Avec Calixte Mireur, cordonnier à St Raphaël
Bulletin et lettre de liaison numéro 15 (avril/mai 2001) 2 Décembre 1851 Avec Calixte Mireur, cordonnier à Saint-Raphaël
“Mon père, c’était un proscrit de 1851. Il s’était insurgé contre le coup d’État du 2 Décembre ! Pour ne pas se faire prendre, il s’était caché dans l’Estérel. Il avait fait très froid cet hiver-là… Heureusement, le brave Roure leur apportait des provisions en cachette ! La nuit, quelquefois, mon père venait rejoindre ma mère, mais une fois, ils ont failli le prendre ! Il s’est échappé par la porte de derrière, il n’avait même pas eu le temps d’enfiler ses “brailles”. Ils l’avaient condamné par contumace. Après, ils nous ont “dépossédés”. Ils nous ont pris les terres du bord de mer. Mais quand la République est revenue, alors c’est moi qui menais la première farandole, et j’étais toute en rouge’”. Ce récit de mon arrière grand-mère, née Marie Mireur (1851-1936), je l’entendis souvent, répété par mon père Charles Bros, d’une voix vivante d’émotion, de fierté certainement, qui témoignait de sa vénération pour cette grand-mère paternelle qui l’avait élevé (il devint orphelin à 4 ans) mais aussi pour “La République” ! Cet épisode de notre vie familiale qui m’a été transmis oralement, allait remonter du fond de ma mémoire lorsque devenue grand-mère à mon tour, et retraitée, j’eus le loisir de réaliser mon arbre généalogique. Je fis ainsi plus ample connaissance avec Calixte mon trisaïeul, mais aussi avec ses ascendants maternels raphaëlois, les Roubieu (au-delà du XVIe siècle) et, côté paternel, avec la nombreuse famille des Mireur. À la quête généalogique, succédait bien vite l’enquête historique, ce qui me fit passer des registres d’État civil à un autre registre : la très importante documentation qui, aux Archives Départementales, concerne l’Insurrection du Var. J’y découvris la fiche de la Commission militaire de Draguignan concernant Calixte : Mireur Calixte, 30 ans, cordonnier, Lieu de naissance St Raphaël, Demeurant à St Raphaël, arrêté à Contumax Pour les faits suivants : Pris part à l’insurrection en se réunissant en armes à la Phalange insurrectionnelle ; homme exalté dans les opinions et capable des plus mauvais desseins. Et la liste des Individus qui ont quitté la Commune de Saint-Raphaël sans motifs convenables depuis le 2 décembre 1851. Raynaud Louis, parti sans armes apparentes le 5 décembre, connu dans la commune pour un démagogue répandant dans l’esprit du peuple des doctrines de communisme. Hennequin Charles, connu dans le pays pour un républicain exalté mais probe. Parti armé le 7 décembre et rentré dans la commune le 8 dans la nuit. Suivent 16 noms, tous portant la mention “Démocrate, parti armé le 7, rentre le 8 dans la nuit”. Sequier Jospeh Hilarion, Simon Théophile, Gueydon Joseph, Mireur Calixte, Garnier Pierre Joseph, Brun Joseph, Desmicheli Théodore, Oliotti Bernardo, Padouane François, Besson François, Charles (polonais), Rousset Antoine, Hugues François, Renoux Noël, Pastorel Jean, Cole François. Il résulte des renseignements qui nous ont été fournis par plusieurs d’entre eux qu’ils étaient tous partis comme soldats et qu’il n’y avait pas de chefs parmi eux. A St. Raphaël le 16 décembre 1851, le Président de la Commission municipale de St. Raphaël en compagnie des membres de la dite commission. Giraudy, Honnoré, Bernard. Grand moment “d’exaltation” pour moi aussi, ce jour-là ! Mais ma fierté de descendante de proscrit de la 5ème génération sera fortement ébranlée à la lecture des livres d’histoire tant locale que nationale dont la plupart reprennent le texte d’Eugène Ténot : Le coup d’État de 1851 eut, comme dans tout le Var, sa répercussion à Saint-Raphaël. Dès les premiers jours de l’insurrection, une centaine de citoyens quittèrent la commune pour se diriger sur Vidauban où ils arrivèrent quelques heures après l’élévation de Duteil au grade de général. D’après l’anecdote racontée par M.Ténot, la bande d’insurgés venant de Saint-Raphaël était commandée par un homme de beaucoup d’esprit, M.Hennequin. On lui apprend que le citoyen Camille Duteil vient d’être nommé général de l’insurrection. “Camille Duteil général, s’écrie M.Hennequin, je connais l’homme. Mes amis, retournons chez nous. C’est tout ce qui nous reste à faire”. Et il commanda demi-tour à sa bande, qui retourna à Saint-Raphaël. (Philippe Jumaud, Histoire de Saint-Raphaël, ed. des Tablettes, Saint-Raphaël, 1941). “Une bande” ? et “qui fait demi-tour” ? Pourquoi Hennequin était le seul à être mentionné ? Parce qu’il était “un homme de beaucoup d’esprit” ? Qu’en était-il du récit de mon arrière grand-mère ? Rien que le souvenir, magnifié, d’une vieille dame “que repepiavo un pàu” ? Fallait-il maintenir le voile de l’oubli sur un passé lointain et, de plus, occulté par les tragédies du XXe siècle ? Une seule réponse m’a semblé s’imposer : exhumer des archives communales, paroissiales, départementales, tous ces événements, et plus spécialement “l’après 1851” et, à partir de ces références, rédiger un Devoir de Mémoire non pas pour “mon Calixte”, qui n’est que le fil conducteur pour revivre le temps et rencontrer l’Histoire, mais pour tous les individus qui, par un froid dimanche de décembre 1851 étaient partis, “sans motifs convenables”, pour sauver la Constitution. Car j’avais découvert, au cours de ces premières recherches, qu’à la “bande” des 18 Raphaëlois, et tout au long du parcours, interrompu à Roquebrune, s’étaient ajoutés Fréjusiens et Pugétois ! C’est avec ces derniers que Marthe Régis (elle aussi grand-mère, elle aussi membre du Cercle Généalogique du Sud-Est Varois, de l’Association 1851-2001, descendante de trois insurgés et non des moindres) allait prendre le relais. Lourde tâche pour deux grands-mères ayant pour unique référence “descendantes de proscrits”, exaltées par la diversité et l’intérêt de leurs découvertes, mais croulant sous le poids de tant de documents à étudier. La collaboration de Dominique Miraglio (qui, elle, n’est pas grand-mère, mais a une maîtrise d’histoire et s’occupe du fonds consacré à la Provence à la Médiathèque de Saint-Raphaël) nous fut providentielle. Grâce à ses compétences, sa rigueur (qualité qui nous faisait un peu défaut), notre “devoir de mémoire” prenait les dimensions d’une modeste “monographie micro régionale” au sujet desquelles le Professeur Agulhon écrit “qu’elles sont encore possibles et éminemment souhaitables pour faire avancer la réflexion collective”. En fait, nous n’avons rajouté que 22 kms au parcours de l’Insurrection Varoise. Point de Martin Bidouré parmi ces hommes, fatigués, déçus sans doute, auxquels le maire de Roquebrune accordera “une heure ou deux de repos” et “des rafraîchissements nécessaires au Café Roux”, avant que le tambour “battît le rappel” et que s’en retourne sur ses pas la colonne des insurgés. Ayant suivi ces hommes jusqu’en 1881 (jusqu’à la fin de leur vie pour la plupart), nous pouvons affirmer que tous méritent d’être cités au cours de cette commémoration, 150 ans plus tard.
Renée Benjamin
Document [Orthographe et ponctuation respectées] : Commune de Roquebrune. Tableau des individus qui ont pris part à l’insurrection de Xbre 1851. Néant. Aucun habitant ne s’étant joint à la colonne des insurgés un seul homme qui tantôt travaillait au puget où il avait une chambre et tantôt à Roquebrune comme peintre nommé Joseph Fouque, natif du puget, était parti deux jours avant pour le muy et s’était joint aux insurgés de cette commune fut signalé à Mr le Procureur de la République et se trouve maintenant détenu. Nota : dans la journée du sept décembre 1851 vers les une heure de l’après midi le Maire de Roquebrune fut informé qu’une colonne de 200 hommes insurgés était partie de St.Raphaël de Fréjus et du Puget se dirigeant à Roquebrune. Arrivée près du village deux délégués les nommés Jh.Brun et Sequier de la commune de St.Raphaël furent auprès de lui pour lui annoncer l’arrivée de la colonne et qu’ils avaient à leur tête le sieur Hennequin, que quelques minutes après ce dernier se présenta à lui et lui dit : C’est à Mr le Citoyen maire à qui j’ai l’honneur de parler, la réponse du magistrat fut affirmative, qu’après avoir causé quelques instants les insurgés étaient dans le village, Hennequin lui aurait dit qu’on l’avait trompé, qu’il croyait trouver à Roquebrune 250 hommes pour se joindre à lui pour aller à Draguignan protester contre la violation de la Constitution, à cette demande le maire de Roquebrune lui aurait répondu et fait observer que ce n’était pas en armes qu’ils devaient se présenter que cet acte était contraire aux lois, qu’ils pourraient être regardés comme rebelles que quand à lui il emploirait tous les moyens à ce que un seul ne se joignit à sa bande. Hennequin répondit que celui de ses hommes qui toucheraient la moindre chose d’autrui il lui ferait loger deux balles dans la tête. Il fut engagé par le maire à retourner sur ses pas. Il demanda alors une heure ou deux de repos pour sa troupe ce qui lui fut accordé et après avoir pris au Café Roux les rafraîchissements nécessaire un tambour batis le rappel. les insurgés furent ralliés et sous le commandement d’Hennequin la colonne insurgés partis de Roquebrune. Fait et arrêté à Roquebrune le 22 Janvier 1851, le Juge de Paus, d’Audibert. |