Les Mayons

Les Mayons – 1851 – Au pays de la dame en rouge

par Bernard Lonjon

deuxième partie : Du 2 au 10 décembre

UN COUP D’ETAT

 

 

 

Un Président de la République élu en 1848

 

·        pour 4 ans

 

·        pour la première fois au suffrage universel (masculin)

 

·        mais non rééligible

 

 

proclame le 2 décembre 1851

 

au nom du peuple  français

 

 

·        Article1er : L’Assemblée Nationale est dissoute

 

·        Article 2 : Le suffrage universel est rétabli – La loi du 31 mars est abrogée

 

 

Et trahit la Constitution qui dit en ses articles

 

 

 

68

 

 

 

« Toute mesure par laquelle le Président de la République dissout l’Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l’exercice de son mandat est un crime de haute trahison.

 

Par ce seul fait, le Président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance, le pouvoir exécutif passe de plein droit à l’Assemblée nationale »

 

110

 

 

 

« L’Assemblée nationale confie le dépôt de la présente constitution et des droits qu’elle consacre à la garde et au patrimoine de tous les Français. »

 

Du 2 au 10 décembre

Le Luc est une des premières localités du Var à avoir connaissance du coup d’Etat, dès le 2 décembre au soir.

 

Confirmation en est donnée par la dépêche télégraphique au préfet dans la nuit du 3 décembre.

 

La réunion qui se tient dans les locaux de la société du Ravelet, fait apparaître une scission entre les partisans d’une prise d’armes immédiate et ceux qui préconisent d’attendre des nouvelles de la réaction parisienne. Un compromis est finalement trouvé qui amène la désignation dans la nuit du 4 décembre, d’une Commission municipale de treize membres où figurent Victor Friolet, Paulin David, Jacques Bouffier, François Clerian, Augustin Blanc, Fouque, Adolphe Friolet, Guinchard, Bonnet, Miolan, Paulin Viort et Latil, proclamé maire provisoire et dont on sait qu’il est membre de la société secrète.

 

Seuls figurent de l’ancienne municipalité Bouffier, Bonnet, Fouque, Latil.

 

Elle a donné à la postérité, à travers le registre des délibérations du conseil municipal, un seul message dont la portée du symbole n’a d’égale que le laconisme de l’expression et l’honnêteté de l’acte :

 

République Française 

 

Liberté – Egalité – Fraternité –

 

la commission municipale du Luc donne sa démission. Elle remet entre les mains du peuple les pouvoirs qu’il lui avait confiés.

 

Au Luc, le 5 décembre 1851, à 8 heures 30. »

 

 

 

Ici les mots ont tout leur sens. Dans l’esprit, « provisoire » signifie bien temporaire avant une décision définitive qui ne peut qu’être l’expression de la souveraineté populaire dont on tient la transitoire légitimité.

 

Les actes sont conformes aux idées exprimées. Le concept de démocratie est compris dans son sens étymologique.

 

C’est le maintien au niveau local, en réponse à la violation de la Constitution, de l’article 110 « L’Assemblée nationale confie le dépôt de la présente constitution et des droits qu’elle consacre, à la garde et au patriotisme de tous les Français ».

 

La référence à la souveraineté populaire va être une constante et apporter la preuve de la véracité de l’appréciation du maire du Luc au préfet en septembre 48 qui insistait sur le fier attachement du peuple au suffrage universel.

 

Avant de démissionner, la Commission municipale prend soin d’envoyer des estafettes dans les localités voisines pour propager les nouvelles et tenter d’organiser et de coordonner le mouvement.

 

 UN HAMEAU EN EFFERVESCENCE

 

UNE EXPLOSION LIBÉRATRICE.

 

La rue Suzanne Lonjon aux Mayons (photo Jean-Marie Guillon)  

 

Le matin du jeudi 4 décembre 1851, Barthélémy Portal, 28 ans, maçon du Luc, arrive aux Mayons sans doute vers 8 heures, porteur d’une missive de Victor Friolet, à remettre à Jean-Baptiste Maunier et donne des nouvelles de ce qui se passe au chef-lieu.

 

Aussitôt une trentaine de personnes se rassemblent à la société des sans-soucis.

 

Le drapeau rouge est arboré à la fenêtre.

 

De 9 heures à 10 heures, le rassemblement grossit jusqu’à une soixantaine de personnes. On fait publier au son du tambour, l’obligation de déposer  » dans l’heure qui suit, les armes à la mairie, sous peine d’être fusillé ».

 

Le rassemblement parcourt la grand’rue jusqu’à Saint-Jean et la place du village. Les fusils ont été sortis. Des groupes se sont formés.

 

Solange Lonjon habillée de rouge  »de la tête jusqu’aux pieds » est toujours désignée, présente au milieu ou en tête des groupes, dans la main droite un drapeau tricolore roulé de manière à ne faire apparaître que le rouge, dans la main gauche, une courge  »dont ils abattaient de temps en temps la coque en disant :  » c’est ainsi que nous abattrons la tête des blancs » et dans ce moment-là, les femmes  »vociféraient » la chanson de la Cougourdo, expliquent avec une frayeur rétrospective  deux otages. Comme à Gonfaron, comme au Luc, comme à La Garde-Freinet, les femmes et les filles sont bien là qui mènent la farandole au son du tambour, en chantant, on peut aisément le supposer sur l’air de la Carmagnole :

 

 

 

Buvens à la cougourdo [1]                                   Buvons à la gourde

 

Faren onour  au coucourdier                           On fera honneur au Coucourdier

 

Enfant de la Mountagno                                   Enfant de la Montagne

 

S’y rappeleren de Febrier                                 On se rappellera de Février,

 

 

dans une atmosphère de fête où l’exaltation des chants politiques associés à la danse, première forme de libération collective, peut grandir jusqu’aux menaces et aux insultes.

 

Sans doute aussi, en cette matinée, des ouvriers  »étrangers » sont-ils arrivés. Hormis Benjamin Portanier, bouchonnier à Gonfaron, gendre de Ferdinand Muraire, on parle à maintes reprises de deux ouvriers de Montpellier, bouchonniers à Gonfaron eux aussi, le plus souvent désignés comme acteurs, guides, incitateurs, voire organisateurs. L’un est Louis Blanc suspecté d’appartenir à la société secrète, l’autre Bonneville.

 

Ils ne sont pas les seuls. Reste simplement à trouver la juste mesure pour apprécier leur nombre et leur rôle.

 

Si le bruit court, les nouvelles se propagent, l’effervescence gagne, tous, cependant, à en croire les témoignages, ne sont pas encore informés.

 

Alphonse Bessier tue son cochon et s’occupe à faire la charcuterie.

 

Philémon Clavel défriche dans la colline.

 

Camille Muraire travaille ses champs.

 

Charles Feny en fait de même dans ceux de Jean-Baptiste Maunier.

 

Séraphin Lonjon, frère de Solange, revient de Saint-Tropez. Il s’arrête à La Garde-Freinet, obligé d’aller à la mairie prendre un laissez-passer.

 

Désiré Martel, futur otage, témoigne ainsi : « retournant de la campagne à ma maison d’habitation, je fus surpris en arrivant de trouver dans les rues du hameau un grand nombre d’hommes armés qui circulaient et s’agitaient beaucoup. Je rentrai dans ma maison et je n’en sortis plus jusqu’au lendemain au matin ».

 

Edouard Séraphin Lonjon, boulanger, est chez lui, à son travail.

 

Ce même jour, vers 16 heures, le curé sort de la maison d’école où il vient de faire classe et entre dans la maison voisine, celle de l’adjoint.

 

Les insurgés avec à leur tête, Jean-Baptiste Maunier le suivent. Louis Athanase Muraire arrive un peu plus tard. Il est déposé par les Mayonnais qui proclament Jean-Baptiste Maunier nouvel adjoint spécial et prennent possession des registres de l’état civil, du tambour, du drapeau et de l’écharpe.

 

Le curé est ramené chez lui où il est consigné, au milieu des cris, des quolibets et des injures.

 

En début de soirée, Joseph Barthélémy Muraire est séquestré par un groupe conduit par Blaise Bouisson. Un peu plus tard, c’est au tour d’Eustache Peirier d’être désarmé et consigné par un groupe dirigé par le nouvel adjoint et dans lequel on cite les frères Louis et Siméon Lonjon fils de Titi, Benjamin Portanier, Tambon Bonnaventure, Ferdinand Muraire, Xavier Lonjon, autre frère de Solange.

 

Le lendemain vendredi 5 décembre,

 

Il est conduit vers 9-10 heures à la société des sans-soucis  par quatre personnes dont Barthélémy et Alexandre Lonjon. Son arrivée déclenche l’ire de Désiré Ollivier qui le malmène. Il faut que Jean-Baptiste Maunier et quelques autres s’interposent.

 

En cette nouvelle matinée, Ferdinand Clavel et Joseph Barthélémy Muraire sont eux aussi conduits à la chambrée. Désiré Martel est arrêté, consigné par Blaise Bouisson sur la Place.

 

Aux sans-soucis, où l’on tient réunion, une vive discussion s’est engagée pour décider du nombre de prisonniers à faire. Les débats sont animés et Désiré Ollivier se montre le plus virulent. Un vote décide finalement d’en faire quatre au lieu de sept.

 

L’après-midi, vers 13 heures, on procède à l’arrestation du curé, Xavier Lonjon en tête. Devant le refus  de sa sœur d’ouvrir, la porte est enfoncée par François Glaye. Le curé est obligé de suivre les insurgés à la chambrée. Au passage, Désiré Martel y est aussi conduit.

 

Vers les 14 heures, Ferdinand Clavel, Eustache Peirier, Désiré Martel, et le recteur Pierre Rouvier, curé des Mayons sont amenés prisonniers au Luc par 10 à 20 hommes, la plupart armés, sous la conduite protectrice de Laurent Lonjon, 60 ans, ménager.

 

Sont cités dans l’escorte, Jean-Baptiste Maunier, Alexandre Lonjon, Ollivier Calixte Ainé, Bonnaventure Tambon, Benjamin Portanier de Gonfaron, Joseph Nivière.

 

Philémon Clavel les accompagne pour, dit-il, protéger son frère Ferdinand.

 

Pendant tout le trajet, « les chants les plus sanguinaires se faisaient entendre…Entre autres chants, il y avait pour refrain : bénissons à jamais Robespierre et ses bienfaits», nous rapporte un otage.

 

 

Au Luc, les prisonniers sont confiés à la garde, unanimement reconnue bienveillante de Pons, ancien militaire, boulanger et Charles, cordonnier, qui les accompagnent jusqu’à Aups.

 

De retour au village dans la soirée, les Mayonnais ont-ils le sentiment d’avoir accompli leur mission et d’en avoir terminé ?

 

Assurément pas. Vers 7 heures du soir, un groupe dans lequel on désigne Séraphin Lonjon, Toussaint Bérenguier, Joselet Lonjon dit le Cadet, Emile et Alexandre Lonjon, procède à une visite domiciliaire pour confisquer des armes non remises en  »mairie ».

 

La mobilisation est maintenue. Certes pense-t-on à se reposer, mais surtout attend-on des instructions plus précises pour s’organiser, maintenant qu’on a répondu aux premières consignes.

 

Des postes de garde ont été installés, autre mot d’ordre, pour protéger le village du désordre.

 

On en situe un à l’extérieur, au bas de Saint-Jean (François Carpe, 18 ans), un autre à la maison d’école (Adolphe Borrely, 20 ans), un troisième à la chambrée, où ont été déposées les armes réquisitionnées et qui tient lieu de  »mairie »(François Glaye, Joseph Lonjon).

 

On n’hésite pas à solliciter les plus jeunes pour être les sentinelles du village.

 

 

La journée du samedi 6  se passe à attendre les ordres.

 

On ne sait pourquoi on refuse d’obéir à une estafette envoyée en fin de soirée par Paulin Viort, de la Commission municipale du Luc. Ce n’est qu’aux alentours de minuit que l’arrivée d’une estafette de Vidauban déclenche le branle-bas. Il faut se hâter. Le bataillon de la Garde-Freinet s’est mis en route pour Vidauban vers 16 heures. Celui du Luc fort de 800 hommes est à cette heure déjà arrivé dans cette localité.

 

A cette heure de la nuit, on tape aux portes, on crie pour inciter les gens à partir, des menaces peuvent fuser pour décider les éventuels hésitants, on ne peut être considéré comme traître à la patrie.

 

Jean-Baptiste Maunier se met en route avec une trentaine de ses compatriotes, la plupart avec un fusil, par petits groupes échelonnés. C’est la première colonne qui arrive à Vidauban au  »petit matin » de ce dimanche 7, en passant par la Verrerie. Elle ira jusqu’aux Arcs pour rebrousser chemin vers Taradeau et se diriger sur Aups par Lorgues et Salernes.

 

Ils ont emmené avec eux sept personnes connues pour appartenir au parti de l’Ordre, qui s’enfuiront soit en chemin soit en arrivant à Aups.

 

 

25 hommes forment un peu plus tard une seconde colonne qui arrive à Vidauban vers 11 heures. Après s’être restaurés à la société Saint-Eloi, ils rejoignent la colonne principale à l’embranchement des routes de Lorgues et de Taradeau.

 

 

Les Mayonnais forment avec les Lucois un fort bataillon où Camille Muraire est tambour.

 

Si les témoignages désignent Alix Geoffroy toujours, Gallice et Nicolas parfois, comme chef de bataillon, et même si aucun Mayonnais ne donnent un chef parmi eux, on peut supposer que Tousssaint Bérenguier, Emile Lonjon et Séraphin, frère de Solange, exercent une surveillance énergique durant la marche. Ce dernier est même cité par un otage comme ayant le commandement d’une compagnie.

 

Notons le souci du positionnement dans la colonne comme un des indicateurs d’adhésion au mouvement.

 

Les insurgés arrivent à Salernes dimanche soir vers 22 heures. Les prisonniers dont l’organisation de la surveillance a été confiée à Paulin David sont gardés dans l’hôtel Basset. Le curé, lui-même reconnaîtra la protection vigilante et même attentionnée de ses gardiens.

 

 

Après une journée où l’on essaie de s’organiser, la colonne atteint Aups, mardi 9 vers 7 heures du soir.

 

Le mercredi 10 décembre vers 11 heures, le bataillon Luco-mayonnais est sur la place d’Aups, position stratégique, avec  »ceux » du Cannet au moment de l’arrivée des gendarmes et des soldats du 50ème de ligne commandés par le colonel Trauer en présence du préfet Pastoureau.

 

Quelques salves suffisent à provoquer la déroute. Le témoignage de Désiré Ollivier résume bien les raisons du drame : « à 10h30 environ, dans la matinée du 10, la troupe de ligne et les gendarmes arrivèrent; à peine notre général Duteil de Marseille, les aperçut, il prit la fuite et nous restâmes sur la Place avec le bataillon du Luc et du Cannet. Nous subîmes une décharge et je m’empressai de fuir. J’entendis siffler les balles à mes oreilles et je parvins à regagner mon domicile. »

 

 

Treize Lucois laisseront leur vie, tués sur la place ou sabrés par la charge de la cavalerie pendant leur retraite. Ce sera le village le plus cruellement frappé. Henry François dit Praxède, des Mayons, 41 ans, cordonnier, marié, 4 enfants, laissera sa vie à Aups.

 

 


[1] Mistral nous précise le sens symbolique de cette expression. La cougourdo, la gourde est l’emblème de la démocratie provençale. Beure à la cougourdo, boire à la gourde, signifie alors s’affilier à la démocratie. Solange Lonjon précise : « ce chant faisait allusion à la société de Vidauban, dite la Montagne, fermée en février d’après ce que m’ont dit des filles de Vidauban ». Ce qui est en partie exact, car elle doit savoir que ce texte renvoie à la révolution de février 48 et que la Montagne est le parti de Ledru-Rollin.

 

Maquan nous cite un couplet de la chanson du Cougourdier

 

 

 

Meis amis, lou miou plan                                                       Mes amis le meilleur plan

 

Es d’ensarta lei blanc                                                C’est de greffer les blancs

 

Afin qué n’escape plus ges                                        Afin qu’il n’en réchappe pas un

 

Leis ensartaren aou canouné                                   Nous les grefferons en couronne

 

Per qu’agoun pas dé rejetoun                                 Et pour qu’ils ne repoussent plus

 

Foù  coupa jusqu’ei sagatoun                                Nous couperons les derniers rejetons