Rencontre de Château-Arnoux. Alloction d’ouverture

Rencontre de l’association 1851-2001, Château-Arnoux 29-11-97

 

Allocution d’ouverture du président, René Merle

 

Nous voici réunis dans un lieu symbolique, Château-Arnoux où vécut Ailhaud, qui fut l’âme de la démocratie socialiste bas-alpine, et, tout près, Les Mées où les républicains bas-alpins tinrent en échec l’armée du coup d’état.

Nous voici réunis, divers dans nos engagements, nos intérêts, nos activités, mais Citoyens. Conscients que la République et la démocratie sont des biens précieux, hérités des générations qui nous ont précédés. Des biens précieux, mais fragiles et menacés, que nous devons faire vivre et enrichir au présent.

A cet égard, le devoir de mémoire ne peut pas être lettre morte. Un vieux provençaliste dracénois m’écrivait hier en m’annonçant son adhésion à l’association :

« D’aqueù 2 de decèmbre de 1851, n’aven tant auvi parla pèr nouastreis ancian, n’avèn tant legi l’istòri dins lou Var, qu’es un pau coumo se l’avian viscu ! ».

(Ce 2 décembre 1851, nous en avons tellement entendu parler par nos anciens, nous en avons tellement lu l’histoire dans le Var, que c’est un peu comme si nous l’avions vécu).

La remarque vaut pour les anciens, et nous émeut. Mais elle ne peut nous dissimuler la coupure de mémoire entre sa génération, ma génération, et les suivantes. Le monde paysan et villageois, terreau de cette mémoire, a presque disparu. Et la restitution de mémoire ne vaut que si elle prend sens pour les nouvelles générations, si elle peut aider à leur ouvrir un avenir.

Il y a quelques jours, à Carqueiranne, un vieil instituteur m’a confié cet étui de métal ayant appartenu à son grand père, Joseph Maurel d’Aups, dit lou gaillard. Un ouvrier agricole d’Aups, né en 1830, insurgé de 51 et déporté en Algérie. Ce vieil instituteur, qui ne peut pas être avec nous, mais il l’est de cœur, ne m’a parlé que provençal, ce qui est bien naturel pour un amoureux de la langue, mais en même temps cette langue nous enracinait dans le souvenir du Var républicain, au moment où des néo-Varois couvrent leur extrémisme noir du mariage hasardeux de la flamme tricolore et du lys provençal des Comtes d’Anjou.

Cet étui contient depuis 1853 le passeport que Maurel devait présenter à son retour du bagne. Maurel qui à Aups porta son bonnet de bagnard jusqu’au retour de la République. Et au delà, pour rappeler aux jeunes que la République n’est jamais acquise, et qu’il faut la faire vivre. « S’es gauvi, lou repedassaran », disait Maurel de son bonnet, s’il est usé, nous le repriserons.  Ainsi en allait-il du bonnet, et de la République.

Quitte à être emphatique, je dirai notre reconnaissance envers ces hommes et ces femmes du peuple, qui, en ce froid décembre 1851, se sont levés pour défendre une République trahie par celui-même qui avait fait serment de la défendre, le Président. Ces gens simples que « Le Chant du Départ » galvanisait : de fait, la Liberté effectivement guidait leur pas et la trompette guerrière avait sonné l’heure du combat. Et la grise « farigoulo » exprimait l’espoir de la République montagnarde, démocratique et sociale.

La Républico, meis amis,

fai reflourir nostre pais,

planten la farigoulo

republicains, arrapara,

planten la farigoulo

et la Mountagno flourira.

(La République mes amis fait refleurir notre pays, plantons le thym, républicains, il s’enracinera, plantons le thym, et la Montagne [celle de 93, et le nom des démocrates socialistes] fleurira).

La « farigoulo », l’humble thym des collines, méprisé et foulé aux pieds, mais vivace et porteur de l’espoir collectif.

 

Notre association réunit tous ceux qui veulent s’informer sur 1851, contribuer à l’étude de l’événement, dans sa complexité géographique et socio-culturelle, tous ceux qui veulent participer à la mise en circulation publique de sa mémoire. Cette journée est le coup d’envoi de ses activités. Un grand merci à tous ceux qui en ont permis la tenue.

Merci à nos hôtes, Monsieur le Maire et la municipalité de Châteaux-Arnoux.

Merci aux amis qui ont rédigé, composé, mis en forme, édité et diffusé notre bulletin.

Merci aux historiens, dont nous apprécions d’autant plus la participation que nous savons combien leur temps est précieux.

Merci aux participants bas-alpins, les plus nombreux bien sûr, et à ceux venus de plus loin, porteurs de la mémoire des départements insurgés du grand sud-est, Ardèche, Drôme, Gard, Hérault, Var.

Merci aux aînés, qui ont risqué leur vie contre l’occupant nazi et les collaborateurs français, d’être parmi nous pour témoigner que l’esprit de 1851 a vivifié leur combat.

Merci aux descendants d’insurgés et de proscrits bas-alpins et varois qui nous ont confié des documents et nous font l’honneur d’être parmi nous. Et parmi eux les descendants d’Ailhaud, dont la mémoire sera honorée ce matin par l’inauguration d’une plaque.

 

Je passe maintenant la parole à Maurice Agulhon, professeur au collège de France.

René Merle