Les Mayons

Les Mayons – 1851 – Au pays de la dame en rouge

par Bernard Lonjon

première partie : Les Mayons en 1851

 

UNE COMMUNAUTE VILLAGEOISE DE FAMILLE.

 

La hiérarchie sociale repose sur la possession du sol qui détermine niveau d’aisance et notabilité.

Mettons à part les 2 000 ha du comte de Greffulhe , non résidant, qui fait exploiter ses propriétés , essentiellement des bois, par deux fermiers, nous l’avons vu, l’un à Rascas, l’autre au Cros de Mouton, et les fait surveiller par un garde forestier, installé au village depuis 1843, Joseph Honoré Friolet. Cette propriété représente dans l’esprit, l’espace communal.

La Charte Portanière[1], en aucun moment remise en cause[2] garantit en effet aux habitants des  Maures du Luc « la liberté d’utiliser …et de faire paître leurs troupeaux sans payer aucun droit de pâturage et sans amende ou peine, de couper un arbre ou des arbres autant qu’ils voudront, de bénéficier du bois d’oeuvre, de couper du petit bois, de recueillir des glands et de les gauler, de chasser, de pêcher, d’établir des ruches et généralement d’exercer tous droits quelconques… ».

Sans doute est-ce pour cette raison qu’on  ne trouve pas trace de conflits liés à l’usage des forêts. Certes durent-ils être partie prenante dans les conflits qui en revanche opposèrent dès l’application du Code forestier, Le Luc à l’administration forestière et au comte de Colbert, et rester vigilants sur les forêts du Balançan, puisque 16 d’entre eux sur 36 lucois ont bénéficié en 1850 d’une concession tirée au sort pour l’utilisation des clairières suivant des lots réservés aux « peu aisés ».

Sur la base de la superficie du territoire actuel, la répartition des 900 hectares restants entre les 109 chefs de ménages recensés en 1851 constitue donc l’assise de notre société villageoise.

Ce recensement nous fournit une classification héritée de la nomenclature provençale traditionnelle, dans laquelle, si la terminologie « propriétaire-ménager-cultivateur » correspond encore aux « bourgeois-ménager-travailleur » de l’Ancien Régime, apparaissent des mentions supplémentaires qui sont  le signe d’une approche nouvelle de réalités sociales en pleine mutation[3].

 

Parmi les 109 chefs de ménages qui ne sont qu’une nécessaire base de référence fournie par la source étudiée, seuls 14 sont désignés par un terme autre qu’une catégorie agricole. Avec le curé, l’instituteur et le garde forestier, nous avons seulement : un maréchal-ferrant , un cafetier, deux aubergistes, un boulanger, deux maçons, deux cordonniers, un revendeur, un tisserand, ce qui minimise trop fortement le monde des métiers et de la boutique, mais ne signifie pas pour autant qu’ils ne possèdent pas de terre, bien au contraire souvent, quand on sait que le capital foncier assoit le commerce et la fabrique. Le meilleur exemple en est pour nous la possession de deux fabriques de bouchons par deux « propriétaires ».

La désignation des catégories agricoles traduit bien le brouillage de la nomenclature traditionnelle.

 

Nous avons :

·        8 propriétaires

·        7 propriétaires, ménagers

·        37 ménagers « propriétaires-cultivateurs »

·        42 cultivateurs

·        2 ménagers fermiers.

 

Dans cette classification, le 1er terme apparaît désigner le statut juridique hérité de l’Ancien Régime,  le deuxième, la fonction sociale plus moderne, qui met en évidence l’éclatement de la situation des ménagers, socle de nos sociétés villageoises.

 

Les propriétaires, excepté pour un, possèdent les indicateurs qui permettent de les classer dans la catégorie de ceux qui ne travaillent pas eux-mêmes leurs terres,  même si leur possession ne dépassent jamais 30 ha, à savoir, « la femme vivant des revenus de son mari » et /ou l’emploi d’un domestique. Ce sont les notables qui représentent le hameau aux instances locales et sont les références de « l’opinion officielle ».

 

Les propriétaires, ménagers ont des propriétés comprises entre 10 et 30 ha.  Contrairement aux précédents, ils travaillent maintenant eux-mêmes leurs terres. Les femmes sont d’ailleurs désignées par la même profession que les maris. Leurs possessions leur procurent un niveau d’aisance qui, associé à leur statut, justifie leur notabilité.

 

Les ménagers, propriétaires cultivateurs ont des superficies comprises entre 3 et 10 –15 ha. Une grande partie d’entre eux ne peut plus faire vivre sa maisonnée des seuls revenus de ses propriétés. Plus encore que pour la catégorie précédente, le morcellement successoral rejette les fils vers des professions autres que celles de l’agriculture ( artisanat – bouchonnerie), ou rend indispensable le travail à la journée pour vivre.

 

Une situation qui est le lot des cultivateurs qui possèdent en général moins de 3 ha.

 

Quelle que soit la superficie appropriée, la possession d’un jardin, d’un morceau de vigne olivier et de labour, d’une parcelle de châtaigniers et d’une partie de maison constitue la structure la plus communément répandue. Chez les ménagers, il faut y ajouter une écurie-grenier.

 

La pyramide sociale repose sur une large base constituée par une majorité de détenteurs de propriétés de faible importance et très souvent insuffisantes.

Notre société qui continue à puiser dans une profonde ruralité encore accentuée par son isolement, tend sous l’influence des évolutions économiques à se diversifier et se complexifier. Le développement de la production et des échanges associé aux effets du morcellement successoral apparaît jouer un rôle d’exclusion vers les vicissitudes de la modernité et rend encore plus souvent nécessaire les activités multiples.

Cette société qui reste hiérarchisée, continue à se décloisonner et voit se développer de nouvelles catégories sociales (ex. les bouchonniers). Repliée sur elle-même, sa cohésion repose sur un relationnel privilégié fondé sur le tissu des liens matrimoniaux formés en son sein.

 

Si notre communauté forme bien une entité caractéristique des villages de Basse Provence d’alors, sa situation administrative en revanche, qui la place en état de « suzeraineté » vis-à-vis de la commune du Luc va être source, à partir de 1841, d’une procédure d’émancipation qui représente le fil conducteur de l’histoire contemporaine du village et dont la rupture du cheminement en 1850 illustre parfaitement l’évolution des rapports socio-politiques de l’époque

 

 

                                   



[1] du nom du notaire royal d’Hyères qui a reçu l’acte au XVème siècle.

[2] et dont on ne sait si elle est de nos jours caduque.

[3] Cf Agulhon : « L’agriculture et la société rurale du Var » in Etudes d’Histoire Provençale.