Un procès-verbal du plébiscite de 1851
page mise en ligne le 25 décembre 2025
document aimablement communiqué par Mathieu Debels
Document
Procès-verbal du plébiscite des 20 et 21 décembre 1851
Le décret du 2 décembre 1851 constitutif du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, violant la Constitution en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, prévoit dans son article 3 la convocation du 14 au 21 décembre d’un plébiscite destiné à approuver ce coup de force.
Daté du même jour, un autre décret fixe la formule soumise au vote : « Le Peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre 1851. » Il en fixe également les conditions matérielles. Elles reprennent celles pratiquées durant le Consulat et l’Empire : les citoyens devront consigner leur vote sur un des deux registres ouverts, soit celui d’acceptation, soit celui de non acceptation.
Le 4 décembre, un nouveau décret modifie ces dispositions en adoptant le vote secret, par dépôt d’un bulletin dans une urne (l’isoloir n’est pas encore mis en place) les 20 et 21 décembre[1]. (voir les décrets)

Frédéric Bluche[2] a énuméré les circonstances qui rendent bien discutables les résultats de cette opération :
- L’état de siège sur un tiers du territoire
- L’interdiction des journaux d’opposition
- La pression des autorités locales
- La distribution massive de bulletins imprimés OUI et l’absence de bulletins NON
- Le zèle de bureaux de vote annulant des bulletins NON
On pourra y ajouter :
- L’arrestation des opposants.
- Le contexte de quadrillage des zones où la résistance au coup d’État avait été vive, militaires et gendarmes pourchassant les fugitifs, juges de paix et maires procédant aux interrogatoires.
- La fermeture des chambrées, lieux traditionnels de sociabilité en certaines régions, où s’étaient diffusées les idées républicaines.
On notera également que l’armée a voté plus tôt et selon la méthode des registres initialement prévue. Dans son Journal d’un déporté[3], Victor Conrad nous relate cet épisode d’un officier de pompiers de Paris :
« A l’élection de décembre, qui, comme on sait, s’est faite sur des registres dans l’armée, le capitaine de sa compagnie engagea ses pompiers à voter, Oui ! Le citoyen Frond[4] prit la parole et dit que chacun était libre de voter selon sa conscience, qu’autrement ce ne serait pas une élection. Il ajouta encore autre chose et alla devant tous voter NON. La plus grande partie des pompiers firent comme lui ; mais le lendemain on dit à ceux-ci que ceux qui ne retireraient pas leur signature passeraient au conseil de guerre. Tous, excepté le brosseur [servant de l’officier] du citoyen Frond la retirèrent. On mit le récalcitrant en prison, qui, pour s’en tirer, donna la liste des personnes que son officier voyait. C’est ce qui amena l’arrestation du citoyen Lemoing. Le citoyen Frond fut arrêté pour son discours et son vote[5]. »
Les résultats du plébiscite sont ceux attendus : 92% de OUI. Un seul département, celui de Constantine, a donné une majorité de NON (52%)[6]. Et en métropole, un seul canton a repoussé le plébiscite, celui de Vernoux, en Ardèche (57%)[7].
Le document ci-dessous provient d’une commune du Tarn-et-Garonne, Saint-Nazaire (aujourd’hui Saint-Nazaire-de-Valentane), dont aucun habitant n’a été poursuivi par la commission mixte, pas plus que dans le canton de Bourg-de Visa dont elle faisait partie.
Nous noterons que si le document établit le nombre de votants à 240, le bureau a néanmoins admis le résultat de 244 OUI pour 0 NON.
Frédéric Negrel

(cliquez sur l’image pour l’agrandir)
[1] La situation des Basses-Alpes a conduit les autorités du coup d’État à repousser le plébiscite aux 27 et 28 décembre.
[2] « L’adhésion plébiscitaire », dans Frédéric Bluche (dir.), Le Prince, le Peuple et le Droit. Autour des plébiscites de 1851 et 1852, PUF, 2000, pages 7 et 8
[3] Victor Conrad, Journal d’un déporté en Algérie après le coup d’État du 2 décembre 1851, Association 1851, 2024, page 28
[4] Jean Victor Frond, né le 1er novembre 1821 à Montfaucon (Lot), sous-lieutenant de la caserne des sapeurs-pompiers de Poissy à Paris. Condamné à l’Algérie plus, transporté à Alger, il s’évada en octobre 1852 et s’exila à Londres (Lettre imprimée de V. Frond au rédacteur en chef du Courrier de l’Europe, 8 février 1853). Il obtient une remise de peine le 2 février 1853 puis il est l’objet, par décision ministérielle, d’une mesure d’éloignement momentané. A Londres, il transmet à Charles Ribeyrolles les notes qu’il a prises sur sa détention et sa déportation qui fournissent la matière principale à son ouvrage Les bagnes d’Afrique, histoire de la transportation de décembre, Londres, Jeffs, 1853. (p. 17.) Après Londres, il s’exile à Lisbonne, puis à Rio de Janeiro et revient en France après l’amnistie de 1859. Il reçoit la Légion d’Honneur en janvier 1871. Décédé le 16 janvier 1881 à Varreddes (Seine-et-Marne). Lire la riche notice du Maitron par Gauthier Langlois.
[5] Victor Hugo voulait faire connaitre cet épisode en publiant le témoignage de Victor Frond dans le cahier complémentaire d’Histoire d’un crime. Ce n’est finalement qu’en 1907 qu’on le trouve dans les Œuvres complètes de Victor Hugo. Histoire d’un crime, éditées par Paul Meurice, puis par Gustave Simon, Paris, Ollendorff, 1907, pp. 439-443. (avec également le récit de son évasion, pp. 495-508)
[6] Bertrand Jalla, « L’échec de la résistance républicaine au coup d’État en Algérie », Bulletin de l’Association 1851, 23, 2003
[7] Eric Darrieux, Résister en Décembre 1851 en Ardèche. Essai d’histoire sociale d’une insurrection, thèse, sous la direction de Jean-Luc Mayaud, Université Lumière Lyon 2, 2007, p. 404
