Déposition de Louis Bouchard, commandant de la garde nationale deTourves
Ce texte a été publié dans la brochure « Résistances. L’insurrection de décembre 1851. La Résistance pendant la deuxième guerre mondiale à Tourves », 2001pour commander cette brochure cliquez ici document Déposition de Louis Bouchard devant le juge d’instruction de Brignoles le 24 janvier 1852
Je me nomme Louis Bouchard, âge de 62 ans, capitaine en retraite, domicilié demeurant à Tourves, non parent des inculpés.
Dépose : le quatre décembre au soir, je fus averti par M. Louis Blanc, adjoint à la mairie, qu’un attroupement qui s’était formé sur la place de l’hôtel de ville avait envahi l’escalier de l’hôtel et voulait s’emparer des armes. J’étais couché, souffrant de la goutte, mais je me levai de suite et je me rendis immédiatement à la Mairie. Je trouvai l’escalier envahi et je vis que les gens qui formaient l’attroupement étaient décidés à s’emparer des armes. Je cherchai à les calmer et comme je ne pouvais y parvenir, je les menaçai de m’armer et de faire respecter ainsi l’hôtel de ville. Cependant, je compris que cette position ne pouvait pas se maintenir pendant toute la nuit et je crus devoir choisir des hommes pour former un poste qui gardât la Mairie pendant la nuit. La commune de Tourves est divisée en trois parties bien distinctes, les blancs, les bleus et les rouges. Il me parut nécessaire de ne pas mettre dans le poste des personnes choisies parmi les blancs ; je craignais que le mélange n’amenât une collision, mais je composais le poste en choisissant sur les contrôles de la garde nationale des hommes que je croyais incapables de troubler l’ordre et sur qui je pensais au contraire pouvoir compter pour le maintenir. Je restai toute la nuit. Joseph Plauchier était le chef du poste comme Capitaine ; je l’avais choisi de l’aveu de M. Allaman, Maire, et de M. Louis Blanc, adjoint ; il s’est bien conduit pendant toute la nuit. Cependant il s’était introduit dans le poste un sieur Tochou, dit Carême, qui n’était pas du nombre des hommes que j’avais choisis. Comme il était tranquille, je ne crus pas devoir l’expulser. Pendant le courant de la nuit, le sieur André Richier, un des fls de mon fermier, vint me dire qu’on se réunissait au Cercle des rouges. Je me portais alors sur le Cours seul et j’entendis dans la maison un très grand tumulte ; je vis même quelques personnes qui sortaient avec arme ; je rentrai au poste que je ne quittai que le matin à six heures. Je fermai la Mairie et je congédiai le poste ; je remis la clé de la Mairie à M. le secrétaire qui avait passé la nuit avec moi. Je ne me reposai que pendant une heure ou deux au plus. Je revins sur la place vers les huit heures, tout me paraissait tranquille, il n’y avait aucun poste à la Mairie ; je rentrai chez moi et je revins sur la place vers midi ; je trouvai un poste à la Mairie, il s’était formé sans ordre. Parmi ces hommes se trouvaient encore Tochou dit Carême, je ne me souviens pas du nom des autres. Je m’avançai pour leur dire qu’ils ne devaient pas se réunir, alors qu’ils n’étaient pas convoqués ; ils me répondirent que je ne commandais plus, qu’ils avaient reçu des ordres de leur chef à Brignoles, et comme je leur demandai si c’était M. le Préfet de Brignoles qui leur avait donné ces ordres, ils me répondirent que c’était leur général C. Duteil ; j’ai connu parmi ceux qui me firent cette réponse : Tochou dit Carême, François Germain cultivateur ; ce dernier était un des plus exaltés[1], Pellotier François était avec eux mais il ne dit rien, il avait même l’air d’être peiné de ce qui se passait. Je vis que mon autorité était méconnue et je me retirai. Cependant, vers les deux heures, je vis que le poste de la Mairie avaient arrêté deux gendarmes qui venaient de Brignoles ; on ne voulait pas les laisser passer, parmi ces deux gendarmes, il y en avait un de la résidence de Saint-Zacharie, je crois qu’on l’appelle Moreau, cependant je n’en suis pas sûr ; je m’avançai pour dire qu’on les laissa passer, ceux qui les avaient arrêtés me répondirent : vous voulez donc vous faire fusiller, ils vont chercher la troupe. Je leur dis que les gendarmes étaient malades, qu’ils se rendaient à leur poste et qu’on devait les laisser passer ; je n’ai pas connu ceux qui les avaient arrêtés ; les gendarmes passèrent. Quelques moments après, Tochou dit Carême vint me trouver au café du Midi où je lisais le journal et me dit : vous avez fait passer les gendarmes qui vont chercher la troupe, vous méritez que nous vous fusillons ; il n’avait pas d’arme mais il fit le geste avec les deux mains ; il était avec trois ou quatre autres que je n’ai pas connus ; ils étaient restés sur la porte et comme j’ai la vue basse, je n’ai pas pu les reconnaître. Quand j’eus terminé la lecture du journal, je sortis du café et je fus à la campagne. Je n’ai plus paru à la Mairie dans la journée du vendredi et du samedi, je n’allais cependant pas coucher à la campagne. Le samedi au soir, j’étais déjà couché quand il arriva chez moi quinze à vingt personnes frappant à coups redoublés et disant qu’il fallait que je vinsse à la Mairie ; ils n’attendirent pas que je fusse habillé. Je me rendis à la Mairie ; je trouvai là peut-être deux cents personnes qui me dirent qu’il fallait leur remettre les armes de gré ou de force. Je leur répondis que je ne remettais pas les armes, que celles qu’ils avaient étaient assez nombreuses pour armer le poste ; ils me répondirent qu’ils les prendraient sans moi, que je n’étais plus rien. Parmi ces gens là, j’ai reconnu comme les plus exaltés Tourtin, tambour et Germain François. Je fus obligé de me retirer, je ne livrai pas les armes mais comme la clé de la salle d’armes était en leur pouvoir, ils n’avaient pas au fond besoin de moi pour s’en emparer. J’appris là par le secrétaire que le projet des insurgés était de nommer le lendemain une municipalité ; j’en fus immédiatement en avertir M. le Maire ; le secrétaire était avec moi.
Je n’ai plus paru à la Mairie dans la journée du dimanche et du lundi et je ne puis même pas vous citer aucun des actes de violence qui ont pu être commis pendant ce deux jours là, je sais que Riquier et une partie des insurgés sont partis le lundi soir pour Saint-Maximin, je n’ai appris cela qu’à Saint-Maximin, mais le mardi matin je m’étais aperçu à la Mairie que trente deux paquets de cartouches, de dix chacun, qui étaient à la Mairie, avaient été enlevés.
Lecture faite il a persisté et a signé…
[1] Toute cette partie de phrase est barrée : François Germain cultivateur ; ce dernier était un des plus exaltés
|