Une étude sur la résistance en Lot-et-Garonne

article publié dans notre bulletin n°20, juin 2002

Une étude sur la résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre dans le Lot-et-Garonne

 

 

Dans le cadre de l’Université de Bordeaux 3, Bertrand Carbonnier a présenté en juin 2001 une précieuse étude qu’il a intitulée : « La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne ». (texte intégral disponible sur ce site)

Dans une première partie il a étudié minutieusement le déclenchement de la résistance républicaine, puis ensuite dans un second temps son déroulement et enfin dans une troisième partie il a souhaité avancer quelques interprétations des journées de décembre.

 

L’importance de la révolte sur trois secteurs de ce département méritait enfin cette étude globale. Je n’ai pas l’intention de résumer ici ce travail qui entre dans les références à prendre compte sur la question car je préfère concentrer mon attention sur les interprétations de l’événement apportées par Bertrand Carbonnier.

 

1 – Le rôle des sociétés secrètes

 

L’auteur analyse finement la mise en place de telles sociétés. « La naissance de véritables sociétés secrètes s’est accélérée sous la pression de trois phénomènes à savoir la répression contre le parti démocrate-socialiste, les rumeurs de coup d’Etat au fur et à mesure que les élections présidentielles de 1852 approchaient et enfin la mise en cause du suffrage universel par le moyen de la loi Baroche datant du 31 mai de l’année 1850. »

 

A partir de telles considérations, Bernard Carbonnier arrive à reconstituer une carte des sociétés secrètes, avec les lieux, les réseaux et les idées défendues.

 

Mais au moment du coup d’Etat l’auteur constate : « Les insurgés que nous avons mentionné plus haut agissent tous dans un rayon d’environ dix à vingt kilomètres autour de leurs chef-lieux d’arrondissement ce qui laisse penser que l’action des sociétés secrètes a eu lieu sur un plan assez local, isolée et sans véritable ligne directrice. »

 

Et c’est à ce point de la démonstration que Bernard Carbonnier mentionne le peu de contact avec le département voisin du Gers où pourtant la révolte a été également très forte. Deux lieux d’insurrection, le secteur de Condom et celui de Nérac, sont très proches et pourtant sans lien.

 

Je pense qu’il est possible grâce aux divers travaux disponibles dont celui de Frédéric Négrel, d’entamer une réflexion globale sur l’organisation politique à ce moment-là. Comment le « localisme » se constitua-t-il et comment s’articulèrent réseaux et « frontières départementales ». Le mode de scrutin départemental et le développement d’une presse départementale créent une mise en relation des communes qui étaient auparavant le point solide de la socialisation politique. Comment s’incrustent les sociétés secrètes dans ce paysage ? (des sociétés secrètes qu’il ne faut plus confondre avec le Blanquisme par exemple).

 

Et comment est-on passé de l’organisation des cercles républicains (moins étudié que les sociétés secrètes) à la clandestinité ?

 

2 – La sociologie de l’insurrection

 

Sur ce point également Bernard Carbonnier apporte des éléments précis d’étude. Et comme il a pu travailler sur 848 individus réprimés, les résultats paraissent significatifs. «L’analyse de la catégorie des paysans pose un problème puisqu’il est assez inattendu de constater que celle-ci n’atteigne qu’à peine 17,3% de l’effectif total. C’est ici qu’il faut considérer que « l’insurgé de base » a dû bien souvent échapper à l’arrestation et c’est parce que cet insurgé était un paysan que la proportion de ces derniers est assez faible dans nos données. Beaucoup de paysans ont plus suivi qu’agi.»

 

Il est difficile de couper la sociologie et la conscientisation politique et il est difficile aussi de porter son regard sur le temps court d’une insurrection sans le relier au temps long d’une tradition. Je considère que la répression était pensée politiquement par Morny. Il fit arrêter des personnes dans des endroits sans la moindre révolte car il chercha avec les insurgés, l’élimination totale du parti républicain. Ceux qui avaient été révoqués (instits ou maires) ou ceux qui avaient été condamnés devenaient la première cible des commissions mixtes (souvent les tribunaux de la Seconde république avaient refusés de les condamner). Un homme était à Toulouse en décembre 1851 et il ne fut pas inquiété par la commission mixte de son département mais il fut condamné à l’exil par le département voisin du Tarn-et-Garonne ! Les artisans s’étaient souvent fait plus remarquer que les paysans. Morny pensait pouvoir les récupérer dans le giron bonapartiste. Il put y réussir parfois de manière frappante dans le Gers mais pour le Lot-et-Garonne je suis de ceux qui pensent qu’il existe un lien direct entre la révolte au coup d’Etat et l’élection dans une partielle en 1920 du paysan du Marmandais Renaud Jean, comme premier député communiste de France (je le pense à partir de réflexions de Renaud Jean et à partir de la révolte telle qu’elle a eu lieu dans sa commune en 1851).

 

 

Conclusion

 

Bernard Carbonnier a cette belle dernière phrase : « Un champ d’investigation nouveau peut donc être mis à jour. », à savoir une étude par canton pour mettre en relation crise économique de 1846-1850, votes de 1848 et 1849 et attitude au moment du coup d’Etat. Je partage tout à fait cette réflexion, non que le travail accompli puisse laisser le lecteur sur sa faim (il correspond exactement au but fixé avec un important complément de sources), mais parce qu’il ouvre un nouvel appétit. C’est à la lecture de telles recherches que je ressens encore mieux l’importance de l’Association 1851 qui d’ailleurs me permit de me mettre en relation avec Bernard Carbonnier que je remercie pour avoir bien voulu mettre à ma disposition son si beau travail universitaire.

 

 

Jean-Paul Damaggio 31 mars 2002