Insurgés et opposants dans les Bouches-du-Rhône
article publié dans 1851, une insurrection pour la République. Actes des journées d’étude de 1999 à La Tour d’Aigues et de 2001 à Sainte-Tulle, Association 1851 pour la mémoire des Résistances républicaines, Les Mées, 2002, pp 133-155 bon de commande) Intervention lors de la journée d’études et de rencontres de 1851-2001, à Ste Tulle, le 23 juin 2001 Hugues BREUZE
Insurgés et opposants au coup d’État du 2 décembre 1851 dans les Bouches-du-Rhône [1] première partie
« Quoique le département des Bouches-du-Rhône n’ait pas été affligé par des désordres semblables à ceux qui ont mis l’ordre public en péril dans les trois départements voisins, Vaucluse, le Var et les Basses-Alpes, on ne peut pas dire cependant qu’il soit resté complètement étranger au mouvement socialiste. « L’insurrection qui a éclaté dans les départements voisins avait aussi, nous devons le reconnaître, dans les Bouches-du-Rhône, des adhérents et des complices tout disposés à prendre les armes pour aller grossir les bandes insurgées. Dans presque toutes nos communes des recrues étaient préparées pour l’émeute, et dans plusieurs même, les démagogues se sont réunis en bande, et sont partis avec l’intention de se joindre aux insurrections voisines ou de se porter sur les principales villes du département [2] » : C’est en ces termes que le vicomte de Suleau, préfet des Bouches-du-Rhône, résume la réaction des républicains de son département face au coup d’État du 2 décembre 1851 ; ils sont en définitive assez éloquents pour souligner l’intérêt historiographique d’une étude sur l’opposition républicaine des Bouches-du-Rhône au moment du coup de force de Louis-Napoléon Bonaparte : comment en effet expliquer ces propos et les quelques 785 inculpés poursuivis par la Commission mixte des Bouches-du-Rhône alors que ce département a longtemps été considéré comme n’ayant joué qu’un faible rôle au sein de la résistance provençale ? En fait, c’est dès 1865 qu’Eugène Ténot, premier historien à s’être penché sur la question, soulignait déjà « l’inaction du parti républicain à Marseille » au moment des faits : « L’abstention des chefs du parti démocratique, combinée aux mesures de l’autorité, arrêtèrent, semble-t-il, le mouvement prêt à éclater » [3]. En réalité, si l’opposition républicaine ne prend pas les formes qu’ont pu prendre celles des départements alpins, on assiste quand même à une émulation sensible dans l’ébauche d’une résistance, parfois violente, et dont l’importance de la répression souligne l’enjeu : se rendre – ou rester – maître d’un département dont la réaction pouvait influencer le reste de la région.
1§. L’opposition républicaine dans les principales villes
« tout dépendant des premiers coups (…) [4] »
La dépêche des décrets présidentiels arrive à Marseille le 2 décembre en début d’après-midi. Une réunion réunissant les principales autorités (le général de division – Hecquet -, le maire de Marseille – de Chanterac -, le général commandant la garde nationale, le chef d’état major de la division et le procureur de la République de Marseille – du Beux -), a alors lieu dans le cabinet du préfet de Suleau. Elles pensent alors unanimement « qu’il était nécessaire (…) de donner à la dépêche télégraphique une publicité éclatante et d’entourer cette publicité d’un appareil de nature à impressionner les esprits et à démontrer aux hommes du désordre que toute tentative criminelle serait immédiatement réprimée (…) [5] ». Le 3 décembre à midi, les autorités se réunissent en cortège à la Canebière, entourées de troupe de garnison. Le préfet et le maire de Marseille y lisent chacun à haute voix une proclamation face à une foule nombreuse. L’objectif de celles-ci est simple : rassurer les gens d’ordre et leur demander de prêter main-forte en cas de coup de force républicain ; menacer les socialistes de représailles en cas de révolte ; militer pour l’aspect « démocratique » du coup d’Etat. Elles provoquent aussitôt des symptômes d’hostilité tels que des cris de « Vive la République » sans toutefois se traduire « en actes coupables » ; finalement, « la force publique n’a pas eu à intervenir » [6]. Pour l’instant, tout reste relativement calme dans la préfecture, comme le résume le procureur de la République : « Surpris par la publication des décrets du 2 décembre et par le grand déploiement de forces militaires fait dès les premiers jours, les socialistes n’ont pas osé entrer en ligne et attaquer l’armée, dont l’attitude énergique laissait facilement deviner la décision » ; Cependant, « dans la soirée du 3 décembre, les cafés que fréquentaient les socialistes furent remplis d’une foule d’agitateurs qui ne faisaient pas mystère de leurs coupables intentions ; plusieurs de ces établissements furent fermés par les soins de l’autorité municipale ; au même moment les sections étaient réunies dans divers quartiers de la ville : quelques-uns de ces conciliabules furent surpris par la police » [7]. L’une de ces réunions, tenue dans la guinguette d’un nommé Ferrat – dans l’impasse de la rue Désirée -, « depuis longtemps signalée par la police comme un des lieux habituels des démagogues les plus exaltés [8] », est d’ailleurs assez significative : c’est une section de la Montagne qui délibérait en armes et qui attendait le signal pour marcher. Un agent de police, Ferrier, est séquestré, frappé et menacé de mort par plusieurs républicains. Pour les tortionnaires, la lutte contre le coup d’État s’est retrouvée incarnée contre le policier, complice de la forfaiture du Prince-Président. Le combat pour la défense de la Constitution au sein de ces réunions « locales » semble alors beaucoup plus abstrait que de pouvoir disposer de l’occasion de faire payer à un représentant de l’autorité les frustrations endurées depuis la répression des émeutes de juin 1848. Mais il n’en demeure pas moins qu’on se réunit en armes, attendant que le signal soit lancé par le Comité Central Révolutionnaire [9]. Ainsi, au soir du 3 décembre, même si aucune action n’a encore été entreprise, les républicains marseillais entretiennent l’espoir d’une révolte massive et imminente : on s’arme de fusils et de patience dans l’attente d’un mot d’ordre venu de Paris. Le même jour, la réaction des démocrates d’Aix-en-Provence prend une tournure similaire, si ce n’est que dans la sous-préfecture « la rumeur [de la nouvelle du coup d’Etat] commençait à circuler [10]» avant même sa divulgation officielle. En réalité, les républicains aixois avait déjà délibéré « dans la nuit de mardi à mercredi [nuit du 2 au 3 décembre] si on attaquerait ou non l’hôtel de ville ; La réunion dans laquelle cette question s’agitait n’a pas cru que le moment de l’action fut arrivé. On s’est arrêté à cette pensée d’avoir les yeux fixés sur Marseille et d’en attendre le signal [11] ». Quant à la lecture de la dépêche, elle a lieu à 13 h 00 par une proclamation conjointe du maire d’Aix et du sous-préfet, en étant « accueillie avec colère [12] ». Par leurs exhortations, les autorités aixoises insistent – comme cela l’a été fait à Marseille – sur caractère référendaire des mesures présidentielles. Elles espèrent ainsi que la frange modérée hésitera avant de réagir ; on essaye aussi de s’accommoder l’opinion conservatrice en la rassurant avec la garantie que l’ordre ne sera pas troublé ; les éléments les plus virulents du parti démocratique sont alors implicitement isolés et toute tentative séditieuse menacée de représailles. La lecture de la proclamation « a été écoutée en silence », même si « une troupe composée d’environ 200 hommes (…) a fait entendre le cri de « Vive la République » [13] ». Un seul cri séditieux a été proféré, mais pas l’un des moindres : un ex-instituteur âgé de 53 ans, Joseph Astier, vocifère : « « Il n’y a plus de gouvernement, le Peuple est souverain, il faut tous les écorcher, les éventrer » faisant allusion aux fonctionnaires qui venaient de passer [14] ». C’est son arrestation qui va déclencher les premières manifestations républicaines à Aix-en-Provence : alors que la motion proposée au Cercle Républicain par un ancien professeur, Banet-Rivet, d’après laquelle les démocrates devaient marcher en armes sur l’hôtel de ville, est abandonnée, un rassemblement se forme et se rend à la sous-préfecture. A sa tête, quatre hommes – Moreau, Roux, Chabre et Tempier – se présentent au sous-préfet en tant que « délégués du peuple » pour demander l’élargissement d’Astier [15]. Voici la réaction du dépositaire de l’autorité administrative : « (…) j’ai maintenu l’ordre d’arrestation. A ce moment le rassemblement (…) s’est porté en masse sur la sous-préfecture et annonçait l’intention de délivrer le prisonnier. Je l’ai fait dissiper par quelques gendarmes à cheval et M. Astier a été conduit à la maison d’arrêt, au milieu d’un fort peloton d’infanterie auquel le commandant de place avait fait charger les armes. Cette démonstration était plus que suffisante. Mais tout dépendant des premiers coups, j’ai tenu à ce que l’autorité montrât dès l’abord une décision ferme, afin qu’on fût bien averti de l’ attitude qu’ elle prendrait, si des tentatives plus sérieuses de désordre étaient faites ultérieurement [16] ». Ainsi, le 3 décembre a vu à Aix-en-Provence une véritable protestation républicaine, légaliste dans sa demande de libération d’Astier. La menace d’une attaque spontanée résonne elle, plus comme une tentative d’intimidation ou une façon de provoquer la force publique pour mieux appréhender jusqu’où l’autorité est prête à aller. La démonstration de force lors du transfert d’Astier a d’ailleurs suffit de convaincre les républicains aixois que les moyens d’intimidation étaient dans l’autre camp. A Arles, la proclamation du maire Remacle, « a été accueillie avec le plus grand calme » même si selon le sous-préfet « quelques cris de « vive la République » se sont fait entendre ». Passées ces premières manifestations, « quelques meneurs sont partis pour Marseille entre autres M. Martin membre du conseil général (…) allé prendre le mot d’ordre ». Mais dès la nuit « le calme le plus parfait n’a pas cessé de régner dans la ville, on ne rencontre personne dans les rues mais les cercles sont encombrés de monde » [17]. A Tarascon, la réaction républicaine apparaît plus nette : la dépêche est connue le 3 décembre au matin ; Cartier, le maire de Tarascon, étant absent, c’est dans les mains de son premier adjoint, Ferrand, que repose l’autorité municipale. Dès la matinée, « une certaine agitation se manifesta dans le parti rouge réuni en masse dans les cafés Daureille, Brunet et Simon [18]». Dans la soirée, le procureur de la République rejoint par une troupe de hussards fait « successivement évacuer et fermer tous les cafés sans exception[19] ». En outre, « grâce à la mesure distinctement faite d’arrêter tout individu qui ne rentrera pas immédiatement chez lui, bientôt pas une seule personne ne s’est trouvée sur la voie publique » [20]. Le 3 décembre est ainsi une journée d’attente pour républicains, réunis dans leurs cafés habituels. Hormis les cris séditieux proférés devant les autorités plus par volonté de défiance que par volonté de révolte, on ne note aucun signe flagrant de menace d’insurrection qui soit à l’ordre du jour : l’action spontanée s’efface devant la concertation ; on prend la mesure du mouvement… Le 4 décembre s’annonçait dès lors comme une journée décisive…
Les principaux chefs démocrates marseillais en restent cependant à conseiller l’expectative : dans son numéro du 4 décembre, Pierre Dubosc, le rédacteur en chef du Peuple, journal porte-parole de l’idéologie républicaine-socialiste dans tout le Midi, préconise l’attente devant l’évolution de la situation à Paris au lieu de lancer un appel aux armes incendiaire pour ne pas laisser de marge de manœuvre trop évidente à l’autorité pour censurer l’article. Une proclamation est tout de même placardée sur les murs de la préfecture, reproduisant « en l’aggravant essentiellement les termes de cet article et qui ne portait pour toute signature que ces mots : le comité républicain (…). Le rapprochement des termes de cette proclamation de ceux de l’article d’hier ne permettait guère de douter que ces pièces ne sortissent de la même source : aussi, M. le Préfet usant des pouvoirs extraordinaires qui lui sont conférés a-t-il pris un arrêté qui suspend le « Peuple », le « Démocrate du Var » et le « Progrès Social » et ordonne l’apposition des scellés sur les presses [21] ». Au cours de cette journée, quelques rassemblements ont lieu – place Castellane, grand chemin de Toulon et chemin du Rouet – mais sont rapidement dispersés par la force publique ; le Général Hecquet dispose des troupes et des pièces d’artillerie braquées sur le Cours Saint-Louis ; enfin, on ordonne de multiples arrestations pour cris séditieux proférés lors du passage du cortège des autorités : les républicains marseillais ne peuvent en fait plus se méprendre sur l’exhaustivité de la répression à laquelle ils risquent de s’exposer en s’insurgeant, d’autant plus que la plupart de leurs chefs sont arrêtés dans la nuit [22]. A Tarascon, Arles ou Aix-en-Provence, c’est aussi la concertation qui prime avant tout chez les démocrates ; c’est ce que le sous-préfet d’Aix signale à sa hiérarchie le 4 décembre : « (…) la nuit s’est passée tranquillement ; mais les cercles exaltés sont pour ainsi dire en permanence et attendent l’événement [23] ». Pour Arles toutefois, les événements se radicalisent quelque peu : « Dans la soirée du 4, les démagogues d’Arles annoncèrent le dessein de s’emparer de l’hôtel de ville, les mesures prises aussitôt par l’autorité firent échouer leur projet (…) [24] ». Mais c’est surtout durant la nuit qu’eut lieu « une collision qui eut pu devenir sanglante [25]» : Dans la nuit du 4 au 5 décembre, le sous-préfet d’Arles est informé d’un conciliabule tenu chez un dénommé Brun, cabaretier à Trinquetaille (rive droite du Rhône, à l’ouest d’Arles) ; celui-ci a pour but de rassembler armes et munitions. Une trentaine d’hommes y sont envoyés, dont une vingtaine du 9ème de ligne, « tous jeunes soldats, ne sachant même pas charger leur fusil ». Arrivés dans le cabaret, ils y surprennent 12 personnes « faisant semblant de jouer » et Brun « paraissant dormir ». Finalement, seul Brun est arrêté ainsi qu’un autre individu. S’engageant au retour sur le pont de Trinquetaille, la troupe y est accueillie au cri d’« aux armes » qui se fait entendre de l’autre côté. Un coup de feu est alors tiré « à bout portant » sur un gendarme, mais la capsule seule prend feu ; le gendarme tente de riposter mais son fusil ne part pas. Plusieurs coups de feu sont ensuite échangés pendant que la troupe tente de poursuivre les insurgés sans qu’aucun des belligérants ne soit blessé ; quelques personnes sont arrêtées…[26] Si l’inexpérience des armes a pu brider quelque peu les ébats ce soir-là, elle a surtout contribué à ce que le sang ne coule pas irrémédiablement. Informé de ces faits, le sous-préfet envoie à la rescousse un piquet de soldats « pour protéger et garantir le pont lui-même ». Mais en arrivant au pont, la troupe surprend une quinzaine d’individus s’occupant avec ardeur « d’enlever les madriers et les trébuchets ». Trois personnes sont arrêtées et dans la fuite un autre coup de feu est tiré n’atteignant encore personne [27]. A Tarascon, le commissaire de police Isnard, apprend le même jour [4 décembre] que « M. Gleise [Crivelli – un des pivots des sociétés républicaines tarasconnaises -] avait été cherché des nouvelles à Avignon et que selon les événements on tenterait un mouvement d’un coup de main sur la mairie ». Alerté, le commissaire investit le café Daureille, à l’intérieur duquel il retrouve « plus de 200 personnes réunies ». D’après les renseignements du policier, Crivelli y aurait d’ailleurs lu peu de temps avant les nouvelles qu’il aurait rapportées d’Avignon. L’établissement est alors immédiatement évacué par les soins de la force publique, chose « qui se fit non sans difficulté » [28]. Ainsi, dès le 4 décembre, l’autorité départementale a réussi en partie son objectif : désorganiser le parti républicain en précédant la prise d’armes, en suspendant ses journaux, en surveillant ou fermant ses principaux lieux de réunion tout en arrêtant ses principaux chefs, laissant alors la classe ouvrière et les affiliés de la Montagne livrés à eux-mêmes, acculés à abandonner tout espoir de victoire urbaine. Cette journée, centrale dans la tentative d’opposition républicaine des Bouches-du-Rhône, consacre donc bien l’échec du mouvement dans les principales villes du département. Des journées qui suivent le 4 décembre, on retient à Marseille essentiellement des renforcements des mesures de répression ainsi qu’une vigilance continue de la part des autorités marseillaises : répondant à la demande du préfet de Suleau [29], le préfet maritime de Toulon envoie, le soir du 5, une corvette à vapeur, le Pluton. Elle y arrive le lendemain. On ordonne alors l’isolement de l’équipage du bâtiment de guerre pour éviter la contagion de celui-ci par la propagande républicaine et « de laisser tomber la corvette aux mains des factieux [30] ». Dans le même temps, le sous-préfet d’Aix poursuit ses mesures de prévention : il prononce un arrêté qui ordonne « la suspension de la compagnie d’artillerie [comptant trop d’éléments démocratiques] (…) ; déjà la moitié des armes est rentrée à l’hôtel de ville et l’autre moitié rentrera demain matin [31] ». Quant à Tarascon ou Arles, les diverses mesures de répression adoptées par les autorités locales finissent, dès le 5 décembre, de décourager une résistance tatillonne : l’arrêté municipal du maire d’Arles[32] « qui ordonne la fermeture des cafés, cabarets, cercles et lieux publics à 10 h » s’exécute « sans difficulté » [33]. Le lendemain est, selon le maire, une journée « profondément calme » malgré les « arrestations nombreuses [qui] ont eu lieu à la suite des lâches et coupables attentats d’avant-hier » [34] – il est ici fait allusion aux incidents du pont de Trinquetaille -.
Le 6 décembre, « la tranquillité continue à régner dans la ville [d’Aix]. Mais la nouvelle des événements graves survenus à Manosque et à Forcalquier (…) et l’occupation de Brignoles par les insurgés, causent une vive anxiété [35] » ; devant le risque de voir les républicains aixois, encouragés par ces nouvelles de résistance, imiter leurs compagnons du Var et des Basses-Alpes, le sous-préfet ordonne la fermeture immédiate de trois cercles républicains : le Cercle Républicain, le cercle d’ouvriers dit Cercle de la Violette et le cabaret du Figuier, tous trois étant selon lui devenus « des centres de réunions politiques presque permanents [36] ». Les autorités locales se sentent toutefois assez en confiance pour prendre le risque, le lendemain 7 décembre, de dégarnir la ville d’une partie de sa garnison : deux compagnies sont en effet parties à la rencontre des 500 insurgés qui ont envahi Pertuis [37]. On profite ainsi de l’occasion pour empêcher la généralisation de l’insurrection aux communes limitrophes du Vaucluse qui, par phénomène de tâche d’huile, pourrait gagner le siège de la Cour d’Appel, en procédant à une démonstration de force, histoire de faire prendre conscience aux républicains de l’arrondissement du risque auquel ils s’exposeraient en se révoltant… On réussi aussi à arrêter les principaux meneurs républicains de la ville : Eymon – ancien avoué -, Banet-Rivet – libraire -, Cartier et Brissac ; Richaud et Brémond ont quant à eux, réussi à prendre la fuite.
A partir de cette date, et malgré l’apparent échec de l’opposition républicaine dans les principales villes du département, on assiste pourtant, çà et là, à de derniers sursauts du mouvement : à Marseille, dans la nuit du 8 au 9 décembre, un rassemblement de près de 200 personnes est surpris à la Vilette au lieu dit du Moulin à Vent. Débusqué par une compagnie de voltigeurs, le rassemblement, selon les renseignements obtenus par la Police, aurait pris ensuite, à partir de Saint-Antoine, la direction des Martigues par le Vallon de l’Assassin dans le but apparent d’aller se porter sur les Basses-Alpes [38]. L’optimisme en revanche est de mise à Aix : le sous-préfet Grimaldi assure que « la ville est dans un calme parfait » alors même que « plusieurs compagnies de la garnison (…) ont été dirigées sur le département des Basses-Alpes » et que « l’effectif se trouve réduit aujourd’hui à environ 200 hommes » [39]. Cependant, si un « parti de l’ordre » s’est effectivement formé, en quelques jours à peine, sous l’impulsion du maire et du sous-préfet, qu’une foule de fonctionnaires et de conservateurs – des républicains modérés aux légitimistes – se joignent aux injonctions de l’autorité et que le danger d’une insurrection intra-muros semble définitivement écarté, il n’en est point de même quant au risque d’une attaque extérieure : dans la matinée du 9 décembre, le sous-préfet est en effet renseigné sur des « bandes armées [qui] approchent de divers côtés [40]» et qui sont signalées « jusqu’à Gardanne et jusqu’aux Milles [41] » ; l’alarme est alors immédiatement donnée : « On bat le rappel. La garde national se réunit [42]». Mais ceci ne reste finalement qu’une simple alerte : au cours de la journée, la bande armée se porte en direction du Var pour tenter de rejoindre Mimet. Dégarnie un temps « par le départ du détachement dirigé sur les Basses-Alpes », la ville d’Aix se voit donc rapidement renforcée le 9 décembre « par 3 compagnies venues de Salon » [43] pour se prémunir contre le renouveau d’une menace d’attaque extra-muros. Enfin, à Tarascon, la journée du 9 voit des conseillers municipaux républicains de Tarascon – David Millaud (propriétaire), Jullian Chrisostôme (propriétaire), Noyer (négociant), Monge (docteur), Gleise Crivelli (avocat) et Colombeau (géomètre) – protester contre une distribution d’armes qui vient d’avoir lieu : ceux-ci se présentent alors à l’Hôtel de ville à l’effet de demander des explications à Ferrand – maire par intérim -. Et ce n’est pas tant la concession de ces armes qui déclenche la protestation des notables, mais plutôt les personnes auxquelles on les a attribuées : un supplément de la compagnie des pompiers nouvellement formé et principalement constitué de « pas gênés », faction du parti légitimiste local [44]. L’ordre, pris à l’insu du maire et sans que la liste ne soit approuvée par le conseil municipal, est venu conjointement du colonel et du procureur de la République, ce qui déchaîne les protestations de Gleise Crivelli [45]. Toutefois, selon le propre témoignage de l’un d’eux, les notables étaient « animés des intentions les plus honnêtes et les plus pacifiques » : « nous nous mettions à [la] disposition [du maire] pour le maintien de l’ordre et que si la force armée n’était pas suffisante, il pouvait l’augmenter en armant les citoyens aisés et offrant toutes les garanties par leur moralité et leur fortune » [46]. Devant une lutte qu’ils considéraient désormais comme définitivement perdue après l’annonce de l’échec du mouvement dans les principales villes du département, les chefs des républicains tarasconnais souhaitaient donc éviter à leurs affiliés que de vieilles querelles de partis et de quartiers se transforment en luttes sanglantes. Toujours est-il que les autorités locales voient peu à peu le spectre de la révolte « rouge » s’éloigner, au point de prendre une mesure qui visait avant tout à renforcer une force publique amoindrie par le départ de 150 hussards pour Avignon [47] et d’être imitées dés le lendemain 11 par celles d’Arles – la moitié de la garnison d’Arles partant aussi pour la préfecture du Vaucluse [48] -.
Ainsi, en moins d’une semaine, les principales villes du département ont été fixées sur leur sort : une révolte urbaine n’est plus envisageable. Mais pour les villes et les campagnes plus reculées, l’afflux d’un certain nombre de républicains de Marseille ou d’Aix, la présence de nombreux meneurs locaux, la diffusion réelle dans ces contrées de la « propagande démagogique » et la proximité de départements subissant des troubles violents, en faisaient une issue de secours éventuelle pour la résistance démocratique des Bouches-du-Rhône. [1] BREUZE Hugues, Maîtrise d’Histoire contemporaine, sous la direction de Monsieur Jean-Marie GUILLON, professeur à l’Université de Provence, Université d’Aix-Marseille I, département d’Histoire, année 1999-2000. [2] 1 M 595 (Archives Départementales des Bouches-du-Rhône), Préfet des Bouches-du-Rhône aux sous-préfets d’Aix et d’Arles, le 31 décembre 1851. [3] TENOT Eugène, La province en décembre 1851, étude historique sur le coup d’Etat, Impressions du siècle, 1865, (réed. 1876), p. 128. [4] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 3 décembre 1851. [5] 14 U 48 (A.D. BdR), Procureur de la République de Marseille au garde des Sceaux, le 3 décembre 1851. [6] 12 U 10 (A.D. BdR), Procureur de la République de Marseille au procureur général, le 4 décembre 1851. [7] 14 U 47 (A.D. BdR), Procureur de la République de Marseille au Garde des Sceaux, le 17 décembre 1851. [8] 14 U 52 (A.D. BdR), Etat nominal des inculpés politiques dans les affaires du mois de décembre 1851. [9] 14 U 52 (A.D. BdR), Etat nominal des inculpés politiques dans les affaires du mois de décembre 1851. Deux autres réunions ont aussi été surprises par la police : l’une dans l’auberge d’un nommé Ferri, rue de l’aumône et dans la guinguette du rendez-vous charmant, au quartier de la Tourette, tenue par un nommé Jeanselme. 29 personnes au total seront arrêtées pour ces trois réunions. [10] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 3 décembre 1851. [11] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851. Cette réunion étant vraisemblablement celle du Cercle Républicain à laquelle l’Encyclopédie des Bouches-du-Rhône fait allusion (voir page suivante). [12] Encyclopédie des Bouches-du-Rhône (Par Raoul Busquet & Joseph Fournier, sous la direction de Paul Mason) : Tome V, Vie politique et administrative, 1929, (Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 1929), p. 176. [13] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 3 décembre 1851. [14] 14 U 47 (A.D. BdR), Procureur de la République d’Aix au procureur général, le 22 janvier 1852. Inculpé d’avoir proféré publiquement des paroles des paroles tendant à exciter la haine et le mépris des citoyens les uns contre les autres, Astier est condamné par le tribunal correctionnel à un an et un jour d’emprisonnement le 20 janvier 1852. [15] Encyclopédie des Bouches-du-Rhône (Par Raoul Busquet & Joseph Fournier, sous la direction de Paul Mason) : Tome V, Vie politique et administrative, 1929, p. 176. [16] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 3 décembre 1851. [17] 1 M 595 (A.D. BdR), dépêche du sous-préfet d’Arles au préfet des Bouches-du-Rhône, le 3 décembre 1851. [18] 14 U 47 (A.D. BdR), Rapport du 29 décembre du procureur de la République de Tarascon au procureur général. [19] Ibid 2. [20] 304 U 67 (A.D. BdR), Procès verbal du 10 décembre 1851 sur événements de Tarascon. [21] 12 U 10 (A.D. BdR), Procureur de la République de Marseille au procureur général, le 4 décembre 1851. [22] 12 U 10 (A.D. BdR), Procureur de la République de Marseille au procureur général, le 5 décembre 1851. Treize de ces chefs républicains se retrouvent alors mis sous les verrous : Agenon, Brest, Augeard, Colly, Coignard, Rossi dit Rittachon, Bonnefoy Louis Férréol, Legrain, Legrain, Etienne, Bondith, Honoré Etienne et Curet. [23] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 4 décembre 1851. [24] 1 M 597 (A.D. BdR), Rapport de la Commission mixte, le 5 mars 1852. [25] Ibid 2. [26] 14 U 47 (A.D. BdR), Rapport du 29 décembre du procureur de la République de Tarascon au procureur général. [27] 14 U 47 (A.D. BdR), Rapport du 29 décembre du procureur de la République de Tarascon au procureur général. [28] 304 U 67 (A.D. BdR), Témoignage du commissaire de police de Tarascon, le 17 décembre 1851 dans l’information ouverte sur les principaux chefs du parti républicain de la ville. [29] 1 M 595 (A.D. BdR), Préfet des Bouches-du-Rhône au préfet maritime de Toulon, le 5 décembre 1851. [30] 1 M 595 (A.D. BdR), Chef du service de la marine au préfet des Bouches-du-Rhône, le 6 décembre 1851. [31] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851. [32] 1 M 603 (A.D. BdR), Arrêté municipal du 5 décembre à Arles. [33] 1 M 595 (A.D. BdR), Rapport quotidien du sous-préfet d’Arles au ministre de l’Intérieur sur la situation politique de l’arrondissement, le 7 décembre 1851. [34] 1 M 595 (A.D. BdR), Maire d’Arles au préfet des Bouches-du-Rhône, le 6 décembre 1851. [35] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 6 décembre 1851. [36] Ibid 4. [37] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 7 décembre 1851. [38] 1 M 595 (A.D. BdR), Préfet des Bouches-du-Rhône au commandant de gendarmerie, le 9 décembre 1851. [39] 1 M 595 (A.D. BdR), Rapport quotidien du sous-préfet au préfet sur la situation politique de l’arrondissement, le 8 décembre 1851. [40] 1 M 595 (A.D. BdR), Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851. [41] 1 M 595 (A.D. BdR), Rapport quotidien du sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône sur la situation politique de l’arrondissement, le 9 décembre 1851. [42] Ibid 3. [43] Ibid 3. [44] 304 U 67 (A.D. BdR), Interrogatoire de Jullian Chrisostôme le 9 décembre 1851, mené par le juge d’instruction pour l’inculpation d’outrages à Ferrand, maire adjoint de Tarascon. [45] 304 U 67 (A.D. BdR), Témoignage de Bourelly, secrétaire à l’état civil, le 11 décembre 1851, présent au moment des faits. [46] 304 U 67 (A.D. BdR), Interrogatoire de Jullian Chrisostôme le 9 décembre 1851, mené par le juge d’instruction pour l’inculpation d’outrages à Ferrand, maire adjoint dans l’exercice de ses fonctions. [47] 304 U 67 (A.D. BdR), Témoignage de Fabry, capitaine des pompiers, le 10 décembre 1851. Sur cette mesure, il nous apprend que 28 fusils furent distribués. [48] 1 M 595 (A.D. BdR), Rapport quotidien du sous-préfet d’Arles au ministre de l’Intérieur sur la situation politique de l’arrondissement, le 11 décembre 1851. Il reste alors encore environ 300 hommes de garnison pour assurer la sécurité d’Arles, auxquels s’ajoute la compagnie des pompiers.
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