Les Mayons
Les Mayons – 1851 – Au pays de la dame en rouge par Bernard Lonjon troisième partie : Combattants pour la Liberté
LA REPRESSION
Les arrestations Sur le chemin de la retraite, Charles Feny et Toussaint Bérenguier sont arrêtés le 12 décembre par la fameuse garde nationale de Lorgues au Pont d’Argens, comme plus de deux cents autres insurgés. Les arrestations s’opèrent ensuite par vagues successives au gré des dénonciations et des disponibilités de la gendarmerie et de la troupe à intervenir dans les »écarts ». La chasse à l’homme est engagée. Le Var est en état de siège depuis le 6 décembre. Muraire Louis Athanase est rétabli dans ses fonctions le 18 décembre, Eustache Peirier, le 23 décembre.
Nous avons trouvé vingt-huit procès-verbaux des interrogatoires subis par les prisonniers mayonnais devant les tribunaux, intimement liés aux 116 dossiers des insurgés lucois. Après leur arrestation, Charles Feny et Toussaint Bérenguier sont conduits directement à Draguignan. Dès le 13 décembre, s’opère une rafle[1] où Louis Peirier, François Carpe, Louis Maunier, Xavier Lonjon, François Glaye, Frédéric Mourre, Séraphin Lonjon, Laurent Lonjon, Solange Lonjon, Portal Isidore[2] sont arrêtés aux Mayons par les soldats du 50ème de ligne. Deux jours plus tard, c’est au tour de Jean-Baptiste Maunier et Désiré Ollivier. Le 18 décembre, à 8 heures du matin, un détachement du 50ème de ligne, sous les ordres du capitaine Morin et trois gendarmes du Luc, accompagnés du procureur de la République de l’arrondissement, en personne, se présentent au domicile de Siméon Lonjon pour procéder à son arrestation. Le même jour, ce sera celle de Jean-Baptiste Ollivier. Ces quatorze prisonniers, conduits au Luc où Solange Lonjon et Désiré Ollivier seront les seuls à subir le 16 décembre un premier interrogatoire, seront transférés le 19 décembre à Draguignan où ils seront jugés les 21 et 23 décembre. Le 29 décembre, Adolphe Borrely, Barthélémy Lonjon, Alexandre Lonjon, Camille Muraire, Alphonse Beissier, Emile Lonjon seront arrêtés à leur domicile par les gendarmes du Luc et transférés à Draguignan le 5 janvier. Ils seront jugés le 8 janvier 1852. Six autres suivront : Philémon Clavel début janvier, Ambroise Meille et Edouard Séraphin Lonjon début février, Joseph Nivière, Blaise Bouisson, Joseph Lonjon début mars qui seront transférés au fort Lamalgue à Toulon. Ils rejoindront d’autres mayonnais déjà détenus dans des conditions abominables[3]. A l’issue des jugements, sept seront remis en liberté faute de preuves. Resteront 21 dossiers à traiter par la commission mixte, chargée de décider des peines.
Les condamnations
Après moult hésitations sur certains dossiers, signe de l’incertitude et de l’arbitraire des décisions, la commission mixte décide en février 1852 : -8 condamnations à la transportation en Algérie pour 5 ans 3ème catégorie -1 condamnation à l’éloignement du territoire français pendant 3 ans 5ème catégorie -8 condamnations à l’internement[4] 6ème catégorie -4 condamnations à la surveillance 8ème catégorie
Le 2 mars 1852, Jean-Baptiste Ollivier, Barthélémy Lonjon, Toussaint Bérenguier sont embarqués à bord du »Labrador » avec 240 autres détenus pour être transportés en Algérie. Xavier Lonjon est embarqué avec 80 autres, le 23 avril, sur le »Pluton ». Si Toussaint Bérenguier voit sa peine commuée en surveillance en octobre 52, Xavier Lonjon devra attendre le 13 février 1853, Jean-Baptiste Ollivier, le 6 février 1854, et Barthélémy Lonjon, dont l’autorité elle-même, précise qu’il est »le seul condamné des Maures qui soit encore en Afrique », le 29 août 1854. Les peines infligées par la commission mixte ne seront pas en effet appliquées entièrement dans toute leur rigueur et pourtant. Rassuré par le résultat du plébiscite des 20 et 21 décembre, qui lui accorde dans un département ployé sous la répression, plus de 92% des suffrages et désireux de se « réconcilier » avec le monde rural qui a été ailleurs son plus sûr soutien, Louis Napoléon Bonaparte envoie un émissaire, Quentin-Bauchart dont la mission consistera à accorder des grâces provisoires dont on pourra apprécier la relativité de la clémence.
En avril 1852, quatre condamnations à l’Algérie et les huit à l’internement sont commuées en peine de surveillance. Jean-Baptiste Maunier qui avait choisi Livourne comme lieu d’expatriation, bénéficiera d’une mesure identique à la même date. En d’autres termes, hormis les quatre prisonniers transportés en Algérie, tous les condamnés mayonnais ont à partir de cette date un statut unique de S.P.(Surveillé par la Police) qui, sous couvert de mansuétude, facilite le contrôle, par les autorités locales, de leurs moindres faits et gestes. La surveillance exercée imposait l’interdiction de sortir du territoire de la commune sans autorisation préfectorale. C’est ainsi que l’on devait procéder, ne serait-ce que pour aller travailler à Gonfaron, commune la plus proche. A tel point que pour les relations de travail avec cette dernière, le maire demandera au préfet, dès le mois d’août, que les 17 »S.P. » mayonnais bénéficient d’une mesure de libre circulation identique à celle accordée entre Le Luc et Le Cannet. Cette requête ne semble pas avoir trouvé d’écho systématiquement favorable puisque pareille procédure est toujours en vigueur en septembre à l’encontre de Charles Feny pour travailler les propriétés de Jean-Baptiste Maunier à la Tuilière et à Jaubergue, d’Ambroise Meille pour cultiver ses champs, de Siméon Lonjon pour effectuer le transport des récoltes, à plus forte raison d’Isidore Portal pour aller à Draguignan les 25-30-31 août et de Frédéric Mourre pour se rendre à la foire de Cuers les 31 décembre, 1er et 2 janvier.
L’étape suivante consistera à accorder des grâces qui ne sont entières et définitives qu’à la condition de faire soumission à l’Empereur. Combien de cas de conscience posés, où la liberté, quel qu’en soit le prix, prévaudra au gré du bon vouloir des autorités. Après celle de Solange Lonjon en octobre 52, il faudra attendre août 1854 pour voir les premières »grâces pleines et entières » accordées. Les dernières surviendront en août 1856.
Il n’en reste pas moins la « surveillance vigilante et sévère », selon les termes des autorités que doivent subir certains bénéficiaires.
[1] Expression intentionnellement moderne, à chacun d’en juger l’à-propos,. [2] Ce dernier nous en fait ainsi le récit : « Le 13 décembre, des militaires vinrent aux Mayons. Ordre fut donné de nous réunir à la maison d’école ; il y avait là des officiers et des soldats chargés d’énumérer des prisonniers. Comme il était nuit, on me dit d’éclairer. Je mis une chandelle dans du papier et je suivis le cortège jusqu’au Luc. Je me disposais à me retirer lorsqu’un militaire me dit que j’étais prisonnier. Je dus sans doute cette méprise à ce que j’étais à l’avant et que ma chandelle s’était éteinte, car les autres qui s’étaient tenus en arrière et qui avaient leur chandelle allumée restèrent libres ». [3] Cf entre autres Ch. Dupont : « Les Républicaines et les Monarchistes dans le Var en 1851 », dans lequel il nous rapporte le témoignage de Revertegat de Gonfaron. [4]Il s’agit d’un placement en résidence surveillée dans une commune éloignée. Les passeports dont étaient munis les insurgés pour leurs déplacements portaient la devise Liberté-Egalité-Fraternité barrée. |