La résistance républicaine en Lot-et-Garonne

La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne

par Bertrand Carbonnier

mémoire de maîtrise sous la direction de Bernard Lachaise et Christine Bouneau

Université de Bordeaux 3 – juin 2001

Partie I : Le déclenchement de la résistance républicaine

Chapitre II : La mise en place de la résistance républicaine

 

 

 

A) Le plan d’insurrection

 

 

 

Le chef-lieu doit être encerclé par quatre colonnes regroupant les insurgés en divers endroits. Une colonne venue depuis le nord du département doit rassembler tous les opposants au coup d’Etat de Villeneuve-sur-Lot et des cantons alentours ; une autre colonne en provenance du sud du département doit, quant à elle, concentrer les insurgés de l’arrondissement de Nérac et se présenter sur la rive gauche de la Garonne pour menacer les ponts. En complément de ces deux colonnes, les chefs insurrectionnels ont décidé d’envoyer des émissaires pour rassembler les insurgés d’Aiguillon à l’ouest d’Agen qui doivent arriver par la porte de Bordeaux et les contestataires des cantons de Puymirol situé à l’est du chef-lieu. Il a été convenu que ces colonnes doivent arrivés près d’Agen à deux heures du matin le 4 décembre et attendre les ordres des chefs à une certaine distance de la ville.

 

Le mot de passe est : Ledru. Le comité insurrectionnel d’Agen estime, alors, que les autorités agenaises, préfet et maire en tête, encerclés de toutes parts, sous la menace de bandes armées prêtes à se battre, n’auraient d’autre choix que de se rendre. L’encerclement du chef-lieu entraînerait, également, un soulèvement de la population agenaise notamment des ouvriers encore réticents. Pour assurer le succès de leur plan, Vivent, Fournel, Nasse, Delpech et Davezac comptent sur deux atouts.

 

D’une part, ils espèrent que les forces dont dispose la ville d’Agen sont trop insuffisantes pour assurer efficacement sa défense. Les insurgés savent que le chef-lieu ne possède que trois cents cinquante hommes de ligne et quarante soldats pour contrer l’offensive républicaine, qui, elle, doit rassembler plusieurs milliers d’hommes.

 

D’autre part, les membres du comité de résistance comptent sur l’effet que produirait la colonne de Villeneuve-sur-Lot qui, arrivant depuis les faubourgs au nord d’Agen où le parti démocrate-socialiste a le plus d’adhérents, envahirait sans difficulté la ville.

 

Les insurgés savent que le plan d’insurrection est à mettre immédiatement à exécution pour ne pas laisser le temps aux autorités municipales de s’organiser. Lors de la réunion, il a été arrêté que des émissaires parcourraient la campagne en annonçant que Louis Napoléon Bonaparte est aux arrêts à Vincennes, qu’il faut s’armer et marcher sur Agen.. Les délégués du comité doivent au besoin menacer et contraindre ceux qui ne viennent pas au rendez-vous prévu en rappelant leurs serments aux affiliés qui montrent de l’hésitation.

 

Six hommes ont tenu ce rôle. Etienne Darnospil et Frédéric Nasse sont partis alerter la population de l’arrondissement de Nérac dans la nuit du 3 au 4 décembre. Les deux hommes ont chevauché ensemble jusqu’à Montesquieu, une petite bourgade du canton de Lavardac à dix-sept kilomètres d’Agen. Ils se sont séparés à cet endroit[1].

 

Darnospil s’est chargé d’informer les habitants de la zone du canal du Midi qui était alors en construction.. Puis, il a poursuivi jusqu’au Paravis, Feugarolles et Barbaste avant que la nuit ne tombe. Nasse a lancé l’appel à la résistance au coup d’Etat dans la vallée de la Baise.

 

Les émissaires désignés pour informer la population de l’arrondissement de Villeneuve-sur-Lot ont été le boulanger Arnaud Barral et le typographe Jean Davezac.

 

Les deux hommes se sont transportés en calèche à Villeneuve-sur-Lot dans les premières heures du matin le 4 décembre. Arrivés sur les lieux, les deux hommes ont été introduits auprès de leurs homologues insurgés villeneuvois. Il a été convenu qu’au moment où les insurgés du Néracais se porteraient sur Agen, le tambour battant l’appel aux armes serait frappé dans les rues. Les colonnes néracaises et villeneuvoises doivent rassembler plusieurs milliers de combattants. Dans l’esprit des chefs insurrectionnels, le poids du nombre est indispensable pour que leur entreprise soit couronnée de succès.

 

La mission de rassembler les populations du canton de Puymirol (une bourgade de mille cinq cents habitants située à quinze kilomètres à l’est d’Agen) a été dévolue à Jean-Baptiste Soubrié, instituteur dans la même ville. Soubrié appartenait à la société secrète locale dont il était le chef[2]. Il n’a pas assisté à la réunion chez Vivent mais il a reçu le mot d’ordre des chefs de soulever les populations de son canton contre les actes du président de la République. De retour à Puymirol dans la nuit du 3 au 4 décembre, Soubrié a réuni chez lui trois hommes, le grainetier Antoine Fournier, le tourneur de chaises Jean Bazaillas tous deux de Puymirol ainsi que Lucien Garric, propriétaire à Saint-Romain. A l’issue de cette réunion, les insurgés se sont divisés pour aller courir les campagnes environnantes et recruter dans les villages de Saint-Caprais-de-Lerm, Saint-Pierre-de-Clairac et à la Sauvetat-de-Savères, Tayrac et Saint-Urcisse. Ils sont allés en pleine nuit frapper aux portes des habitants en disant que « Louis Napoléon Bonaparte est un criminel et un despote[3] ». Soubrié et ses hommes se sont entendus avec le grainetier Jean Barthe, un habitant de Saint-Jean-de-Thurac (situé à cinq kilomètres de Puymirol dans le même canton) pour qu’il agisse de la même manière dans les communes voisines.

 

Le lieu de réunion était fixé au bas de la Côte de Puymirol puis les insurgés devaient se joindre à ceux de Saint-Jean-de-Thurac sur la route de Toulouse. Depuis ce lieu, Soubrié et Barthe engageront la colonne de protestation jusqu’au chef-lieu.

 

Louis Deyres, instituteur à Aiguillon a été dépêché par le comité insurrectionnel pour le même objectif. Deyres est considéré comme un de des chefs de la société secrète de la même ville. Révoqué de ses fonctions par le préfet en 1849, il a réintégré son poste d’instituteur communal deux ans après[4]. Il a pour mission de rassembler la population d’Aiguillon (à trente kilomètres à l’ouest d’Agen) et des alentours. Puis, dans l’après-midi du 4 décembre, le rassemblement doit converger sur Agen en prenant sur son passage les insurgés du Port-Sainte-Marie, de Fourtic, et de Colayrac-Saint-Cirq.

 

Il n’y a pas eu d’émissaire venu depuis le chef-lieu d’arrondissement de Marmande, localisé à cinquante kilomètres du chef-lieu en remontant la vallée de la Garonne, pas plus qu’il n’y a eu de contacts directs entre le Comité de résistance et les Marmandais. Peut-être les insurgés agenais n’ont-ils pas envoyé de messages par le télégraphe à leurs homologues de peur de voir ceux-ci interceptés. Plus sûrement, on peut penser que les membres du Comité ont attendu d’en savoir plus sur la situation dans la ville de Marmande, sur les réactions de la population à l’annonce du coup d’Etat et sur les éventuelles velléités des chefs du parti républicain local.

 

En tout état de cause, le plan d’insurrection n’a pas prévu l’arrivée d’une colonne en provenance de Marmande.

Carte 2.1 : Le plan d’insurrection

B) La colonne du Néracais en marche vers Agen

 

 

La nouvelle du coup d’état et l’appel à la résistance ont parcouru comme une traînée de poudre les campagnes de l’arrondissement de Nérac. Nous retrouvons, ici, nos deux émissaires du comité insurrectionnel d’Agen, chevauchant de village en village, de hameau en hameau pour tenter de soulever la population. La carte suivante permet d’observer les lieux où le mot d’ordre s’est diffusé entre cinq heures du soir et minuit le 3 décembre.

 

 

Carte 2.2 La diffusion du mot d’ordre dans l’arrondissement de Nérac[5]

 

 

Etienne Darnospil a confié à quelques hommes à lui le soin d’aller apporter les nouvelles à Pompiey, Durance, Boussès situés à l’ouest de Nérac et vers Le Béas, Cauderoue, Lisse et Réaup au sud du chef-lieu d’arrondissement.

 

Lui-même après avoir informé les habitants de la zone du canal est parti dans le nord de l’arrondissement à Caubeyres, Buzet-sur-Baïse et Saint-Pierre-de-Buzet.

 

Frédéric Nasse, quant à lui, s’est rendu au café « Rodolphe », célèbre lieu de rendez-vous des démocrates-socialistes du Néracais, pour y recruter des émissaires. Nombreux ont été les hommes qui ont répondu à son appel.

 

Les émissaires de Nasse sont ensuite partis dans deux directions différentes, les hameaux surplombant Nérac ainsi que le Val de Gélise d’une part, la vallée de la Baise d’autre part jusqu’à Moncrabeau et Francescas. Puis Nasse, sachant compter sur ses alliés fidèles, est reparti à Agen.

 

 

Comment la population a-t-elle accueillie cet appel aux armes pour protester contre le coup de force de Louis Napoléon Bonaparte dans l’arrondissement de Nérac ?

 

En général, les populations ont réagi favorablement à cet appel.

 

Dans beaucoup de villages des rassemblements ont eu lieu sur la place publique. Les habitants ont été ameutés grâce au son des cloches comme c’est le cas à Lavardac, au son du tocsin comme à Barbaste et au Béas ou encore par l’intermédiaire du tambour comme à Cauderoue, Pouy et Lisse.

 

Les insurgés se sont concertés pour se rassembler entre minuit et sept heures du matin le 4 décembre. La carte ci-après montre les principaux lieux de regroupements dans le Néracais.

 

Les deux principaux lieux de rassemblement sont Lavardac et Barbaste.

 

 

carte 2.3 : Le rassemblement des insurgés[6]

 

A Lavardac, les hommes parviennent en ville en provenance de Vianne d’une part, de Xaintrailles, Caubeyres, Buzet, Saint-Pierre-de-Buzet et Ambrus situés au nord d’autre part, et enfin depuis Bruch et Espiens à l’est. Vers sept heures du matin, ces insurgés armés de fusils, de piques et de sabres se sont réunis en corps puis ont fait route vers Barbaste, le second point de ralliement localisé à seulement deux kilomètres de Lavardac sur l’autre rive de la Gélise. Là, ils ont joint les insurgés de Sos, Mézin, Andiran arrivés depuis le sud de l’arrondissement et de Lisse, Durance, Durance et Boussès depuis l’ouest.

 

Le rassemblement ainsi opéré, les insurgés républicains se sont ensuite dirigés vers Nérac.

 

 

Avant d’aller plus loin, essayons de décrire cette colonne insurrectionnelle.

 

Tout d’abord, il faut s’interroger sur le nombre de personnes qui la compose. Divers chiffres ont été avancés à la fois par des témoins contemporains des événements et par les historiens. Jean Robert, un instituteur révoqué originaire de Cauderoue, a fait partie de la colonne. Selon lui, deux mille membres l’ont composé [7].

 

Pour le procureur de la République M. Sorbier, ce sont trois mille personnes qui ont marché sur Agen[8]. Des historiens ont également réfléchi sur la question. Eugène Ténot parle de mille huit cents insurgés dans son livre[9]. Dans une étude récente, Hubert Delpont et Pierre Robin ont établi une fourchette comprise entre mille cinq cents et deux mille personnes[10]. Le nombre des insurgés de la colonne du néracais varie donc entre mille cinq cents et trois mille. La plupart des hommes sont armés de fusils, piques, faux. Les insurgés ont dressé une douzaine de drapeaux tricolores ainsi que six bonnets phrygiens fixés au bout de longues perches. Ces symboles ne sont pas innocents. Ils sont représentatifs d’une certaine « culture républicaine » qui s’est immiscée dans les campagnes pendant la Seconde République. L’historien Maurice Agulhon a bien étudié le phénomène en soutenant notamment que, vers le milieu du XXème siècle, l’importance du folklore et de la culture orale est à son apogée en France. Il a ainsi pu parler de « l’intégration de l’acquis politique au syncrétisme folklorique spontané ». Les drapeaux tricolores, les bonnets phrygiens représentent les idéaux que les insurgés veulent défendre. Le bonnet phrygien est devenu le symbole de la République pendant la Révolution[11] et à l’issue de celle-ci, la femme à bonnet phrygien a glissé de la définition d’idée universelle à celle de la République française. Ces symboles ont ensuite parcouru les décennies et pénétré les campagnes sous forme de gravures, de peintures, de bustes… notamment le fameux tableau de Eugène Delacroix[12] qui va donner l’image d’une République révolutionnaire, militante et sociale[13]. Des chants comme la « Marseillaise » et les « Girondins » s’élèvent bientôt de la colonne. La très grande majorité des insurgés sont à pied. Les chefs eux sont à cheval. Etienne Darnospil, « barbu à la tête de bouledogue, vêtu d’un costume rouge et armé d’une longue faux emmanché[14] » chevauche en tête. La colonne républicaine arrive maintenant à proximité du chef-lieu d’arrondissement de Nérac.

 

L’affrontement paraît inévitable.

 

Déjà, à l’intérieur de la ville, environ deux cents hommes sont prêts à susciter une insurrection mais les autorités ont su anticiper l’arrivée de la colonne puisque le tocsin, les cloches de l’église et les tambours ont alerté suffisamment à l’avance le sous-préfet Vigne et le maire Larose du soulèvement des campagnes. Ces derniers ont préparé la défense de Nérac en rassemblant environ deux cents personnes au poste des pompiers.

 

La colonne républicaine est arrivée dans l’allée du Petit-Guillem à l’entrée de la ville.

 

Là, Darnospil et les autres chefs insurgés, Soubiran de Mézin, Bordes, le tailleur Trézéguet apprennent que les forces gouvernementales sont sur la défensive et prêtes à riposter. Ils se concertent. Deux solutions s’offrent à eux.

 

Soit les insurgés décident de se battre et ce sera certainement un combat à outrance s’ils veulent s’emparer de la ville ou bien alors ils continuent leur chemin vers Agen où ils doivent être à deux heures de l’après-midi. La deuxième option est finalement choisie. De son côté, le sous-préfet Vigne veut également éviter l’effusion de sang et leur laisse le champ libre. Il est dix heures du matin le quatre décembre quand les insurgés, après un court arrêt, se remettent en marche et contournent Nérac par les grandes allées, le pont Lafayette et le pont Neuf. La colonne poursuit son chemin jusqu’à Calignac. Bordes et le tailleur Trézéguet partent en avant-garde et tous les deux font halte dans l’auberge du village tenue par Lafaugère à qui ils ordonnent de préparer des vivres pour les hommes.

 

 

Sous les ordres de Darnospil, ils décident de s’emparer de la mairie mais le premier magistrat de Calignac Darblade de Séailles en a fait fermer les portes. Finalement les portes sont enfoncées et quatorze fusils sont réquisitionnés. Plus loin, à Moncaut, situé sur les coteaux au sud-ouest d’Agen, la colonne a fait une nouvelle halte. Ceux qui ne se sont pas restaurés à Calignac le font à l’auberge des Crubelets. Puis Bordes et Capuron distribuent les fusils et les munitions prises à Calignac. Pourtant, la possibilité d’un affrontement futur à Agen commence à faire réfléchir certains insurgés. Les premières désertions commencent à tel point qu’une arrière-garde est formée pour retenir les fuyards. Ce sont néanmoins des cas isolés car l’essentiel de la troupe arrive maintenant à Roquefort à cinq kilomètres du chef-lieu.

 

Il est maintenant une heure de l’après-midi. Les hommes s’arrêtent, là, en attendant les ordres des chefs et prennent un peu de repos après huit heures et plus de trente kilomètres de marche. L’itinéraire a été le suivant.

 

 

carte 2.4 : Le trajet de la colonne républicaine jusqu’à Agen

 

C- L’insurrection n’est pas généralisée dans le département

 

 

 

La première partie du plan d’insurrection était un succès puisque les républicains ont réussi à mobiliser un nombre importants d’hommes prêts à se battre. Outre le respect des engagements pris lors de la réunion au domicile de Louis Vivent, les chefs insurgés comptaient fermement sur un embrasement général du département contre les mesures présidentielles. Mais, leurs  espoirs ont été vite déçus puisque huit cantons lot-et-garonnais n’ont pas participé aux troubles. Aucune tentative pour s’emparer des mairies n’a été tentée dans ces lieux.

 

Il est remarquable que les huit cantons se situent aux extrémités du département. Il s’agit des cantons de Duras situé au nord-ouest, de Casteljaloux au sud-ouest, des cantons de Cancon, de Penne-d’Agenais et de Tournon-d’Agenais dans l’arrondissement de Villeneuve-sur-Lot au nord-est et ceux de Laroque-Timbaut et de Beauville dans l’arrondissement d’Agen au sud-est du département. Seule la situation géographique du canton de Prayssas présente une exception puisque localisée dans le centre du Lot-et-Garonne sur l’axe reliant les villes de Nérac et de Villeneuve-sur-Lot. Il convient de présenter la situation dans chacun de ces cantons puis d’étudier les causes immédiates et les causes profondes de leur inaction.

 

Le chef-lieu de canton, Duras, est un bourg peuplé de mille deux cents cinquante habitants à seulement un kilomètre du département de la Gironde et une quinzaine de celui de la Dordogne. Tous les rapports du commissaire de police M.Siendé insiste sur l’aspect « calme et tranquille de la commune ». La nouvelle du coup d’Etat a été affichée le 3 décembre dans l’après-midi sur la place de l’Hôtel de Ville. Les habitants se sont massés pour avoir plus d’informations puis les cris de « Vive Napoléon » ont retenti. Visiblement, le coup d’Etat bonapartiste a été bien reçu dans la commune. La population s’est aussitôt dispersée. Aucun symptôme d’agitation n’a eu lieu entre cette date et le 10 décembre.

 

L’émissaire venu depuis Marmande, l’avocat Alexis Lafiteau a tenté de soulever les habitants de Duras en les incitant à rejoindre l’insurrection marmandaise mais il n’a pas rencontrer l’adhésion populaire[15]. L’attitude de la population du chef-lieu de canton a d’une certaine façon donné le ton aux communes alentours de Baleyssagues, d’Esclottes, d’Auriac-sur-Dropt et de Pardaillan où aucune tentative de rébellion n’ a été constatée. Les autorités n’ont eu à réprimer aucun désordre.

 

Le canton de Casteljaloux offre le même cas concret d’un certain isolement géographique par rapport aux gros foyers de population du département. Peuplée par deux mille sept cents cinquante habitants, la ville est située à proximité du département de la Gironde. Bien qu’appartenant à l’arrondissement de Nérac, Casteljaloux est plus éloigné de cette ville (trente-cinq kilomètres) que par rapport à Marmande (vingt kilomètres). Cette situation a eu certaines conséquences.

 

La dépêche télégraphique annonçant le coup d’Etat est arrivée le 3 décembre à trois heures de l’après-midi. Le lendemain, les trois proclamations de Louis Napoléon Bonaparte ont été placardées mais elles n’ont suscité aucune réaction au sein de la population locale. Deux gendarmes ont parcouru le chef-lieu de canton pour connaître l’atmosphère dans la ville. Ils n’ont pu que constater que « tout était parfaitement calme »[16]. Le voisinage de Bouglon pouvait faire craindre aux autorités qu’il y ait eu quelques soulèvements. Dans la nuit du 5 au 6 décembre, deux insurgés marmandais dont l’entrepreneur Adolphe Turon sont venus à Casteljaloux avec un ordre signé de Peyronny et une proclamation de Paul Vergnes. Leur but était de recruter pour aller grossir les rangs de l’insurrection marmandaise. Mais dès leur arrivée, les deux émissaires ont été interceptés par le commissaire de police M. Billet et leurs papiers saisis. Plus tard, une réunion a rassemblé les trente-six adeptes de la société secrète locale chez le charron Tareyre. Certains individus sont ensuite partis à Bouglon et Marmande mais aucun n’a tenté de soulever la population de Casteljaloux. Etienne Darnospil et ses hommes ne sont pas venus jusque dans la ville pour inciter les habitants à marcher sur Agen. Les communes proches de La Réunion, de Saint-Martin-de-Curton, Houeillès, Anzex et de Villefranche-du-Queyran ont été exempts de tout désordre.

 

Trois cantons de l’arrondissement de Villeneuve-sur-Lot à savoir ceux de Cancon, de Penne d’Agenais et de Tournon d’Agenais ont été également imperméables à toute insurrection. Aucune manifestation ne s’y est produite les 3 et 4 décembre. Il y a eu un rassemblement d’une centaine de personnes sur la place publique de Penne d’Agenais après que les nouvelles eurent été affichées. « Une certaine effervescence s’est ensuivie » note le commissaire de police M. Monthillaud. Mais l’attroupement s’est rapidement dispersé. Une réunion s’est tenue chez M. Boucher considéré comme le « chef démocrate du canton de Penne[17] ». Le projet de s’emparer de la mairie a été rejeté à l’unanimité par les membres présents. Quelques participants comme Lafitte, Paganel et Boucher se sont rendus par la suite à Villeneuve-sur-Lot.

 

Dans l’arrondissement d’Agen, les cantons de Beauville, de Laroque-Timbaut et de Prayssas n’ont pas plus participé à la résistance républicaine au coup d’Etat présidentiel. Ces chefs lieux de cantons se trouvent respectivement à vingt-cinq, dix-huit et dix-sept kilomètres du chef-lieu. Aucun habitant de Beauville et de Prayssas ne sont allés à Agen.

 

Peut-être que ces personnes ont attendu l’évolution de l’insurrection agenaise avant de prendre une part active aux troubles. A Laroque-Timbaut, deux hommes mandatés par le comité de résistance, le tailleur Jean Barriel et le commis-négociant Antoine Dié sont arrivés en ville le 3 décembre pour inciter les mille quatre cents habitants à s’insurger. Très peu ont répondu à leur appel.

 

Seul le cafetier Germain Massabeau paraît avoir rallié la cité agenaise[18].

 

Nous avons insisté sur le relatif isolement et sur la distance séparant les cantons précédemment cités par rapport aux grands foyers de population. Ces deux facteurs peuvent expliquer la relative passivité des habitants et leur répulsion à rejoindre la résistance républicaine lot-et-garonnaise; les artisans et les paysans n’ont peut-être pas voulu quitter leurs ateliers où leurs champs pour rejoindre un mouvement insurrectionnel qui représentaient alors l’inconnue et dont ils ne connaissaient pas tous les aboutissants. Un autre élément explicatif peut être trouvé dans le certain manque de légitimité ou de charisme des émissaires chargés de soulever les populations rurales. On peut citer l’exemple d’un dénommé Meillet qui s’est déplacé depuis Marmande jusqu’à Leyritz-Moncassin (canton de Casteljaloux) pour y faire de la propagande.

 

Devant un parterre de personnes réunies autour de lui, il a affirmé que « Louis Napoléon Bonaparte a été conduit à Vincennes et que trois ou quatre sous-préfectures sont aux mains des républicains dans le Gers ». Il a dit également que « cinquante personnes originaires de Marmande le suivaient pour prendre la mairie de Leyritz-Moncassin » mais personne ne l’a cru parmi les habitants. Ces derniers sont retournés chez eux et Meillet est reparti aussi rapidement qu’il était arrivé[19].



[1] Cf. Hubert Delpont, Pierre Robin, op cit.

[2] ADLG, 4M132

[3] ADLG, 19U6

[4] ADLG, Série 4M24

[5] Hubert Delpont, Pierre Robin, « La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte dans le Néracais », RA, 1984, p. 78

[6] Hubert Delpont, Pierre Robin, op. cit. La carte est à la p. 82

[7] André Sapaly, « Un proscrit bazadais du coup d’Etat, Jean Robert », in Les cahiers du Bazadais, pp. l3-23, 3e trimestre 1983. Cet article est la synthèse du livre de Jean Robert, Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et mon histoire de proscrit, éd. A.Arnaud, Bordeaux, 1884.

[8] ADLG, 19U6

[9] Eugène Ténot, La province en 1851, éd. Le Siècle, 1876

[10] Hubert Delpont, Pierre Robin, op. cit.

[11] Maurice Agulhon, Pierre Bonte, Marianne, les visages de la République, Gallimard, 1992, p. 15.

[12] Pour mémoire, ce tableau représente une femme à moitié dévêtue et coiffée d’un bonnet phrygien brandissant dans sa main droite un drapeau tricolore et dans sa main gauche un fusil à baïonnette. Elle est juchée sur un des barricades parisiennes entreprises pour protester contre le gouvernement de Charles X lors des journées des 27, 28 et 29 août 1830.

[13] Maurice Agulhon, Pierre Bonte, op. cit. Au contraire, la République officielle, celle du parti de l’ordre, a adopté la représentation d’une femme coiffée d’une couronne de végétaux.

[14] Jean Robert, op. cit. C’est la description faite par celui-ci. Son récit des événements qui n’est pas l’oeuvre d’un historien est à prendre avec beaucoup de précautions. En effet, Jean Robert a été déporté en Algérie en tant que membre actif de la colonne néracaise. C’est certainement pour cette raison qu’il n’a de cesse de critiquer l’attitude des chefs de l’insurrection, selon lui, responsables de la défaite. Etienne Darnospil est ainsi présenté comme « un véritable excité ».

[15] ADLG, 19U 1-2. Tous les détails des événements à Duras se trouvent dans ces deux séries.

[16] ADLG, I 9U2

[17] ADLG 19U5.

[18] ADLG 19U7

[19] ADLG 19U1