Le canton de Lavit à l’heure du coup d’Etat
Le canton de Lavit à l’heure du coup d’Etat de 1851 texte d’une conférence de Jean-Paul Damaggio
Avec André Dupuy nous nous croisons depuis 20 ans et je dois d’abord le remercier pour le travail d’historien qu’il accomplit avec persévérance depuis tant d’années. Quand nous avons commencé à échanger nos informations au sujet de Mary-Lafon, je ne pensais pas qu’un jour sa Lomagne me serait proche au point d’y habiter. La vie réserve toujours des surprises et celle qui me fait intervenir aujourd’hui, devant vous, doit se classer parmi les plus heureuses. En effet, le sujet que je vais évoquer me tient particulièrement à cœur. Comment caractériser Lavit et son canton en 1851 ?
Sur 7771 habitants le canton a perdu en 50 ans 2676 personnes soit 35% de sa population alors que dans le même temps la population globale de la France augmentait nettement. Entre 1848 et 1851, les habitants avaient-ils conscience de ce risque considérable dans un endroit à dominante rurale ? Je reste depuis des années avec cette interrogation. Où sont partis les habitants et comment ? Cette évolution économique favorisa-t-elle l’engagement républicain dans le secteur ? Car en effet Lavit et son canton furent républicains.
Une nette influence républicaine
Les élections de 1849 resteront dans l’histoire comme une élection de référence pour quatre raisons : – pour la première fois le conflit gauche/droite est très clair. – pour la première fois les électeurs pourront se prononcer au suffrage universel, en connaissance de cause. – pour la première fois ce suffrage universel, masculin il est vrai, s’appuie sur une presse relativement libre. – pour la première fois l’élection fut précédée d’une réelle organisation politique des citoyens (par divers comités). En Tarn et Garonne les démocrates font une percée (3 élus sur 5) au point que le notable orléaniste Léon de Maleville est battu. Avec 32 %, le canton de Lavit est dans le groupe des 7 cantons au-dessus de 30% pour la gauche: Moissac (45%), Castelsarrasin (40%), Molières (40%), Lauzerte (45%), Montpezat (36%) et Montaigu (36%).
La caractéristique de cette influence tient nettement au rôle des militants républicains : sauf Molières dont le résultat est étrange, tous les autres cantons possèdent en leur sein des responsables républicains courageux qui se distingueront en 1851. Des montagnards influencent les habitants qui à leur tour leur donnent de l’influence. Aucune étiquette «d’appareils» politiques ne peut servir de référence. Ce lien direct entre les personnalités et leurs soutiens s’établissaient le plus souvent au cabaret. Pour Lavit le personnage clé de cette action montagnarde s’appelle Eugène Joseph Bach et il est pharmacien. Comment expliquer cette influence républicaine ? Elle semble prouver que Lavit est beaucoup plus sous l’influence de la Gascogne par le lien avec le Gers que sous l’influence du Tarn-et-Garonne car le réseau républicain vient surtout de l’Ouest du Gers. Une grande réunion tenue à Beaumont de Lomagne prouvera que les divers circuits républicains du Gers font entendre leur voix dans cette partie du Tarn-et-Garonne comme ceux d’Agen influenceront Lamagistère et Moissac. Cette donnée géographique prise en compte, la question reste entière et Joseph Dagnan, dans sa volumineuse étude, en reste au stade du constat de l’engagement républicain d’une partie du Gers sans apporter aucune explication. Pourquoi le Gers a-t-il connu une révolte contre le coup d’Etat et pas l’Ariège ? Bien sûr, à cause de personnalités décidées mais les personnalités à elles seules ne peuvent rien. Pour Lavit, un document me permit de mesurer la profondeur de l’engagement républicain au sein du peuple. En 1881, la République décida d’indemniser les victimes du coup d’Etat et voici la lettre envoyée à la commission par Jean Baptiste Cazeneuve ferblantier à Lavit : « Il y a d’abord les victimes du coup d’État qui ont été brutalement frappées, transportées, emprisonnées, celles en un mot qui ont subi les mauvais traitements en usage en cette malheureuse époque. Il y a aussi les victimes qui ont été frappées hypocritement, par derrière, celles qui ont été toujours poursuivi par la haine des maîtres de cette époque. Par mon commerce je travaillais surtout pour les maisons riches. J’étais à Lavit depuis 1846. En 1848 j’ai pris le parti des Républicains. J’ai soutenu le maire républicain de l’époque. » Dans sa lettre Cazeneuve expliquera que ce maire se ralliera ensuite à l’Empire et il le traitera donc de renégat, qu’il était membre de la société de musique où il jouait le rôle de ménestrier, et qu’il allait donner des bals partout où il était appelé. Ce personnage social trace ainsi un portrait de la petite ville. Après le 3 décembre on lui demandait toujours s’il était encore républicain et comme il répondait oui, les riches s’étonnaient car il n’était pas un pillard. A quoi, cet homme simple, répondait par l’évidence : «il n’y a pas de pillards républicains». A l’âge de la presse de masse, la campagne de presse contre les insurgés avait été la première grande intoxication réussie de l’opinion. Joseph Dagnan donne quelques exemples de mensonges grossiers qui circulèrent à l’époque. L’engagement du ferblantier lui ayant valu, comme à bien d’autres, la perte de ses revenus, il s’adresse à la commission tout en sachant qu’il n’y aura d’indemnisation que pour les victimes du premier degré « celles brutalement frappées » mais ainsi il attire l’attention sur « celles frappées hypocritement ». Son témoignage prouve que si les archives ne disent rien sur la réaction contre le coup d’Etat à Lavit, il n’en demeure pas moins qu’une répression insidieuse se fit jour et elle témoigne par contre-coup de l’engagement républicain de quelques hommes. A ce ferblantier Cazeneuve, on peut ajouter le sieur Pellefigue, ancien instituteur habitant à Gramont qui demande une indemnité pour avoir été obligé de donner sa démission en 1853.
Bach, le cas d’un pharmacien
Qu’est-ce qu’un pharmacien à Lavit en 1851 ? J’aurai aimé pouvoir tracer un portrait social de cette fonction d’autant qu’ensuite je vais parler d’un médecin mais mon ignorance m’en empêche. Ce pharmacien attira d’abord notre attention à cause de ce portait extrait d’un rapport de police de 1853 :
Bach 43 ans socialiste très exalté propagandiste zélé exerçant de l’influence sur la canaille du canton, poursuivi pour colportage de mauvais écrit, condamné pour outrage public envers le juge de paix. Dangereux.
Auparavant, juste après le coup d’État voici le rapport de police : Bach, de Lavit, 40 ans : Chef du socialisme dans le canton de Lavit, le plus mauvais sous le rapport politique de l’arrondissement de Castelsarrasin. Son officine était le rendez-vous de tous les démagogues de la contrée. Poursuivi l’année dernière pour avoir apposé deux cents fausses signatures sur une pétition contre la loi électorale, fait qu’il avoua, il fut acquitté par le jury. Bach a été condamné il y a trois mois à un mois de prison pour outrage public envers Mr le juge de paix de Lavit. L’expulsion du territoire français est demandée par le rapport de police.
Deux autres cas : Lafourcade, 50 ans Ex-instituteur public de la commune d’Asques, révoqué de ses fonctions en 1850 pour propagande anarchique ; meneur du socialisme et lieutenant de Bach dans le canton. Il a porté le désordre et la division dans toutes les communes où il a enseigné. Lafourcade est un démagogue incorrigible. La révocation qui l’a frappée n’a fait qu’augmenter sa haine contre la société. Il est un obstacle au rétablissement de la tranquillité dans la commune de Mansonville. L’expulsion est demandée. Massoc tisserand à Mansonville ex-correspondant de la société pour la propagande démocratique et sociale dirigée par Eugène Carpentier dont le siège était à Paris rue des Bons Enfants. Il professe les opinions démocratiques les plus exagérée et cherche à les propager. L’expulsion est demandée.
Pour connaître un peu les événements de 1851, les rapports de police sont malheureusement les documents de base. Dans le Gers voisin, Joseph Dagnan a accompli un travail extraordinaire pour faire connaître le soulèvement populaire d’une bonne partie du département avec des sources diverses car les milliers de républicains insurgés ne purent être rayés d’un trait de plume. Pour Lavit nous ne sommes pas dans le même cas : en Tarn et Garonne le journal officiel, le seul à exister, Le Courrier du Tarn-et-Garonne ne dira rien, les témoignages n’existent pas et il faut donc chercher la réalité dans les interlignes de pauvres sources disponibles. La première est donc ce portrait rapide de Bach le pharmacien en date de 1853 car la surveillance des opposants potentiels à l’Empire était minutieuse. Si en 1853, Bach est encore un « socialiste très exalté », nous pouvons supposer qu’en 1851, il tenta de riposter au coup d’Etat. La différence avec le Gers tient aussi au fait que, l’insurrection partit du chef-lieu des départements pour se diriger ensuite vers le chef lieux de canton. Si d’Auch à Lectoure le vent de la révolte suivit rapidement les routes du Gers, à l’extrémité du département du Tarn-et-Garonne où l’impulsion montalbanaise fut faible, les informations sur le coup du 2 décembre durent arriver après la bataille.
A l’État Civil de Lavit, je découvre Bach au registre des naissances le 17 mai 1841. Il est âgé de 29 ans (donc le document de police lui donnant 43 ans en 1853 le vieillit un peu), il habite Lavit, son épouse Jeanne Marie Clémence Lafforgue-Laprade à 23 ans et ils ont un garçon qu’ils appellent Barthélémy Frédéric. Un propriétaire, Firmin Eloi Laborde (29 ans) et un huissier Etienne François Redon (35 ans) sont les témoins. Je ne peux savoir s’il est originaire de Lavit car je n’ai pas découvert son mariage. Barthélémy est le prénom du grand-père. Il a aussi signé sur le registre pour le mariage de Bourthoulieu Guillaume avec Suzanne Crubilié en 1847.
Maintenant voyons de quel procès il s’agit en 1851. Il a fait signer une pétition célèbre, celle d’Emile de Girardin qu’il a repris du journal La Presse, une pétition contre le projet de loi électorale de 1850 qui va restreindre le droit de vote. Le suffrage universel n’est pas remis en cause mais soumis à quelques conditions dont la plus importante concerne la condition de résidence : il faut avoir trois ans de présence dans la commune pour conserver le droit de suffrage. La loi ayant été voté tous les observateurs découvriront que 30 à 40% d’électeurs populaires sont rayés des listes et pas seulement parmi les ouvriers mais aussi dans les campagnes. Une manière de vérifier qu’à cette époque-là la population rurale était très mobile. La pétition disait ceci : « Le mandataire qui anéantit le droit du mandat détruit son mandat. Voilà le principe, tirez-en les conséquences. Sachez-le, députés, voter le projet de loi électorale qui vous est présenté c’est voter la loi sur laquelle on s’appuiera demain pour proposer votre dissolution. » C’est un peu ce qui arriva.
Voici le tableau officiel de la situation : « Dans le courant du mois de mai 1850 la présentation du projet de loi sur la réforme électorale devint pour les partisans du désordre une occasion qu’ils voulurent exploiter pour causer de l’agitation dans le pays. Ils voulaient prouver à l’assemblée législative que la loi était repoussée par l’opinion publique. Pour cela des pétitions contre la loi partirent de Paris et des grands centres de population et furent envoyées dans les plus petites cités ou des individus du parti avancé les colportèrent de maison en maison et dans les lieux publics pour solliciter des signatures et comme les signatures ne venaient ni assez vite ni en assez grand nombre au gré des propagateurs de cette pétition, ils eurent recours à des signatures fausses ou simulées, ainsi le droit de pétition se trouva faussé par ceux-là même qui prétendaient professer le plus grand respect pour la doctrine démocratique. Bach est l’agent le plus actif du parti démocratique dans le canton de Lavit. Toutes les fois qu’il a été question dans cette contrée d’adresser à l’assemblée législative des pétitions favorables aux idées de ce parti, il fut toujours mis en avant pour faire colporter ces pétitions et pour se procurer le plus grand nombre de signatures. Sur sa pétition trois signatures sont exactes Bach Duprat Lafourcade et soixante et une de la main de Bach sont fausses. Les personnes auxquelles les signatures sont attribuées ont déclaré qu’elles n’avaient ni signé ni donné à personne mandat de signer pour elles. » Nous retrouvons ici le dénommé Lafourcade.
Les documents du procès permettent d’apprendre que Bach a déjà fait signer une pétition en faveur du représentant du peuple, Detours, et une autre afin de demander la réduction de l’impôt sur les boissons. Concernant la pétition en faveur du maintien du suffrage universel masculin, il dira suite, à sa lecture : « Voilà bien notre affaire. Il faut que chaque localité fasse sa pétition. » Plus tard, pour expliquer les fausses signatures il dira qu’à un moment quelqu’un lui a pris la pétition et la lui a ensuite rapporté mais sans se faire connaître. Car en effet les 250 personnes qui sont sur la liste disent toutes qu’elles n’ont jamais signé pour ne pas savoir ou pour ne rien connaître du texte, et en conséquence l’accusation de faux pourrait conduire Bach en prison. L’accusé Bach est parvenu, jusqu’au 28 mai 1851, à se soustraire aux recherches de la justice. Ce jour-là la Cour d’appel de Toulouse considère qu’il doit passer en cours d’assises à Montauban. La contrainte par corps est décidé. Auparavant, du 23 avril 1851 au 10 mai des experts avaient étudiés les signatures. Paul Maupas Labarthe juge de paix demanda aux experts écrivains de comparer « la signature de Bach apposée la première à la pièce incriminée avec chacune de celles qui viennent à la suite pour savoir si toutes les signatures ne sont pas indistinctement l’œuvre exclusive du sieur Bach ». Travail achevé le 10 mai au prix de 452 F avec ce résultat : « Il est résulté du rapport des experts que le dit Bach est l’auteur de la plupart des signatures apposées à la pétition contre la réforme électorale dont il s’agit dans l’instruction que dès lors il est urgent de saisir le dit registre et de le placer sous la main de la justice. »
Voici le nom de quelques personnes sollicitées pour étudier les signatures ce qui donne un aperçu de la réalité sociale (j’ajoute la photocopie du document de la liste des témoins pour montrer le travail soigneux de l’instruction, un travail pas aussi soigneux dans bien d’autres circonstances) : Jean Saint Come notaire à Lachapelle ; Monsieur Corne maire de Maumusson ; Monsieur Orliac maire de Mansonville ; Bernard Moulins desservant à Gramond ; Dubor notaire à Beaumont ; Maupas maire de Montgaillard ; Gibily notaire à Lavit ; Labordel notaire à Lavit ; Cantaloup maire de Poupas ; Dauch trésorier de la fabrique de Maumusson ; Marfan maire de Lavit.
Lundi 23 juin débat à la Cour d’assises Bach est en prison. Au cours des premiers interrogatoires du 11 juin, Bach explique et nie tout. « Il réfute les renseignements qui nous ont été retransmis il évoque le receveur de l’enregistrement M. Touchois alors en résidence dans cette ville abonné à La Presse. Bach détache la bande du journal contenant la pétition qui a été adressée à Detours et déposée sur le bureau de l’assemblée législative. » Depuis ce receveur, Touchois, abonné à La Presse et donc source du « mal », est à Barjols arrondissement de Brignoles dans le Var, un lieu où la révolte contre le coup d’État a été forte. Bach prend comme avocat Maître Mannau qui est un personnage important (il sera poursuivi suite au coup d’État et deviendra beaucoup plus tard un défenseur de Dreyfus). Ce dernier a dû lui suggérer de plaider coupable au nom de la bonne foi puisque tel est le compte-rendu que le Courrier du Tarn-et-Garonne nous donne des débats. Sur cette base, au grand désespoir sans nul doute de ses adversaires, le jury acquitte Bach ! Le jury dut considérer qu’imiter des signatures pour une si bonne cause n’était pas un fait très grave d’autant qu’il fallait, c’est vrai qu’elles parviennent vite à l’Assemblée législative avant le vote de la loi. En même temps, cela montre les limites des pratiques démocratiques du temps.
« Courrier du Tarn-et-Garonne 26 juin 1851 : Bach est sur le banc des accusés comme prévenu d’avoir apposé sur une pétition des signatures fausses. 95 témoins dont les noms figuraient sur les dites pétitions déclarent les uns après les autres qu’ils n’ont jamais signé. M Bach ne nie pas avoir commis les faits qui lui sont imputés, mais il déclare avoir agi de bonne foi, et ne pas avoir eu l’intention de commettre un faux en écriture privée. M Gayral Procureur de la République qui occupait le siège du ministre public a soutenu l’accusation avec cette force de dialectique puissante et serrée qui est le côté caractéristique de son talent. La défense de M. Bach a été présentée par Maître Mannau avec son habileté et son éloquence ordinaire ; il s’est attaché principalement à plaider la question de bonne foi. Après un résumé lucide, clair, mais surtout très énergique de M. Labaume ; président, le jury est entré dans la salle des délibérations et en est sorti bientôt après apportant une réponse négative sur les 120 questions qui lui étaient soumises. En conséquence, M. le président a ordonné la mise en liberté immédiate de M. Bach.
On causait hier et avant-hier, dans quelques salons de la ville, de l’affaire Bach, et on parlait beaucoup du résumé véritablement remarquable de M. le président Labaume. On citait surtout le passage dans lequel le magistrat avait parlé d’un apothicaire de village préparant des drogues socialistes, d’après la formule de Girardin ! » (26 juin)
Bach sera ensuite cité à plusieurs reprises dans le Courrier du Tarn-et-Garonne d’octobre 1851 comme accompagnateur de Detours dans sa tournée de compte-rendu du mandat électoral. Son engagement profondément républicain ne peut pas faire de doute.
Le cas d’Antoine Marfan
Dans le rapport de police de 1853, un autre homme est mentionné de manière plus douce et ce cas peut nous aider à comprendre la diversité des engagements républicains.
Marfan Antoine ancien maire après 1848 ex conseiller général assez honnête homme, très riche, sans aucune capacité, poursuivant la popularité et les honneurs prêchant l’égalité, beau-frère du docteur Larramet petit-fils d’un célèbre usurier.
Maupas était conseiller général en 1848 et le resta jusqu’en 1852. A cette date une bataille féroce oppose Benech prof de droit à la fac de Toulouse et Marfan. Les résultats sont les suivants le 3 août 1852 : Bénech 1094, Marfan 869 et De Marsac 7. Cette candidature de Marfan montre qu’il tente d’obtenir les faveurs du nouveau régime et une lettre du 24 juillet 1852, de Marfan au préfet, confirme qu’il se voulait proche du pouvoir : « Je me trouve en opposition avec la famille qui gouverne notre canton d’une manière un peu vexatoire et j’ai dû me mettre sur les rangs pour empêcher cette famille d’introduire dans l’administration un nouveau membre. » Ce n’est pas la position du sous-préfet qui dans unelettre au préfet du 19 août 1852 rendra compte ainsi des agissements de Marfan : « J’ai eu l’honneur de vous informer que la lutte électorale avait été très vive dans le canton de Lavit où les amis du sieur Marfan avaient employé toutes sortes de moyens pour faire réussir sa candidature. Je me suis occupé avec Monsieur le Procureur de la République de rechercher ce qu’il y aurait de criminel dans les manœuvres qui avaient ému l’opinion publique. Le magistrat va traduire disciplinairement devant le tribunal de première instance M Laborde notaire à Lavit pour avoir, dans son étude : 1°) changé les billets des électeurs, 2°)menacé les débiteurs de ses clients de poursuites immédiates s’ils ne votaient pas pour M. Marfan, 3°)cherché à influencer le maire de Balignac par promesses ou menaces. Le sieur Bergé-Lapierre domestique de M. Massoc ex maire de Marsac, révoqué en décembre 1851 sera traduit devant le tribunal de police correctionnelle pour avoir voté deux fois pour M. Marfan, dans les communes de Marsac et de Montgaillard. J’aurai l’honneur de vous faire connaître, Monsieur le Préfet, le résultat de ces poursuites qui étaient bien nécessaires pour diminuer l’arrogante audace des démagogues du canton de Lavit. Je regrette que vous n’ayez pas jugé à propos de faire opérer une perquisition chez M. Marfan pour rechercher les écrits anarchiques qui lui sont envoyés de Belgique. Ces hommes sont incorrigibles malgré les protestations qu’ils font ou foint faire par leurs parents. »
Voici le portrait de Bénech, le gagnant de l’élection : Raymond Bénech, né le 20 juillet 1807, qui paie 12 000 F d’impôts, un ancien orléaniste est présenté comme ambitieux par les documents officiels de 1852. Chevalier de la légion d’honneur il semble avoir été membre du conseil général de 1841 à 1848. Il va battre en 1852 « Marfan démocrate exalté » Le document officiel ajoute : « Influent dans le Conseil général mais très peu dans son canton dont son emploi le tient éloigné. Il fut rapporteur de la commission qui rédigea l’adresse à Napoléon lors de son passage à Montauban ». En 1869 ou 1870 Marfan tient sa revanche : il est maire de Lavit et conseiller d’arrondissement.
Un article du 7 août 1851 du Courrier du Tarn et Garonne mentionnera Marfan qui était alors conseiller d’arrondissement. En voici le contenu : « Une lettre que nous venons de recevoir de Castelsarrasin nous apprend que M. Marfan membre du conseil d’arrondissement pour la canton de Lavit a proposé au conseil d’arrondissement d’émettre un vœu pour que la Constitution ne soit pas révisée. Cette proposition a soulevé naturellement une discussion agitée mais cependant toujours convenable après laquelle le conseil a repoussé à une très forte majorité la proposition de M. Marfan. » A ce moment-là Le Prince-Président tentait de faire modifier la Constitution pour obtenir l’autorisation d’être à nouveau candidat à la présidence de la République (la Constitution limitait la prsidence à un mandat). Cet engagement de Marfan prouve non seulement ses idées républicaines mais aussi son activisme car le plus souvent les conseillers d’arrondissement n’osèrent pas poser la question.
Le cas de Basile Cassaignau
Certains dans l’assemblée connaissent bien mieux que moi la langue occitane et le cas de Basile Cassaignau (1821-1904) aussi sont-ils en droit de s’étonner de le voir apparaître dans mon intervention ! Le docteur Basile Cassaignau n’a strictement rien d’un homme politique pourtant je ne peux laisser passer sans sourciller deux textes qu’il décida de maintenir dans son recueil publié en 1856 ! Il s’agit de deux textes datés du 16 novembre 1850 et de juin 1851 où le sympathique docteur nous offre une profession de foi nettement républicaine. J’ai seulement consulté l’édition de 1881 aux archives du Lot et Garonne (étrangement à Montauban Cassaignau est tout autant absent des Archives que de la BM or à la BM Antonin Perbosc avait fait un travail minutieux pour rassembler les écrits en occitan). Je ne sais donc si la préface a été changé et si les deux poèmes républicains ont été ajoutés en 1881 mais pour mon propos ce point est secondaire. Il me confirme qu’un homme, aimé de son peuple, un érudit dans sa langue occitane – au point de répondre à Mistral sans s’aligner sur ses désirs – , s’il soigna son écriture sur les papillons, n’oublia pas, à l’heure grave de 1851, d’éclairer le peuple sur ses devoirs électoraux. Par rapport à l’ensemble de sa production publiée dans ses Fantasios, deux poèmes républicains représentent bien peu, pourtant, à le lire, on peut en déduire qu’ils ne furent pas les seuls : « Armez vous d’un bon bulletin et moi de ma plume qui crache » dit-il aux paysans. J’ai même la conviction que pour lui comme pour des milliers d’autre français, la Seconde République fut son école de l’écriture. Je pense qu’une belle biographie de ce médecin des pauvres serait un apport considérable à notre connaissance de l’histoire de la médecine. Le médecin du pauvre, présent dans Madame de Bovary, se cherche souvent au carrefour du combat républicain et du combat pour la science. La grande originalité de Cassaignau c’est qu’il sait mener ce combat en respectant le peuple qu’il connaît bien dans ses générosités comme dans ses bassesses. Souvent les historiens pensent que les médecins rouges s’engagèrent pour condamner la misère du peuple qu’ils côtoyaient. Je penche plutôt pour un engagement républicain en faveur du savoir, de l’éducation, de leur métier, engagement qui n’est pas en contradiction avec le précédent mais qui en retire une face charitable : la meilleure aide qu’un médecin pouvait apporter au peuple c’était, non pas une bonne politique, mais des soins efficaces. Basile Cassaignau est, de ce point de vue, exemplaire quand il donne des conseils à son fils : tout en montrant les difficultés du métier, il en tisse une tableau plein de passions. Je le répète, je suis prêt, sur cette question comme sur d’autres, à entendre toutes les critiques. Je considère le débat ouvert.
A présent, personne ne s’étonnera de lire dans les rapports de police dressant la liste des personnes à surveiller : Casseigneau, officier de santé, le Caussé, 36 ans, opinion très avancée.
Conclusion
Ce portrait en pointillé de Lavit au moment du coup d’Etat n’apporte aucune révélation d’insurrection. Il se contente d’attirer l’attention sur un tissu républicain complexe et sur quelques faits nécessitants la poursuite des études sur ce moment d’histoire souvent minimisé. Je joins en annexe de ce travail deux articles qui peuvent le compléter : – Un cas à Beaumont de Lomagne étudié dans le Trait d’Union de Larrazet. – Une situation dans le canton de Saint-Nicolas présentée dans un numéro spécial du journal Point Gauche !
Avec les trois cas présentés nous avons la démonstration de la diversité d’engagements républicains. Nous trouvons le notable républicain avec Marfan, les « intellectuels » républicains avec Bach et Casseignau, et l’engagement populaire avec le ferblantier Cazeneuve qui peut, trente ans après, vérifier jusqu’à quel point le notable Marfan est resté républicain ! L’idée de République ne pouvait pas être l’idée d’une seule classe car en tant qu’idée politique elle cherchait une vision globale de la société.
Pour moi, ce tournant de 1851, quand on l’étudie au plus près des engagements populaires, il constitue un tournant majeur de l’histoire de France, un tournant aussi important que la révolution de 1789-1799. Avec la Première République la France a bouleversé l’histoire du Monde, souvent au-delà de ce qu’on imagine. Par exemple, les luttes de libération nationale en Amérique latine à partir des années 1800, sont en relation avec notre révolution. La Seconde République et le coup d’Etat, ne sont plus là pour abattre un régime et donner une dimension mondiale à une révolution, mais pour construire l’histoire de notre pays qui se fixe clairement un nouveau destin. En introduction j’ai seulement noté l’évolution démographique qui au-delà de Lavit, montre que la puissance agricole du Sud-Ouest décline. Presque tous les départements de Midi-Pyrénées vont perdre des habitants à partir de 1851 alors que globalement la France augmente sa population ! Le suffrage universel masculin ne sera plus contesté. Le mouvement culturel sera clairement basée sur l’élitisme. C’est seulement aujourd’hui que s’achève la période initiée en 1851 avec des mutations nouvelles qui nous oblige à faire le point sur l’identité française et son devenir et, dans le cadre de ce travail, les études proposées par un colloque comme celui de Lavit nous permettent d’éviter les bavardages faussement universels par une prise en compte de la globalité de la réalité sociale. Je vous remercie de m’avoir permis d’apporter ma modeste pierre à l’édifice de connaissances capables de nous faire aimer la vie.
Notes : Aux Archives Départementales du Tarn-et-Garonne : 1 U 207 Documents sur le procès Bach 3M 308 à 311 pour les élections 1M 306 à 309 pour les dossiers sur la répression de 1851 et ses suites. État Civil de Lavit (pour les naissances Annuaire du Tarn-et-Garonne 1852 et 1907 (pour la population) Courrier du Tarn et Garonne de 1851 Livres et brochures : 2 décembre 1851 : la dictature à la française, Jean-Paul Damaggio, Point Gauche !, 2000 Un insurgé de 1851 : Hippolyte Detours de Moissac, J-P Damaggio, Point Gauche !, 2001 800 auteurs, livre de la BCP : note de G. Passerat sur Casseignau. Fantaisies et loisirs d’un médecin de Lomagne, B. Casseignau. Voir le travail d’André Dupuy pour le contexte général de Lavit à ce moment-là. |