Aux confins du Var et des Basses-Alpes

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Clandestinité et réseau républicain dans le Haut-Var. La société secrète montagnarde d’Artignosc (1849-1851)

par Frédéric Négrel

première partie :

 

 Aux confins du Var et des Basses-Alpes

 

1.1 Un village de Basse-Provence…

 

Artignosc est une commune du Nord-Ouest varois, le Nord-Ouest forestier, comme l’appelle Maurice Agulhon, plus précisément du rebord sud-ouest des Grands Plans de Provence, comme le nomme Emilien Constant[1]. Nous sommes là dans le pays calcaire, à l’est du grand graben de Quinson

-Montmeyan -Fox-Amphoux .

 

Son terroir, de modestes dimensions (1878 ha) pour une commune provençale, est essentiellement composé d’un plateau entaillé par de petits vallons qui descendent vers le Verdon qui le borde au nord. Le plateau est quant à lui largement occupé par les bois qui seront l’objet de tant d’âpres discussions, au même titre que ces prés sur le flanc nord-ouest du village qui bénéficient de l’arrosage grâce à la conduite qui amène l’eau à l’agglomération avant d’alimenter les moulins. Au milieu des bois, se trouvent quelques clairières cultivées par les habitants des mas ou des bastides, relativement peu nombreux et, du fait de l’exiguïté de la commune, assez peu éloignés du village. Un village qui a ainsi tous les caractères physiques du village provençal urbanisé. « Chacun de ces villages peut être considéré comme une vaste ferme : chaque soir presque tous les propriétaires et les cultivateurs (les paysans travailleurs) s’y réunissent. » écrivait le préfet Fauchet en 1805[2]. Cette agglomération se trouve perchée sur le bord ouest du plateau à 515m d’altitude.

 

 

1.2 …au contact de la Haute-Provence

 

 

Ici, « les fortes températures d’été diminuent, les hivers sont plus froids, les quantités de pluies augmentent, les saisons sèches, et surtout celle de juillet-août, s’atténuent. On entre dans une zone de transition où le rythme de pluviosité reste méditerranéen et par là commande encore le système de cultures et les techniques, mais où l’irrégularité des pluies, la brutalité des changements de températures sont moins accentués. Les saisons, tout aussi marquées deviennent plus régulières. Cependant, l’abaissement des températures moyennes interdit les cultures délicates : les primeurs, les cultures florales, certains arbres fruitiers, comme l’abricotier, le pêcher, deviennent impossibles. »[3] En fait, les espaces cultivés sont surtout consacrés aux céréales. Et si la vigne occupe déjà 92 ha sur le cadastre de 1841, la lavande et l’olivier (3 ha 52 + 7 ha 68 en oullière dans la vigne) ne se sont pas encore implantés.

 

Au nord, sur la rive droite du Verdon, Artignosc a pour voisines des communes des Basses-Alpes : Saint Laurent [4], que l’on peut rejoindre par un gué, et Montpezat [5], dont une partie des bois se trouve rive gauche, mais dont le village est séparé d’Artignosc par les gorges de la rivière que l’on traverse par le pont Sylvestre.

 

Au sud, c’est le territoire de Régusse [6] qui jouxte celui d’Artignosc : au sud-est, la forêt du Deffens de Régusse, et au sud, le terroir du hameau de Villeneuve -Coutelas[7], où plusieurs familles artignoscaises sont propriétaires foraines[8].

 

A l’est, on trouve les plus proches voisins des Artignoscais : les habitants de Baudinard [9].

 

Bien que sans limites communes avec Artignosc, Quinson [10], dans les Basses-Alpes, et Montmeyan [11], dans le Var, sont assez proches du village et entretiennent avec lui des rapports fréquents.

 

Artignosc est en situation d’enclavement : elle se trouve en effet en dehors de toute voie de communication importante. Seuls quelques mauvais chemins, que ne peuvent emprunter les véhicules à traction animale, la relient à l’extérieur. Les réponses de l’enquête de 1848 pour le canton de Tavernes demandent des « mesures pour améliorer les voies de communication dont une partie des communes du canton ont un grand besoin pour le transport de leurs denrées. » La construction de la route n° 21 Moissac -Rians  n’est pas propre à sortir Artignosc de son isolement : elle ne traverse pas son territoire et on ne peut la rejoindre que par un mauvais chemin ne tolérant pas le roulage. Aussi le Conseil Municipal refuse-t-il depuis 1841 de participer à son financement.

 

Leurs mules et leurs jambes sont les seuls moyens pour les Artignoscais de rejoindre les gros villages où se trouvent foires et marchés, administration et gendarmerie. Ils se trouvent à peu près à égale distance, c’est à dire à 4 à 6 heures de marche environ, d’Aups [12], de Barjols [13] et, côté Basses-Alpes, de Riez [14].

 

 

Artignosc et sa région

 

 

 

 

1.3 Une population déjà déclinante, groupée et paysanne

 

 

Alors que l’optimum démographique est atteint dans les campagnes de Provence entre 1840 et 1870, le Nord-Ouest forestier, et singulièrement Artignosc, est touché plus tôt par la déprise. Son terroir, peu fertile et éloigné des centres de commercialisation, explique certainement cette précocité[15]. C’est en 1790 qu’Artignosc atteint son pic : 459 habitants. Mais la chute est lente, il y a encore 429 Artignoscais en 1851.

 

Cette population est fortement groupée à l’agglomération. En 1851, soixante et seize habitants seulement vivent dans 10 écarts de 4 à 14 personnes. L’indice de dispersion[16] est alors de 0,21. Les faibles distances qui séparent ces écarts de l’agglomération font que la population dispersée participe fréquemment à la vie du village : en témoignent ainsi Esprit Jean, de Fulques, la bastide la plus éloignée du village, élu conseiller municipal en 1848, ou encore Augustin Bagarry, des Estrilles, Joseph Autran et Louis Chauvin, de Pampelonne, tous trois membres de la chambrée la Concorde. Nous retrouverons cinq habitants de ces bastides parmi les affiliés de la société secrète (Esprit Jean, Augustin Bagarry, Joseph Bormes, des Rangs, Joseph Alexandre Constans, d’Arlenq, et Henri Martin, du Mas).

 

Les Montagnards artignoscais sont présents sur presque tout le territoire de la commune. Nous connaissons le domicile pour 1851 de 53 d’entre eux, y compris Charles et Lazare Autran qui bien qu’affiliés à la société d’Artignosc habitent depuis 1850 la bastide du Parronier sur la commune de Baudinard  « peu éloignée d’Artignosc où ils sont tous les dimanches ».

 

Sur ces 53 affiliés, il y en a donc 7 qui habitent en dehors de l’agglomération (répartis sur 6 campagnes). Cette proportion est plus faible que l’indice de dispersion de la commune (0.15 contre 0.21). Villageois urbanisés, les affiliés ne sont cependant pas absents des bastides, que celles-ci soient très proches du village (comme les Rangs) ou les plus éloignées (comme Fulques).

 

Dans l’agglomération même, on trouve des affiliés dans chacune des 8 rues. Un tiers des maisons en abrite au moins un rue des muletières, rue Grambois, rue du portail, rue du château ; un quart, rue de la palissade et rue du four. Leur densité est toutefois bien plus importante dans la grand rue, où ils occupent 15 maisons sur 24. C’est dans cette rue qu’habitent la plupart des Républicains les plus influents : Pons Dauphin, Auguste Guion, chefs de section, César Jean, vice-président, Louis Pellegrin[17] et Jean-Paul Quinson, conseillers municipaux. Mais nous verrons plus loin que ces rapports de voisinage n’ont peut-être pas joué un rôle conducteur.

 

 

 

 

 

Nous pouvons identifier 57 membres de la société secrète.

 

Leurs âges, au 6 décembre 1851, s’échelonnent de 18 à 61 ans. Dans la colonne « responsables » figurent les président, vice-président, chefs de section, auxquels nous avons adjoint Louis Pellegrin, « animateur » républicain.

 

 

Tableau 1 : Ages des affiliés à la société secrète d’Artignosc

 

âge au 6/12/1851

 

nombre d’affiliés

 

proportion

 

responsables

 

moins de 20 ans

 

1

 

1.75%

 

 

de 20 à 24 ans

 

8

 

14.03%

 

2

 

de 25 à 29 ans

 

11

 

19.29%

 

2

 

de 30 à 34 ans

 

15

 

26.31%

 

3

 

de 35 à 39 ans

 

3

 

5.26%

 

1

 

de 40 à 44 ans

 

8

 

14.03%

 

1

 

de 45 à 49 ans

 

7

 

12.28%

 

 

50 ans et plus

 

4

 

7.01%

 

 

Total

 

57

 

100%

 

9

 

 

Afin de pouvoir étudier la structure par âge de la société en la comparant à la population artignoscaise telle qu’elle a été recensée en 1851, nous allons en retirer ceux des affiliés qui ne résidaient pas à Artignosc à la date de ce recensement : deux sont domiciliés à Baudinard , un à Montagnac [18], deux ne sont pas encore arrivés à Artignosc, un a quitté la commune pour quelques temps. Il nous reste donc 51 membres recensés.

 

 

Tableau 2 : Les affiliés de la société secrète d’Artignosc dans la structure par âges de la commune

 

âge en 1851

 

population masculine

 

dont affiliés

 

proportion d’affiliés

 

de 18 à 19 ans

 

7

 

1

 

14.28%

 

de 20 à 24 ans

 

8

 

6

 

75.00%

 

de 25 à 29 ans

 

15

 

8

 

53.33%

 

de 30 à 34 ans

 

23

 

15

 

65.21%

 

de 35 à 39 ans

 

6

 

3

 

50.00%

 

de 40 à 44 ans

 

22

 

8

 

36.36%

 

de 45 à 49 ans

 

16

 

7

 

43.75%

 

50 ans et plus

 

59

 

3

 

5.08%

 

Total

 

156

 

51

 

32.69%

 

 

La proportion d’affiliés s’inscrit dans ce qu’a constaté Ted Margadant dans la plupart des sociétés : « En règle générale, les Montagnards recrutent seulement une minorité de la population adulte masculine, mais leurs sociétés comprennent souvent la plupart des jeunes gens, particulièrement dans les villages. »[19] A Artignosc, le parti clandestin regroupe la majorité des hommes de moins de 45 ans.

 

 

Quant à leur niveau d’instruction, peu d’éléments nous permettent de l’évaluer. En se référant à leurs actes de mariage ou à leurs dépositions lors de la répression, nous constatons que 17 ont signé ces documents, soit 38% des 44 affiliés mis en situation.

 

En étudiant les 128 actes de mariages établis à Artignosc entre 1820 (date du premier mariage d’un affilié) et 1851[20], nous trouvons une proportion de 30% d’hommes signant : le nord de l’arrondissement de Brignoles est une des zones les moins alphabétisées du département (lui-même en queue de peloton national)[21].

 

Nos Montagnards ne forment donc qu’un groupe légèrement plus instruit que l’ensemble de la communauté artignoscaise, ce qui doit être tempéré par la structure plus jeune de la société à une époque où les progrès en ce domaine sont sensibles. Ainsi, en 1863, lors de la constitution du cercle St Christophe, la moitié des 62 présents sont signants.

 

Nous ignorons tout du niveau d’instruction acquis par les signants, tout au plus remarquerons nous qu’aucun des affiliés artignoscais n’a de profession nécessitant une maîtrise de la langue française : pas d’homme de loi, ni d’instituteur, ni de gros négociant. Mais certains leaders de la société secrète figurent toutefois parmi les personnages les plus alphabétisés de la commune : ils sont régulièrement appelés à témoigner sur les actes de l’état civil. César Jean (vice-président) et Louis Pellegrin (animateur) sont les Artignoscais qui apposent le plus souvent leurs signatures sur les registres, avec l’instituteur Maurice Grambois.

 

 

Dans l’enquête sur le travail agricole et industriel de 1848, le canton de Tavernes fait apparaître que « presque tous les cultivateurs sont propriétaires d’un champ plus ou moins important. A part 3 ou 4 grands propriétaires, tous sont propriétaires agriculteurs. » Le recensement de 1851 ne nous permet pas de connaître précisément les activités professionnelles des Artignoscais. Il propose certes un récapitulatif suivant les métiers, mais englobe dans cette statistique les enfants de tous âges et ignore les ouvriers agricoles des bastides aussi bien que certains artisans. Ces artisans, que le recensement note comme cultivateurs, pratiquaient très certainement la double activité. Voire plus comme Sébastien Constans qui « exploite lui-même ses propriétés[22] et exerce les deux professions de tisseur à toile et de perruquier » en sus de son emploi de garde forestier[23]. La référence au métier étant fréquente dans d’autres sources (comme les listes électorales ou les dépositions enregistrées lors de la répression de Décembre), nous avons choisi de les faire figurer dans cette statistique à la rubrique artisans, tout comme Pierre Auric, le cantonnier embauché par la commune pour fournir deux journées de travail par semaine, figure à la rubrique employés communaux. Un autre choix a été de ne pas comptabiliser les femmes (cinq veuves ou célibataires ont déclaré une profession : trois cultivatrices, une commerçante et la domestique du curé).

 

 

On dénombre ainsi en 1851 les 153 actifs masculins de plus de 18 ans :

 

           115 cultivateurs exclusifs, apparaissant au gré des sources comme propriétaires, agriculteurs, ménagers, bergers… Un dépouillement approfondi des matrices cadastrales croisées avec l’état civil, ainsi que des registres de l’enregistrement, permet d’établir des distinctions parmi ces cultivateurs, même si celles-ci ont leurs limites. En effet, outre Artignosc, dans un souci d’appréhender l’ensemble des propriétés détenues y compris foraines, nous n’avons dépouillé que les cadastres des communes qui lui sont limitrophes ainsi que ceux des communes dans lesquelles nous connaissions des relations artignoscaises (lieu de naissance, de mariage, établissement après la répression, …). Il est donc toujours possible que ces cultivateurs soient propriétaires dans d’autres communes, et il est probable que des fermages et des métayages n’ont pas été retrouvés.

 

Cinq d’entre eux sont de grands propriétaires qui possèdent plus de 30 hectares[24]. Henri Martin, le plus doté, en possède 152 (dont 54 à Artignosc). Parmi les cinq, il est le seul à ne pas exploiter lui-même ses domaines, qu’il met à ferme. Trois de ces cinq gros propriétaires (Henri Martin, Esprit Jean, Augustin Bagarry) sont des Montagnards, alors qu’il semble que chez les frères Rouvier, Jean Eugène et Joseph, seul le second ait eu un engagement républicain en obtenant les voix de la « liste rouge » des municipales de 1852.

 

Vingt-cinq autres de ces cultivateurs sont propriétaires de plus de 5 hectares. Ce que Maurice Agulhon classe dans la moyenne propriété. Quatre d’entre eux sont des Montagnards.

 

On trouve ensuite 54 petits propriétaires (entre 1 et 5 hectares). Parmi eux, 17 Montagnards.

 

Enfin, 6 ont de très petites propriétés (moins d’un ha), dont 2 Montagnards, et 25 ne possèdent aucune terre (dont 10 Montagnards).

 

Parmi ces paysans sans terre, nous pouvons remarquer un gros fermier, Louis Chauvin, qui exploite les 117 ha du domaine de Pampelonne, et deux petits métayers. Les autres doivent travailler sur les propriétés de leurs pères, souvent modestes, et s’embaucher comme journaliers, comme beaucoup de petits propriétaires. Et les embauches ne manquent pas car la main d’œuvre disponible est rare dans la région à en croire le rapport établi pour la commission départementale de l’agriculture en février 1851 par Jean-François Gros dit le Jeune, propriétaire à Villeneuve [25] : « On ne trouve plus de journaliers, ni valets de ferme qui, par les défrichements, récoltant tous des grains au-delà de leurs besoins, ont tous de quoi subsister aisément sans se louer. » Il demande l’aide de l’Armée, d’enfants abandonnés ou de jeunes prisonniers.

 

           Et ces embauches sont d’autant plus fréquentes que le salariat agricole est peu utilisé à Artignosc où l’on ne compte que 5 valets de ferme (dont 3 à Pampelonne). Aucun de ces ouvriers agricoles n’est propriétaire d’une parcelle.

 

           1 charbonnier

 

           19 artisans (3 tisserands, 4 maçons, 1 menuisier, 2 perruquiers/barbiers, 2 tailleurs, 2 maréchaux-ferrand, 1 charretier, 2 cordonniers, 1 fournier et 1 cardeur à laine). Ces artisans sont peut-être tous leur propre patron sans que les sources nous permettent de l’affirmer, sauf pour 7 d’entre eux qui payaient la patente en 1850. Certains de ces artisans sont aussi propriétaires : le maçon Pierre-Jean Jean a ainsi 46 ha, le perruquier Victor Constans Marot en a 11 et le tisserand Victor Dauphin 6. Mais la moitié possède moins de 2 ha.

 

           3 ouvriers (1 cordonnier et 2 apprentis tailleurs) sans propriété

 

           2 employés communaux (le cantonnier et le garde-champêtre), petits propriétaires

 

           1 instituteur communal (également propriétaire de 26 ha)

 

           6 commerçants (1 épicier, 1 négociant et 4 aubergistes) dont quatre propriétaires de 3 à 19 ha.

 

           le curé.

 

 

Artignosc est donc une commune où n’existe ni grosse bastide employant un nombre important d’ouvriers agricoles, ni industrie locale aux ateliers occupant une main d’œuvre tout ou partie de l’année. La pauvreté des sols[26] et l’enclavement privant la commune de débouchés y sont certainement pour beaucoup.

 

Soixante-et-dix-huit pour cent des Artignoscais sont avant tout des agriculteurs.

 

 

On compte 55 affiliés actifs, le plus jeune, Armand Albert, étant sans profession, et nous ignorons celle de Placide Briançon, pour qui nous n’avons de traces qu’à partir de décembre 1851 (il est nommé cantonnier communal le 20 septembre 1853). Dans le tableau qui suit, la proportion des affiliés dans la catégorie exclut les six « absents du recensement » : Albert, Briançon et 3 cultivateurs (Fabre, Lazare et Charles Autran) et un ouvrier tisserand (Garcin) qui ne sont pas alors domiciliés à Artignosc.

 

 

Tableau 3 : Activité professionnelle des affiliés artignoscais

 

Activité

 

Nombre d’affiliés

 

Proportion dans la société

 

Nombre global d’actifs

 

Proportion des affiliés dans la catégorie

 

cultivateurs

 

36

 

70.58%

 

115

 

31.30%

 

dont propriétaires >30ha

 

3

 

5.88%

 

5

 

60.00%

 

dont propriétaires de

 

5 à 30 ha

 

4

 

7.84%

 

25

 

16.00%

 

dont propriétaires de

 

1 à 5 ha

 

17

 

33.33%

 

54

 

31.48%

 

dont propriétaires <1ha

 

2

 

3.92%

 

6

 

33.33%

 

dont

 

non-propriétaires

 

10

 

19.60%

 

25

 

40.00%

 

ouvriers agricoles

 

 

 

5

 

 

artisans

 

12

 

23.52%

 

20

 

60.00%

 

ouvriers

 

1

 

1.96%

 

3

 

33.33%

 

employés communaux

 

1

 

1.96%

 

2

 

50.00%

 

instituteur

 

 

 

1

 

 

commerçants

 

1

 

1.96%

 

6

 

16.66%

 

ecclésiastique

 

 

 

1

 

 

Total

 

51

 

100%

 

153

 

33.33%

 

 

Si les affiliés sont donc agriculteurs à une forte majorité (surtout des petits propriétaires), ils représentent les trois cinquièmes des artisans du village.

 

Ces artisans sont d’ailleurs fortement représentés à la tête de la société :

 

Antoine Pellegrin, le président, est maréchal-ferrant, tout comme Louis Pellegrin, animateur de la société.

 

César Jean, le vice-président, est tailleur d’habit, Jean Honoré Sappe, chef de section, est cordonnier.

 

Les cinq autres chefs de section sont ouvrier cordonnier (Joseph Combes) et cultivateurs (2 petits propriétaires et 2 non propriétaires).

 

On retrouve une telle sur-représentation des artisans dans les sociétés secrètes des villages voisins.

 

 

Tableau 4 : Professions[27] des responsables des sociétés secrètes

 

Société

 

Président

 

Vice-président

 

Animateur

 

Chefs de section

 

Aiguines [28]

 

tourneur

 

tisserand

 

 

 

Albiosc [29]

 

marchand

 

de truffes

 

agriculteur

 

 

 

Allemagne [30]

 

boulanger

 

cordonnier

 

agriculteur

 

 

Artignosc

 

maréchal

 

tailleur

 

maréchal

 

1 cordonnier

 

1 ouvrier

 

4 cultivateurs

 

Aups

 

magasinier

 

 

boucher

 

1 machiniste

 

Barjols

 

ouvrier corroyeur

 

cultivateur

 

3 taillandiers

 

4 ouvriers tanneurs

 

1 cabaretier

 

2 maçons

 

2 boulangers

 

1 menuisier

 

7 cultivateurs

 

Baudinard

 

cultivateur

 

sergent de ville

 

 

1 menuisier

 

3 cultivateurs

 

Bauduen [31]

 

cultivateur

 

perruquier

 

 

2 maréchaux

 

1 cabaretier

 

1 cultivateur

 

Esparron

 

cultivateur

 

 

menuisier

 

2 maréchaux

 

Gréoux

 

propriétaire

 

serrurier

 

avocat

 

1 armurier

 

Les Salles [32]

 

maréchal

 

maçon

 

cordonnier

 

1 cordonnier

 

1 maçon

 

2 cultivateurs

 

Moissac

 

cultivateur

 

maréchal

 

cultivateur

 

3 cultivateurs

 

Montagnac

 

marchand de truffes

 

 

menuisier

 

1 tisserand

 

1 menuisier

 

1 rabassier

 

Montmeyan

 

boulanger

 

menuisier

 

 

1 sergent de ville

 

1 maçon

 

1 cordonnier

 

1 menuisier

 

4 cultivateurs

 

Moustiers

 

cordonnier

 

ferblantier

 

perruquier

 

 

Puimoisson

 

maréchal

 

tonnelier

 

géomètre

 

1 cantonnier

 

3 cultivateurs

 

Quinson

 

potier

 

cordonnier

 

 

 

Régusse

 

boulanger

 

valet de ville

 

 

1 maréchal

 

1 tisserand

 

1 tailleur

 

1 cultivateur

 

Rians

 

 

 

 

2 cordonniers

 

1 maréchal

 

1 boulanger

 

1 perruquier

 

1 tailleur de pierres

 

Riez

 

propriétaire

 

sellier

 

 

 

Salernes [33]

 

industriel

 

 

 

1 perruquier

 

1 cafetier

 

2 bourreliers

 

1 confiseur

 

2 boulangers

 

1 aubergiste

 

1 tailleur

 

1 mallonier

 

2 cordonniers

 

1 maréchal

 

1 cultivateur

 

St Laurent

 

cultivateur

 

 

 

 

St Maximin

 

marchand de bois

 

 

 

 

Ste Croix [34]

 

cultivateur

 

maçon

 

cafetier

 

 

Tavernes [35]

 

cultivateur

 

cultivateur

 

 

2 cultivateurs

 

Tourtour[36]

 

maréchal

 

 

 

 

 

Nous noterons la fréquente implication des maréchaux-ferrants dans le parti républicain clandestin. L’engagement politique de ces artisans a déjà été souligné par Alain Corbin[37] en Limousin où les maréchaux sont les artisans que l’on retrouve le plus souvent dans les conseils municipaux (avec les meuniers) et « constituent des intermédiaires (avec les instituteurs, les aubergistes, les cantonniers) entre les cadres républicains bourgeois et la masse rurale en même temps qu’ils se font les portes-parole de celle-ci »[38]. Bien des civilisations ont une représentation prestigieuse du travailleur du fer, puisée dans sa maîtrise du feu, mais souvent aussi dans sa facilité à rendre service à tout le village par de petits bricolages. Alain Corbin a noté que « les registres de mutations par décès donnent l’impression que les travailleurs du fer jouissent d’une aisance plus grande que ceux du bois et surtout que ceux du textile »[39]. Les maréchaux constituent donc une élite des artisans de village[40].

 

Pour l’organisation des sociétés secrètes, leurs ateliers présentent divers avantages : tous les habitants de la commune, villageois comme bastidans, s’y rendent régulièrement et sont en affaire avec son propriétaire (ce qui est également le cas chez les meuniers et les fourniers, mais où la fréquentation est moins masculine) ; leurs visites durent suffisamment pour que des discussions politiques puissent avoir lieu ; l’endroit est bien sûr chauffé et l’on s’y arrête volontiers en hiver faire la conversation comme on en a l’habitude à la belle saison sur la place du village[41] ; les étrangers de passage peuvent y faire halte sans trop éveiller les soupçons des agents de l’Ordre et avec plus de discrétion que dans les auberges.

 

 

1.4 La propriété du sol

 

 

Lors de l’établissement du cadastre de 1841, les 1878 hectares de la commune d’Artignosc étaient ainsi constitués :

 

  805 ha de bois

 

  346 ha de pâtures

 

587 ha de terres labourables

 

84 ha de vignes

 

  3 ha d’oliviers

 

  7 ha complantés de vignes et d’oliviers

 

  8 ha de prés

 

63 ares de jardins

 

 

La commune possède plus de la moitié (467 ha) des bois et est également propriétaire des 2/3 des pâtures (234 ha) et de 3 ha de terres labourables, soit un total de 704 ha représentant 37% du territoire. Cette proportion est bien supérieure à celles rencontrées chez ses voisins : à Baudinard , les biens communaux ne représentent que 6% de la superficie communale, 21% à Régusse , 15% à Montmeyan . Seul Moissac  a des communaux plus importants (54%).

 

Le reste du territoire de la commune est réparti ainsi :

 

 

Tableau 5 : Répartition de la propriété foncière à Artignosc par taille selon le cadastre de 1851

 

taille des propriétés

 

nombre de propriétaires

 

superficie en ha

 

part du territoire approprié

 

plus de 30 ha

 

7

 

390

 

34%

 

dont forains

 

1

 

117

 

10%

 

de 5 à 30 ha

 

43

 

440

 

38%

 

dont forains

 

11

 

139

 

12%

 

de 1 à 5 ha

 

107

 

291

 

25%

 

dont forains

 

13

 

31

 

2%

 

moins de 1 ha

 

54

 

23

 

2%

 

dont forains

 

19

 

7

 

0.6%

 

Total

 

211

 

1144

 

100%

 

dont forains

 

44

 

294

 

25%

 

 

Le propriétaire le plus important est Etienne Louis Escolle, un avocat aupsois , qui possède les 117 ha du domaine de Pampelonne où son fermier élève un important troupeau de moutons. Ce domaine est un bien national, provenant de l’ancien seigneur Thoron, détenu précédemment par d’autres bourgeois aupsois. Escolle est le seul forain dont nous aurons à relater les interventions politiques hormis l’ancien maire devenu juge de paix du canton de Tavernes, Jean-Baptiste Isidore Constans (8 ha)[42].

 

Deux autres bourgeois sont propriétaires forains à Artignosc : le notaire de Correns  Théophile Leydet (18 ha) et Bienvenu Bagarry, un marchand de Puimoisson  (13 ha). Nous ne connaissons pas leurs fermiers ou métayers en 1851.

 

En dehors d’Etienne Louis Escolle, il n’y a donc pas à Artignosc de gros propriétaire susceptible d’entretenir une clientèle, de focaliser les actions politiques et sociales, ou de pratiquer le patronage démocratique. En cela, Artignosc se distingue de deux villages voisins :

 

à Montmeyan , le Brignolais  Louis Brunet de la Salle possède 463 ha, le marquis de Foresta, de Marseille , 234 ha, et surtout François Victor Layet, notaire à Aups , 1492 ha, soit à eux trois les 2/3 du territoire approprié.

 

à Baudinard , l’ancien seigneur, le duc de Sabran, ex-pair de France, de Marseille , possède 1227 ha, soit à lui seul 60% du territoire approprié.

 

 

Pourtant, c’est bien un forain qui amènera l’organisation clandestine du parti républicain à Artignosc : Jean-Baptiste Constans Surian, cafetier à Oraison [43], natif d’Artignosc où il est toujours propriétaire de 6 ha.

 

 

Mais ces propriétés sont de valeurs inégales suivant leur constitution et leur localisation. Essayons de situer les Montagnards[44] par rapport à ces valeurs en scindant la propriété selon les mêmes proportions que pour la superficie, la seule référence dont nous disposions pour l’ensemble de la commune étant la valeur fiscale à l’établissement du cadastre en 1841 :

 

 

Tableau 6 : Répartition de la propriété foncière à Artignosc par valeur fiscale selon le cadastre de 1851

 

valeur fiscale en 1841

 

nombre de propriétaires

 

valeur totale

 

part du territoire approprié

 

nombre d’affiliés

 

proportion de la société secrète

 

plus de 124f50

 

7

 

1853f

 

29%

 

1

 

2%

 

dont forains

 

2

 

990f

 

15%

 

 

 

de 34 à 121f

 

43

 

2674f

 

42%

 

10

 

19%

 

dont forains

 

7

 

396f

 

6%

 

 

 

de 4f44 à 34f

 

107

 

1741f

 

27%

 

16

 

31%

 

dont forains

 

18

 

176f

 

3%

 

 

 

moins de

 

4f44

 

54

 

93f

 

1.6%

 

6

 

11%

 

dont forains

 

17

 

31f

 

0.5%

 

 

 

Total

 

211

 

6363f

 

100

 

33

 

64%

 

dont forains

 

44

 

1593f

 

25%

 

 

 

 

 

 

 

Les affiliés sont donc peu nombreux parmi les propriétaires des terres les plus taxées. Et parmi ceux-ci, aucun dirigeant de la société secrète. Le seul Montagnard figurant dans la première catégorie est Henri Martin, dont le domaine du Mas figure pour 124 francs 50 et qu’il met à ferme en 1848 pour 516 francs. Il possède également le domaine de Maurèle à Montpezat  taxé 362 francs.

 

         Les deux forains de la première catégorie sont les propriétaires des biens de plus grande valeur fiscale : Etienne Louis Escolle (738 francs) et Jean-Baptiste Isidore Constans, le juge de paix, dont les 252 francs correspondent aux prés et aux moulins qu’il possède au village.

 

 

 

1.5 « Le plus important, c’est le bois »[45]

 

 

La forêt représente 43% du territoire d’Artignosc, soit 806 hectares, dont 467 appartiennent à la commune. Ces bois, peuplés en chênes verts pour 2/10° et en chênes blancs pour 8/10°, occupent l’extrémité nord sur 37 ha (l’Eouvière, bois communal), mais surtout la partie sud du territoire (bois du Deffens, qui provient de l’ancien seigneur Thouron[46], bois de Rigordy, d’Abram, et surtout bois des Collocations). Jusqu’au 22 juillet 1850, la totalité des bois communaux est soumise au régime forestier.

 

Les rapports qu’entretiennent les Artignoscais avec leurs forêts communales rentrent tout à fait dans le cadre décrit par Maurice Agulhon dans la République au village pour l’ensemble du département : le registre de délibération du conseil municipal[47] leur est pratiquement consacré en entier.

 

L’attrait pour ces bois tient principalement dans les produits qu’ils peuvent fournir pour l’élevage, la matière première qu’ils représentent pour la fabrication d’engrais et les possibilités de défrichement qu’ils offrent[48], puisque : « Dans notre commune, le bois à brûler n’a aucune valeur faute de route praticable pour la facilité du transport et de l’éloignement des villes qui offriraient un débouché. »[49] Cet attrait semble partagé par l’ensemble du canton de Tavernes qui, lors de l’enquête de 1848, demande « le défrichement et le partage des terrains non boisés quoique soumis au régime forestier et la révision du Code forestier en tout ce qu’il est nuisible aux intérêts de l’agriculture. »[50] Une attente identique a d’ailleurs donné lieu à quelque agitation dans le canton voisin de Rians, selon de procureur de Brignoles : « On demande le partage des terres communales qui ne sont pas composées de forêts mais de terres incultes non boisées qui se trouvent soit au milieu des bois, soit sur les bords de la Durance et du Verdon. On veut ce partage non pour la propriété foncière mais pour la jouissance avec le paiement d’une certaine indemnité pour la commune. Un terre d’alluvions a d’ailleurs déjà été partagée par le maire de Vinon . »[51]

 

 

 

1.5.1 Le pâturage

 

 

Une des rares traces de débats contradictoires transcrits par le registre de délibération concerne, le 14 décembre 1845, la vente des herbages du bois des Collocations, que le maire, Jean Baptiste Isidore Constans, propose de continuer « puisque les propriétaires de troupeaux ont de plus une étendue immense de vaine pâture libre ». S’y oppose alors Louis Escolle, un avocat d’Aups  dont la propriété est enclavée dans les Collocations qui dénonce une injustice entre les habitants du village, qui ont accès aux autres bois qui leur sont proches, et « les voisins des Collocations qui seraient ainsi lésés ». Le maire rétorque « qu’Escolle a un troupeau aussi grand que tous les propriétaires réunis, que les Collocations entourent son domaine, qu’il achetait jusqu’alors l’herbe à vil prix… Les propriétaires doivent payer le pâturage dans la forêt, sinon c’est l’ensemble de la communauté qui supporte. Les Collocations n’occupent qu’un quart de l’étendue des terrains communaux offrant des pâturages, les trois quarts restent donc libres aux troupeaux moyennant la taxe de 20 centimes par tête. » Escolle s’est retrouvé bien esseulé lors du vote. Le Conseil a ainsi choisi de permettre aux petits propriétaires d’accéder à la forêt avec leur troupeau, tout en assurant une rentrée d’argent conséquente par la mise en adjudication des herbages dévolus par la géographie au gros propriétaire. Décision, et motivation, proches de celles décrites par Maurice Agulhon pour Carcès .[52]

 

Louis Escolle prendra le bail des herbages des Collocations par l’intermédiaire de son fermier Louis Chauvin.

 

Le conseil municipal qui émet ce vote n’est pourtant pas composé de futurs Républicains : le maire deviendra juge de paix du canton, et 4 autres membres composeront la commission provisoire de l’Ordre en 1852 (Joseph Victor Armelin, Jean Baptiste Constans Jeansac, Antoine Grambois et Joseph Jean Gondran). Un seul des conseillers municipaux d’alors deviendra membre de la société secrète : Jean-Paul Quinson. Notons également que Louis Escolle, conseiller depuis 1840, perdra son siège aux élections suivantes : il est battu d’une voix en 1846.

 

 

Dès 1828, le conseil municipal d’Artignosc, comme ceux de Régusse  et de Fox-Amphoux [53], avait demandé le droit pour les troupeaux de moutons de la commune d’aller dans la forêt communale, selon la dérogation permise par le troisième alinéa de l’article 110 du Code forestier, et qui s’est appliquée à une grande partie de la Provence[54].

 

Cette revendication est satisfaite depuis la mise en œuvre du Code, et le 12 mai 1844 le conseil municipal réclame la prolongation d’une autorisation de 5 ans qui doit expirer le 4 novembre 1845, en employant les arguments suivants :

 

·        on le fait de temps immémoriaux et sans interruption, [nous avons trouvé un bail de 1825]

 

·        on ne pourrait plus nourrir les bêtes de labour car il n’y a que de très petites étendues de prairies artificielles,

 

·        il n’y aurait plus de fumier,

 

·        cela ne poserait pas de problème pour la forêt qui aurait plus d’engrais,

 

·        la commune n’a d’autres produits que les centimes additionnels aux contributions directes, la vente des herbages des forêts communales et la taxe sur les bestiaux.

 

La demande est renouvelée à maintes reprises le 10 mai 1845, les 11 mai et 23 août 1846, le 14 mai 1847.

 

Le 7 novembre 1847, le droit de pacage est obtenu pour 1848, sous réserve de l’aménagement des bois. Un aménagement que le Conseil a toujours refusé jugeant le bornage trop coûteux et inutile au vu du récent établissement du cadastre en 1841.

 

Dans la délibération du 10 septembre 1848, il semble en fait que des autorisations annuelles aient été précédemment accordées aux Artignoscais, qui ont continué à mettre en adjudication le pâturage des Collocations. Lors de la réunion de ce conseil issu du suffrage universel, les discussions portent encore sur les bois. Un conseiller, demeuré malheureusement anonyme, fait un long plaidoyer pour la réforme du Code forestier :

 

·        Il y en a assez des autorisations d’un an.

 

·        « Le pacage est une nécessité absolue car le climat est trop sec pour les fourrages artificiels. »

 

·        Il demande une autorisation de 5 ans au moins avec dispense d’aménagement.

 

·        Il pense qu’il y a trop de sonnettes dans les troupeaux : « 10 par trentaine suffiraient car c’est embêtant quand le troupeau est dispersé par l’orage ou par l’approche des loups, cela ajoute à l’affolement » [l’article 75 du Code forestier en impose une par bête].

 

·        « Le troupeau commun est impraticable » [il est imposé par l’article 72].

 

·        « Les amendes pour délits forestiers sont trop fortes car équivalent souvent à la confiscation. On devrait admettre les circonstances atténuantes. »

 

·        « Le conseil municipal devrait être consulté pour déclarer la possibilité ou défendabilité des quartiers et sur les marques des réserves dans les coupes ; où jusqu’alors seuls les agents forestiers interviennent. »

 

·        « Nous avons la permission d’aller dans la forêt faire de la litière et du bois mort ; mais que deviendrait cette permission s’il fallait se conformer rigoureusement au Code forestier qui prohibe l’usage de tout instrument tranchant ? »

 

·        « Signaler au gouvernement, qui se montre si zélé protecteur de l’agriculture, tous ces inconvénients qui en arrêtent l’essor, c’est être assuré de les voir disparaître ; adressons-nous donc à lui en toute confiance. »

 

·        Il demande en conclusion la révision du Code forestier.

 

 

Nous n’avons que peu d’indications sur l’identité du conseiller qui se livre à ce réquisitoire contre le Code forestier. La rédaction de la délibération nous apprend qu’il ne s’agit pas du maire. La teneur des arguments concernant le pâturage laisse penser à un éleveur. Le nouveau conseil municipal en comprend plusieurs : Esprit Jean, ménager à Fulques, affilié mais non-signant ; Benoît Bourjac, négociant agnelin propriétaire de 19 ha, trésorier de la fabrique et élu sur la liste rouge en 1852 ; Joseph Sappe Béchon, signant, dont les propriétés (plus modestes, 5 ha) jouxtent la forêt communale des Collocations, élu également sur la liste rouge de 1852 ; plus certainement, il doit s’agir de nouveau de l’avocat Louis Escolle dont nous avons vu précédemment l’intérêt pour la dépaissance.

 

 

La République va répondre, en partie tout du moins, aux souhaits du Conseil. Le 27 décembre 1848, un arrêté du président de la République autorise pour 5 ans le pacage des bêtes à laine dans les bois de la commune d’Artignosc. Mais cette fois-ci l’autorisation est assortie d’une révision du traitement du garde forestier qui doit passer de 300 francs à 400 francs. Nous verrons que la commune contestera cette injonction.

 

 

1.5.2 Les défrichements

 

 

Avec la République, les revendications concernant la forêt s’élargissent. De la simple nécessité du pacage, on passe aux demandes de défrichement. C’est à dire que de considérations ne touchant jusque là que de riches propriétaires éleveurs, nous en venons à des questions concernant la masse paysanne soucieuse de trouver des terres à cultiver.

 

Cet élargissement se fait en plusieurs temps : d’abord le modeste défrichement d’une vingtaine d’hectares visiblement peu propices à la culture ; puis la distraction du régime forestier d’une centaine d’hectares permettant un pâturage libre ; et enfin le défrichement pour mise en culture de cette centaine d’hectares.

 

 

Lors du conseil municipal du 10 septembre 1848, le premier issu du suffrage universel masculin, rappelons-le, le maire, Joseph Victor Armelin, demande de défricher à Pelus, Rampin et la Caire, c’est à dire le Cadé. « Cette faculté était exercée par les habitants d’Artignosc depuis un temps immémorial jusqu’au moment des tyranniques dispositions du code forestier (…). Mais maintenant que le soleil de Février a ramené parmi nous les sentiments d’égalité et de fraternité, je pense que le moment est venu favorable pour nous pour présenter l’état de nos besoins au gouvernement actuel qui se montre si zélé protecteur des classes agricoles. »

 

En février 1849, 20 hectares doivent donc être défrichés à Pelus. Malgré les avis répétés du tambour, il ne s’exprime que 20 demandes. Chaque lot d’un hectare doit être attribué contre une taxe de 15 francs, dont 10 f pour la commune.

 

 

Une autre réponse faite aux demandes artignoscaises est donnée par le ministre des finances, le 10 mai 1849, qui autorise une commission à soustraire du régime forestier des terrains qui ne sont pas susceptibles d’aménagement ou d’exploitation régulière. Informé par une circulaire du préfet le 30 septembre 1849, le Conseil Municipal d’Artignosc désigne : « Toute la partie du couchant de la forêt depuis la bergerie de Pampelonne, suivant la gorge de Coubeaud et remontant tout le long de la partie ouest de la forêt de Régusse. »

 

Le 22 juillet 1850, le Conseil reçoit un rapport[55] favorable de la commission ministérielle à la distraction de 100 ha du régime forestier dans les cantons du Cadé, partie des Collocations et tout le Louvet, à cause du peu d’arbres qui s’y trouvent, distraction réclamée le 4 novembre 1849[56]. « Cela profitera à l’agriculture par la libre faculté qu’aura chaque habitant d’y faire mener paître son petit troupeau. »

 

Mais le 27 juin 1852, les 100 ha ne sont toujours pas délimités, malgré plusieurs relances. La commission municipale provisoire demande alors l’autorisation de défricher et de mettre en culture moyennant une taxe de 1 francs 25 par hectolitre de blé récolté. Elle est accordée le 13 juillet. Le tirage au sort pour délivrer les 42 lots devait avoir lieu le 3 avril 1853. Mais seuls 6 inscrits se présentent. Les concessions (contre 6 francs/an pour 32 lots et 3 francs 75 pour les 10 autres) excluent les glands, les truffes, le buis et les feuilles mortes qui restent au bénéfice de la commune. Ce qui a découragé 24 autres candidats qui trouvent la concession trop chère et se désistent, alors que 12 sont absents. Le Conseil municipal décide de mettre les lots en adjudication au plus offrant.

 

Ces 42 lots sont mis en bail pour 6 ans le 30 septembre 1853. Douze Artignoscais se les partagent et parmi eux, pas moins de huit anciens Montagnards et un autre Républicain avéré qui en prennent 80% du nombre et 83% de la valeur locative. Assurément, ce défrichement était une attente du parti républicain.

 

 

1.5.3 Source d’engrais

 

 

Pour revenir à l’accès aux bois, dans une acception qui regarde l’ensemble de la population, le 22 mai 1851 le conseil réclame l’autorisation pour 5 ans d’aller ramasser feuilles mortes, herbes, épines, ronces, mort-bois et bois mort pour les convertir en engrais. Cette demande avait déjà été formulée le 24 mars 1850.

 

Un arrêté municipal du 8 juillet 1851 autorise les habitants d’Artignosc du 10 juillet 1851 au 10 juillet 1856 à ramasser dans les forêts communales les glands, buis, feuilles mortes pour les convertir en engrais, ainsi que le mort-bois et le bois mort. L’arrêté est valable les jours de la semaine et défensable dimanche et jours fériés.

 

Mais cette autorisation, qui n’a pas dû recevoir l’aval du garde général, expire le 12 septembre 1852. Un nouvel arrêté municipal est pris pour 5 ans le 8 septembre 1852, par le nouveau conseil municipal, élu deux semaines plus tôt, celui que le préfet qualifie de rouge.

 

 

1.5.4 Le garde forestier

 

 

La garderie des bois d’Artignosc est assurée par un garde forestier payé 300 francs (puis 400 francs) qui avait été recruté sous la menace du garde général de priver la population d’entrer dans la forêt pour aller chercher du bois mort ou de la feuille pour engrais. Le 8 mai 1849, le Conseil Municipal entend revenir sur l’organisation de cette garderie qu’il trouve trop coûteuse : « Avant cette injonction, notre forêt était réunie à un triage voisin (Moissac  jusqu’en 1844) et sa garde ne coûtait à la commune que 100 francs. Le Conseil demande à nouveau cette réunion afin que le traitement du garde ne coûte que 150 francs. »

 

Le 12 janvier 1851, le maire a demandé une réduction du traitement à 200 francs. Le garde général de Barjols est prêt à transiger à  350 francs. Mais l’inspecteur des forêts demande le statu-quo à 400 francs. L’administration s’appuie sur la nécessité d’une surveillance rendue continuelle par des travaux de repeuplement, les exploitations annuelles, la fouisse des truffes et les divers chemins qui traversent les bois. Le Conseil rétorque qu’il y a seulement 2 voies de communications peu fréquentées, que le fermage des truffes et la mise en culture des vides de la forêt ne rapportent que 680 francs, alors que l’imposition annuelle, le traitement du garde et le paiement du vingtième coûtent 900 francs. « La garderie n’absorbe pas la totalité du temps du garde puisqu’il exploite lui-même ses propriétés et qu’il exerce les 2 professions de tisseur à toile et de perruquier, surtout après la déduction des 100 ha ». Ce garde forestier, Sébastien Constans, est surtout la cible de l’inimitié du maire. Personnalité affirmée du village, que nous rencontrerons à maintes reprises, il est le président de la chambrée de la Concorde qui sera dissoute quelques jours plus tard par le préfet. Règlement de compte politique que cette volonté d’abaisser son traitement ? Cela est possible, même si le Conseil se prononce unanimement, Républicains convaincus compris ; une telle mesure n’est pas dirigée contre le parti républicain qui tient Sébastien Constans à l’écart, nous y reviendrons.

 

Finalement, le 5 février 1852, l’administration a supprimé le triage d’Artignosc et l’a réuni à ceux de Régusse  et Montmeyan  et demande 250 francs pour la garderie. La commission provisoire ne veut pas céder et propose 150 francs ou un garde spécial pour 250 francs.

 

 

Principale préoccupation exprimée vers le pouvoir central par les Artignoscais, l’usage de la forêt communale, ou tout du moins la réglementation de cet usage, a connu une évolution notable durant la République. Autorisation de pacage pour 5 ans, autorisation du ramassage de végétaux pour engrais, défrichement de 20 ha, distraction de 100 ha du régime forestier, sont autant de satisfactions que le nouveau régime a pu apporter à nos villageois. Satisfactions qui ne doivent pas être pour rien dans leur attachement à la République.

 

 

Bien évidemment, les Montagnards artignoscais, comme toute la communauté, utilisent la forêt et doivent être attentifs à cette évolution. Pratiquant tous, peu ou prou, l’agriculture, l’application du Code forestier les intéressent directement.

 

L’importance de la forêt se retrouve même dans les motivations avancées par certains lors des interrogatoires de la répression de Décembre. C’est ainsi que Joseph Constans Rabassier, Hyacinthe Martin et Jean Honoré Sappe disent s’être affiliés pour obtenir le défrichement des bois communaux. Mais nous verrons qu’alors d’autres préoccupations, de toute autre nature, les auront rejoints.

 

 

 


[1] CONSTANT Emilien, « L’Economie traditionnelle et l’évolution démographique dans le rebord sud-ouest des Grands Plans de Provence », in Bulletin de la Société d’Etudes de Draguignan, t.XLVIII, 1951, pages 5-36

 

[2] Statistique du département du Var, Paris, 1805

 

[3] LIVET Roger, Habitat rural et structures agraires en basse Provence, Aix-en-Provence, 1962

 

[4] canton de Riez, 162 habitants en 1846

 

[5] canton de Riez, 139 habitants en 1846

 

[6] canton de Tavernes, 720 habitants en 1851

 

[7] 144 habitants en 1835. La commune de Villeneuve -Coutelas est rattachée à celle de Régusse  en 1840.

 

[8] dont les Constans dit Marot qui fourniront trois affiliés à la société secrète : Denis, Marius et Victor.

 

[9] canton d’Aups, 418 habitants en 1851

 

[10] canton de Riez, 962 habitants en 1846

 

[11] canton de Tavernes, 711 habitants en 1851

 

[12] chef-lieu de canton, 2871 habitants en 1851

 

[13] chef-lieu de canton, 3330 habitants en 1861

 

[14] chef-lieu de canton, 2835 habitants en 1846

 

[15] voir Emilien CONSTANT, art. cité, page 34

 

[16] e/gr. e étant le nombre d’habitants hors agglomération et gr le nombre d’habitants groupés.

 

[17] Nous allons rencontrer dans cette étude trois Montagnards artignoscais se nommant Pellegrin : Jean-Pierre, Louis et Antoine. Les deux derniers, tous deux maréchaux (ils ne travaillent pas dans la même forge), sont particulièrement actifs et il est quelquefois difficile de les distinguer. Nous n’avons pas trouvé de liens familiaux entre les trois en deçà de la troisième génération.

 

[18] canton de Riez, 690 habitants en 1846.

 

[19] MARGADANT Ted W., French peasants in revolt. The insurrection of 1851, Princeton, 1979, page 136

 

[20] De ces 128 actes, nous en retranchons 5 où le maire n’a pas appelé les époux à signer (14 juin 1848 à 24 avril 1849)

 

[21] CONSTANT Emilien, Le département du Var sous le Second Empire et au début de la Troisième République, thèse, Aix-en-Provence, 1977. Le juge de paix du canton de Tavernes note dans son rapport sur l’enquête agricole et industrielle de 1848 : « L’éducation est arriérée à cause de l’indifférence des pères de famille qui préfèrent mettre de bonne heure leurs enfants aux travaux de la campagne plutôt que de les envoyer à l’école. »

 

[22] de taille modeste, 1 ha 53 a 89 ca, mais évaluées à 40 f 48 de revenu fiscal (ADVar 3 P matrice cadastrale Artignosc)

 

[23] AC Artignosc, registre des délibérations du Conseil Municipal, 12 janvier 1851.

 

[24] Pour classer les propriétaires en gros, moyens, petits et très petits, nous avons adopté la typologie retenue par Maurice Agulhon pour le nord-ouest forestier et la zone alpine du département du Var.

 

[25] ADVar 14 M 6-1

 

[26] Les archives n’ont pas conservé d’état de récoltes pour Artignosc. Mais alors qu’en 1850 et 1851, l’arrondissement de Brignoles produisait en moyenne 9,6 hl de froment par hectare, les bons rendements de Baudinard  étaient à 6 hl/ha. (ADVar 14 M 15-3 et 14 M 16-7/2)

 

[27] Ne sont indiqués que les responsables dont les professions nous sont connues.

 

[28] canton d’Aups, 896 habitants en 1861.

 

[29] canton de Riez, 96 habitants en 1846.

 

[30] canton de Riez, 671 habitants en 1846.

 

[31] canton d’Aups, 832 habitants en 1851.

 

[32] canton d’Aups, 480 habitants en 1861.

 

[33] chef-lieu de canton, 2613 habitants en 1851.

 

[34] canton de Riez, 486 habitants en 1846.

 

[35] chef-lieu de canton, 1536 habitants en 1816.

 

[36] canton de Salernes, 682 habitants en 1851

[37] CORBIN Alain, Archaïsme et modernité en Limousin au XIX° siècle, PULIM, Limoges, réed. 1999, page 807

 

[38] CORBIN Alain, op. cité, page 794. Le Var de la Troisième République connaîtra de célèbres maréchaux, tel Marcelin Marin, maire de Camps , fondateur en 1906 de la première coopérative viticole du Var (RINAUDO Yves, Les vendanges de la République, Presses Universitaires de Lyon, 1982) ou encore Amable Richier, chansonnier provençal qui dit un poème lors de l’inauguration du monument d’Aups  en 1881 (MERLE René, Les Varois, la presse varoise et le provençal, 1859-1910, Toulon, SEHTD, 1996, page 195)

 

[39] CORBIN Alain, op. cité, page 306

 

[40] Dans le cadre urbain toulonnais , Maurice AGULHON a noté que, en 1848, les travailleurs du fer constituent une élite ouvrière. (Une ville ouvrière au temps du socialisme utopique. Toulon de 1815 à 1851, Mouton, 1970, page 73)

 

[41] ROUBIN Lucienne, Chambrettes des Provençaux, Plon, 1970

 

[42] « C’est un esprit léger, facile à s’égarer dans les questions les plus simples. », dit de lui le sous-préfet le 7 mars 1864. (ADVar, 1 U 5/1, cité par CONSTANT Emilien, op. cité)

 

[43] canton des Mées, 1871 habitants en 1846.

 

[44] Nous reprenons les 51 actifs étudiés plus haut (y compris donc les non-cultivateurs).

 

[45] AGULHON Maurice, La République au village, Seuil, 1979, pp 42-92

 

[46] que sa famille revendiquera en 1855.

 

[47] ACArtignosc, série D, 1841-1858

 

[48] Une enquête de l’administration forestière de 1845 décrit l’utilisation de la forêt communale d’Artignosc : « Une coupe ordinaire a un produit moyen de 1000 f. Aucune coupe extraordinaire, ni aucun affouage. Les habitants ont dans l’usage de prendre des bois morts, morts bois et de défricher les terres gastes moyennant une redevance de 2 f par mesure de 60 litres de blé récolté ainsi que d’y faire paître leurs bêtes à laine. »

 

[49] délibération du 8 avril 1846.

 

[50] ADVar 16 M 1-4 : enquête sur le travail agricole et industriel de 1848 (rapports du sous-préfet de Brignoles et du juge de paix de Tavernes)

 

[51] procureur de Brignoles à procureur général d’Aix, le 4 octobre 1848 (ADBdR, 12 U 1)

 

[52] AGULHON Maurice, La République au village, Seuil, 1979, p. 89

 

[53] canton de Tavernes, 531 habitants en 1851.

 

[54] DUMOULIN Jacqueline, Communes et pâturage forestier en Provence au XIX° siècle, in Provence historique, tome XLV, fascicule 181, juillet-août-septembre 1995

 

[55] confirmé par une décision ministérielle du 29 octobre 1850.

 

[56] Le 26 septembre 1854, le garde général des forêts de Barjols ne retrouve pas trace de la distraction du canton de Cade.

 

carte de la région d’Artignosc               plan de la commune d’Artignosc