1851 et l’année 2002
éditorial du Bulletin n° 21, octobre 2002 1851 et l’année 2002
On peut ne pas parler des disparus, tout en les gardant précieusement en mémoire. Dans bien des sociétés antiques et des sociétés dites primitives, on ne parlait pas des morts récents, qu’il convenait de laisser reposer dans leur premier sommeil, et encore moins des morts anciens, qui ne devaient être invoqués, donc convoqués, implorés et congédiés, qu’en des circonstances précises, spéciales et appropriées, où le retour des défunts devait être opérant. L’invocation des morts relevait du sacré et ne se manipulait pas inconsidérément. Nous n’en parlions peut-être pas, mais les Résistants de 1851 étaient dans notre cœur, depuis toujours. Nos Résistants, ceux de notre commune d’abord, des communes voisines, et tous les autres, dans le lacis des liens noués de commune à commune par les “ missionnaires ” de la Montagne rouge. Nous les avons invoqués publiquement à partir de 1995, dans un rapport intensément passionnel et affectif. Et la date n’était pas indifférente. Le rappel des disparus nous remettait en prise directe avec notre présent. Notre association est née en effet d’un sursaut de honte devant les résultats des élections municipales de 1995 en Provence-Côte d’Azur. Depuis, dans les très nombreuses assemblées que nous avons assurées dans les départements du grand Sud-Est, nous n’avons cessé d’essayer de faire réfléchir sur le présent à partir du passé. Était-il indifférent alors de rappeler que, 10 mois à peine après la proclamation de la République, l’élection de Louis-Napoléon à la présidence était, déjà, un formidable désaveu du peuple des villes et des campagnes contre l’ordre bourgeois, égoïste et arrogant, le symptôme d’une aspiration au mieux-être et à la justice sociale, mais une aspiration dévoyée ? Était-il indifférent de rappeler que dès 1849 les “ missionnaires ” de la Montagne rouge avaient gagné une grande partie de ceux qui s’étaient laissé tromper par Louis-Napoléon, était-il donc indifférent de rappeler les vertus du militantisme de terrain ? Était-il inutile de rappeler que c’est sur un programme liant démocratie politique et justice sociale que s’était alors noué un front de classe entre salariés, producteurs indépendants, “capacités” ? Était-il inutile enfin de rappeler que ce front de classe s’était pleinement noué dans les régions où les militants de la Nouvelle Montagne avaient su asseoir leur propagande sur les réalités conviviales, linguistiques, culturelles, de la population ? Nous n’avons cessé de le répéter dans ce Bulletin, et ce dès son premier numéro : c’est sur ces valeurs, qui nous apparaissent toujours et plus que jamais d’actualité, que nous avons fondé notre action, une action respectueuse des différentes sensibilités de nos adhérents. Si, dans les multiples contacts “ à la base ”, nous avons eu la preuve que nous ne prêchions pas dans le désert, nous avons pu mesurer aussi combien pareille évocation pouvait indifférer ou déranger les “ décideurs ”. À la fin de l’année 2001, nous nous félicitions que de très nombreuses associations, que de nombreuses mairies de petites et moyennes communes, que quelques conseils généraux, aient répondu à notre appel à commémoration. Mais nous regrettions aussi le défaussement des mairies des grandes villes (à l’exception notable de Paris), de la plupart des conseils généraux, de la totalité des régions (à l’exception de la région P.A.C.A qui, sans aller jusqu’à l’initiative citoyenne que nous souhaitions, a accordé des subventions). Nous regrettions aussi, et grandement, le silence des pouvoirs publics au plan national. Et enfin, malgré nos efforts répétés, nous étions bien obligés de constater que, si la presse régionale répondait avec plus ou moins d’empressement à nos demandes d’information, les télévisions nationales (à l’exception de FR3) et les grands journaux (à l’exception de L’Humanité) ou magazines (à l’exception de Regards) pourtant dûment contactés, (y.c Marianne qui fait emblème de son républicanisme), gardaient le silence. Décidément il était ringard de parler de République, et encore plus de République démocratique et sociale, ringard de parler de responsabilité et d’initiative citoyennes, etc. etc. L’année électorale 2002 s’est chargée de remettre les montres à l’heure. Mais dans une terrible ambiguïté. Nous avons eu droit, sur le thème de la défense de la République, à une avalanche de considérations citoyennes, parfaitement sincères ou grandement hypocrites, selon qui les proposait. Loin de moi l’idée de mettre en cause, (lorsque ces considérations étaient sincères, et quel que soit l’horizon politique dont elles provenaient), l’importance majeure de ce qu’elles mettaient en avant : la République, bien commun transcendant les différences politiques, garanti par le libre exercice du suffrage universel et de la représentation populaire. Mais le chœur des pleureuses a trop souvent fait l’impasse sur une évidence majeure. Il ne peut y avoir de vraie démocratie sans responsabilité citoyenne, sans justice sociale, sans progrès social. Et si les tenants officiels de la démocratie font passer jeux politiciens et opportunismes économiques avant cette justice sociale, ils ouvrent grand la porte aux aventuriers politiques, aux populistes autoritaires, lesquels n’hésitent pas, très démocratiquement, à se réclamer de l’aval populaire. Nous ne nous sentons pas comptables de ces défaillances officielles, ni responsables des résultats électoraux. Les unes et les autres nous engagent plus que jamais dans la défense des valeurs républicaines dont se réclamaient les Résistants de 1851.
René MERLE
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