Les Mayons

Les Mayons – 1851 – Au pays de la dame en rouge

par Bernard Lonjon

première partie : Les Mayons en 1851

 

LA LEGITIMITE D’UNE EMANCIPATION

Observons dans un premier temps, la volonté des habitants de voir dès 1841 la « section des Maillons » érigée en commune. Quand on sait qu’ils durent attendre le décret impérial du 7 novembre 1863 pour obtenir satisfaction, on peut imaginer les tracasseries auxquelles ils furent confrontés 22 ans durant et les multiples épisodes qui jalonnent le combat mené.

Le 7 octobre 1841 donc, une pétition adressée à monsieur le préfet du Var , fait appel à sa « paternelle intervention » pour obtenir du gouvernement l’érection du hameau en commune.

Après l’exposé des motifs qui porte sur :

·        La gêne provoquée par l’obligation de se déplacer au Luc pour les actes de l’état-civil,

·        L’état de dégradation des fontaines, des rues et surtout des chemins, on peut lire : « cet état de choses en perpétuant notre isolement au milieu des bois tend à nous placer en dehors des bienfaits de la civilisation et nous laisse étrangers à ce mouvement de commerce et d’industrie qui s’opère autour de nous »,

suivent 24 signatures ainsi que la mention du conseiller municipal de l’époque précisant l’adhésion de « tous les habitants ne sachant pas écrire, sans exception ».

Il n’y avait alors qu’un seul conseiller municipal, Jean-Louis Laugier, propriétaire, maréchal-ferrant, 56 ans, né le 7 mars 1785, marié à Muraire Fortunée, deux  enfants, qui siégeait aux séances quand il le pouvait, pour défendre les intérêts du hameau.

En mai 1843, il présente à nouveau, le vœu de la « nomination d’un adjoint spécial pris parmi les habitants du hameau pour remplir les fonctions de l’état-civil ». Le conseil municipal y est d’autant plus favorable que « cela permettrait d’éviter d’ériger en commune une section à laquelle la ville est liée par une communauté d’intérêts ».

Ce n’est que le 2 février 1845 qu’une ordonnance royale confirme l’élection de Joseph Félix Clavel, propriétaire, 52 ans, né le 7 février 1793, marié à Peirier Victoire, 3 enfants, comme adjoint spécial du hameau des Mayons.

Dans ce même temps, l’ouverture d’une école publique communale[1]  et les promesses d’amélioration des chemins  incitèrent les Mayonnais à ne donner aucune suite à la demande initiale.

 

Le mémoire adressé le 14 octobre 1848 au citoyen préfet par les citoyens des Mayons est d’un autre ton.

Ils dénoncent avec force les injustices consécutives à leur situation de dépendance et « le peu d’attention que les habitants du Luc donnent à la glorieuse devise de notre République, Liberté-EgalitéFraternité », pour conclure, « les soussignés ne peuvent plus supporter cet état de choses. Leur position est un véritable esclavage en temps de liberté. Ils demandent la liberté de s’administrer eux-mêmes ».

Suivent 41 signatures et la précision par Ferdinand Muraire, adjoint spécial et Désiré Martel,  futur otage, membre du conseil municipal,  que « plus de  soixante citoyens auraient signé s’ils l’avaient su ».

 

Signe du consensus du moment, considérons alors la lettre adressée une semaine auparavant au citoyen préfet dans laquelle les soussignés Muraire[2], Jean-Baptiste Maunier[3], Martel et Muraire adjoint spécial, « délèguent le citoyen Rouvier, leur desservant  pour lui faire part du peu de liberté dont ils jouissent… » et exposer « les justes réclamations d’un grand nombre de citoyens qui vivent dans l’esclavage en temps de liberté ».

 

A la paternelle intervention très « Monarchie de Juillet » sollicitée en 1841, succède, on le voit, une adresse au citoyen préfet dont la véhémence s’appuie sur l’application des principes républicains ressuscités par février 1848.

Autant dans la première démarche regrette-t-on une mise à l’écart par rapport à un libéralisme économique naissant, autant dans la deuxième insiste-t-on sur le bénéfice d’une liberté pleine et entière accordée par la République.

Pour les Mayonnais, l’adhésion au principe de liberté exprimée déjà par la volonté d’émancipation administrative du chef-lieu, n’est plus dans la seule possibilité de faire commerce et d’être relié au monde extérieur, mais dans la légitimité de s’administrer soi-même, allant jusqu’à parler de  l’affranchissement de l’esclavage que la République a aboli[4].

La référence aux valeurs de la République est à la mesure de l’espoir suscité par la mise en instruction du dossier par le préfet en mars 1849.

Pourtant les dissensions socio-politiques vont prendre le pas sur l’unanimité faite autour d’un dossier qui fera l’objet au milieu de l’année 1850, d’un chantage significatif des enjeux et de l’évolution des rapports de force au point de représenter un facteur décisif de clivage.

 

Notre village est bien représentatif  de la problématique varoise.

Il contribue à faire du périmètre précédemment défini où le Luc joue un rôle moteur, ce territoire privilégié de l’avancement des idées démocratiques et  lieu de vives tensions entre gens du parti de l’Ordre et Républicains démocrates et sociaux. Les évènements locaux repérés, se situent bien dans le contexte qui fait du Var un département « atypique » et plus particulièrement le Centre Var autour du Luc.

Les relations avec le chef-lieu constituent pour notre hameau un élément déterminant d’évolution et d’implication.

Malgré son isolement, notre village n’échappe ni aux espoirs nés de février 48, ni à l’implantation des idées démocratiques et sociales, ni à la montée de la répression dès fin 1849, ni à la déception provoquée par le viol de la Constitution.

 

 

                                   



[1] Dont la demande fut formulée en 1838. 

[2] Louis Athanase, frère de Ferdinand, futur adjoint spécial.

[3] Futur adjoint nommé lors de l’insurrection.

[4] Par le décret du 27 avril 1848 auquel est attaché le nom de Victor Schoelcher.