Les villages dans l’insurrection ou la commune face à la démocratie

article publié dans 1851, une insurrection pour la République. Actes des journées d’étude de 1999 à La Tour d’Aigues et de 2001 à Sainte-Tulle, Association 1851 pour la mémoire des Résistances républicaines, Les Mées, 2002, pp. 169-178 (bon de commande)

Intervention lors de la journée d’études et de rencontres de 1851-2001, à Ste Tulle, le 23 juin 2001

Les villages dans l’insurrection

ou

la commune face à la démocratie

 

 

 par Jean Paul Damaggio

 

  

 

Introduction

 

 

Au cours de ma présentation à la Tour d’Aigues du cas d’un insurgé, le géomètre-chanteur Rozier, j’avais insisté pour expliquer que sans son insertion dans une communauté villageoise particulière, Sauveterre de Rouergue, Rozier n’aurait pas été Rozier. Dans une brochure présentant le personnage, un homme pour qui l’engagement aux côtés de la langue occitane était la meilleure marque de son esprit « rouge », j’avais même commencé par répondre à cette question : « Qu’est-ce qu’un village ? » : « Derrière « le village » se profile la spécificité française de la multiplicité des communes, et celle de la force longtemps dominante de l’agriculture (quand on compare avec les voisins européens du Nord). »

 

Cette spécificité communale, je pense utile de la retrouver sous l’angle de l’insurrection de 1851, pour la confronter aux idéaux républicains de l’époque. Le travail autour de « la république au village » prend là une forme de « travaux pratiques » car il est possible de vérifier l’importance des engagements communaux dans la structuration des luttes.

 

A repérer la liste des communes véritablement insurgées de L’Aveyron, il s’en trouve seulement 9 et parmi elles, Sauveterre, où le maire en tête conduisit quelques habitants en armes à Rodez. Cette mobilisation de décembre 1851 matérialise une implication quotidienne assez ancienne d’un petit groupe d’hommes favorables à la République. Voici le tableau confrontant le nombre de condamnations fortes (Conseil de guerre, Cayenne, Algérie) suite à l’insurrection, et le nombre de communes insurgées dans quelques départements du Sud—Ouest..

 

 

 

 

Nombre de condamnations fortes

 

Nombre de communes impliquées

 

Haute-Garonne

23

 

6

 

Lot

43

 

 

 

Aveyron

108

 

9

 

Tarn

48

 

3

 

Tarn-et-Garonne

0

 

3

 

Ariège

5

 

 

 

Hautes-Pyrénées

0

 

 

 

Gers

461

 

50

 

 

 

Bien sûr, les données ci-dessus ne disent pas tout (souvent des condamnés ne furent même pas des insurgés) mais je pense juste d’en déduire que l’insurrection toucha non seulement un nombre limité de départements mais, au sein des départements, un nombre limité de communes. Dans le Gers où la révolte fut puissante, nous comptons seulement 50 communes vraiment impliquées sur 467. Toute la partie Est du département est restée calme. Avec Auch, parmi les villes moyennes révoltées nous trouvons Mirande, Condom, Vic-Fezensac, Fleurance. Pour le reste, la mobilisation se fera dans les petits villages : Barran pour le canton d’Auch, Bassoues pour Montesquiou, Bezoles pour Valence etc. Si on considère que la répression est l’indice d’une activité républicaine de fond, son étude permet de braquer les projecteurs sur la fonction municipale et communale de l’enracinement à gauche.

 

 

 

Comment la commune se mobilise ?

 

Pour la période antérieure à l’insurrection, voici la mobilisation communale orchestrée par un maire dans un village du Tarn-et-Garonne, Bourg-de-Visa, où la question de la pétition en faveur de la révision de la constitution est posée en mai 1851. Le maire répond aux républicains par cet article :

 

« En invitant mes administrés à se rendre à la mairie, j’ai fait une démarche qui n’avait aucun caractère officiel ; je voulais leur faire part de l’initiative que je prenais pour signer une pétition, non en faveur de la prorogation des pouvoirs de Louis-Napoléon Bonaparte, comme il vous plaît de le dire, mais pour demander la révision légale de la Constitution, d’après les principes et les moyens de la Constitution elle-même. Cette communication, loin de jeter la paisible et honnête population de Bourg-de-Visa dans le plus grand étonnement, comme vous affectez de le dire, fut au contraire favorablement accueillie, puisqu’à la suite de la signature de M. Petit-Flourens, adjoint, et de la mienne, il fut ajouté spontanément un nombre considérable de signatures, parmi lesquelles je spécifierai celles du conseil municipal, moins deux qui se sont abstenus et qui, néanmoins, appartiennent au parti de l’ordre ; de trois ecclésiastiques résidant dans la commune, celles des principaux fonctionnaires publics et de tous les officiers de la garde nationale, sans compter un grand nombre d’adhésions des électeurs illettrés. »

 

Cette description n’a rien d’original mais elle rappelle très bien un ordre hiérarchique de la commune qui se manifestera également le jour des élections, dans les cortèges conduisant les électeurs des communes au chef-lieu de canton, pour voter.

 

L’action du maire, sur ce point comme sur d’autres, est donc de la plus haute importance et en conséquence, malgré révocations et autres pressions, certains joueront en 1851 un rôle pivot, comme des journalistes, des avocats ou des artisans. Parce qu’ils sont des élus du suffrage universel, leur attitude peut nous en apprendre beaucoup sur la démocratie communale.

 

 

 

A présent, voici la description de quelques mobilisations villageoises dans le Gers au moment de l’insurrection. A Bezolles, un village de 502 habitants à 32 km d’Auch une colonne va se mettre en marche. « Village rouge très remuant, les républicains s’étaient réunis le soir du 3 chez le forgeron Goudoulin aîné. Ils avaient décidé de sonner le tocsin, de battre le tambour et de soulever les habitants. » indique Joseph Dagnan. C’est une commune aisée et les chefs sont autant forgerons, tailleurs que cultivateurs. « A Larroque-Saint-Sernin, le boulanger Sarran sonna le tocsin avec tant d’ardeur qu’il cassa la corde de la cloche et dut la remplacer. » Puis, c’est la marche sur Vic-Fezensac, avant de partir vers Auch. A Lavardens le tocsin sonne aussi. « Nous sonnons la Révolution ! » répète l’ex-maire Gardère. A Roquefort, un jeune artilleur en congé, Messine Joseph, a sonné le tocsin et s’est rendu à Jegun avec quelques insurgés. ». Le 5 au matin, le tocsin sonne de nouveau à Castillon. Bassoues 1600 habitants est un centre rouge avec un riche pharmacien comme chef républicain. L’élément majeur de la communauté villageoise est le tocsin et le tambour, à savoir le pouvoir sur la mairie et sur l’église. Les maires ne sont pas directement présents à tous les coups mais la commune se manifeste sous l’angle d’une communauté active.

 

Dans le Lot le préfet prévoyant fit interdire, dès l’annonce du coup d’Etat, l’usage des cloches, en riposte à l’appel républicain suggérant de sonner le tocsin. Il savait où pouvait se jouer la naissance ou la mort d’une révolte.

 

 

 

            A revenir aux maires, voyons l’évolution politique de ceux du Gers entre 1848 et 1852 :

 

 

 

Réorganisation de mars 1848

Élections de juillet et août 1848

Sous la législative

Coup d’Etat

289 gardent les anciens maires

218 gardent les anciens maires

32 maires révoqués

10 municipalités dissoutes.

50 municipalités républicaines

277 maires restent

234 communes subissent des mutations de maires ou adjoints

278 commissions provisoires

108 provisoires restent

 

 

126 écartés reviennent

            Alors que nous avons vu que seulement une cinquantaine de communes furent dans l’insurrection 234 communes voient changer le maire ou l’adjoint. C’est dire l’importance attachée à la question, importance que nous allons retrouver dans les paroles officielles.

 

 

Modifications des maires et adjoints suite au coup d’Etat en fonction des lieux.

 

 

 

 

 

Nombre de communes modifiées

 

Nombre total de communes

 

 

 

Nombres de communes avec inculpés

 

Auch

 

54(63%)

 

85

 

26

 

Condom

 

51(58%)

 

87

 

20

 

Lectoure

 

33(45%)

 

72

 

8

 

Lombez

 

23(32%)

 

71

 

0

 

Mirande

 

73(48%)

 

152

 

30

 

 

 

234

 

467

 

84

 

 

 

Il est normal de constater que l’arrondissement sans arrestation est celui qui a le moins de communes avec des modifications municipales mais en même temps, le pouvoir tient tellement à contrôler la situation que dans le dit arrondissement de Lombez, il y a 23 communes avec des maires ou adjoints qui changent.

 

Nous le savons, les insurrections constituent des moments privilégiés pour connaître l’état d’esprit de citoyens qui souvent n’apparaissent pas dans les documents d’histoire. Celle de décembre 1851 permet d’analyser jusqu’à quel point les départements commencent à devenir un échelon du combat politique local mais, plus encore, elle permet donc de comprendre comment des communes vivent ce carrefour de l’histoire. Quelques villages ou bourgs vont transformer des traditions de luttes diverses en luttes municipales, c’est-à-dire en luttes politiques pour la république. Entre l’idée que la république appartenait à des esprits éclairés devant la diffuser depuis les centres jusqu’aux citoyens, et la pratique permettant à la communauté villageoise de donner forme républicaine à un passé de révoltes, il aurait pu y avoir une rencontre fructueuse. Elle commença à se produire autour de 1849, dans la campagne électorale pour les législatives, car des démocrates comprirent que, pour convaincre les citoyens, il ne suffisait pas de rappeler les idées générales de liberté, égalité, fraternité. Mais le coup d’Etat mettra un terme définitif à cette invention en gestation. Au lendemain du 2 décembre « le centre » prend totalement les commandes. C’est vrai, en 1870-1871 il va devoir les céder en partie mais les citoyens auront perdu quelque réflexes puissants de la Seconde République. Les révoltes des Communes de 1871 confirmeront que la commune sert de base à l’engagement démocratique conséquent mais qu’il est devenu impossible de les fédérer dans une société où un fossé immense a été creusé entre échelons de base et pouvoir central.

 

 

 

La commune sous haute surveillance

 

 

Par le décret du 3 juillet 1848 les maires et adjoints sont élus par les conseils municipaux sauf pour les chef-lieux du département, les chef-lieux d’arrondissement et les communes de plus de 6000 habitants. Cette avancée démocratique est exceptionnelle. Avec la République conservatrice des tentatives de retour en arrière se firent jour mais la Législative n’osa pas revenir sur ce décret alors que des pressions du gouvernement poussaient pour en revenir à une situation d’avant 1831, en accordant aux préfets l’autorisation de prendre le maire même parmi les non-élus au conseil municipal.

 

Au titre de cet appel au retour en arrière, voici la circulaire du préfet du Gers en décembre 1849 :

 

« Si MM les Maires tiennent une partie de leur mandat du suffrage universel, il ne faut pas qu’ils croient pouvoir l’exploiter impunément, soit au profit des passions ou des vengeances de leurs commettants, soit dans l’intérêt de leurs rancunes personnelles. Le pouvoir exécutif dont ces magistrats sont aussi les délégués, n’entend pas abdiquer à leur égard qu’on le sache bien, le droit de les diriger et de les surveiller dans l’exercice des devoirs qui dérivent de leurs fonctions. Et cependant je me suis aperçu à regret que plusieurs d’entre eux, ayant perdu de vue ces obligations, avaient essayé de s’y soustraire. Il est temps que ces fatales habitudes empruntées à des souvenirs révolutionnaires se perdent dans le département. Je ne saurais en souffrir le retour. »

 

Les affrontements avec les maires rouges dans le Gers se produiront à Lectoure, Saint Clar, Mirande, Masseube, Marciac, Cazaubon, Manciet, Beaucaire, Haget. Au total 32 maires et adjoints révoqués avec 1005 pour toute la France. On est plus proche des 50 communes insurgées que des 234 commune frappées après 1851.

 

 

 

            La loi discutée au Corps législatif le 22 juin 1852 va nous éclairer sur le contrôle des communes comme moyen de contrôle du suffrage universel. Le rapporteur en est Dubouys (d’Angers) et nous n’aurons ce rapport dans le Moniteur universel que le lundi 28 juin. J’aurai souhaité lire le compte-rendu des débats sur la question mais la question du budget ayant pris le dessus, elle fut passé à l’as. Avec même cette confusion étrange : le texte du rapport est un ajout au procès-verbal de la séance du 22 juin alors que le débat a été mentionné au sommaire de l’ordre du jour pour le 23 juin. Le Conseil d’Etat ayant étudié la question le 21 juin.

 

            Comme pour la constitution de 1848 nous apprenons que la question est traitée dans l’urgence et sera donc l’objet d’une loi ultérieure. Le point crucial que révèle le rapport est le suivant :

 

« Sur le suffrage universel une discussion sérieuse s’est élevée dans votre commission. Dans l’exposé des motifs, le Gouvernement a pris le soin de faire ressortir les périls du suffrage universel direct et sans limites, appliqué surtout aux élections locales, il a signalé la différence profonde qui existe, selon lui, entre le caractère et le but de ces élections d’un intérêt purement départemental et communal, et le caractère et le but des élections politiques qui, à de longs intervalles, sont destinées à constituer les grands pouvoirs de l’Etat. Après avoir été conduit à tirer lui-même, de cette diversité de but et d’origine, la conséquence qu’il semble plus conforme au principe de n’accorder le droit électoral en matière de représentation locale qu’à ceux qui sont véritablement parties intéressées dans les affaires départementales et communales, c’est-à-dire à ceux qui, chef de famille, propriétaires ou domiciliés doivent supporter les charges que les conseils généraux et municipaux ont pour mission de voter, il finit cependant par conclure à appliquer pour cette fois encore aux diverses espèces d’élections locales le décret du 3 juillet 1848, reproduit par le décret du 2 février 1852 tout en avouant qu’il n’a pas la prétention d’avoir trouvé la solution définitive d’un problème aussi difficile. »

 

 

 

            N’est-elle pas extraordinaire cette vision des élections locales où le suffrage universel serait d’application plus difficile que pour des élections nationales ? Et ce rapport continuera par cette réflexion : « Il faut voter à la commune pour soustraire des électeurs aux influences qui pourraient au chef-lieu les circonvenir. »

 

            Conformément à la vision républicaine, les communes seraient plus « sages » que les chef-lieux d’arrondissements, qui eux seraient plus sages que les chef-lieux de départements.

 

            Faute d’empêcher le suffrage universel la loi va cependant introduire des reculs incroyables puisque le Président de la République s’octroie la nomination des maires et adjoints des chef-lieux d’arrondissements et des villes de plus de 3000 habitants laissant au préfet la nomination des autres. Mais la loi va encore plus loin car le choix peut se porter sur des personnes n’appartenant pas au conseil municipal. Cette loi nous renvoie à une situation antérieure à 1831 !

 

Et pour le détail les séances du Conseil général, comme celles du Conseil municipal perdent leur caractère public. La méfiance des autorités dictatoriales en direction des mairies est démontrée sans masque. La commission du Corps législatif se fera très critique sur un point : la nomination par le Président de la République des présidents, vice-présidents et secrétaires du Conseil Général. Mais la loi étant transitoire elle se contente d’en proposer un « examen approfondi » ultérieurement.

 

            Pour préciser le contexte de cette discussion il est bon d’indiquer que le Comte de Montalembert a obtenu seulement par 75 voix contre 59 l’autorisation d’imprimer son discours. Les bonapartiste souhaitaient l’interdire en tant que publication inopportune. Il s’agit d’un discours qui, bien sûr, n’avait pas obtenu le soutien du Corps législatif.

 

            Pour conclure, ce mot du prince président au Corps législatif à la fin de la session le 28 juin 1852 : « Vous vous êtes occupés des grands intérêts du pays, comprenant que le temps des discours passionnés et stériles était passé, que celui des affaires était venu. L’application d’un nouveau système rencontre toujours des difficultés. Si le travail a semblé manqué à vos premières sessions vous avez compris que le désir d’abréger la durée de ma dictature et mon empressement à vous appeler auprès de moi en avaient été la cause, en privant mon gouvernement du temps nécessaire à la préparation des lois qui devaient vous être soumises. »

 

            Ce Corps législatif qui fait revenir les libertés communales au temps les plus noirs du pays était donc une façon d’en finir avec la dictature du Prince-président !

 

 

 

Si la commune avait été base de la démocratie ?

 

 

A lire la Constitution du 4 novembre 1848, l’ordre des articles indique bien la conception de la démocratie de ses rédacteurs : d’abord le citoyen avec le chapitre III « droits des citoyens garantis par la Constitution » puis le chapitre suivant est consacré à l’Assemblée législative avec ensuite les pouvoirs du président. Après les articles sur les pouvoirs publics et le pouvoir exécutif, la présentation du statut des communes devient une question technique : de l’administration intérieure. L’article 78 indique la désinvolture du comité de la Constitution :

 

« Une loi déterminera la composition et les attributions des Conseils généraux, des conseils cantonaux, des Conseils municipaux, et le mode de nomination des maires et adjoints. ».

 

Bien sûr il sera fait mention ensuite de l’élection par le suffrage direct du conseil municipal comme du pouvoir de dissolution du président, mais rien de plus.

 

C’est en conscience que les penseurs de la Deuxième république reléguèrent au second plan le statut de la commune puisqu’à en croire Tocqueville, ce thème suscita une scission importante au sein du Comité de Constitution. Il écrit dans ses Souvenirs :

 

« La discussion du Comité de Constitution s’ouvrit le 22 mai ; il s’agit d’abord de savoir par quel côté on entreprendrait cette œuvre immense. Lamennais proposa de commencer par régler l’état des communes. Il avait procédé ainsi lui-même dans un projet de constitution qu’il venait de publier pour s’assurer la primeur de ses découvertes. Puis il passa de la question de priorité à la question de fond et se mit à parler de la centralisation administrative, car ses pensées ne se divisaient guère ; son esprit était toujours occupé en entier par un seul système et toutes les idées qui s’y trouvaient y adhéraient si bien entre elles que, quand l’une en sortait, il était comme nécessaire que toutes les autres suivissent ; il fit donc voir avec une grande force qu’une république, dont les citoyens n’auraient pas l’esprit et l’habitude journalière de se conduire eux-mêmes, était un monstre et ne pouvait vivre. » Il fut décidé qu’on ne s’occuperait pas d’abord du système communal et le lendemain Lamennais démissionna. Tocqueveille peut écrire alors : « En France, il n’y a guère qu’une chose qu’on ne puisse faire : c’est un gouvernement libre, et qu’une institution qu’on ne puisse détruire : la centralisation. »

 

Chacun peut mesurer, 150 ans après la pertinence de cette discussion. Allons chercher la logique propre à Lamennais qui n’est pas absent pour rien de notre histoire (il travailla aussi au concept de séparation de l’église et de l’état si cher à notre pays).

 

Dans un texte du 9 mars 1831 intitulé « La République » Lamennais donnait déjà son sens à la République. Considérant que la question fondamentale n’était pas la présence ou non d’un roi à la tête du pays il précisait : « Nous le répétons, le France sous la Charte de 1830, est une véritable république … ». car il reste seulement à permettre une meilleure expression de la volonté nationale :

 

« Tout se réduit à un bon système d’élection et à un bon système d’administration. (…). Il suit de là que, pour établir un ordre régulier et dès lors durable, le premier soin devrait être d’organiser un système administratif fondé sur ce principe, que tout intérêt nettement circonscrit a le droit imprescriptible de s’administrer lui-même. On remonterait ainsi de la commune, qui est le véritable élément politique, jusqu’à la Chambre ou jusqu’aux Chambres dont la principale fonction est de mettre en harmonie, par des lois qui embrassent l’Etat entier, les administrations inférieures et de constituer ainsi l’unité sociale. (…) Mais l’on conçoit qu’un pareil système d’administration qui, en France, sort forcément de la nature des choses, appelle de toute nécessité un système analogue d’élection. Car, en premier lieu, chaque commune, chaque province ne peut s’administrer réellement elle-même, si elle n’élit ses magistrats ; et comme, en second lieu, les affaires du pays ne sont que la généralité des affaires des communes et des provinces considérées en tant que, par leur union, elles forment l’Etat, les représentants de l’Etat doivent être les représentants des provinces et des communes, c’est-à-dire que leur élection doit se lier étroitement à celle des magistrats locaux et n’en être qu’une extension. »

 

            Je n’ai pu avoir entre les mains le projet de Constitution de Lamennais en 1848 mais j’imagine sans peine qu’il devait faire référence à cette construction politique contraire au centralisme français que Napoléon III instituera comme marque définitive du pays.

 

Entre 1848 et 1851, les maires purent obtenir quelques pouvoirs. Issus du suffrage universel puisque élus par le Conseil municipal (décret du 3 juillet 1848 qui exclut de la mesure les chefs-lieux d’arrondissement, de département et les villes de 10.000 habitants), ensuite le Second Empire, les nomme directement. Ils deviennent représentant de l’Etat dans la commune. La contradiction (ou porteur des souhaits de l’Etat ou de ceux des citoyens) était réduite à sa plus simple expression. De toute façon la Deuxième République alors qu’elle décide de rémunérer largement les députés refuse de verser la moindre indemnité au maire rendant la fonction « attractive » aux plus aisés.

 

 

 

Conclusion

La République s’imposera réellement en se traduisant en victoires électorales aux municipales (entre 1880 et 1890) et bien souvent, les villages rouges de 1848-1851 seront les premiers à présenter des listes officiellement opposées aux conservateurs. La pratique communiste continuera cette pratique républicaine : les municipalités communistes devaient servir de preuve concrète du bien fondée de l’idéologie défendue. Mais, la tradition française rencontrant l’idéologie communiste (et l’ayant formé pour une part), les élus de ce parti furent souvent pris entre deux feux : servir l’autorité centrale (le Parti) ou servir les pratiques citoyennes (la Base). D’où les difficultés traditionnelles de ce parti avec ses élus. En même temps, la question traverse toute l’histoire de France en prenant parfois pour opposition jacobins et girondins, centralisateurs et fédéralistes.

 

Le thème des libertés communales (comme leur refus) appartient à une logique multiple. Dans son livre, Les cloches de la terre, Alain Corbin démontre comment la France passe de la cloche à l’esprit de clocher (ce clocher si frappant dans l’affiche de Mitterrand en 1981) et comment en certains endroits le pouvoir sur le cloche heurte le pouvoir sur le tambour. Son livre possède même un chapitre sur « les principales collisions ». Des phénomènes qui se sont produits entre 1848 et 1851 y trouvent naturellement leur place, mais même si Philippe Vigier y est cité, l’attention n’est pas portée sur ce moment symbolique qu’est la résistance au coup d’Etat par tocsin interposé. J’ai envie de dire que le livre, avec ses nombreuses qualités, manifeste une conception de la commune comme unité parcellaire de notre société, voire comme simple unité administrative. Or je m’inscris dans une autre vision de la commune. La politique, en tant qu’engagement collectif contraire à l’engagement corporatiste, avait besoin d’un lieu communautaire pour apparaître, et ce lieu s’appuya sur les communes, je veux dire sur les histoires communales. Un vaste dialogue social et inter-classiste s’y produisit surtout quand les intérêts économiques des uns et des autres n’étant pas trop opposés, le cabaret devenait le lieu de fusion démocratique de la conscience villageoise. Face au livre d’Alain Corbin qui a le mérite de s’intéresser à un objet servant de référence à une commune (le clocher), il faudrait une étude des cabarets comme lieu majeur de la formation politique des citoyens (d’où l’exclusion d’autant plus forte des citoyennes). La commune, de parcelle de la société, en deviendrait un condensé.

 

En conséquence il ne s’agit pas d’utiliser la commune, ou le hameau, comme simple espace (la mode actuelle de ce terme qui exprime seulement le vide, n’est pas pour m’étonner) où se manifeste d’abord des insurrections dirigées d’ailleurs, mais de l’étudier comme lieu constitutif de la conscience démocratique. Face à l’idéologie républicaine considérant que la diffusion des idéaux par des canaux allant de Paris vers la Province, en particulier à partir de la presse, l’insurrection démontre qu’il est possible de mesurer l’existence de tels idéaux dans des communautés qui se servirent de la presse démocratique pour se renforcer. A l’heure où le tissu social a été chamboulé par les orientations économico-politiques dominantes, la reconstruction d’un sens démocratique peut puiser quelques énergies dans de telles analyses. Si je suis bien informé, l’espoir né à Porto Alegre a pour base une pratique politique municipale et non une action associative particulière.

                                 

 

 

Sources :
Jean-Paul Damaggio : Et Rozier chantait, poche de Point Gauche ! Octobre 1998

 

Alain Corbin : Les cloches de la terre, Flammarion, 1994 ; 

Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Gallimard, 1999 ;

Maurice Bel : Les condamnés à l’Algérie en 1852 dans le Gers ;  

Joseph Dagnan : Le Gers sous la Seconde république (deux tomes), 1928

Félicité de Lamennais : De la société première et de ses lois ou de la religion (nouvelle édition suivie de mélanges politiques) Garnier (peut-être édité en 1848)

Le Moniteur Universel pour les textes de loi.