Les Mayons

Les Mayons – 1851 – Au pays de la dame en rouge

par Bernard Lonjon

troisième partie : Combattants pour la Liberté

 

COMBIEN ONT PARTICIPE ?

 

D’après les témoignages de quelque côté qu’ils soient, c’est une cinquantaine de Mayonnais qui partent rejoindre la colonne des insurgés.

Lors de la répression, les dénonciations faites par le curé et l’adjoint spécial des Mayons en réponse à la circulaire du procureur de la République du 13 décembre nous fournissent des listes de noms classés en catégorie.

C’est le curé qui répond le premier, le 19 décembre.

Il donne 28 noms :            

·        12 qualifiés « les plus méchants »

·        15, dont un de Gonfaron, « méchants, moins méchants que les précédents »

Enfin sans les nommer, « les médiocres » c’est à dire « les insurgés qui sont partis volontairement, mais qui sont partis ou qui ont pris les armes dans le pays plutôt comme des ignorants et des imbéciles, que dans l’intention de faire du mal et qui par conséquent méritent une légère correction plutôt qu’un châtiment rigoureux ».

Il fait un sort particulier à Jean Baptiste Maunier à qui, malgré les griefs, il reconnaît un comportement digne.

L’adjoint Muraire Louis répond quant à lui, le 21 décembre. Il donne une liste nominative plus complète.

On compte :

·        14 « très mauvais » dont 4 qui ne sont pas partis à Aups

·        19 « mauvais » dont 4 qui seraient restés aux Mayons

·        8 « médiocres »

·        7 « forcés »

soit au total 48 Mayonnais plus son frère Ferdinand qu’il cite mais ne veut pas qualifier.

Il ajoute sept personnes du parti de l’Ordre qui sont partis « contraints et forcés », et dont certains seront témoins à charge.

Il y a donc là, trois indications qui concordent, pour nous permettre d’affirmer que c’est bien une cinquantaine de Mayonnais qui partirent pour Aups, alors qu’une centaine participa au mouvement dans le village.

Dans sa lettre du 26 mars adressée au préfet par suite des grâces accordées par Quentin-Bauchart, l’adjoint spécial précise « … je dois vous dire aussi que tous les prisonniers des Mayons étaient réellement tous coupables. Connaissant parfaitement tous les individus de ce petit pays, sur une centaine d’insurgés, nous n’en avons signalé qu’une trentaine qui n’était pas du tout égarée mais qui était bien insurgée volontairement… »

Cette trentaine correspond bien au nombre des « plus méchants » et « méchants » de la liste du curé et aux « plus mauvais » et « mauvais » de celle de l’adjoint spécial. Elle est à rapprocher des 35 noms cités « à chaud » par le curé dans sa déposition du 13 décembre auprès du tribunal et du chiffre qu’il indique pour le rassemblement à la société des Sans soucis dès la nouvelle connue.

Elle nous renvoie aux 28 interrogatoires des Mayonnais qui sont passés devant les tribunaux.

La comparaison des deux listes de dénonciations fait apparaître une correspondance presque parfaite, à tel point qu’on pourrait penser à une consultation préalable entre les deux.

Sans doute des perceptions identiques et des sources communes d’information auprès des « honnêtes gens ».

Pourtant on relève quelques divergences qu’il faut mettre en évidence :

·        le curé signale Solange Lonjon. L’adjoint ne la cite pas. Un oubli assurément volontaire quand on connaît la lettre de recommandation qu’il a adressé le 4 janvier.

·        Ferdinand Muraire n’est nommé que par son frère dans les termes que l’on sait. Apparemment, il ne sera pas inquiété par les autorités.

·        Carpe François, Borrely Adolphe, Friolet Joseph Honoré ne sont cités ni par l’un, ni par l’autre .Les deux premiers furent arrêtés, jugés puis relaxés. On n’a trouvé aucune trace d’arrestation de Joseph Friolet malgré la dénonciation du juge de paix Andrac.

·        Henry François considéré comme très mauvais par l’adjoint, n’est pas nommé, sans doute par respect à sa mémoire, par le curé qui doit connaître en tant qu’otage, sa fin tragique.

·        Tous les Mayonnais arrêtés et jugés sont classés par l’un et l’autre « très mauvais » ou « méchants », exception faite pour Meille Ambroise et Lonjon Edouard Séraphin. Ce dernier a dû pâtir de son homonymie avec le frère de Solange. Une observation d’ailleurs soulignée dans son jugement.[1]

·        Autre situation pour Tambon Bonaventure, Borrely Louis, Ollivier Calixte, Ventre Louis, Muraire fils d’Antoine, Vacquier Etienne, Ginouves André, Lonjon Frédéric, Portal fils de  Léon, qui bien que désignés comme tels, ne paraissent pas avoir été arrêtés.

Ont-ils réussi à fuir ? A-t-on estimé inutile de les arrêter ? Sans doute les deux suivant les cas. Y a-t-il eu confusion dans les noms ? Certainement pour d’autres.

Quoi qu’il en soit, la confiance accordée par les forces de la répression aux dénonciations faites et aux annotations portées au niveau local sont une certitude. Cette méthode d’investigation fut érigée en principe d’action. Les responsables locaux furent relayés par la gendarmerie et le juge de paix du canton. C’était le meilleur moyen pour les autorités d’obtenir des renseignements dans un département où la résistance prit une telle ampleur.

Dans ce climat de délation, on peut imaginer la relativité des appréciations, l’influence des antécédents, des rancœurs, des vengeances et le rôle qu’ont pu avoir les relations de chacun.

On peut se représenter, à la lumière de la correspondance de l’adjoint au procureur de la République en date du 21 décembre 1851, l’atmosphère lourde de crainte, de suspicion et de haine qui a enveloppé le village  « … je dois vous faire part en même temps de la terreur qui règne encore dans cette localité. Outre quelques individus des Mayons qui sont chez eux et de la part desquels il y a encore tout à craindre, on a vu dans les bois qui nous environnent dix à douze insurgés armés jusqu’au dents. Ces individus d’accord avec ceux que nous avons encore ici pourraient bien tomber sur nous pendant la nuit et nous faire beaucoup de mal. Après en avoir conféré avec tous les honnêtes gens, nous avons décidé de vous prier si la chose était possible, de nous donner dix soldats ayant à leur tête un sergent de confiance. Ils passeraient ici quelques jours, il y aurait une sentinelle pendant la nuit et ils pourraient bien faire quelque capture importante. Si cela n’était pas possible, ce que nous regretterions beaucoup, il nous faudrait au moins dix ou douze fusils  pour former un petit piquet pour notre défense en cas d’attaque. »

Dans cette chasse à l’homme, malheur à ceux qui n’ont aucun appui. Car par delà quelques scrupules de façade vite réprimés chez les accusateurs, il apparaît surtout une haine revancharde à la hauteur peut-être de la peur ressentie pendant les évènements. Le ton est donné dans la correspondance de l’adjoint au préfet, en date du 25 mars 1852 : « …je me trouve en ce moment en face de certains individus avec lesquels je ne veux absolument avoir aucun rapport, parce que ma tranquillité serait compromise, attendu qu’il y a tout à craindre de leur part … ils auraient tous mérité d’être punis et privés au moins pour quelque temps de retourner dans leur pays. Je vous dirai cependant que je me résignerai encore à supporter les autres individus qui ont été graciés , mais je ne pourrai jamais me résigner à avoir le moindre rapport avec les sieurs Désiré Ollivier et Alexandre Lonjon, fils d’Appolonie qui ont été graciés et qui cependant auraient mérité Cayenne[2] pour toute leur vie… » et de poursuivre en les traitant d’assassins.

De même pourra-t-on apprécier l’annotation du juge de paix Andrac sur la fiche de renseignements de Blaise Bouisson : « les antécédents politiques de cet homme, sa conduite pendant l’insurrection et sa réputation demandent que la déportation à Cayenne lui soit appliquée. »

Des appréciations locales très sévères on le voit, chargées de rancœur, que même la commission mixte dans l’aveuglement de ses jugements ne suivra pas. Des lueurs de remord, malgré tout, chez l’adjoint, qui a adressé au procureur de la République des lettres de recommandation pour cinq insurgés.

 

 

                                   



[1] Les otages mayonnais adresseront le 4 janvier au procureur une lettre signée Désiré Martel dans laquelle ils le disculpent.

[2] Sentence prononcée avec beaucoup de facilité dans le langage populaire ; on oubliait qu’en général on n’en revenait pas.