Pierre Dupont, Le chant des Ouvriers

Pierre Dupont, Le chant des Ouvriers

 

René Merle

 

Écrite, publiée, et fort diffusée en 1846-1847, cette chanson de Pierre Dupont connut évidemment une seconde jeunesse sous la Seconde République, avec des résonances évidemment différentes avant et après Juin 1848 :

Le chant des Ouvriers par Pierre Dupont. Prix : 2 sous. Paroles et musique. A Paris, chez l’Auteur, rue de l’Est, 17. Impr. Bautruche. Tantestein et Cordet, 90 rue de la Harpe. 1848

 

Nous dont la lampe, le matin,

Au clairon du coq se rallume,

Nous tous qu’un salaire incertain

Ramène avant l’aube à l’enclume,

Nous qui des bras, des pieds, des mains,

De tout le corps luttons sans cesse,

Sans abriter nos lendemains,

Contre le froid et la vieillesse,

Aimons-nous, et quand nous pouvons

Nous unir pour boire à la ronde,

Que le canon se taise ou gronde,

Buvons (ter)

A l’indépendance du monde !

 

Nos bras, sans relâche tendus

Aux flots jaloux, au sol avare,

Ravissent leurs trésors perdus,

Ce qui nourrit et ce qui pare :

Perles, diamants et métaux,

Fruit du coteau, grain de la plaine ;

Pauvres moutons, quels bons manteaux

Il se tisse avec notre laine !

Aimons nous, etc.

 

Quel fruit tirons-nous des labeurs

Qui courbent nos maigres échines !

Où vont les flots de nos sueurs ?

Nous ne sommes que des machines.

Nos Babels montent jusqu’au ciel,

La terre nous doit ses merveilles :

Dès qu’elles ont fini le miel,

Le maître chasse les abeilles.

Aimons nous, etc.

 

Au fils chétif d’un étranger

Nos femmes tendent leurs mamelles,

Et lui, plus tard, croit déroger

En daignant s’asseoir auprès d’elles ;

De nos jours, le droit du seigneur

Pèse sur nous plus despotique !

Nos filles vendent leur honneur

Aux derniers courtauds de boutique.

Aimons nous, etc.

 

Mal vêtus, logés dans des trous,

Sous les combles, dans les décombres,

Nous vivons avec les hiboux,

Et les larrons, amis des ombres ;

Cependant notre sang vermeil

Coule impétueux dans nos veines ;

Nous nous plairions au grand soleil,

Et sous les rameaux verts des chênes.

Aimons nous, etc.

 

A chaque fois que par torrents

Notre sang coule sur le monde,

C’est toujours pour quelques tyrans

Que cette rosée est féconde ;

Ménageons-le dorénavant,

L’amour est plus fort que la guerre ;

En attendant qu’un meilleur vent

Souffle du ciel ou de la terre,

Aimons-nous, et quand nous pouvons

Nous unir pour boire à la ronde,

Que le canon se taise ou gronde,

Buvons (ter)

A l’indépendance du monde !