HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

 Victor Schoelcher

Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852

tome II

Chapitre IX : LA RÉSISTANCE A ÉTÉ FAITE PRINCIPALEMENT PAR LA BOURGEOISIE.

 

§ IV. Transportés.

 

Mais nous n’avons parlé encore que des emprisonnés, des internés, des exilés ; de ceux qui ont souffert seulement dans leur liberté, dans leurs affections patriotiques ou de famille, dans leur fortune ou leurs affaires. Que dire de ceux auxquels on a imposé un tourment plus cruel encore, la transportation, la guillotine sèche, comme l’a si bien nommée notre ami le citoyen Pierre Leroux ? On ne saurait croire ce que Lambessa et Cayenne ont déjà enlevé à la France d’hommes éminents dans les sciences, les lettres, les arts, le barreau, l’industrie.

NANCY, 13 mars. — Sont partis pour Paris et pour être dirigés de là sur Lambessa, M. Quesne, rédacteur du Républicain de la Moselle, etc.

YONNE, 19 mars. — Le convoi parti cette nuit emporte M. Leclerc Changobert, avocat du barreau de Sens.

TOULOUSE, 20 mars. — Un nouveau convoi de soixante-deux prisonniers, dit l’Indépendant de Toulouse du 20 mars, est parti ce matin pour l’Algérie. Parmi eux se trouvent MM. Duportal, rédacteur de l’Émancipation, et Crubailhes, rédacteur de la Civilisation.

NIEVRE, 23 mars. — Dans un convoi qui vient de la Nièvre, se trouvent M. Lenoir, adjoint au maire de Clamecy, et M. Moreau, avocat du barreau de cette ville.

CÔTE-D’OR, 23 mars. — Ont été envoyés au fort d’Ivry, pour être expédiés à Cayenne ou à Lambessa, MM. Jules Cario, négociant à Dijon ancien préfet de la Haute-Saône ; Bernard Echalié, propriétaire ; Marchand, géomètre ; Gédéon, Flasselières, ancien commissaire du gouvernement provisoire à Châtillon ; Bornier, propriétaire à Quétigny ; Jourdenil, cafetier à Châtillon ; Couchot, propriétaire à Échalot ; Gédéon d’Ivory, propriétaire à Châtillon ; Poupon, huissier à Beaune ; Monnoirot, serrurier à Beaune ; les deux frères Rousseau, couvreurs à Beaune ; Léger, vigneron à Beaune ; Roy, aubergiste à Beaune ; Lavocat, confiseur à Nuits ; Dutron, propriétaire à Nuits ; Gustave Gooriel, propriétaire ; Bruillard, perruquier à Bligny-sur-Ouche ; Léger, propriétaire à Beaune.

MEUSE, 26 mars. — Il est arrivé hier à Paris un convoi de transportés venant de Commercy. Ils étaient vingt-quatre. Parmi eux se trouvent un sous-préfet, trois avocats, un maire, deux instituteurs.

GERS, 29 mars. — Au milieu des déportés d’Agen, nous voyons MM. Arexi, avocat ; Baylac, imprimeur ; Prieur, médecin.

MARNE. —Le conseil de guerre siégeant à Paris a sacrifié pour la déportation quatre habitants de Montargis, parmi lesquels figurent un imprimeur aisé, M. Zanotte, et un riche propriétaire foncier, M. Souesme, membre du conseil général de son département.

NORD. — La même peine a été prononcée contre M. Debout, avocat ; M. Allemand, médecin ; et M. Peltot, avocat à Rocroy.

AILLIER. — Sont également condamnés à la transportation : les citoyens Mousset, médecin à Moulins, et Devillars, riche propriétaire à Buxière.

INDRE. — Entre autres transportés de ce département, on compte les citoyens Reynier, ancien huissier au Blanc ; Fressine, clerc d’avoué ; Lambert, rédacteur du Journal de l’Indre ; Baronnet, ancien notaire ; Moreau, propriétaire et maître de poste à Issoudun.

PYRENEES-ORIENTALES, 31 mars. — On écrit de Perpignan : Parmi les soixante citoyens destinés à Cayenne, on cite M. Bonnet de Prades, avoué et propriétaire aisé ; un instituteur d’Estagel, M. Puig, qui laisse une très-nombreuse famille, etc., etc., tous enfin d’une honorabilité inattaquable et qu’on ne fera jamais prendre dans le pays pour des partageux.

SARTHE, 6 avril. — Sont livrés à la transportation, par décision de la commission mixte : M. Granger, pharmacien, membre du conseil général ; M. Trouvé-Chauvel, banquier, ancien constituant, ancien ministre des finances ; M. Viellard-Lebreton, limonadier ; M. Cativel, greffier de la justice de paix, etc.

Un brave ouvrier cordonnier, le citoyen Delaville, qui était à bord du Canada, nous disait naïvement que, sur les quatre cent soixante et quatorze personnes embarquées sur ce vaisseau tortionnaire, il y en avait plus de deux cents « jouissant d’une position sociale », et notamment : MM. Leroy, notaire de Paris ; Garraud, statuaire ; Guérin, chimiste ; Auguste Guérin, libraire ; Deville, professeur d’anatomie ; Deligny, dentiste ; Durrieu, Kessler, Cahaigne, Puget, hommes de lettres ; Martin et Michot, représentants du peuple ; Peirera, ex-préfet du Loiret ; le fabuliste Lachambaudie, etc., etc.

On cite parmi les déportés embarqués le 20 juin sur le Magellan : MM. Ragon, notaire ; Brunat, huissier ; Rochat, propriétaire ; Dugaillon, rédacteur en chef de l’Union d’Auxerre ; Basset, avoué à Carcassonne ; et Collot, professeur.

Telle est pourtant la vile et malfaisante populace qu’on aurait vue fondre sur les riches et faire la guerre aux habits, si la compagnie d’exploitation bonapartiste n’en eût purgé la France.