Eugène Pottier et la chanson démocratique en 1848
Eugène Pottier et la chanson démocratique en 1848
René Merle
Loin d’être création épisodique de rimailleurs sympathiques, les chansons républicaines du temps correspondent à un véritable courant d’expression populaire, à une entreprise de propagande efficace.
Je donne ci-dessous une chanson écrite à l’aube de la Seconde République par Eugène Pottier, le futur auteur de L’Internationale (on y pensera en lisant le premier vers de la chanson…). Pottier, qui s’est rodé à la chanson dans les guinguettes populaires sous la Monarchie de Juillet, lance ici une entreprise de propagande « rouge » qui sera d’une extrême efficacité. Il a 32 ans.
Le texte figure dans le recueil Chants révolutionnaires par Eugène Pottier, Paris, Dentu, 1887, que fit publier le chansonnier Gustave Nadaud, dont les opinions conservatrices n’entamaient pas l’admiration qu’il portait à Pottier. On comprend qu’elle lui soit dédiée.
À Gustave Nadaud.
Le monde va changer de peau.
Misère, il fuit ton bagne.
Chacun met cocarde au chapeau,
L’ornière et la montagne,
Sac au dos, bourrez vos caissons !
Entrez vite en campagne !
Chanson !
Entrez vite en campagne !
Avec vous, montant aux greniers,
Que l’espoir s’y hasarde !
Grabats sans draps, pieds sans souliers,
Froid qui mord, pain qui tarde :
On y meurt de bien des façons !
Entrez dans la mansarde
Chansons !
Entrez dans la mansarde !
Que le laboureur indigent
Voie à votre lumière
Si la faulx des prêteurs d’argent
Tond ses blés la première.
Mieux vaudrait la grêle aux moissons…
Entrez dans la chaumière !
Chansons !
Entrez dans la chaumière !
Les marchands sont notre embarras,
L’esprit démocratique
Tombe à zéro, – souvent plus bas ! –
Chez l’homme qui trafique.
Tirez du feu de ces glaçons !
Entrez dans la boutique !
Chansons !
Entrez dans la boutique !
On vous prendra, dit le rusé,
Propriété, famille.
Le propriétaire abusé
S’enferme et croit qu’on pille.
Pour guérir ces colimaçons
Entrez dans leur coquille !
Chansons !
Entrez dans leur coquille !
En paix, l’armée est un écrou
Dans la main qui gouverne,
Pour serrer le carcan au cou
Du peuple sans giberne.
Cet écrou, nous le dévissons…
Entrez dans la caserne !
Chansons !
Entrez dans la caserne !
Paris, 1848