L’année Victor Hugo : persiste et signe

courrier publié dans le Bulletin n°22, janvier 2003

L’année Victor Hugo : persiste et signe

 

 Paul Cresp

 

Comme il y eut, en leur temps, les déçus de 1848, on parla, après 1981, des déçus du socialisme. Peut-être parlera-t-on bientôt des déçus de l’année Victor Hugo. Non décidément malgré le grand renfort de manifestations de toutes sortes, pour les plus officielles, il faut le dire, dans les décors feutrés de nos institutions, comme le Sénat par exemple, nous avons du mal à y trouver notre compte. Pour éviter d’avoir un jugement global, regardons-y de plus près. Les 15 et 16 novembre, le Sénat, justement, organisait deux “journées hugoliennes”, titre qui pourrait paraître, aux yeux de certains mauvais esprits, un rien péjoratif ; première journée, “Ce que c’est que l’exil”, suivie d’une journée “Rencontre sur la tolérance”, curieuse association d’idée. Voudrait-on nous dire qu’après l’exil, il faut être tolérant pour pardonner à ceux qui nous y ont contraint. Mais ne jugeons pas trop vite, voyons ce que dit le texte de présentation. “L’objet de ce colloque (qui n’est pas conçu comme une manifestation purement hugolienne) est de montrer, à partir de l’expérience de Victor Hugo, que l’exil politique est une aventure (bel euphémisme) individuelle et collective dont on peut sortir grandi et que l’exilé rentré au pays peut devenir une figure de réconciliation : « Combattre avec l’espoir de pouvoir pardonner…”.  On ne peut être plus clair. Si Hugo avait voulu pardonner aurait-il refusé obstinément l’amnistie ? Je n’ose imaginer l’indécence d’un tel discours tenu aux “exilés” d’Algérie ou de Cayenne qui pour la plupart, ne sont jamais revenus. Poursuivons la lecture. “Peut-on imaginer ce qui resterait aujourd’hui de l‘œuvre du « poète lauréat » de la monarchie de juillet s’il n’avait pas connu l’exil ?…”.  On se pince. Merci à Louis Napoléon de nous avoir donné un grand poète en le poussant dans “l’aventure” de l’exil.

 

À noter, tout de même, qu’au cours des deux tables rondes qui devaient avoir lieu, à ce que j’en sais, certains des spécialistes invités ont su éviter la langue de bois ambiante et remettre quelques vérités à l’ordre du jour.

 

Pour rester dans la confidentialité, ces débats devaient être diffusés sur France Culture dans la nuit du 23 novembre.

 

Hugo ne pourra même pas se retourner dans sa tombe, on vient de lui offrir de nouvelles funérailles nationales et, cette fois en l’embaumant, on a bien serré les bandelettes.

 

 

De la mort de Baudin aux massacres du 4 décembre

 

Tout espoir ne semblait pas perdu. FR5 diffusait le dimanche 17 novembre à 16 h, heure de relative grande écoute, un film sur Victor Hugo et l’exil. La première partie traitait du coup d’État à Paris. Passons sur de fantomatiques figurants qui se déplaçaient dans des décors oniriques s’assimilant aux œuvres graphiques d’Hugo.

 

Où cela a commencé à déraper, c’est à propos de la barricade de Baudin. On nous a montré une caricature de barricade ou plutôt une image d’Épinal. Décrivons la scène : cinq ou six personnes juchées sur un frêle barrage d’objets hétéroclites, il est vrai que la barricade en question était de construction sommaire, mais d’après tous les récits, une centaine d’ouvriers s’y étaient joints. Au sommet de cette barricade, une femme agite un grand drapeau rouge (?). Quand on sait que c’était “la barricade du droit” avec une dizaine de représentants présents, en habit et chapeau, ceints de leurs écharpes tricolores, on s’interroge. Baudin est ici représenté en chemise et nu-tête. Et puis un détail surréaliste : un des occupants de la barricade est vautré par terre, devant celle-ci, face aux soldats. Est-il mort avant l’assaut ? non il bouge, il a l’air ivre. Un personnage s’avance seul vers les soldats, sans doute Victor Hugo ? il était absent à ce moment-là, suite à un quiproquo sur l’heure du rendez-vous. Sept représentants se sont avancés vers les soldats dont Victor Schœlcher. Alors, économie de figurants ou adaptation toute désinvolte de l’histoire ? Quant à la fameuse phrase de Baudin sur les vingt-cinq francs, personnellement, elle m’a toujours laissé sceptique. Pierre Larousse, témoin de la scène, la conteste dans son dictionnaire. Ne fait-elle pas plutôt partie de la légende qui, à mon sens, dessert l’image de Baudin. Ce qui a fait dire à un manuel d’histoire du début des années soixante : “C’est en vain que quelques députés montagnards essayaient de soulever la ville des révolutions, tel Victor Hugo ou encore l’obscur et héroïque Baudin qui se fit tuer volontairement par les soldats sur une barricade non défendue…”

 

On ne peut être plus suicidaire. N’était-il pas tout simplement conscient de risquer sa vie, comme d’ailleurs tous les protagonistes de cet instant de l’histoire. Les massacres des grands boulevards, le 4 décembre, ont été, pour leur part, très honnêtement et visuellement bien traités dans ce film.

 

Le même manuel scolaire cité plus haut poursuivait son chapitre consacré au coup d’État en ces termes : “Pour en finir le 4 décembre, les troupes parcourent la ville. Une fusillade inopinée tua sur les boulevards près de 400 personnes pour la plupart inoffensives”. Le terme “inopinée” pourrait être qualifié d’erreur historique, pour ne pas dire de falsification. Quand on sait que Morny, ministre de l’intérieur depuis 2 jours, donnait comme consigne au général Magnan : “Je vais faire fermer les clubs des boulevards. Frappez ferme de ce côté”, et que Louis Napoléon répétait inlassablement : “Qu’on exécute mes ordres”. Ce carnage consacra le succès du coup d’État, puisqu’au matin du 5 décembre, les chaises de poste qui se tenaient dans la cour de l’Élysée, prêtes à assurer une fuite éventuelle, furent dételées.

 

 

Vers une reconnaissance ?

 

 

L’idée d’un monument à toutes les victimes du coup d’État n’ayant jamais abouti, depuis la fin du 19e siècle, on est en droit de se demander s’il n’est pas temps, cent cinquante après, de réparer cet oubli. Limitant notre ambition, voici la pétition qui peut-être pourrait déboucher sur un acte de reconnaissance de la part de la municipalité parisienne.

 

 

 

 

 

PÉTITION POUR UNE PLAQUE À LA MÉMOIRE DES VICTIMES DE LA TERREUR BONAPARTISTE SUR LES GRANDS BOULEVARDS LE 4 DÉCEMBRE 1851 À PARIS

 

                    L’année Victor Hugo s’achève et avec elle le défilé d’hommages et de manifestations, pour la plupart, culturelles. Déjà s’annonce l’année Dumas : exit Hugo. Un hommage manque cependant à l’ami Hugo, lui, le défenseur des peuples opprimés, des misérables. Cent cinquante ans se sont écoulés depuis le coup d’État du 2 décembre 1851, qui lui a valu dix neuf années d’exil, et rien n’a jamais été entrepris pour honorer les victimes de ce coup d’État.

 

Aujourd’hui l’unanimité se fait pour condamner le terrorisme qui frappe aveuglément des victimes innocentes. N’est-ce point par la terreur que s’est accompli ce coup d’État, en faisant massacrer des centaines de Parisiens venus, le 4 décembre, marquer leur désapprobation ou en simples curieux, sur les Boulevards à Paris. Tous les historiens ou observateurs de l’époque l’ont déploré, y compris les partisans de ce “coup d’éclat” comme se plaisent à le nommer certains de nos contemporains.

 

L’heure n’est plus, nous dit-on, aux hommages rendus à nos grands hommes par l’érection de monuments statuaires. Ce qui semble perdurer c’est l’apposition de plaques souvenir ou de bornes historiques perpétuant la mémoire d’événements heureux ou tragiques. Il est temps que Paris rende justice à ses victimes et par là même, à celui qui a si vigoureusement, en payant de sa personne, dénoncé ces crimes.

 

C’est pourquoi, nous demandons que soit apposée, sur les grands boulevards à Paris, une plaque rappelant ces événements.

 

 

Notre Association s’associe à cette pétition, qui a déjà recueilli de nombreuses signatures. 

 

Contact : Paul Cresp, 1 rue Hippolyte Maindron, 75014 Paris.

 

ate.graffito@wanadoo.fr