LES CINQUANTENAIRES DE LA SECONDE REPUBLIQUE
LES CINQUANTENAIRES DE LA SECONDE REPUBLIQUE (1898-1902) par Sébastien Guimard Mémoire de maîtrise sous la direction de Madame Rosemonde Sanson Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Juin 1996. DEUXIEME PARTIE COMMEMORATIONS
ET ENJEUX II LES ENJEUX SOCIAUX 2) LE CINQUANTENAIRE DE LA LOI FALLOUX Le cinquantenaire de la loi Falloux ne donne pas lieu à des manifestations commémoratives. Seul un article paru en février 1900 dans la revue jésuite Etudes, intitulé le cinquantenaire de la loi de 1850, mentionne que l’Alliance des Maisons d’Education Chrétienne lors de son congrès annuel en août 1899 a émis le voeu que dans toutes ces maisons d’éducations chrétienne on célèbre le cinquantenaire de la loi, soit le 15 mars 1900 (date anniversaire du vote), soit le 19 mars 1900 (pour la saint Joseph). Les fêtes se dérouleraient en commençant par une fête religieuse (messe de communion, prédication…) à laquelle on ajouterait selon les circonstances une séance musicale, littéraire ou philosophique. Cependant on ne trouve à l’occasion du cinquantenaire aucun écho de ces célébrations que ce soit dans la revue Etudes (qui pourtant l’annonçait) ou dans la presse catholique avec La Croix et L’Univers. Ces deux derniers organes comme d’ailleurs l’ensemble de la presse, qu’elle soit catholique ou républicaine, ne consacrent même pas un article commémoratif pour l’occasion, ce qui est assez surprenant.
Surprenant en effet dans la mesure où le cinquantenaire de la loi Falloux a été l’occasion de débats et polémiques autour du thème de la liberté d’enseignement. Cependant les supports matériels de ces débats ne furent pas des manifestations publiques (réunions, conférences…) ni la presse quotidienne, mais les livres et les revues. Notre travail ne consiste pas ici à dresser un grand panorama de la lutte autour du thème de la liberté d’enseignement. On retrouve dans chacun des livres ou articles qui paraissent sur le sujet à l’occasion du cinquantenaire de la loi Falloux les arguments classiques de chacun des deux camps. Pour les uns l’état doit être l’instituteur de la jeunesse, l’unité nationale réclame l’unité de l’enseignement, les droits de l’enfant priment sur la liberté de l’enseignement, il faut délivrer le pays de la superstition… . Pour les autres on insiste sur la transmission de valeurs morales à l’enfant, la liberté de conscience, on dénonce en cas de retour au monopole la routine qui régnerait en maîtresse, la plaie du fonctionnarisme… . Il s’agit plutôt de voir comment les références à la seconde République interviennent dans le débat. Rappelons tout de même que la campagne de laïcisation de l’état menée depuis 1898 par la gauche radicale et socialiste, si elle ne triomphe qu’avec le bloc des gauches (1902-1906), a cependant en ce début d’année 1900 déjà eu quelques conséquences notamment avec deux propositions de loi à la Chambre : l’une visant à interdire les postes de la fonction publique à quiconque ne justifierait pas d’au moins trois années d’étude dans un établissement public, l’autre à l’initiative du médecin, député radical-socialiste du onzième arrondissement (1898-1910), Léonce Levraud, visant à revenir au monopole d’état. Au niveau des livres on peut d’abord rapprocher deux synthèses qui émanent de catholiques partisans de la liberté d’enseignement. Il s’agit d’une part d’un recueil d’articles du père Joseph Burnichon sur le thème de la liberté d’enseignement publiés dans Etudes, intitulé Cinquante ans après, la loi de 1850. L’autre est l’oeuvre d’Henri de Lacombe, qui fut un proche de Mgr Dupanloup, elle est intitulée La liberté d’enseignement. On retrouve des points communs tant dans la présentation des circonstances du vote de la loi en 1850 que dans l’argumentation polémique. On rend hommage à quatre principales personnalités qui sont à l’origine de cette loi; Falloux bien sûr, mais aussi Mgr Dupanloup, Montalembert qui « sera toujours l’ancêtre des chevaliers du droit« , et Thiers « le père et orateur des libertés nécessaires« ; le père Burnichon reconnaissant tout de même que l’attachement de Thiers à la liberté d’enseignement tenait plus à une crainte du socialisme, surtout après les journées de Juin, qu’à une réelle conviction. On considère ensuite que par les lois Ferry des années 1880 il ne reste maintenant de la loi Falloux que le principe de la liberté d’enseignement. Enfin la politique menée par le ministère Waldeck-Rousseau est considérée comme la volonté d’abroger ce qui reste de la loi Falloux, et c’est là que la polémique se déchaîne puisque pour l’un il s’agit d’une « guerre d’extermination contre les précieux débris de l’enseignement chrétien » et le second compare Waldeck-Rousseau à l’empereur romain Julien l’Apostat responsable de persécutions contre les premiers chrétiens. L’argumentation pour la défense de la loi Falloux est orientée principalement sur la fibre républicaine. Aussi on cite souvent des universitaires acquis aux idées républicaines qui cependant se montrent attachés à la liberté d’enseignement, et à propos de la seconde République on cherche presque à idéaliser la « libérale devancière » d’où sortit la loi de 1850. Henri de Lacombe insiste particulièrement sur ce thème en rappelant que déjà l’assemblée constituante de 1848, « l’assemblée la plus honnêtement et sincèrement républicaine qu’ait eu la France« , reconnut le principe de la liberté d’enseignement. Il rappelle également que la première République dans la constitution de l’an III en fit de même. Ainsi il conclut son premier chapitre en indiquant que l’abrogation de la loi Falloux serait non seulement une atteinte à la liberté de conscience mais aussi une contradiction avec la tradition républicaine. Ces deux livres suscitent la réaction du critique catholique Edouard Pontal dans le Polybiblion1; pour chacun il y voit la réfutation à tous les arguments, qualifiés de sophismes, des adversaires de la loi Falloux. Il constate aussi dans ce renouveau de l’anticléricalisme depuis l’affaire Dreyfus que « les amis et défenseurs d’un traître se doivent d’être tout naturellement les ennemis de la liberté et de la patrie« . Mentionnons également un livre auquel il est souvent fait référence dans le camp catholique. La biographie de la principale figure de la lutte pour la liberté d’enseignement, Montalembert, par l’un des principaux porte parole des catholiques cinquante ans plus tard, le révérend père Lecanuet. Dans la préface du tome II publié en 1898 et consacré aux années 1830-1850 la lutte pour la liberté d’enseignement est qualifiée de « la plus belle des causes » et l’auteur appelle les catholiques à suivre l’exemple de « nos pères qui surent s’unir pour agir« . La réponse du camp laïque est apportée par le libre penseur, radical, directeur de La Dépêche de Toulouse, Arthur Huc auteur de La loi Falloux, le cléricalisme à l’école. Ce livre est un plaidoyer contre l’ingérence de l’Eglise en matière d’éducation et pour un retour au monopole envisagé comme l’unique solution à la division du peuple français. En ce qui concerne les références au passé on trouve une réponse à presque tous les arguments des cléricaux. Ainsi la liberté d’enseignement accordée sous la première République ne doit son existence qu’à « la faveur de la réaction thermidorienne« . La reconnaissance du principe de la liberté d’enseignement par l’assemblée constituante de 1848 est perçue comme l’une des erreurs d’une assemblée trop généreuse. Quant à la loi Falloux elle est qualifiée de « loi scélérate » et les conditions dans lesquelles elle fut votée de « guet-apens« . Pour l’auteur cette loi est doublement entachée de sang : celui des journées de Juin qui permit d’effrayer la bourgeoisie qui à l’image de Thiers ne voyait plus de salut que dans l’encadrement des masses par le Clergé, celui du 2 décembre 1851 qui fut pour cette loi un baptême. Bonaparte est vu comme le véritable auteur de la loi car sans son élection cette loi n’aurait certainement jamais vu le jour. A.Huc rend alors hommage à Cavaignac qui tout à son honneur refusa les propositions de Montalembert. Il évoque aussi la difficile situation des instituteurs laïcs de l’époque, victimes selon lui de véritables persécutions, et rappelle les paroles de Thiers voyant dans les trente-sept mille instituteurs trente-sept mille socialistes. Le personnage de Thiers, le bourgeois voltairien orléaniste se ralliant aux catholiques par peur du socialisme, est souvent le point essentiel retenu dans le camp laïc par ceux qui se penchent sur les ouvrages parus pour le cinquantenaire. On le remarque entre autre avec H.Bourgin dans La Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine2 à propos d’Arthur Huc et Alphonse Aulard dans La Révolution Française3 à propos d’Henri de Lacombe (ce dernier en fait d’ailleurs l’une de ses cibles privilégiées). Dans les revues, en dehors d’Etudes, c’est la revue catholique Le Correspondant qui se consacre à l’événement4. Cette revue fut celle dans laquelle Montalembert exposa le plus souvent ses idées sur la question de la liberté d’enseignement dans les années 1830 et 1840. Deux articles sont publiés pour l’occasion. Le premier, intitulé Le cinquantenaire de la loi du 15 mars 1850 : la conquête d’une liberté (1830-1850), retrace les principales étapes de la campagne des catholiques couronnée au bout de vingt ans par la loi Falloux. On cherche à mettre en valeur le caractère sage et tranquille de cette campagne, et, s’il y eut quelques dérapages (« représailles, insultes… ») de la part de « catholiques indignement calomniés » ils ne furent le procédé que d’une minorité et non de la majorité du Clergé. La révolution de février est traitée assez favorablement. L’attitude de Thiers retient aussi l’attention mais elle est présentée de telle manière qu’elle met en valeur l’oeuvre des catholiques. On admet en effet que Thiers soutint la liberté de l’enseignement surtout pour sa crainte du socialisme, aussi dans cette optique la vision sociale de Thiers se limitait à une bourgeoisie voltairienne élevée par l’Université, garantie contre les révolutions par la mainmise du Clergé sur les classes populaires. Mais « ce fut aux catholiques qu’échut l’honneur de réfuter cette thèse impertinente et antiégalitaire« . Enfin on insiste sur le caractère libéral de la loi Falloux en réponse aux accusations des républicains qui y voient une loi de réaction : en référence à Montalembert qui parle de concordat à propos de cette loi, on précise qu’elle constituait « une paix durable et non une mesure violente inspirée par l’esprit de secte« . Le second article est signé du duc De Broglie, membre de l’académie française, et est intitulé Cinquante ans après. Cet article se présente plus comme un bilan sur les conséquences de cette loi pendant cinquante ans. Le bilan s’avère être évidemment positif. La méthode employée consiste en une comparaison avec les autres libertés et il en ressort que la liberté d’enseignement s’impose comme la première des libertés : « Liberté de la presse, liberté du suffrage électoral, liberté de la discussion parlementaire ou législative, quelle n’a pas été dans un laps de temps à peu près pareil, la destinée agitée et précaire de ces précieuses franchises! Proclamées avec plus d’ardeur que de prudence dans des journées de troubles révolutionnaires, ne leur est-il pas arrivé trop souvent de lasser, de dégoûter par leurs abus ou leurs excès, ceux mêmes qui les avaient réclamées avec passion et enthousiasme? … Toute autre a été la liberté d’enseignement, établie non par un plan irréfléchi, mais à la suite d’une polémique suivie pendant plusieurs années contre des préjugés invétérés, ce fut une transaction mûrement débattue« . L’article se termine par une dénonciation des dangers du retour au monopole, et, se fait même presque menaçant en prévoyant qu’au nom de l’unité nationale on ne ferait que renforcer la division et que de toute façon « la conscience publique ne l’accepterait pas« .
1Polybiblion, Tome 50, 1900. 2La revue d’histoire moderne et contemporaine, Tome 2, 1900. 3La révolution française, octobre 1902. 4Le correspondant, mars 1900. |