La Constitution. Le coup d’Etat hypocrite.

texte publié dans le Bulletin n°23, avril 2003

Nous donnons ci-dessous les deux premiers chapitres de l’opuscule Le coup d’État de décembre 1851 dans le Var, par Alexandre Gariel, Ancien conseiller de Préfecture, Draguignan, Imprimerie Gimbert fils, Giraud et Cie, 1878.

 

Jacques Louis Alexandre Gariel (1814-1895) est une figure du républicanisme avancé varois, et un bon exemple de ces notables “rouges” propagateurs des idéaux démocratiques. Né en 1814 à Régusse (Var), où il est propriétaire, il est notaire dans la proche localité de Salernes à la fin de la Monarchie de Juillet et sous la Seconde République. Il est un des dirigeants de la Montagne du Haut Var, correspondant du grand journal de la démocratie socialiste méridionale La Voix du Peuple, (devenue ensuite Le Peuple). Après l’insurrection, il est déchu de sa charge de notaire, condamné à la transportation en Algérie moins (Tlemcen), sa peine est commuée en expulsion en septembre 1854. Il ne renie pas ses idées démocratiques. En septembre 1870, les démocrates varois prennent le pouvoir départemental. Le Salernois P.Cotte, qui fut un des dirigeants de l’insurrection du Haut Var en 1851, devient préfet, il choisit Gariel comme conseiller de préfecture. Ces républicains avancés seront évincés par le gouvernement dès le printemps 1871, mais conserveront le soutien du corps électoral. En tant que victime du coup d’État, Gariel recevra en 1882 une pension de 1000 fr. En 1883, il est élu maire de Régusse en 1883 (il remplace son frère, notaire et maire).

Sur Gariel, on consultera la thèse d’Émilien Constant, Le Département du Var sous le Second Empire et au début de la Troisième République, Université de Provence, Aix-en-Provence, 1977 et d’Émilien Constant toujours : “De la Seconde à la Troisième République le parcours d’un Varois : Paul Cotte, rebelle et politique”, dans notre publication Provence 1851, une insurrection pour la République (Association 1851, 2000).  Sur l’insurrection à Salernes, cf. l’article de Frédéric Négrel, “Salernes et les sociétés secrètes” (sur notre site internet).

René Merle

 Le coup d’État de décembre 1851 dans le Var

par Alexandre Gariel, Ancien conseiller de Préfecture, Draguignan, Imprimerie Gimbert fils, Giraud et Cie, 1878.

 

Le Mausolée d'Aups (1885) - photo Gilbert Suzan

La Constitution. Le coup d’État hypocrite.

Chapitre I

La Constitution

La République du 24 février 1848, en fondant le suffrage universel, s’est acquis un titre de gloire et de reconnaissance impérissable dans l’esprit de tous les peuples. Bien que novice dans cette carrière, la France répondit assez bien aux espérances qu’avaient conçues les fondateurs du suffrage national. Notre Constituante fut républicaine en grande majorité, mais fractionnée en nuances diverses comme le gouvernement provisoire qui avait présidé à son élection. C’est peut-être à cette diversité d’opinions réciproquement réfractaires, qu’il faut imputer la stérilité de notre République, organisée d’ailleurs par des législateurs novices, étonnés de leur puissance souveraine.

Surpris et embarrassés de cette grande élévation dont ils devaient compte et réserve à la nation qui les avait élus, nos constituants s’empressèrent de se dépouiller de cette suprématie sans rivale, pour en investir un monarque de leur fabrique, appelé président, à la place du roi, mais plus puissant que les derniers rois, alors même qu’on ne l’aurait pas grandi par le prestige rayonnant de l’élection par le suffrage universel.

Voilà un élu formidable, maître absolu de toutes les forces vives du pays, qui, prince ou simple mortel, pourra écraser tous ses commettants au gré de son ambition, et qui dominera fatalement de sa corpulence nationale tous les mandataires du peuple élus en territoires fractionnés.

Par cette élection présidentielle, nous sommes bien tristement les plagiaires des États-Unis, comme si nos départements, enchaînés au pouvoir central, pouvaient être assimilés aux 35 gouvernements fédérés de l’Union américaine.

Par les autres règlements de notre constitution, nous nous sommes faits, purement et simplement, les plagiaires de nos vieilles Constitutions. Il fallait, à la nouvelle Constituante, le génie créateur ; et elle n’a trouvé, dans sa bonne volonté, que l’esprit de routine des vieilles républiques et des vieilles monarchies.

Si on se fut souvenu au moins de l’antique gouvernement de Lacédémone, de cette ville de Sparte qui, ayant conservé la royauté au milieu des républiques de la Grèce, avait en même temps institué le conseil des Éphores, magistrature de cinq membres qui avait pouvoir et mission de contrebalancer l’autorité du roi, on aurait pu créer une institution analogue assez forte pour arrêter notre président-potentat dans ses entreprises illégales, liberticides ou injustes.

Notre conseil d’Éphores spartiates aurait nommé aux emplois supérieurs, et même à toute la hiérarchie des fonctions publiques, et aux grades de l’armée.

L’Assemblée nationale aurait pu encore se réserver directement le droit de désigner les officiers généraux et les régiments qui auraient tenu garnison dans la capitale et les environs.

Nos Éphores seraient un ministère de nomination aux emplois de la République.

Le Président et ses conseillers seraient un ministère d’action et d’exécution.

La direction générale, au Parlement.

Si on eût pris ces petites précautions, nous n’aurions jamais eu la réjouissance d’un coup d’État, ni de la part d’un prince-président, ni de la part d’aucun autre aventurier, quelle que fut sa bonne volonté ou son audace à devenir parjure, en violant les lois et la patrie.

 

§ 2

Si nous avons manqué de prudence à l’intérieur, nous avons manqué de tactique à l’étranger, surtout dans l’expédition de Rome, destinée à rendre au pape son pouvoir temporel contre la volonté du peuple romain.

L’expédition avait été autorisée, en termes ambigus, par la constituante, sous le prétexte d’assurer l’ordre et la liberté aux Romains ; ce qui, d’ailleurs, n’était pas de notre compétence.

Mais, au lieu de cette protection intempestive, Napoléon voulut faire et fit, en traître, la guerre à la République de Mazzini et de Garibaldi, pour remettre le pontife sur le trône de César.

À cette nouvelle, notre Constituante exaspérée, rendit un décret invitant le prince-président à ne plus détourner de son but l’expédition de Rome.

C’est tout ce qui sortit de la belle indignation et de la cervelle de nos constituants, pour réprimer cet attentat, cette félonie, cette violation de notre Constitution qui défend d’attenter à la liberté d’aucun peuple.

Nos députés, qui ont voté ce simple décret, ont commis une double faute en laissant commettre un double crime : violation de nos lois, oppression d’un peuple ami dont l’alliance entrait dans les plus chers intérêts de la France. Crime envers la France, crime envers l’Italie, désertion du devoir qui incombait à nos mandataires, inertie de caractère, alors qu’il aurait fallu condamner le grand coupable à une détention perpétuelle.

 

§ 3

Après une pareille faiblesse de ses adversaires, Bonaparte comprit trop bien qu’il pouvait préparer avec assurance l’expédition de Rome à l’intérieur, ainsi que M. de Montalembert eût l’audace de l’y inviter du haut de la tribune française.

La Constituante, restée sans force et sans prestige, n’avait plus qu’à se retirer tristement ; ce qu’elle fit, sur l’invitation d’une bande de pétitionnaires royalistes et sacristains. Les souverains mandataires de la nation s’en allèrent comme une bande d’écoliers qui quittent la classe sur l’ordre du magister.

 

§ 4

En définitive, la grande faute de la Constituante a été un excès de confiance.       

Devant les hommes, les dogmes et les superfétations de l’ancien régime, abattus et terrassés, nos mandataires, se croyant isolés dans les sphères du vide, ne songèrent plus qu’à relever ce qui était tombé, à retenir ce qui parut trop élevé sur les pieds de bronze du suffrage universel.

On crut aux applaudissements hypocrites du vieux monde ; on crut à la bonne foi des monarchistes qui acclamèrent la République 17 fois dans une seule séance de l’Assemblée ; on crut, dans les provinces, à la bonne foi des hommes d’ancien régime qui firent partout des banquets de conciliation avec le peuple, en l’honneur de la République. On crut à la sincérité du clergé qui vint bénir les arbres de la liberté, qui vint bénir le gouvernement de la terre au nom des puissances du ciel.    

Maintenant que notre confiance a été si souvent déçue, nous nous garderons désormais de notre propre ingénuité. Nos déceptions multipliées sont, pour nous, comme l’histoire graduelle du cœur humain, qui nous rappellera la prudence des Spartiates. Nous saurons que, pour fonder des institutions durables, il faut les entourer de garanties contre les sectaires des vieux régimes, violateurs des lois, ennemis implacables du droit national.

En 1848, la France était devenue tout à coup foncièrement républicaine, puisqu’elle envoya une grande majorité de républicains à la Constituante.

Mais devant la politique de cette Constituante, politique incolore, ingénue, sans vigueur et sans but, la France recula et rentra sous l’ombre de la monarchie. C’est pourquoi elle fit, en 1849, des élections monarchiques.

Quelle que put être, d’ailleurs, cette dernière élection, Bonaparte avait déjà machiné, ourdi, monté, le plan de son coup d’État. La Constitution lui avait laissé le chemin libre. Une Constitution républicaine, pleine d’articles monarchiques.

 

 

CHAPITRE II

Le Coup d’État hypocrite

En fouillant les dernières cavernes de l’Olympe monarchique, loin de nous la vaine espérance d’y rencontrer Minerve, ni les Grâces, ni les Muses d’Apollon. L’histoire bonapartiste est tout entière du ressort des Parques, des Bacchantes et des Furies.

Ministres du héros de Boulogne, préfets, officiers de cours, procureurs généraux et substituts, juges-commissaires et agents de police, tous étaient montés au diapason de la folie, pour commettre le crime, la violation des lois et l’assassinat du peuple.

Achille, le féroce héros de la guerre de Troie, n’immola que douze Troyens sur le tombeau de Patrocle ; les bonapartistes avaient juré d’immoler tous les républicains sur la tombe de la monarchie.

Et cependant, à l’heure où les ferments du crime étaient bouillonnants dans les cervelles du parti conservateur, la France était dans un calme profond ; aucun souffle de discorde ou d’aigreur ne venait ternir le miroir de notre politique intérieure. Le parti républicain, dans toutes ses nuances, restait paisible et serein devant toutes les provocations du parti qui triomphait dans le gouvernement et dans le Parlement. Toutes les lois abominables contre la liberté, contre la presse, contre le progrès, contre la République et contre le suffrage universel, trouvaient la démocratie indifférente et dédaigneuse, dans l’espoir des prochaines élections de 1852.

« Nous avons été battus dans les dernières élections ; nous espérons nous rattraper dans quelques mois ; nous espérons gagner quelques sièges, sinon la majorité. Nous n’attendons notre triomphe que du temps et du progrès des esprits. »

Telle était la pensée à laquelle le parti républicain soumettait toute sa conduite et toutes ses résolutions.

C’est en ce moment que tous les conspirateurs des trois factions monarchiques ourdirent les dernières trames de leurs crimes contre nos institutions, avec les bénédictions de tous les jésuites et de tous les capucins de l’univers.

 

Joignant l’hypocrisie à l’audace furieuse, l’artifice du langage à la scélératesse la plus violente, le président Bonaparte, devenu directeur, écrit, dans sa première proclamation de Décembre 1851 : Qu’il sort de la loi pour rentrer dans le droit.

Bonaparte rentre dans le droit en restant dictateur perpétuel, pire que Scipion et Scylla.

Il rentre dans le droit, et il ferme la porte de l’Assemblée nationale, en faisant arrêter tous les députés dont il redoute l’influence.

Il rentre dans le droit, en faisant tirer, par feux de peloton, sur les passants et les promeneurs du boulevard, pour se mettre en train.

Il rentre dans le droit, et il ordonne, à ses préfets et à ses généraux prétoriens, de faire fusiller quiconque se présentera pour défendre la Constitution, 1’unique droit de la nation.

Bonaparte rentre dans le droit, et, dans tous les départements, on égorge, on emprisonne, on transporte sans jugement au nom de Louis Bonaparte.

Le sycophante de Décembre rentre dans le droit, et les élections se font sous l’impression perpétuelle de la terreur, sous la pression du sabre, avec le concours perpétuel de la fraude dans 1’urne électorale.

Voilà Napoléon Bonaparte, traître et parjure, en compagnie de ses ministres : Morny, Persigny et Saint-Arnaud !

Dans notre département du Var, les ministres de Bonaparte s’appellent : Pastoureau, son préfet ; Bigorie de Laschamps, son procureur impérial, et Levaillant, son général prétorien, triumvirs exécuteurs des œuvres du prince parjure à son serment.

 

Alexandre GARIEL