Insurgés et opposants dans les Bouches-du-Rhône

Intervention lors de la journée d’études et de rencontres de 1851-2001, à Ste Tulle, le 23 juin 2001 Hugues BREUZE

 

Insurgés et opposants au coup d’État du 2 décembre 1851 dans les Bouches-du-Rhône

 deuxième partie

 

 

2§. L’opposition républicaine dans les campagnes

 

« On sait ce qui arrive à ceux qui attendent en temps de révolution. Lorsqu’ils appellent après avoir attendu, on leur répond le mot fatidique : Il est trop tard [1] »

 

Une fois l’échec du mouvement acquis dans les principales villes, les campagnes du département paraissent comme la seule issue permettant de relever l’étendard de l’insurrection : on espère se réunir en bandes armées et se concerter sur l’objectif primordial à définir : lancer une attaque sur Marseille ou sur les sous-préfectures ou bien aller rejoindre et prêter main-forte aux insurgés du Vaucluse, du Var ou des Basses-Alpes.

L’arrondissement d’Arles reste pourtant relativement calme ; c’est surtout à Mallemort (canton d’Eyguières) qu’une certaine agitation a vu le jour, le soir du 7 décembre, lors d’une réunion « assez nombreuse » de républicains locaux : « Il a été question dans cette réunion de décider les frères et amis à celler (sic) un secours des frères du Vaucluse qui se proposent, dit-on, de faire une descente sur Avignon. Plusieurs ont senti faiblir leur courage et compris un peu tard les conséquences des serments que dans leur conciliabule ils avaient prêté un peu légèrement sous l’influence (…) du vin. Il est déplorable que de malheureux pères de famille se soient laissés entraîner dans une voie aussi dangereuse sans prévoir qu’un moment pourrait arriver où sous la menace du poignard on leur demanderait de tenir leurs engagements ». Malgré la présence le    lendemain 8 d’un émissaire étranger à la localité cherchant « à réchauffer le zèle des frères et amis et à enrôler des soldats de l’émeute », les républicains de Mallemort n’osent passer à l’acte : « Il est de fait, d’après des renseignements particuliers et bien précis, que la société des montagnards de cette commune a reçu l’ordre de marcher et que plusieurs de ceux qui fesaient (sic) les fanfarons, tant que l’événement était éloigné, paraissent consternés aujourd’hui ; (…) il sera difficile de les entraîner » [2]. Mais la commune n’est pas encore à l’abri, ce qui inquiète son maire : « Située à l’extrémité Nord du département, elle est le trait d’union qui réunit le département du Vaucluse à celui des Bouches-du-Rhône. Le pont suspendu qui réunit les deux rives nous place au centre des communications que les sociétés secrètes entretiennent dans les deux départements. (…) il est évident que si jamais un coup de main devait être tenté avec le concours des frères et amis des deux rives, nous aurions les honneurs d’être les premiers attaqués. (…) nos adversaires au moyen des intelligences qu’ils entretiennent entre eux par Avignon et Cavaillon reçoivent les avis officiels 24 heures avant nous (…) [3] ».

En fait, la proximité du Vaucluse déchaîne à elle seule toute l’inquiétude des autorités locales des communes du nord du 3ème arrondissement : ainsi, à Orgon, on a vu s’établir pendant les troubles du Vaucluse, à 7 ou 8 km de la commune, un poste avancé d’insurgés suscitant agitation et inquiétude chez la population acquise à l’ordre : ainsi lors d’une fausse alerte « dans la nuit du 9 ou 10 décembre (…) [en] moins de 5 minutes la population presqu’entière fut sous les armes et très disposée à repousser les malfaiteurs, s’ils s’étaient présentés. (…) cette prise d’armes n’a servi qu’à prouver aux gens mal intentionnés qu’une tentative faite sur Orgon serait vigoureusement repoussée [4]».

Même démonstration conservatrice à Châteaurenard lors de la réception de la nouvelle du coup d’Etat – la date n’est toutefois pas précisée – : « près de cent citoyens se rendirent en armes à la mairie. Toute la nuit des patrouilles furent faites dans la ville. Les démagogues furent attérés (sic) par cet appareil de guerre.(…) Quelques rassemblements eurent lieu sur la voie publique et se dispersèrent sur les sommations qui leur furent faites [5]». Le maire de la commune estime pourtant que le danger est encore loin d’être écarté : « (…) les cris qui étaient partis de cette foule, la nature de ces réunions, la qualité des hommes qui les composaient, n’étaient point fait pour me rassurer complètement pour mon pays (…). D’autant plus que nous étions menacés ce soir là de l’arrivée des insurgés qui s’étaient emparés de l’Isles [8 décembre [6]] et qui étaient attendus ici par les démagogues de notre commune ». Il se refuse pourtant à opérer des arrestations « qui n’auraient fait qu’aiguillonner le peuple » [7] ; sentiment justifiable au vu de la situation le 9 décembre : « Au moment où le conseil municipal délibérait (…), une tourbe d’audacieux, à qui un ouvrier Flamand avait apporté d’Avignon la fausse nouvelle que la Rouge était proclamée à Paris, menaça de venir nous envahir à l’Hôtel de ville : ces anarchistes parcoururent les rues de Châteaurenard en criant :  « C’est le moment, montons à la mairie« . A cette nouvelle, les pompiers qui n’étaient pas de service montèrent à l’Hôtel de ville ; les conseillers municipaux s’armèrent tous ; (…) des hommes dévoués (…) étaient venus nous défendre. Notre attitude nous sauva, (…) les démagogues reculèrent non point devant la perpétration des crimes qu’ils avaient conçus, mais devant la résistance terrible qu’ils soupçonnaient trouver en le courage de ceux qui avaient volé à notre secours ». C’est  finalement le lendemain 10 que « les nouvelles venues de Paris étant très rassurantes, celles du département du Vaucluse étant non moins bonnes » permettent de rétablir complètement l’ordre public [8].

On a ainsi frôlé, dans le 3ème arrondissement, un réveil démocratique qui aurait très bien pu suivre la même voie qu’avaient tracé les insurgés du Vaucluse ou du Var : sitôt appris que se mettent en branle des insurrections dans les environs, envisager de passer à l’action violente sans le sentiment d’être une révolte solitaire devient envisageable. Le mettre réellement en œuvre l’est toutefois beaucoup moins ; et lorsque la nouvelle de l’échec du mouvement dans les principales villes du département parvient, la perspective d’impunité s’efface bien vite devant la sensation de participer à une action isolée et de facto confrontée à une masse conservatrice et légitimiste nombreuse et rapidement acquise à la cause présidentielle.

 

La situation est différente dans l’arrondissement d’Aix : à la veille du coup d’Etat, les démocrates s’y sentent en nombre et relativement bien organisés alors que la formation d’un parti de l’ordre local ne semble pas encore achevé. En conséquence, la réaction républicaine s’est fait plus menaçante : « Aussitôt que les décrets du 2 décembre furent publiés les projets de résistance armée, que les démagogues avaient préparés pour une éventualité plus éloignée durent s’accomplir, le mot d’ordre fut communiqué, avec la rapidité d’une traînée de poudre. Des émissaires se rendirent à Marseille et une levée générale fut décidée pour le 7 décembre. (…) Toutes les sociétés secrètes de l’arrondissement préparaient leur contingent pour aller renforcer les insurgés [du Var et des Basses-Alpes]. Dans la soirée et dans la nuit du 6 au 7 décembre le canton de Berre, celui de Martigues, celui de Peyrolles, ceux d’Aix, celui de Lambesc, d’Istres, de Trets et de Gardanne délibéraient, s’armaient et échangeaient leurs correspondances ; les sociétaires liés par des serments étaient sommés sous peine de mort de faire leurs préparatifs de départ. Le mouvement devait avoir lieu le 7. Il était concerté avec Marseille, car ce jour-là une nombreuse bande était partie de Marseille, et s’était montrée, dans les collines du canton de Gardanne. Le 9, les sociétaires de tous les cantons devaient se retrouver réunis au village du Puy-Sainte-Réparade, ils devaient y trouver les chefs, passer la Durance à Pertuis et se jeter dans les Basses-Alpes et le Vaucluse. Le plan fut contrarié par la nouvelle que des troupes partaient en poste de Marseille pour se rendre à Digne . Le canton de Berre, de Gardanne et de Trets, et celui de Martigues reçurent contre-ordre de Marseille, le canton de Peyrolles renonça à ses projets lorsqu’il vit les troupes traverser son territoire. Lambesc fut aussi prévenu. Les deux cantons d’Aix ne furent pas sans doute  avertis, car le 9 leur contingent se porta au Puy-Sainte-Réparade, mais quand ils virent que le reste de l’arrondissement faisait défaut, que le chef principal, le sieur Richaud s’était arrêté à moitié chemin (à Puyricard) ils se découragèrent et après avoir jeté les armes s’en retournèrent dans la ville. Le bruit de ce mouvement , l’apparition de quelques bandes composées presqu’en totalité de Marseillais qui se montrèrent dans le canton de Gardanne et de Roquefavour, coïncidant avec l’envahissement de Pertuis jetèrent l’alarme dans la ville d’Aix et dans tout l’arrondissement. Le 9 je fut averti que des bandes avaient pénétré dans plusieurs campagnes et s’étaient emparé de vive force de fusils et des autres armes et munitions qui s’y trouvaient. De toutes parts on demandait des secours (…) [9] ».

On voit donc, une fois la nouvelle du coup d’Etat répandue, des émissaires partir des principales villes du département – en l’occurrence Aix et Marseille – pour tâcher de souffler le feu d’une levée d’armes « rurale » dans de nombreuses communes de l’arrondissement. En outre, l’urgence de la situation à Aix où les autorités sont contraintes de garder concentrées le maximum de forces disponibles desserre l’étau d’une menace répressive dans les campagnes du 2ème arrondissement, amplifiant de fait l’ardeur des républicains « ruraux ». Dès lors, les démocrates aixois quittent la sous-préfecture pour espérer lancer le mouvement : « 300 individus environ d’Aix étaient partis pour la Durance le Puy Sainte Réparade où ils comptaient se trouver au nombre de 1 000 que Richaud devait commander [10] ». Mais la bande sortie d’Aix, abandonnée par son chef et apprenant le départ d’une troupe de ligne de Marseille pour Pertuis, rebrousse chemin. Quant à leurs camarades des cantons limitrophes du Puy-Sainte-Réparade, eux profitent encore du relâchement de l’autorité dans l’arrondissement ; si bien que « 300 ou 400 montagnards se sont rendus dans la nuit du dimanche [7] au Puy Sainte Réparade mais (…) ils se sont dispersés d’eux-mêmes se voyant en si petit nombre en égard au nombre considérable qu’il devait y avoir (…) ». Mais alors que, selon les dires du percepteur du canton, la population du Puy est « terrorisée, sans aucun moyen de défense », la situation n’évolue pourtant pas : « chaque jour nous voyons circuler de ces bandes d’insurgés (…), nous n’avons pas même ici l’ombre de l’autorité. Le maire est malade, il n’y a aucune police (…) » ; forcé de demander du secours au sous-préfet Grimaldi, le percepteur se voit essuyer un refus, « la ville d’Aix ayant très peu de troupes pour la protéger ». Ainsi, le 15 décembre, alors même que la situation s’est tassée d’elle-même dans la commune et que les autorités départementales assoient progressivement leur emprise sur chacun des cantons, on voit encore « (…) dans les montagnes qui avoisinent le Puy, de petites bandes à la vérité, errantes et exténuées demandant à boire et à manger aux gens de campagnes, ils retourneraient bien volontiers chez eux, mais disent-il : nous savons le sort qui nous attend ; Dans cette commune, quartier général des insurgés, le sol était jonché de fusils, de poudres que les insurgés avaient laissés, afin de pouvoir retourner chez eux librement ; ces fusils et poudres étaient cachés pour la plupart, on a vu des étrangers qui sont venus les recueillir » [11].

Le fait que certaines bandes aient rebroussé chemin et que d’autres reçoivent le contre-ordre avant même de se mettre en marche, alors que la rencontre du Puy-Sainte-Réparade devait permettre de porter aide au soulèvement des départements limitrophes, a donc considérablement amenuisé la portée du mouvement initial : le grand rendez-vous général n’est plus que l’ombre de lui-même…

Malgré cela, si l’on se porte sur d’autres conjonctures locales, il demeure bien d’autres exemples de volonté de résistance qui n’ont osé aller vers l’irréversible : de la sorte, à Jouques, c’est le maire qui a pris le commandement du mouvement local : « [Il] s’est mis à la tête de 150 hommes armés [12] » avec un tout autre objectif que de rejoindre le Puy-Sainte-Réparade : « Dans la nuit du 7 au 8 décembre toutes les sociétés avaient décidé, que celle de Vauvenargues et de Saint Paul viendraient joindre celle de Jouques vers une heure du matin, et qu’avant de partir ils viendraient forcer la caisse du percepteur et l’obligeraient de plus à le suivre pour aller de là se réunir aux sociétés de Peyrolles, Meyrargues et le Puy Sainte Réparade jusqu’à Lambesc, et que de là ils marcheraient sur Saint-Chamas pour s’emparer de la poudrière et ensuite sur Aix. Ce projet fut déjoué par le départ des troupes qui venaient d’Aix pour se rendre à Digne qui se trouvèrent à Peyrolles vers 3 heures du matin, départ dont furent prévenues toutes ces sociétés par un individu qui se rendit d’Aix à Meyrargues, et qui donna les ordres pour que des exprès fussent envoyés dans toutes les communes [13] ». C’est donc, au minimum, près de 200-300 personnes qui composent la bande armée qui s’arrêtent à Meyrargues au passage des troupes partant vers les Alpes. Quoi qu’il en soit, ce plan semble avoir pour origine ou l’échec du rendez-vous du Puy et auquel cas, il aurait été envisagé consécutivement, ou bien un conflit d’opinion ou de mauvaises communications entre sociétés secrètes pour fixer un tout autre objectif à l’insurrection – tenter l’attaque des principales villes du département plutôt que de rejoindre les insurgés des Basses-Alpes -.

La région de l’Etang de Berre n’a pas échappé elle aussi à l’émoi si l’on en croit le maire de Martigues : le 7 décembre, il a eu lieu dans sa commune « une réunion nombreuse et clandestine présidée par trois étrangers inconnus (…) à laquelle ont pris part tous les démagogues. Dans la nuit qui a suivi la bande s’est disséminée en différens (sic) points écartés de la ville et de la campagne fesaient (sic) entendre des chants et des cris séditieux. (…) A Port de Bouc la fermentation est encore plus grande ; (…) il existe une société secrète animée des plus mauvais desseins, ayant un dépôt de poudre et des munitions de guerre. (…) Les environs de Marignane ont été   [le 8 et 9 décembre] le rendez-vous de toutes sortes d’étrangers (…). Enfin le bruit a couru [le 8] que tous ces hommes de désordre avaient le projet de se ruer sur notre ville (…) [14] ». Finalement, le risque insurrectionnel se déplace vers le Nord-Est de l’Etang de Berre où a lieu, le 8 et 9 décembre, « un grand rendez-vous au pont de Roquefavour [15] » ; pourtant, les républicains ne sont sûrement pas plus d’une centaine. La colonne d’insurgés – celle-là même qui avait fait craindre aux autorités aixoises une attaque de la ville –  se porte alors, dans la matinée du 9, sur Cabriès et à la Mérindolle [16] puis passe le 10 « dans la commune de Simiane [17] » où elle fait « une courte halte » pour enfin, « après avoir demandé à manger et à boire », se diriger sur Saint-Savournin – canton de Roquevaire – [18].

 

Pour l’arrondissement de Marseille, l’Encyclopédie des Bouches-du-Rhône ne mentionne aucun trouble ayant eu lieu dans les campagnes ; ce qui est loin d’avoir été réellement le cas si l’on en croit le rapport du procureur de la République de Marseille :

« Durant la soirée [4 décembre], (…) une bande assez nombreuse sortit de Marseille et se répandit dans la campagne en se dirigeant vers Auriol : une brigade de gendarmerie qui rencontra ces hommes, les frappa d’épouvante ; beaucoup prirent la fuite ; quelques-uns étaient armés ; beaucoup n’avaient pas de fusils.

« Quelques heures après le départ des socialistes de Marseille, il se passait à quelques lieues de là, dans le canton de Roquevaire et en particulier dans les communes de Peypin, de St Savournin et de Gréasque des faits d’une haute gravité : une bande d’hommes armés, formée presqu’entièrement d’ouvriers mineurs partait des hameaux de Cadolive, de Peypin et de Gréasque et se dirigeait vers Auriol, demandant sur son chemin aux habitants paisibles des armes et des munitions : presque partout, les insurgés payaient le pain et le vin qu’ils se faisaient servir : arrivés dans la matinée du cinq au hameau de la Bouilladisse qui dépend d’Auriol, les insurgés se sont dispersés et se sont hatés (sic) de retourner dans leurs foyers : ils avaient dû recevoir de leurs amis de Marseille l’avis que toute résistance eut été dangereuse pour eux. Dans la journée du dix et du onze décembre, d’autres bandes moins nombreuses et qui paraissaient être venues du Var ont traversé quelques communes du canton de Roquevaire : cette fois les habitants revenus à des sentiments meilleurs se sont mis sur la défensive et leur ont fait quitter le pays.

« La nécessité de concentrer sur Marseille toutes les forces militaires pour empêcher un soulèvement a mis obstacle à ce que dès les premiers  jours, des colonnes pussent être envoyées dans le canton de Roquevaire ; (…) » [19].

 « le rendez-vous général devait avoir lieu à Auriol, point central ; ce fait n’est pas contestable » ; mais en définitive « peu d’insurgés sont parvenus au terme qu’ils s’étaient proposés d’atteindre (…) se réunir à Auriol et (…) passer dans le Var » [20].

Le témoignage du maire de Roquevaire nous renseigne avec plus de précisions sur ce qui s’est passé, le 5 décembre, dans son canton : dans la journée, c’est une grande partie des ouvriers du bassin houiller qui « sont en grève et [qui] ont abandonné leurs ateliers ». Puis, « environ 400 hommes, d’autres disent 1000, se sont réunis au quartier de La Bouilladisse : un grand feu de bivouac a été allumé sur la route même : les insurgés se seraient présentés à plusieurs bastides pour enlever les armes, et pour rencontrer les partisans (…) : ils n’ont commis aucun dommage contre les propriétés et les personnes.

« Les ateliers et les mines sont déserts : tous les ouvriers ont abandonné leurs travaux.

« (…) on assure que les insurgés sont campés au bas du Vallon de la Bourdonnière, route n°8 bis, au lieu dit le Pont Long : des marseillais sont dit-on avec eux » [21]

Finalement, « ce rassemblement de mineurs a quitté l’endroit indiqué, il a dû retourner aux mines dont il était parti qui sont celles de St Savournin, Cadolive, Gréasque et Peypin ». Mis au courant de la situation du canton, le préfet de Suleau  sollicite du général Hecquet l’autorisation d’employer la force armée pour « le désarmement complet de ces mineurs qui sont au nombre de 7 à 800 ; ceux de Fuveau au moins aussi nombreux n’ayant pas bougé, il me paraît indispensable de faire un exemple qui intimide la classe ouvrière et la ramène aux sentiments de ses devoirs [22] ».

La réponse du général est sans appel ; il ne peut se permettre de dégarnir Marseille pour ce qu’il considère n’être qu’un feu de paille : « Qu’avons-nous à craindre de ces rassemblements ? Qu’ils marchent sur Marseille ? Eh bien laissons leur faire les ¾ du chemin et quand ils seront sur la route je me charge d’aller les recevoir [23] ».

Mais la situation n’en arrive pas là ; dès le 7 décembre, le calme est revenu : « Les rassemblements qui s’étaient formé (sic) pendant la nuit du 4 au 5 courant (…) ne se sont plus renouveller (sic). Les ouvriers mineurs qui en faisait (sic) partie sont tous rentrés chez eux. (…) Les dits ouvriers, où (sic) du moins une grande partie, reprendront leurs travaux demain huit du Ct ». Quant aux « étrangers désignés comme les chefs », le maire de Roquevaire estime « probable qu’ils se [soient] dirigés sur un autre      pays »  [24].

Le repentir des mineurs s’explique sous la menace d’une répression qui ne tardera pas à se mettre en place au moment où l’autorité départementale a définitivement gardé sa mainmise sur les principales villes ; et alors que la grève s’était généralisée dans les mines de Peypin, Saint-Savournin, Gréasque et Cadolive sous l’impulsion des républicains locaux et des Marseillais qui ont quitté la préfecture le 4 décembre, le fait que ces ouvriers confondent leurs intérêts privés et personnels, en demandant de meilleures conditions de travail, avec la défense de la Constitution bafouée, assure d’emblée l’échec du mouvement : lorsqu’ils prennent conscience des risques encourus, les ouvriers abandonnent la grève, se doutant que l’amalgame entre grévistes et insurgés sera facile pour les autorités. Quant aux républicains purs et durs, ils n’ont d’autre choix que de passer dans le Var…

L’insurrection varoise paraît en effet être le seul exutoire pour les républicains du 1er arrondissement comme pour ceux réunis à Roquefavour quelques jours plus tard : le 9 décembre, devant l’impossibilité d’attaquer Aix-en-Provence, ceux-ci se protent sur Saint-Savournin. C’est sans nul doute la même bande armée que l’on retrouve le 10 décembre sur le territoire d’Auriol, ressemant le trouble dans le canton : « Le 10 du courant mois (…) une bande de cent insurgés armés se trouvait depuis le matin dans le hameau de La Bouilladisse (…). Dans la soirée (…) une partie de cette bande drapeau rouge en tête avait traversé les campagnes d’Auriol et s’était rendue dans la propriété de M. de Remusat située dans la commune de St Zacharie. Aussitôt que le maire de St Zacharie fut averti de leur arrivée, il fit sonner le tocsin pour appeler les gens d’ordre de sa commune et se présenta accompagné de son adjoint auprès des insurgés et leur intima l’ordre de quitter le pays. Sur ce, ils se dispersèrent dans les collines (sic) des environs et depuis on ignore ce qu’ils sont devenus [25] ».

 

En définitive, hormis quelques cas isolés, comme à Jouques, à Aix ou à Marseille, on n’a pu retrouver d’autre exemple de colonne d’insurgés organisée au niveau communal dans les Bouches-du-Rhône. La plupart du temps, les républicains des communes rurales partent seuls, ou en très petits groupes, expliquant de fait leur apathie à continuer la lutte après quelques jours de marche lorsque, arrivés finalement aux rassemblements du Puy-Sainte-Réparade ou de Roquefavour, ceux-ci s’aperçoivent de la maigreur des effectifs de l’insurrection. Quant à ceux qui se sont rassemblés à Auriol le 5 décembre, seule la perspective que leur offrait l’insurrection du Var a pu les convaincre de continuer le combat . Enfin, pour ceux qui ont attendu quelques jours pour voir dans quelle faveur allait tourner la situation, « un peu d’hésitation dans le départ leur a donné le temps de la réflexion et ils ne sont pas partis [26]».

 

 

L’autorité départementale a donc parfaitement défendu les points stratégiques les plus importants : elle refuse le plus souvent le retour des brigades de gendarmerie, monopolisées à Marseille pour la plupart, dans les communes en difficulté. Si l’agitation gagne les communes rurales, il sera toujours temps de les reconquérir plus tard… Mais les pouvoirs publics n’ont même pas eu à le faire au sens propre. Tout au plus, les troupes de ligne traqueront les hommes absents de chez eux pendant les jours suivant le 2 décembre.

Ainsi, si la victoire de l’ordre est totale en finalité, le département a connu toutefois des troubles sans précédents, même s’ils n’ont pas été sanglants comme ils l’ont été dans le Var, le Vaucluse et les Basses-Alpes. On peut dire, pour autant, que l’échec du mouvement républicain dans les Bouches-du-Rhône prive la résistance provençale d’un appui qui aurait été indispensable pour sa pérennité. A l’inverse, la proximité comme la nature des événements limitrophes ont d’ailleurs eu des répercussions jusque dans les Bouches-du-Rhône. En voici l’exemple avec le témoignage du percepteur d’Allauch :

« (…) on ne peut dissimuler que la secousse occasionnée par l’ébranlement des départements circonvoisins a eu un retentissement jusque dans nos communes rurales quoique éloignées du centre de l’agitation  [27] ».

A Cuges-les-Pins, la proximité du Var fait même courir le 8 décembre les rumeurs les plus abracadabrantesques :

« Les bruits de bandes formées dans le Var, auxquelles se seraient jointes les bandes de Marseille ; la présence de Ledru-Rollin au milieu d’elles ; d’un mouvement prochain dirigé par ce dernier ; bruits qui ont pris beaucoup de consistance dans notre commune y répandent la terreur et presque tous les habitants craignent un envahissement 156 ».

 

Réalité et crainte s’entremêlent ainsi : si les bandes insurrectionnelles ont réveillé le spectre du « désordre social » pour l’opinion conservatrice des Bouches-du-Rhône, elles le font sans toutefois exercer de violences ; quant à ces populations fidèles à l’ordre, elles ont frémi à l’idée qu’elles soient passées si près d’événements similaires aux départements voisins…

 



[1] TENOT Eugène, La province en décembre 1851, étude historique sur le coup d’Etat, Impressions du siècle, 1865, (réed. 1876), p. 128.

[2] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Mallemort au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851.

[3] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Mallemort au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851.

[4] 1 M 595 (A.D. BdR), Percepteur du canton d’Orgon au receveur général, le 12 décembre 1851.

[5] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Châteaurenard au sous-préfet d’Arles, le 16 décembre 1851.

[6] VIGIER Philippe, La seconde République dans la région alpine, PUF, 1963, p. 316. L’Isle (Vaucluse) fut prise le 8 décembre au soir par les républicains.

[7] Ibid 2.

[8] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Châteaurenard au sous-préfet d’Arles, le 16 décembre 1851.

[9] 14 U 47 (A.D. BdR), Rapport du procureur de la République d’Aix au procureur général, sur « les événements qui ont suivi les décrets du 2 décembre dans l’arrondissement d’Aix », le 30 décembre 1851.

[10] 12 U 11 (A.D. BdR), Procureur de la République d’Aix au procureur général, le 13 décembre 1851.

[11] 1 M 595 (A.D. BdR), Percepteur du canton du Puy-Sainte-Réparade au receveur général, le 15 décembre 1851.

[12] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851.

[13] 1 M 595 (A.D. BdR), Percepteur du canton de Jouques au receveur général, le 14 décembre 1851.

[14] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Martigues au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851 ; une soixantaine de personnes venues de Port de Bouc pour se réunir aux républicains de Martigues furent d’ailleurs repoussées par l’autorité municipale (1 M 595, Percepteur de Martigues au receveur général, le 13 décembre 1851).

[15] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Martigues au sous-préfet d’Aix, le 9 décembre 1851.

[16] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851.

[17] 1 M 595 (A.D. BdR), Percepteur de Gardanne au receveur général, le 12 décembre 1851.

[18] 1 M 595 (A.D. BdR), Percepteur de Bouc au receveur général, le 16 décembre 1851.

[19] 14 U 47 (A.D. BdR), Rapport du procureur de la République de Marseille au garde des Sceaux, le 17 décembre 1851.

[20] 14 U 52 (A.D. BdR), Observations générales de la 1ère et 9ème catégorie de l’Etat nominal des inculpés politiques dans les affaires du mois de décembre 1851.

[21] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Roquevaire au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851.

[22] 1 M 595 (A.D. BdR), Préfet des Bouches-du-Rhône au général de division, le 5 décembre 1851.

[23] 1 M 595 (A.D. BdR), Général de division au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851.

[24] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Roquevaire au préfet des Bouches-du-Rhône, le 7 décembre 1851.

[25] 1 M 595 (A.D. BdR), Percepteur d’Auriol au préfet des Bouches-du-Rhône, le 12 décembre 1851.

[26] 14 U 48 (A.D. BdR), Juge de paix du canton d’Aubagne au procureur de la République de Marseille,        le 13 décembre 1851.

[27] 1 M 595 (A.D. BdR), Percepteur d’Allauch au receveur général, le 14 décembre 1851.

156 1 M 595 (A.D. BdR), Maire de Cuges-les-Pins au préfet des Bouches-du-Rhône, le 8 décembre 1851.