt-cinq cavaliers du train. Le jeune comte de Colbert dont le père était au nombre des otages du Luc, s’était joint volontairement à la troupe. Les chefs de l’expédition ignoraient toujours la présence du gros des insurgés à Aups.

La route que suivit la colonne est l’une des plus difficiles de la Provence. Elle parcourt un pays de montagnes coupé de ravins et de défilés. Au pont de Floreyès surtout, la route, après avoir franchi un profond ravin, est dominée des deux côtés par des escarpements énormes. Une poignée d’hommes résolus auraient suffi pour y arrêter un régiment. Camille Duteil ne s’était nullement mis en peine de cela. Arambide, qui campait à Tourtour avec cinq ou six cents hommes, ne s’était pas montré plus intelligent que son chef. Sa troupe campait précisément en arrière de l’escarpement et sur le point du plateau le plus facilement abordable.

La colonne expéditionnaire franchit la gorge de Floreyès sans trouver même un avant-poste. A Tourtour, même incurie. Cavalerie et infanterie furent sur le plateau avant d’avoir été signalées par les insurgés. La cavalerie prit le galop pour leur couper la retraite sur Aups. Elle y réussit parfaitement. Les hommes d’Arambide s’enfuirent sans avoir tiré un coup de fusil. Leur déroute fut si rapide que pas un homme ne put se détacher pour porter à Aups la nouvelle de l’arrivée des troupes[5].

La colonne, pleine d’ardeur, poursuivit son chemin et arriva vers dix heures du matin à 1 kilomètre d’Aups sans autre rencontre que celle d’un insurgé à cheval qui fut pris et fusillé. Nous reviendrons sur cet incident resté célèbre dans le Var.

A Aups, la nuit s’était passée parfaitement tranquille. Les prisonniers avaient trouvé à l’hôtel Crouzet une hospitalité empressée. L’arrivée des chefs brignolais, Constant et Giraud, amis personnels de l’un d’eux, avait encore contribué à adoucir leur position.

L’imagination des chroniqueurs s’est beaucoup exercée sur cette nuit du 9 au 10. Dans un conseil tenu par les chefs, on aurait décidé le massacre des prisonniers. D’après plusieurs journaux, ils auraient comparu devant ce conseil, et l’on citait même les griefs reprochés à plusieurs d’entre eux.

Enfin, des poulies destinées à servir d’instruments de supplice étaient pendues aux arbres de l’esplanade. L’arrivée de la troupe aurait miraculeusement sauvé les otages de la pendaison.

Nous avons eu à coeur d’éclaircir cette question.

Disons d’abord que le fait des poulies est parfaitement exact. Le 8 décembre, il y a tous les ans à Aups une foire, dite la foire du massacre, en souvenir de quelque sanglant épisode des guerres de religion. Tous les ans, ce jour-là, les bouchers font pendre aux arbres de l’esplanade des poulies, auxquelles ils suspendent le bétail égorgé, qu’ils débitent ensuite sur place. Or, ces poulies étaient là lorsque les insurgés entrèrent à Aups, et personne n’avait songé à les enlever[6].

Quant au fait du conseil tenu dans la nuit et de l’ordre du massacre, le récit parait provenir d’un fougueux chef d’insurgés des environs d’Aups, très-connu sous le surnom de Manchot. Le Manchot se vanta d’avoir forcé Duteil, le pistolet sur la gorge, à révoquer l’ordre de meurtre.

Le Manchot mentait. La famille de Gassier, appartenant au parti réactionnaire, dans la maison de laquelle Camille Duteil passa la nuit, a toujours affirmé qu’il dormit, cette nuit-là, d’un long et profond sommeil.

Ajoutons que tous les autres chefs, au témoignage de leurs hôtes, ne bougèrent de leurs chambre jusqu’au lendemain.

Quant aux prisonniers, ils ne comparurent devant aucun conseil. Ils passèrent très-bien la nuit à l’hôtel Crouzet, David dormant au milieu d’eux.

Le seul conseil tenu cette nuit-là fut une réunion de quelques individus d’Aups, auxquels le Manchot proposa d’envoyer un émissaire au préfet, pour le prévenir de ce qui se passait[7].

De l’aveu de M. Maquan, qui y était, et qui n’est pas suspect de partialité pour ses ennemis, la vie des prisonniers n’a pas été menacée. Un seul courait des dangers. C’était lui. Et encore ! « — Si nous sommes vainqueurs, aurait dit un chef, à son hôte, nous ferons comparaître M. Maquan devant nous, et nous lui dirons : Vous nous avez traités de pillards et d’assassins. Eh bien ! voyez si nous sommes tels que vous nous représentez. Nous vous laissons aller libre, sain et sauf. — Mais si nous sommes vaincus, aurait ajouté ce chef, il faut qu’il meure[8]. »

Le mercredi matin, Duteil, averti par un émissaire de la marche du colonel de Sercey, et ne doutant pas qu’il ne s’avançât contre lui, réunit quelques chefs en conseil, et proposa d’aller prendre position dans les Basses-Alpes, derrière le Verdon, qui forme la limite des deux départements. Personne ne fit d’objections; cette nouvelle retraite fut décidée.

Dans une grande revue passée à huit heures, le départ fut annoncé aux insurgés et appris avec tristesse par la majeure partie des paysans, qui regrettaient déjà d’être si loin de leurs foyers.

Le départ devait avoir lieu à midi. Les insurgés se répandirent par la ville, se munissant de tout ce qui paraissait nécessaire pour une campagne d’hiver. Un chef faisait réunir des pelles, des pioches et autres outils pour se retrancher sur le Verdon. Des ouvrières rassemblées au couvent travaillaient à confectionner des blouses.

Pendant ce temps, Duteil avait, à ce qu’il parait, décidé que la ville d’Aups serait frappée d’un emprunt forcé. Une commission, dans laquelle on remarquait Brunet, le clerc d’avoué de Draguignan, s’occupa sur-le-champ de taxer les principaux propriétaires.

Il fallait toutefois veiller à ce que la retraite se fit sans surprise. Duteil, ne songeant qu’à la colonne de Sercey, fit observer la route de Brignoles par le contingent des Arcs postés à Fox-Ampoux [lire Fox-Amphoux] et celui de Salernes à Banduers [lire Bauduen]. Il poussa lui-même une reconnaissance jusqu’à Sillans, et une avant-garde partit pour occuper le pont du Verdon. Pendant qu’en général expérimenté, il prenait toutes ces précautions pour s’éclairer du côté par lequel l’ennemi ne pouvait venir, il laissait sans un avant-poste la route de Draguignan.

Tranquillisé sans doute par la présence d’Arambide à Tourtour, il n’avait nullement songé à assurer ses communications avec lui.

Il y a plus, bien que le fait puisse paraître singulier dans un pays où les habitudes militaires sont aussi répandues qu’en France, il n’avait pas une sentinelle placée aux abords d’Aups. Il se borna à expédier à Arambide une seule estafette avec ordre de se replier sur Aups.

A dix heures, lorsque la troupe était à peine à une demi-lieue de distance, les insurgés restés à Aups, et dont le nombre dépassait quatre mille hommes, se massèrent sur l’esplanade pour la revue qui devait précéder le départ. La lassitude, les méfiances, les appréhensions, le regret d’aller s’enfoncer dans les montagnes, rendaient sombre et silencieuse cette foule d’ordinaire si bruyante.

L’esplanade d’Aups est une vaste promenade plantée d’arbres, située un peu en avant de la ville. Un parapet la borde et domine les prairies au pied desquelles passe la route de Draguignan. Elle s’ouvre à l’ouest du côté de Barjols ; à l’est on y pénètre par une vieille porte, le portail Saint-Sébastien ; en arrière, au nord, est la ville, la Mairie et l’hôtel Crouzet, un peu vers l’ouest. La rue Saint-Pancrace traverse la ville et donne issue sur les montagnes par le portail des Aires.

Il n’eût pas été difficile de défendre cette position ; si même l’esplanade avait paru trop accessible, les montagnes qui dominent la ville au nord offraient une autre position très-forte avec la retraite assurée sur les Basses-Alpes.

Mais Duteil sans méfiance s’était bien gardé de faire les moindres dispositions. Il haranguait ses hommes qui, le dos tourné au parapet, l’écoutaient avec distraction, lorsqu’un cri s’éleva : Voilà les soldats !

La troupe débouchait à quatre cents pas de l’esplanade par le chemin de Draguignan.

Le colonel Trauers avait eu bientôt pris ses dispositions. La rencontre de Tourtour lui avait appris à ne pas redouter de semblables ennemis.

Quelques compagnies déployées en tirailleurs s’élancèrent de front, remontant les prairies pour entrer sur l’esplanade en escaladant le parapet. Tout le reste de la colonne s’avança rapidement, la cavalerie en tête, pour déboucher par la porte Saint-Sébastien sur la gauche des insurgés.

Cette foule si diverse de dispositions et de courage, surprise à l’improviste par une attaque si peu attendue, se troubla. Les rangs vacillèrent ; la confusion commença. Beaucoup d’hommes étaient sans munitions. Un chef s’élança, un panier de cartouches à la main ; il les distribua en exhortant les insurgés à tenir bon par quelques paroles rapides. Ces exhortations produisirent peu d’effet.

Camille Duteil, effaré, descendit de cheval, s’entoura de quelques chefs, et courut au contingent de la Garde-Freynet, le plus solide de tous. Il donna l’ordre de prendre par la rue Saint-Pancrace pour gagner les hauteurs. Il était trop tard pour cette résolution. Le contingent de la Garde-Freynet s’ébranla cependant, en bon ordre, et se dirigea tambour battant vers le portail des Aires.

Ce mouvement de recul produisit un effet désastreux sur les insurgés. Le bruit se répandit comme l’éclair parmi la foule encore rangée sur l’esplanade, que Duteil venait de s’enfuir en criant : Sauve qui peut !

Les tirailleurs commençant le feu du milieu des prairies augmentaient la confusion, lorsque tout à coup, la cavalerie débouchant au galop, par la porte Saint-Sébastien, se rue sur les insurgés. Le contingent du Luc veut tenir bon. Il est sabré. La déroute la plus épouvantable commence. Les paysans éperdus s’enfuient en masse, par la droite, comme un torrent qui s’écoule, vers les chemins de Sillans, Fox, Uchane. La cavalerie s’acharne à leur poursuite.

L’infanterie débouche sur l’esplanade déjà vide et dirige une vive fusillade sur les maisons qu’elle croit garnies de combattants. Quelques fuyards du Luc se rallient aux abords de l’hôtel Crouzet, font volte-face et ripostent. Leur décharge attire sur ce point le gros de l’infanterie qui crible les fenêtres d’une grêle de balles.

C’était là qu’étaient les malheureux otages. Au comble de la joie en voyant la victoire de leurs libérateurs, ils essaient de se faire connaître. Les soldats furieux n’écoutent rien ; ils les prennent pour des insurgés et continuent de fusiller les fenêtres de l’hôtel. La situation était horrible. M. Pannescorce, l’un des prisonniers de la Garde-Freynet, veut descendre dans la cour. Une balle frappe l’espagnolette de la croisée, ricoche, le frappe dans le flanc et lui fait une blessure mortelle.

MM. de Gasquet et Andéol de Laval s’élancent au devant des soldats pour les désabuser. Ceux-ci les criblent de coups de fusil. M. de Gasquet échappe à cette décharge. Mais Andéol de Laval, pris pour un chef d’insurgés, est frappé à bout portant de coups de feu, de coups de baïonnette, avec un acharnement barbare. Le malheureux se débat aux pieds des soldats qui ne s’arrêtent que las de le cribler de balles[9].

Ce jeune homme ne succomba pas à ses blessures. Par un bonheur providentiel, la fureur des soldats ne leur avait pas laissé assurer leurs coups. Sa casquette était percée à jour, ses vêtements lacérés en tous sens par les balles, sa cravate déchirée par les coups de baïonnette, sans qu’il eût cependant reçu de blessures mortelles.

Son action ne fut pas inutile; on se reconnut, et les otages échappèrent au danger cruel et inattendu, d’être massacrés par leurs libérateurs.

Ces événements s’étaient passés en moins de temps qu’il n’en faut pour les raconter. Au même instant quelques compagnies s’élançaient vers ce portail des Aires, par où venait de sortir le contingent de la Garde-Freynet.

Immédiatement au-dessus, et dominant la ville, s’élevait un mamelon planté d’oliviers et surmonté d’une chapelle. Duteil, Campdoras, Ferrier et quelques autres chefs s’y étaient arrêtés et faisaient battre le rappel, espérant y rallier les fuyards.

La troupe déboucha au pas de course par le portail des Aires et fut arrêtée subitement par une vigoureuse fusillade. Surprise d’abord de cette résistance inattendue, elle riposta vivement. Le combat, très-vif pendant un quart d’heure, ne dura pas. Les insurgés gagnèrent la route des Basses-Alpes et battirent en retraite sans être poursuivis. Ils étaient à peine cinq à six cents, presque tous de la Garde-Freynet. Dans ce court engagement, la troupe avait eu deux officiers et quelques soldats blessés; un seul grenadier avait été tué.

Pendant qu’un peu de résolution permettait aux gens de la Garde-Freynet de battre en retraite sans pertes, les fuyards qui couvraient la plaine d’Uchane, étaient impitoyablement sabrés par la cavalerie. Les gendarmes, exaspérés par le désarmement de tant de leurs camarades, ne faisaient pas de quartier. Le contingent du Luc, qui avait déjà laissé bon nombre de morts ou de blessés sur l’esplanade d’Aups, perdit encore quelques hommes. Nous pouvons nommer quelques-uns de ces braves gens, qui tombèrent pour la République et qui étaient dignes de mourir pour une noble cause : Hippolyte Maurel, Aymard, Laborde, Étienne Villeclaire, etc. Un pauvre journalier du Luc, nommé Pascal Brun, abandonna son fusil à la vue des gendarmes, et n’en reçut pas moins neuf blessures, auxquelles il a échappé par miracle.

Le nombre des insurgés tués fut, au moins, de cinquante, et celui des blessés beaucoup plus considérable. On fit à peu près quatre-vingts prisonniers.

La déroute d’Aups fut le coup de mort de l’insurrection. Toutes les bandes qui tenaient encore la campagne se dispersèrent frappées d’une indicible terreur.

La seule bande qui entourait Duteil resta quelques jours en armes. Elle traversa Riez, Estoublon dans les Basses-Alpes, et gagna la frontière du Piémont, non loin d’Entrevaux.

Le préfet et le colonel Trauers résolurent de compléter leur victoire en marchant sur Salernes qu’ils croyaient encore occupée par d’autres bandes.

La troupe se mit en marche après quelques heures de repos. Les otages délivrés la suivaient, et quatre-vingts insurgés marchaient derrière, enchaînés, la corde au cou.

Malgré la joie de leur délivrance, les otages ne purent se défendre d’une pénible émotion en voyant ainsi attachés, deux à deux, ces hommes qui n’avaient pas été sans égards pour leur malheur.

— Pourquoi les enchaîner ? disaient plusieurs d’entre eux, puisqu’ils ne nous ont pas enchaînés nous-mêmes[10] !

Il nous reste à remplir la partie la plus pénible de notre tâche. Nous arrivons aux excès de la répression, aux fusillades sommaires, aux massacres de sang-froid.

On se souvient de cet insurgé arrêté par la troupe à une lieue d’Aups, dans cette matinée du 10. C’était un homme de Barjols nommé Martin, dit Bidouré. Duteil l’avait envoyé vers Arambide, porteur d’une dépêche ainsi conçue :

« Ordre au colonel Arambide de se porter immédiatement sur Aups avec toute sa troupe.

Le général, CAMILLE DUTEIL. »

Martin fut pris par la cavalerie d’avant-garde et conduit devant le préfet. On le fouilla et on le trouva porteur de la dépêche. L’ordre du ministre de la guerre était formel : fusiller tout individu pris les armes à la main. On l’exécuta, et Martin fut laissé pour mort sur la place[11].

A peine la troupe avait-elle achevé de défiler, que Martin, dont les balles n’avaient fait que labourer la peau du crâne, se releva. II parvint à se traîner vers le château de la Baume qui n’était pas loin de là. Le fermier le recueillit et le soigna. Mais le soir du même jour, le bruit de la défaite d’Aups épouvanta ce paysan, qui courut chez le maire du village, et lui dit quel était l’homme auquel il venait de donner asile. Il est de notre devoir de dire ici que l’honorable M. de la Baume, auquel le peuple attribue, dans le Var, cette dénonciation, était absent du château et n’y rentra que trois jours après.

Le maire s’empressa d’écrire au préfet pour l’informer que le fusillé était vivant et caché chez le fermier de M. de la Baume.

Martin n’était ni plus ni moins coupable que les milliers d’insurgés qui avaient pris les armes comme lui. Il semblait que la mort même n’avait pas voulu de cet homme.

Par ordre de l’autorité, il fut saisi, le vendredi 12 décembre, et conduit à l’hôpital d’Aups pour être fusillé de nouveau, le dimanche suivant.

Le 14 décembre, dit M. Maquan, Martin, après s’être confessé à M. Bonnet, curé de Vérignon, marcha à la mort avec calme, fermeté et résignation.

Martin était un honnête homme, et un homme de coeur. M. Maquan lui-même laisse échapper ces paroles qui, dans une telle bouche, sont le plus bel éloge du malheureux républicain :

« Quel dommage qu’un pareil homme n’ait pas fait le sacrifice de sa vie pour une meilleure cause[12] ! »

Nous avons laissé la colonne en marche sur Salernes. Parmi les quatre-vingts prisonniers qui la suivaient se trouvait un tisserand du Luc, nommé Giraud dit l’Espérance. Interrogé au moment de son arrestation par le colonel Trauers, cet homme avait répondu :

— Demandez à M. de Colbert si je n’ai pas été plein d’égards pour lui lorsque nous l’avons arrêté dans son château.

Lorsqu’on décida l’exécution sommaire de deux prisonniers à Salernes, Giraud fut désigné avec son compagnon de chaîne, Antoine N…, de Vernon [lire Vinon][13]. Ce dernier était un pauvre homme qui devait ce choix au hasard, qui l’avait fait attacher à la même corde que Giraud.

Le jeudi matin, lorsque la troupe quitta Salernes pour continuer son chemin vers Lorgues, les deux prisonniers séparés de leurs compagnons demeurèrent à la Mairie.

Peu après, un peloton de gendarmerie les prit et les mena hors ville. Le capitaine de gendarmerie, Hourlez, était le seul officier présent. A quelques centaines de pas, sur le chemin de Lorgues, la petite troupe s’arrêta près de la chapelle de Saint-Clair. Un gendarme de la brigade du Luc, délivré la veille, le sieur M…[14], reçut ordre d’exécuter lui seul les deux insurgés.

Le gendarme habitait le Luc depuis longtemps, et connaissait bien Giraud. Il s’approcha plus tremblant que le patient :

— Giraud, lui dit-il, pardonne-moi ce que je vais faire. Je suis soldat, je dois obéir.

— Je ne t’en veux pas, répondit Giraud; seulement, fais vite ; ne me fais pas souffrir longtemps.

Ils échangèrent quelques paroles, et s’embrassèrent même.

M… posa le canon de son pistolet sur l’oreille de Giraud, et lâcha la détente. Il tomba.

Une seconde après, un nouveau coup de feu retentit, et Antoine N…, toujours enchaîné, tombait à côté de son compagnon.

Les gendarmes remontèrent à cheval, et regagnèrent au galop la colonne qui les avait devancés sur la route de Lorgues.

Par un bonheur inattendu, l’émotion avait mal assuré la main du gendarme. La balle qui avait frappé Giraud n’avait fait que traverser le haut du cou sans léser aucun organe essentiel à la vie ; celle qui avait frappé son compagnon avait déchiré la membrane du tympan et s’était logée dans la mâchoire.

Giraud n’avait pas même perdu connaissance. Il revint à lui le premier, se détacha, et eut la force de revenir, la nuit suivante, à pied, jusqu’au Luc. Sa femme le soigna, prit le deuil, fit dire des messes pour le repos de son âme. Elle simula une maladie pour donner à un médecin un prétexte de visites sans éveiller les soupçons de l’autorité.

Giraud, promptement rétabli, se réfugia en Piémont, et la part qu’il avait prise à l’insurrection fut jugée si peu grave, qu’il put rentrer amnistié après moins d’un an d’exil.

Antoine N… guérit aussi, mais resta sourd. Il est mort depuis quelques années[15].

C’est de la bouche même de Giraud, aujourd’hui boulanger aux Arcs, que nous tenons les détails circonstanciés que nous venons de donner de cet épisode.

La colonne de troupes arriva bientôt dans la bonne ville de Lorgues.

Les légitimistes de l’endroit avaient retrouvé tout leur héroïsme, après la défaite des insurgés à Aups. La garde civique ne songea plus à fuir comme elle avait fait la veille encore ; elle se mit en campagne pour arrêter les fuyards.

Un détachement se posta au pont de l’Argens, et fit quelques prisonniers.

La colonne de troupes ne séjourna pas longtemps à Lorgues ; mais lorsqu’elle achevait de défiler sur le chemin de Draguignan, que la foule joyeuse fêtait ses otages délivrés, couvrait les soldats d’acclamations et de vivats, la vue d’un triste cortège vint subitement glacer toutes ces effusions.

Cette fois, ce n’était plus deux, mais quatre prisonniers qui allaient mourir. Un gendarme avait, dit-on, cru reconnaître parmi eux ceux qui l’avaient blessé dans l’insurrection. Il les avait désignés, et avait réclamé l’horrible privilège d’être à lui seul leur exécuteur.

Ils marchaient, attachés ensemble, sous l’escorte de quelques soldats ; le gendarme, un bandeau noir sur l’oeil, un fusil double en bandoulière, conduisait le cortège. On dépassa les murs du cimetière, et l’on s’arrêta derrière un massif d’oliviers touffus.

Laissons parler un témoin oculaire[16].

« Au même instant un coup de fusil retentit !

Puis un second.

Puis un troisième.

Sept coups de feu retentissent ainsi.

La foule se précipite…

A quelques pas du chemin, dans un champ d’oliviers, à côté d’une petite masure, dans une mare de sang, gisent, la face contre terre, quatre cadavres, toujours enchaînés, après la mort comme pendant l’agonie !!!

Le vicaire de la paroisse et un père jésuite, dont a nous avions réclamé le ministère, priaient…

Le plus jeune de ces quatre hommes, âgé de vingt ans à peine, a péri victime d’une méprise !… »

Ajoutons que ces quatre malheureux étaient Justin Gayol de Vidauban, Coulet des Arcs, Imbert et Aragon du Muy.

Justin Gayol, la victime d’une méprise, avait non pas vingt ans, mais dix-sept[17].

Nous arrivons au terme de ce chapitre. Quelques mouvements de troupes sur la Garde-Freynet et autres points, achevèrent de rétablir l’ordre. Le désarmement, l’arrestation d’une multitude de démocrates et les rigueurs de l’état de siége, amenèrent promptement un calme matériel qui ne fut plus troublé.

La terreur courba le Var. Quant aux déportations et aux exils qui suivirent, s’il faut s’en rapporter à M. Maquan, le chiffre s’en éleva à mille six cent trente et un. Ce nombre est peut-être au-dessous, mais certainement n’est pas au-dessus de la vérité.

                                                       


[1] Ces détails sur la situation des otages de l’insurrection sont puisés dans la brochure de M. Maquan intitulée : Trois Jours au pouvoir des insurgés.

[2] Insurrection du Var, page 147. — Nous supprimons dans notre citation quelques qualifications diffamatoires que le pieux écrivain             adresse au notaire voltairien, proscrit et impuissant à répondre.

[3] Insurrection du Var, page 116.

[4] La plupart des anciens insurgés du Var sont encore persuadés que Duteil les a réellement trahis. Nous n’en croyons rien. Duteil était sincèrement républicain; il a été incapable, mais non traître. (Note de la première édition.)

[5] Voir le rapport du colonel Trauers et celui du général Levaillant.

[6] Les prisonniers les remarquèrent le mardi soir en arrivant. (Voir Trois Jours au pouvoir des insurgés.)

[7] Cette proposition de trahison à ses camarades faite par le Manchot, est affirmée par M. Maquan dans son livre, Insurrection du Var, pages 166-167.

[8] Voir Insurrection du Var, page 176.

[9] Cette expression est de M. Maquan. Insurrection du Var, page 197.

[10] Maquan, Insurrection du Var, page 127. (Voir, pour le récit de la déroute d’Aups, le rapport du colonel Trauers, celui du général Levaillant et le livre de M. Maquan.)

[11] Nous adoptons ici le récit donné par un grand nombre de journaux qui ont brièvement mentionné l’arrestation et l’exécution de l’estafette. Nous n’ignorons pas qu’il existe de ce fait un récit plus circonstancié et qui lui donne un caractère tout particulier. Ce récit, très-connu dans le Var et même ailleurs, peut être vrai, mais le défaut absolu de preuves nous oblige e le taire.

[12] M. Maquan est le seul écrivain qui ait raconté la seconde exécution de Martin. Aucun journal de l’époque n’en fait mention. Nous nous bornons à résumer son récit, beaucoup plus détaillé, et nous n’y ajoutons aucun fait nouveau. (Voir Insurrection du Var, pages 189-190.)

— Depuis la publication de notre première édition, cet incident a eu un immense retentissement. C’est pour cela même que nous avons tenu à reproduire, sans modifications, notre premier récit de la mort de ce héros modeste, de cet obscur martyr de la République, Ferdinand Martin.

Le temps n’est pas venu où il sera possible de rechercher la vérité vraie, toute la vérité sur ce sanglant épisode. Bornons-nous donc à donner acte à M. le préfet M. Pastoureau, de ses déclarations publiques. Selon ce fonctionnaire, Martin aurait été, dans la première rencontre, à demi massacré par les gendarmes, agissant sans ordre supérieur. Quant à la dernière série du drame, à l’horrible exécution à Aups, du malheureux blessé, M. Pastoureau proteste qu’il y fut complètement étranger. Il était près de Toulon en ce moment ; l’autorité militaire d’ailleurs avait pris la direction du département ; la responsabilité de l’exécution retomberait sur elle. Telle est la version de M. Pastoureau.

[13] Qui ordonna de sang-froid la mort de ces deux citoyens ? M. Pastoureau, qui était présent, serait bien inspiré en donnant au public quelques explications à cet égard. Il est impossible qu’il ne sache pas la vérité.

[14] Un sentiment de réserve, que l’on comprendra sans peine, nous déterminé à ne pas nommer ce gendarme encore vivant et habitant toujours le Var.

[15] M. Maquan est encore le seul écrivain qui ait raconté cette exécution étrange entre toutes. (Voir Insurrection du Var, page 205.) Il est vrai de dire que le chroniqueur honnête et modéré trouve fort plaisant ce triste incident de guerre civile. Il ne tarit pas en agréables plaisanteries. Il fait une peinture tragi-comique du pauvre Antoine N… courant à travers champs.

— Ecoutant toujours et n’entendant jamais rien… Est-il fou ? Non, il est sourd.

C’est assez pour l’empestiez d’être encore séduit par les prédications anarchiques, etc.

Voici pour Giraud :

— La balle s’était montrée intelligente en se logeant, sans trop l’endommager, dans le larynx, disent les uns, dans l’oesophage, disent les autres. C’est pourtant un peu dur à avaler ! Et ainsi de suite, pendant une page et demie.

O charité de dévots et modération des modérés !!!

Ajoutons que le récit de M. Maquan ne diffère du nôtre, pour le fond, qu’en un seul point. Cet écrivain dit que les deux prisonniers auraient été jugés par une commission d’officiers. Giraud nous a déclaré de la façon la plus formelle qu’il n’avait comparu devant aucune commission.

[16] M. Maquan, Insurrection du Var, page 127. Il est encore le seul écrivain qui ait raconté ce lugubre épisode passé sous silence par tous les journaux du temps et demeuré célèbre dans le Var. Nous n’ajoutons à son récit que les noms des malheureux fusillés.

[17] Un étrange passage du livre de M. Maquas semble supposer que Justin Gayol aurait été l’un des prisonniers arrêtés par les volontaires lorguiens. L’auteur veut prouver que les gens du pays ont tort de trouver mauvais qu’un innocent ait péri et d’en garder un peu rancune aux Lorguiens qui l’auraient livré. Il débute ainsi :

« Il était innocent ! et c’est vous qui l’avez livré, disent-ils, c’est toute une population qui l’a tué !

Que son sang retombe sur vous, sur votre ville… »

Et il termine par :

« Qui se sert de l’épée, périra par l’épée ! »

Voir la note F à l’appendice. (Note de la première édition)

— Voici encore un affreux épisode sur lequel M. Pastoureau pourrait donner de précieux renseignements. Il était à Lorgues quand l’ordre de meurtre a été donné, il n’avait pas quitté la troupe, à la tête de laquelle il marchait avec le colonel Trauers. Quel est l’homme qui, de sang-froid, deux jours après le combat, a ordonné le massacre de ces quatre jeunes gens, coupables d’avoir défendu les armes à la main la loi fondamentale du pays ?

Le véritable meurtrier des quatre martyrs de Lorgues ne fut pas l’horrible gendarme qui les tua, ce fut celui qui lui donna mission. La justice éternelle demande le nom de cet homme. Nous n’accusons pas M. Pastoureau, nous déclarons en notre âme et conscience que nous ignorons quel a été son rôle dans cette affaire; mais ce que nous disons hautement, c’est qu’il y va de l’honneur de M. Pastoureau de prouver qu’il fut étranger à cet horrible drame. Il le fera en nommant le coupable ou les coupables. (Note de la deuxième édition)