LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE EN AVEYRON

LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE AU COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 EN AVEYRON

Mémoire de maîtrise présenté par GRÉGORY POUGET 

sous la direction de JEAN-CLAUDE SANGOÏ et JEAN RIVES 

septembre 2002

Deuxième partie : LA RÉPRESSION DU MOUVEMENT RÉPUBLICAIN 

Chapitre V : Répression, arrestations, condamnations

 

A  –  Le temps des arrestations.

 

Les mesures générales et les arrestations à Rodez :

 

Le triomphe de Louis-Napoléon étant complet, son gouvernement prend des mesures pour punir les démocrates qui ont pris part, dans les diverses régions de France, aux soulèvements des premiers jours de décembre. A travers tout le territoire national il fait procéder à de nombreuses arrestations.

 

Des poursuites contre les démocrates ayant participé au mouvement insurrectionnel sont partout engagées, des mandats d’arrêt immédiatement lancés, la gendarmerie et les commissaires de police alertés dans les divers arrondissements. En quelques semaines, les gendarmes – appuyés au besoin par la troupe – vont arrêter la plus grande partie des citoyens convaincus d’avoir procédé aux troubles.

 

Tous les membres de la Commission départementale restés à Rodez sont arrêtés le 5 décembre et conduits à la caserne. Interrogés le 6, ils sont transférés le 8 dans les prisons de la ville.

 

A ces arrestations viennent s’en ajouter 25 autres pour le seul mois de décembre 1851. Pierre Jean Antoine Bousquet, Pierre Pradié et Edouard Laraussie tous trois arrêtés à Marcillac viennent les rejoindre le 9 décembre. Puis c’est au tour de Jacques Sudres le 13 ; de François Lacombe arrêté à Naucelle, de Jean Louis Ricard, d’Auguste Buisson et de Baptiste Couffinhal tous deux de Sauveterre de les y rejoindre le 14 ; Jean Vareilles, Pierre Issaly, Raymond Capelly et Amans Lacaze tous les quatre de Marcillac en date du 16 ; Jean Crespy, Guillaume Albouy et Jacques Garrigues le 21 ; Jean Baptiste Garibal, Louis Condamines et Catherine Andrieu le 26 ; Albouy dit l’hoste, Dominique Albouy dit la Russe et François Acquier le 28 ; Pierre Roux et Henri Cabrolier le 29 ; Augustin Delsescaux le 30 ; et Raymond Barre de Marcillac le 31.

 

Au mois de janvier, les autorités procèdent à 21 nouvelles arrestations. Bertrand Jussand est incarcéré le 1er janvier 1852, puis Baptiste Parent de Sauveterre le 2 ; Baptiste Metge le 15 ; Auguste Fabre, Président du Tribunal de Rodez le 17 ; Barthélemy Roques et Pierre André Audouard, maire de Réquista, le 19 ; Pierre Mazenq de Castanet et Jean Baptiste Fabre de La Gratade, le 20 ; Antoine Drulhe et Pierre Bories, tous deux de Sauveterre, le 22 ; Baptiste Garrigues d’Istournet le 23 ; François Delmont le 24 ; François Dalous, Hilaire Delfau et Pierre Jean Glauzy, tous deux de St Sernin, et Régis Prunières, le 25 ; Marie Vergnes et Gabriel Andrieu de Marcillac, le 28 ; Rous dit Banaste et Vital Beaumevielle, le 29 ; Julien Sarret le 31.

 

Au mois de février il y a encore 12 incarcérations : Joseph Bousquet le 1er février, Auguste Marty, Louis Antoine Caussanel, limonadier et adjoint au maire à Sauveterre et  François Pascal de la Rougerie, le 5 ; Jean Antoine Issaly du Bosc, le 10 ; Jean Baptiste Daudé, le 12 ; Louis Barthélemy Dalquier et François Jean Magne, ancien maire de Sauveterre,  le 13 ; Jean Baptiste Calmont de Castanet, le 17 ; François Imbert de L’Her, le 18 ; Joseph Laurens de Rebertin et Victor Azémar de Ste Juliette le 22.

 

Trois arrestations sont effectuées de manière extrêmement tardive : celle de Pierre Mazenq dit Rentier de Castanet, le 15 mars ; celle de Médard Issaly de Sever le 16 avril et enfin celle de Guillaume Salesses de Castanet, qui après s’être longtemps caché, est finalement découvert et arrêté le 29 mai 1852, date du transfert des condamnés  en Algérie via Lodève. Initialement condamné à cette peine, il ne l’effectue finalement pas.

 

 

Les arrestations dans le reste du département :

 

–  dans l’arrondissement de Villefranche :

 

A Villefranche la vague des arrestations débute le 7 décembre 1851. Le lieutenant de gendarmerie Carles et le commissaire de police Duriol jouent un rôle de premier plan. Ils mettent rapidement tous leurs moyens pour exécuter les instructions reçues de Rodez et procéder aux arrestations ordonnées. Ils en seront récompensés[1].

 

Antoine Marre et François Elie sont les premiers appréhendés.  « Le 8 [c’est] le tour de Couffignal, place de la mairie, à 4 heures de l’après-midi ; le 10, celui d’Edouard Frayssines, place du Tribunal ; le 13, de Lakowski, au café Bals, à 5 heures ; le 14, de Ricard le Vialayre; d’Auguste Singlard, le même jour ; le 21, de Louis Faurès; le 27 de Pierre Tastayre ; le 31 de François Gaubert, dit Blaudin. Cousy est appréhendé le 2 janvier 1852 ; Léon Fau, à l’auberge Boutonnet, le 6 ; Jean-Baptiste Alet, de Maleville, mais aussitôt libéré, le 11 ; Lacout, de Privezac, également relaxé, le 13 ; Gras et Adolphe Miquel […] dans la nuit du 19 au 20, à Villeneuve ; Thibon à son domicile, le 30 ; Martin Caussanel, dit Marty, le 2 février [2] ».

 

L’arrondissement de Villefranche est exemplaire pour mettre en lumière comment se sont effectuées les arrestations des républicains. La presque totalité de celles-ci sont opérées par les gendarmes, pour la plupart en dehors du domicile des inculpés, sur les places publiques ou dans les cafés et auberges de la ville. Les interpellations ont lieu aussi bien de jour que de nuit. Les républicains savent qu’ils sont exposés aux rigueurs de sanctions sans merci. Certains vont parvenir à se soustraire à ces poursuites en se cachant dans des bois, en bénéficiant de l’aide de parents ou d’amis ou en prenant la route de l’exil. Martin Caussanel échappe un temps aux forces de police en se cachant dans une grotte. Louis Gras et Adolphe Miquel trouvent refuge chez le meunier Gras, frère de l’un des deux. Mouly, Moins et Caussanel évitent l’arrestation en s’enfuyant en Espagne.

 

 

–  dans l’arrondissement de Millau :

 

A Millau les arrestations commencent le 8 décembre 1851. Lucien Fuzier est le premier a être arrêté et incarcéré. Etienne Geneste connaît le même destin le 9 ; Etienne Bernard, Léon Tiquet et Numa Valez le 17 ; Aimé Alric le 19 (il en ressort le 26 pour être transféré à Saint-Affrique) ; Théophile Nazon dit le Cabot le 21 ; Jean Etienne Caillol le 22 (il en ressort le 26 pour être transféré à Saint-Affrique) ; Pierre Vaissac le 23 ; Jean Antoine Decombis le 27. François Alric est arrêté le 2 janvier 1852 ; Claude Victor l’est à son tour le 3 ; Adrien Ladet dit Repince le 4 ; Auguste Markini et Julien Bénézech le 8 ;  Cyprien Calvet le 9 ; Etienne Puech dit Carnacou le 17.  Il n’y a ici que quelques arrestations tardives : celles de François Couderc dit Cabanel,  Ferdinand Cambourieu et Antoine Barascud qui sont appréhendés le 4 février. Lucien Caldesaigues est arrêté le 10 février après s’être longtemps caché dans des bois.  Enfin Hyllarion Solignac n’est appréhendé que le 29 février 1852.

 

 

–  dans l’arrondissement de Saint-Affrique :

 

A Saint-Affrique les arrestations sont plus tardives. Les premières interpellations datent en effet du 13 décembre 1851 (Paul Fourcaud et Jean Lavabre). Augustin Puech est arrêté le 16 décembre ; il en est de même pour Hyppolite Fraysse le 19 ; Antoine Décup arrêté aux Costes le 23 décembre ; Hillariou Marouck le 24 ; André Toulouse, Jules Boisse, Jean Thiers, Jean Caillol et Aimé Alric le 26 ; Pierre Bonnafous le 27 ; François Fernaud le 29 et Gabriel Coeurvillé le 30. Victor Flottes est appréhendé le 6 janvier ; Lucien Foissac le 9 ; Philippe Canac et Hippolyte Rivemale le 10 ; Philippe Lafon le 11 ; Antoine Montels le 21 ; Auguste Labattut et Emile Sabathier tous deux de Millau le 27 ; Edouard Schneblein le 29. Il n’y a que deux arrestations tardives : celles de Jean Bonnafous et de Pierre Jean Daures effectuées le 13 février.

 

 

–  Espalion, une situation originale  :

 

A Espalion les choses sont quelque peu différentes. Si aucun fait d’insurrection n’est à déplorer dans cet arrondissement, des arrestations ont toutefois été effectuées. MM. Déclaret et Bézamat sont arrêtés. Le premier est appréhendé le 19 décembre à Saint Chély pour avoir répandu le bruit qu’un nouvel impôt avait été frappé par le Président de la République, le second pour avoir professé des menaces et avoir dit qu’il irait piller en 1852. Quatre autres individus le sont quelques jours plus tard. Parmi eux, Mère Etienne, propriétaire à Mur de Barrez, est renvoyé en police correctionnelle pour injures envers la personne de Louis Napoléon Bonaparte. Bonald, Gineston et Picard sont accusés d’être auteurs d’actes violents et de menaces physiques. Ils sont également suspectés d’être affiliés à une société secrète. Cette lourde accusation entraîne leurs condamnations.

 

Dans le sillage de la répression des actes de résistance au coup d’Etat, l’autorité utilise les dispositions de l’état de siège qui concerne l’ensemble du département – et non les seules localités insurgées – et toutes les mesures de police exceptionnelle pour épurer la population de tous les éléments qu’elle juge indésirables ou dangereux. Comme l’a fait remarquer Maurice Agulhon, « on a arrêté dans la quasi-totalité des départements et pas seulement dans les zones de troubles [3]. » Le cas de ces hommes en est un bon exemple.

 

 

B  –  Commission militaire et Commission Mixte :

 

La commission militaire :

 

Par ordre du général de division Rostolan en poste à Montpellier, une commission militaire est instituée à Rodez pour juger les insurgés. Cette commission se compose de MM Serre, chef de bataillon au 13e Léger, président ; Marchetti, capitaine adjudant-major ; d’Arjenton, capitaine ; et Alègre, fourrier en qualité de greffier. Les deux derniers, protégés par quelques gendarmes, parcourent les campagnes des cinq arrondissements pendant les mois de janvier et février 1852. Ils auditionnent plus d’une centaine de témoins. Ils enregistrent les circonstances de l’insurrection, la liste des principaux meneurs et essayent de connaître les détails concernant l’implication des principaux chefs ainsi que des membres éventuels des sociétés secrètes disséminées dans le département. En même temps, l’autorité révoque des maires et des fonctionnaires qui se sont compromis avec les insurgés.

 

Cette commission militaire commence les procédures judiciaires contre les personnes interpellées et lance une nouvelle vague d’interpellations. Son principal fait d’arme est la mise en accusation et l’arrestation de M. Fabre, président du Tribunal civil de Rodez. Pendant les quatre années où celui-ci a été en poste à Rodez, il a su s’attirer la considération de tous. On lui reconnaît une haute intelligence et une grande capacité. Son arrestation le 17 janvier 1852 suscite l’étonnement de la population ruthénoise. Elle est jugée inopportune même par les partisans du nouvel ordre. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à dire que « avant de se porter à une extrémité aussi grave envers le chef de la magistrature, l’autorité locale aurait prudemment fait de mettre sa responsabilité à couvert en consultant le gouvernement [4]. »

 

Vers la fin du mois de janvier, un certain nombre de citoyens, inculpés comme fauteurs de troubles survenus en décembre, n’ont toujours pas été arrêtés. Comprenant que les inculpés encore en liberté rencontrent auprès de leur parents et amis des complicités qui les mettent à l’abri des recherches de la police, le général de Sparre choisit d’agir par intimidation et par menace. Le 27 janvier 1852, il prend un arrêté punissant d’arrestation « comme complice de l’insurrection [5] » toute personne leur donnant asile ou leur prêtant secours. Cet arrêté qui rappelle trop la Terreur pour recevoir l’approbation des honnêtes gens est blâmé et est peu suivi d’effets.

 

 

Le temps de l’instruction : la constitution des dossiers des prévenus :

 

Des le mois de décembre les auxiliaires de la justice sont chargés de recueillir les dépositions des fonctionnaires et des principaux témoins. Pour constituer les dossiers des prévenus, l’autorité convoque de nombreuses personnes – témoins ou non des évènements – afin de recueillir des informations sur les personnes arrêtées ou contre lesquelles des poursuites vont être lancées. Les dénonciations semblent ne pas avoir beaucoup joué.

 

Les aveyronnais semblent avoir été quelques peu réfractaires « à vendre » un voisin, un ami … par solidarité ou par peur de représailles.

 

A Villefranche, des « indications confidentielles » (termes du procès verbal) permet l’arrestation de Gras et de Miquel[6].

 

 

–  dans l’arrondissement de Villefranche :

 

Louis Guirondet, juge de paix du canton de Villefranche, est chargé de recueillir les dépositions des maires de Maleville et de Rignac et celle des principaux témoins des incidents des 3, 4 et 5 et en rédige les procès-verbaux. Il les complète le 16 janvier 1852 par l’audition du lieutenant de gendarmerie.

 

Le 7 janvier, le commissaire de police Duriol note par écrit le résultat de son enquête sur chacun des inculpés. Elle est en général nettement défavorable aux personnes incriminées, qui y sont qualifiées de « démagogue dangereux » ou très « dangereux ». Duriol, faisant un travail consciencieux et précis, mentionne dans chaque dossier individuel les indications de l’Etat civil, la profession du prévenu, ses fréquentations, ses activités, ses tendances politiques, son affiliation ou sa non participation aux clubs, aux sociétés secrètes, son rôle en 1848 et au cours des derniers évènements. Il note les éventuelles condamnations et leurs motifs : « idées démagogiques », « coups et blessures », « outrages à la gendarmerie », « vols », « rébellion », « part prise au pillage de la régie en 1848 », « ivrognerie », etc. Il n’hésite pas à s’immiscer dans la vie privée de certains des prévenus.

 

Le 30 mars, Hyppolite Grailhe, juge d’instruction auprès du Tribunal de 1ère Instance de Villefranche, entend les accusés en présence de Jean – Antoine Loubatières, commis-greffier, qui, pour chaque accusé, dresse un procès-verbal qui fait usage de réquisitoire.

 

 

–  dans l’arrondissement de Saint-Affrique :

 

Le 20 janvier 1852 le sous-préfet de Saint Affrique envoie aux services de la préfecture le résultat de ses recherches. Cette enquête est en général là aussi nettement défavorable aux individus incriminés, qui y sont individuellement qualifiés de « rouge », « d’exalté » de « révolutionnaire » ou de « dangereux ». Elle prend la aussi la forme de notices individuelles.

 

Le sous-préfet donne son opinion sur les condamnations que la Commission Mixte est amenée à prononcer sur les prévenus de son arrondissement : « La main du gouvernement ou de la justice militaire doit s’appesantir sur lui [7] » ou dans une formule sans aucune ambiguïté : « C’est un homme qu’il faut jeter sur une plage lointaine [8] ».

 

 

–  dans l’arrondissement de Millau :

 

Après l’instruction des dossiers entre le 22 et le 29 janvier 1852 le Procureur de la République de Millau communique des documents individuels au sous-préfet qui s’empresse de les envoyer à son supérieur. Ces notices individuelles renferment les mêmes indications qu’ à Villefranche. Dans la rubrique « antécédents », il note les éventuelles condamnations et leurs motifs : « idées démagogiques », « coups et blessures », « outrages à la gendarmerie », « vols », « rébellion », « ivrognerie », etc. Il n’hésite pas à s’immiscer dans la vie privée des prévenus.

 

 

–  dans l’arrondissement de Rodez :

 

Après avoir entendu plus de 200 témoignages concernant les évènements ayant eu lieu à Rodez et dans les environs, entre le mois décembre 1851 et le mois de janvier 1852, l’autorité rassemble les notices individuelles et les rapports rédigés à travers l’ensemble département et remet le tout aux membres de la Commission Mixte.

 

Pour l’arrondissement de Rodez, l’enquête prend là aussi la forme de notices individuelles

 

S’y ajoutent les rapports émanant du préfet Fluchaire et les rapports de gendarmerie annotés par l’autorité judiciaire.

 

 

La commission Mixte ou le temps des jugements :

 

–  Une juridiction d’exception :

 

Le 3 février 1852, le chef de l’Etat signe une circulaire instituant une juridiction d’exception, les « commissions mixtes », chargées de juger et de punir les individus suspects d’atteintes à la sécurité du régime. Composés dans chaque département, du préfet, du procureur et du général commandant la division militaire, ces tribunaux politiques échappent à toute autorité judiciaire. En Aveyron, la commission militaire est dissoute le 4 février 1852 et est immédiatement remplacée par la Commission Mixte. Celle-ci se compose du préfet Fluchaire, qui tient lieu de Président, du procureur Vérot et du Général de Sparre.

 

La première commission n’ayant fait qu’entamer la procédure, celle-ci la poursuit sans relâche, fait procéder à de nouvelles arrestations et se prononce sur le sort de tous les accusés.

 

Le gouvernement lui a tracé des règles rigoureuses. Elle les applique à la lettre. Ces règles sont en dehors du droit commun. On les justifie en disant qu’elles tirent leurs raisons d’être de la force des circonstances et du pouvoir « arbitraire et dictatorial [9] » qui domine alors la situation. Les accusés sont jugés sans comparution, sans défense, sur des pièces écrites (dépositions de témoins) qui ne sont pas portées à leur connaissance. Les séances ont lieu à huit clos. Les garanties accordées aux accusés dans l’ordre de la justice légale n’existent pas.

 

Les motifs d’accusation sont très variables. A certains endroits, il est reproché à plusieurs hommes d’avoir envahi la mairie. Dans d’autres, ils sont accusés d’avoir crié : Vive la République démocratique et sociale ! dans les rues de la ville, ou d’avoir répandu de fausses nouvelles. Les inculpés sont qualifiés de « socialistes [10]» ou de « rouges [11]» et accusés d’avoir des « opinions très exaltées [12]» ou d’être des « agents démagogiques [13]». L’affiliation à une société secrète entraîne la condamnation.

 

 

Dans ce simulacre de tribunal, les membres de la Commission Mixte sont juges et parties. C’est surtout le cas du préfet Fluchaire et du commandant militaire de Sparre. Le préfet a lutté contre l’insurrection. Le militaire a présidé aux recherches et aux arrestations des insurgés. Etait-il possible au préfet de conserver un caractère impartial vis à vis des hommes qui avaient envahi son cabinet, qui avaient fait chanceler son autorité et exercé contre lui des violences ? Pouvait-on s’attendre à ce qu’aucun ressentiment personnel ne vienne se mêler à la droiture d’un juge ? Même le député de Barrau, pourtant très conservateur, ne peut s’empêcher de protester devant cette parodie de justice :

 

« Les accusés étaient jugés sans comparution, sans défense, sur les pièces écrites et par un tribunal opérant à huit clos. Les garanties accordées aux accusés dans l’ordre de la justice légale n’existaient donc pas.[…] Les membres de la commission étaient juges et parties […] Il n’était jamais venu à la pensée d’aucun pouvoir de faire juger des prévenus par ceux qui en avaient reçu les plus graves offenses. Cette manière d’agir est non seulement contraire aux règles de justice, mais elle blesse encore tous les sentiments humains. […] La crise passée, la lutte finie, le danger conjuré, quelle loi pouvait-on invoquer pour atteindre juridiquement des hommes qui, après tout, agissaient dans la mesure d’un certain droit, en se levant pour la défense de la Constitution ? [14]»

 

Devant un simulacre de tribunal, un simulacre de justice est rendu.

 

« Tout homme sensé et pondéré eut mieux aimé la clémence du vainqueur, jetant l’oubli sur le passé et s’occupant de cicatriser, par les bienfaits de son gouvernement, les maux que de cruelles dissensions venaient de faire à la patrie [15] .»

 

Il n’en a rien été et pendant les mois de février et de mars 1852, la Commission Mixte du département de l’Aveyron a déroulé son chapelet de condamnations.

 

 

–  153 condamnations :

 

Les condamnations prononcées répondent à « une palette qui va du placement en Conseil de guerre au renvoie au parquet[16] ». En Aveyron, il n’y a pas de condamnation à Cayenne.

 

La Commission Mixte de l’Aveyron prononce des condamnations dites « Algérie Plus », qui correspondent à la déportation en Algérie (10 ans) avec séjour obligatoire en un lieu prédéterminé par le gouvernement ; des condamnations dites « Algérie Moins », qui signifient la déportation en Algérie (5 ans) sans astreinte à résidence ; des expulsions du territoire ; des condamnations d’internement ; des peines de surveillance policière.

 

Le relevé des condamnations fait état de 153 peines réparties comme suit :

 

–                     31 condamnations à Algérie Plus. Dans cette catégorie figurent les cadres de l’insurrection et les personnes qui ont joué un rôle actif pendant les événements. Elle rassemble la grande majorité des membres du Comité de Rodez, les deux émissaires Rozier et Cabantous, ainsi que les chefs des colonnes venues de Villefranche et de Sauveterre, Moins et Garrigues.

 

–                     80 condamnations à Algérie Moins. Cette catégorie regroupe la plus grande partie des militants républicains ainsi que certains chefs républicains de second rang, comme certains membres des Comités de Résistance qui ont agi comme des éléments modérateurs en décembre.

 

–                     9 condamnations à l’Expulsion du Territoire dont celle de M. Fabre.

 

–                     15 condamnations à l’Internement.

 

–                     18 condamnations à la Surveillance de la Police.

 

 

Les condamnations prononcées par la Commission Mixte du Département de l’Aveyron sont extrêmement dures. La Transportation s’inscrit dans un rapport de l’ordre de 2/3 des peines prononcées, contre un rapport qui est de l’ordre de1/2 dans l’Hérault (51,9%), 1/4 dans le Vaucluse (25,7%) et dans le Var (25,1%) ou 1/5 dans le Gard (21,1 %)[17].

 

Elle prononce également la révocation d’un certain nombre de maires et de fonctionnaires publics de l’Aveyron par suite du mouvement insurrectionnel.

 

A ces condamnations s’ajoutent celles prononcées par le Tribunal Correctionnel de Première Instance de Rodez au cours de son audience publique du 20 février 1852[18].

 

 

C  –  Le Tribunal Correctionnel de Première Instance de Rodez :

 

Les personnes présentées devant le Tribunal de Rodez sont prévenues d’avoir le 5 décembre 1851, conjointement commis, le délit de rébellion en « attaquant avec violence et voies de fait la force publique [19]» ou de « s’être rendu complice de ce délit [20] ».

 

Le tribunal jugeant en premier ressort décide de la relaxe et du renvoi de la plainte visant les prévenus Henri Cabrolier ( 30 ans, marié, 2 enfants, né et domicilié à Rodez) ; Louis Albouy (25 ans, célibataire, coutelier, né et domicilié à Rodez) ; Julien Sarret (31 ans, marié, coutelier, né et domicilié à Rodez) ; Pierre Roux (33 ans, marié, sans enfant, maçon, né et domicilié à Rodez) ; Joseph Anat (20 ans, célibataire, tailleur d’habits, né et domicilié à Rodez) et le dit Fau fils aîné de la veuve Fau (prénom, âge et profession inconnus, de Rodez).

 

Concernant les autres prévenus, il prononce les jugements suivants :

 

–                     Guillaume Albouy (56 ans, marié, 2 enfants, né et domicilié à Rodez) : condamné

 

à 3 mois d’emprisonnement.

 

–                     Augustin Delsescaux (30 ans, marié, 2 enfants, forgeron, né à Elbès, commune de Martiel, canton et arrondissement de Villefranche, domicilié à Rodez) : condamné à 4 mois d’emprisonnement.

 

–                     Julien Bedel (28 ans, marié, portefaix, né à Sébazac, domicilié à Rodez) : condamné

 

à 15 jours d’emprisonnement.

 

–                     Louis Condamines dit Biscuit (42 ans, célibataire, écuyer, né et domicilié à Rodez) : condamné à 50 francs d’amende envers le trésor public.

 

–                     « chacune des dites [21]» Marianne Vergnes épouse Garibal (27 ans, 1 enfant, aubergiste, née aux Boutets, commune de Muret, domiciliée à Rodez), Marie Jeanne Albouy femme Malrieu (33 ans, 3 enfants, revendeuse, née et domiciliée à Rodez), Catherine Andrieu épouse Raynal (26 ans, 2 enfants, aubergiste, née à Marcillac, domiciliée à Rodez) et Marie Albouy femme Maurel (26 ans, 1 enfant, revendeuse) sont condamnées à 25 francs d’amende envers le trésor public.

 

Enfin, toutes les personnes arrêtées et emprisonnées, sont condamnées au versement des frais de procédure s’élevant à 184, 25 Francs.

 

 

Mais la répression ne touche pas que les seuls républicains. Le nouveau régime s’attaque également aux symboles de la République.

 

 

D  –  La répression symbolique :

 

La répression des hommes se double d’une répression symbolique. Si les républicains sont condamnés, les images et les icônes républicaines le sont également. Le nouveau régime entend mettre en avant ses références et ses images. Il s’attaque irrémédiablement à toutes les représentations symboliques de la République.

 

L’une des premières mesures prises dans ce sens contre le régime de 1848 est la destruction systématique des « Arbres de la Liberté ». L’autorité entreprend alors ce qu’elle avait envisagé, sans oser le faire, quelques mois plus tôt. Elle s’attaque alors au symbole républicain par excellence.

 

 

Enlever les  Arbres de la Liberté :

 

Le 3 janvier, le général de Sparre, commandant l’état de siège dans le département, considérant que « c’est autour des arbres de la Liberté que se sont produits la plupart des désordres qui, depuis 3 ans, ont agité nos départements du Midi [et que] c’est encore autour d’eux que se sont formés les rassemblements qui ont pris part à la dernière insurrection » arrête que « les arbres dits de la Liberté seront abattus dans toutes les communes qui ont fourni un contingent à l’insurrection de 1851 et pour lesquelles ils ne sont qu’une cause permanente de désordre ou le symbole de l’époque exécrée de 1793 [22] ».

 

A Rodez, avant de connaître cet ordre, et pendant la nuit qui en précède la publication, des démocrates se réunissent et mettent eux-mêmes à terre les Arbres de la Liberté. Puis parodiant un enterrement, ils parcourent les rues en chantant sur un air lugubre et lamentable : Requiescant in pace.

 

Partout ailleurs les militaires appliquent rapidement cette directive. Les arbres sont coupés et enlevés sans que l’autorité ne fasse état d’aucun trouble.

 

A Villefranche, le maire arrête le 5 janvier 1852 :

 

« Art.1er : Les arbres, dits de la liberté, existant dans la commune de Villefranche, seront immédiatement abattus.

 

« Art. 2. Le bois en provenant sera remis au bureau de bienfaisance pour être distribué aux indigents … »[23].

 

Il demande ensuite au sous-préfet de l’arrondissement de Villefranche si celui-ci l’autorise à «  faire payer sur le crédit des dépenses imprévues […] une somme de 5 francs 50 qu’a coûté l’enlèvement des arbres de la liberté de dessus la voie publique [24] ». Le sous-préfet donne son accord.

 

 

Effacer les autres symboles de la République :

 

Loin d’être des dispositions particulières et localisées, ces mesures s’inscrivent dans une politique de destruction concertée et ciblée des « images » républicaines, selon des directives qui viennent des plus hautes sphères de l’Etat, et notamment du Prince-Président.

 

Peu de jours après le coup d’Etat, Louis-Napoléon Bonaparte, prince-président se rend au Palais Bourbon, où il ordonne que « la tribune [soit] démontée et ôtée sous ses yeux »[25].

 

Par ce geste symbolique, Louis Napoléon Bonaparte met en place un nouveau mode de gouvernement. « Le nouveau corps législatif [n’aura] pas de tribune (donc pas de discours, pas d’éloquence, pas de critique, pas d’appel aux grands principes) [et on] y parlera de sa place, en termes de technique, comme dans un conseil d’administration [26]. »

 

Dans l’enceinte du Palais Bourbon, son buste remplace celui de la République ; alors que, dans la cour d’honneur le couple de statues « France Constitutionnelle » et « Liberté » reçoit quelques retouches[27].

 

Dès le 3 janvier 1852, par décret, l’effigie du Président remplace celle de la République sur les monnaies et sur les timbres poste.

 

Le 5 janvier 1852 la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité » est enlevée des frontispices des monuments publics.

 

La même année, l’aigle impérial se substitue au coq et au faisceau républicain sur les insignes militaires. « On voit à cette hâte l’importance qu’avaient les signes dans la mentalité d’hommes qui n’étaient pourtant pas des simples, Louis-Napoléon par exemple »[28].

 


[1] Ancourt A., Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 à Villefranche de Rouergue. Il note à ce sujet que le lieutenant de gendarmerie Carles est promu capitaine à Villefranche (1852), puis qu’il est ultérieurement nommé par intérim aux fonctions de chef d’escadrons, commandant de la compagnie de l’Aveyron, puis en février 1854, versé avec son grade dans la garde de Paris.  En ce qui concerne Jean Baptiste Duriol, il relève que après avoir été brigadier de gendarmerie et avoir reçu la Légion d’Honneur en 1843, il est successivement commissaire de police à Espalion, puis à Villefranche (octobre 1850). Il obtient le même poste à Rodez (décembre 1854). Son évolution de carrière semble avoir été contrariée par le fait que son fils François était membre de la Commission départementale et qu’à ce titre il figurait parmi les principaux inculpés du 2 décembre.

 

[2] Ancourt A., op.cit., p 37.

 

[3] Agulhon M., 1848 ou l’apprentissage de la République 1848-1852, p 199-200.

 

[4] De Barrau F., Galerie des préfets de l’Aveyron, t. IV, Rodez, Carrère éditeur, p 288.

 

[5] A.Ancourt, op.cit., p 39.

 

[6] Ibid, p 38. « Les gendarmes de la localité, avertis que les insurgés s’étaient réfugiés chez le meunier Gras […] cernèrent la maison pendant la nuit ».

 

[7] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Informations contenues dans le dossier Flottes (agent voyer révoqué de ses fonctions, célibataire âgé de 37 ans, détenu, n°1, en 2ème catégorie) fait à St Affrique, le 20 janvier 1852 par le sous-préfet et transmis pour renseignement au préfet.

 

[8] Arch. dép. Aveyron : 1 M 827. Informations contenues dans les dossiers de Schneblein Edouard (cafetier, âgé de 35 ans, marié et père de 4 enfants, demeurant à St Affrique, contumax puis détenu : n°3, 2ème  catégorie) et dans celui de Bonnafous Pierre (tailleur d’habits, âgé de 24 ans, marié, demeurant à St Affrique, détenu : n°3, 1ère catégorie). faits à St Affrique, le 20 janvier 1852 par le sous-préfet et transmis pour renseignement au préfet.

 

[9] Ancourt A., op.cit, p 291.

 

[10] Arch. dép. Aveyron : 4 M 1 17-18 : Avis de la Commission Mixte.

 

[11] Ibid.

 

[12] Ibid.

 

[13] Ibid.

 

[14] De Barrau F., Galerie des préfets de l’Aveyron, t. IV, Rodez, Carrère éditeur, p 293.

 

[15] De Barrau F., Galerie des préfets de l’Aveyron, t. IV, Rodez, Carrère éditeur, p 293.

 

[16] Agulhon M., 1848 ou l’apprentissage de la République, Point Histoire, 1992, p 285. L’auteur reprend la classification retenue par la « Statistique de la répression de décembre 1851 » conservée aux Arch. nat. sous la côte BB.30.424 (registre).

 

[17] Huard R., Le mouvement républicain en Bas-Languedoc (1848-1881), Paris, Presses de Science-Po, 1982. Les chiffres concernant l’Hérault, le Vaucluse et le Gard sont donnés p 99. Agulhon M., La République au village, Paris, Plon, 1970. Chiffres donnés pour le Var p 444.

 

[18] Arch. dép. Aveyron : 1 M 787. Jugement extrait des minutes du greffe du Tribunal de première Instance de l’Arrondissement de Rodez, département de l’Aveyron.

 

[19] Ibid.

 

[20] Ibid.

 

[21] Arch. dép. Aveyron : 1 M 787. Jugement extrait des minutes du greffe du Tribunal de première Instance de l’Arrondissement de Rodez, département de l’Aveyron..

 

[22] Arch. dép. Aveyron : PER 877. Journal de l’Aveyron ( 1850-1851). N° 2 de la 46e année, en date du mercredi 7 janvier 1852. Lettre du général comandant l’état de siège en Aveyron écrite à Rodez et envoyée à l’ensemble des maires du département.

 

[23] Vandeplas B., Des républicains villefranchois contre le bonapartisme fétiche (1851-1853), Revue du Rouergue, p 359 à 391. Citation p 377.

 

[24] Vandeplas B., Des républicains villefranchois contre le bonapartisme fétiche (1851-1853), Revue du Rouergue, p 359 à 391. Citation p 377.

 

[25] Agulhon M., Marianne au combat : L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Flammarion, 2001, p 158.

 

[26] Ibid.

 

[27] Agulhon M., Marianne au combat : L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Flammarion, 2001, p 172. L’auteur résume ces retouches en disant en note (n°2 ) : « La « France Constitutionnelle » devient le « Suffrage universel » et la « Liberté » est rebaptisée le « Droit ». Il note comme détail plastique « l’addition sur le flanc de l’urne de la France qui vote, des chiffres « 7 600 000 » (nombre de voix obtenues par le prince-président lors du plébiscite de 1852 sur le rétablissement de l’Empire).

 

[28] Ibid. p 158.