Luttes populaires en Limousin, quelques repères de mémoire

Luttes populaires en Limousin : De Pigerolles (Creuse) à Limoges (Haute-Vienne), par Gentioux, La Villedieu, Eymoutiers, Mont Gargan, Linards, quelques repères de mémoire.

 

De 1997 à 2001, notre Association 1851-2001 a mené dans le Sud-Est, et au delà, une intense activité commémorative, pour honorer les Insurgés de décembre 1851 et leur idéal d’une vraie République démocratique et sociale.

Après la célébration du 150e anniversaire, en décembre 2001, notre Association est devenue l’Association 1851 pour la mémoire des résistances républicaines. Je me permets donc de signaler quelques repères de mémoire à ceux des amis et adhérents qui traverseraient, en ne s’attachant qu’aux paysages et monuments, cette région du Nord-Limousin où je viens de passer quelques jours (mai 2005). La mémoire de ces engagements, de ces luttes, où s’engagèrent tant de “simples gens”, fils du peuple rural et ouvrier, ne peut que conforter nos prises de responsabilités au présent.

Je ne prétends pas faire ici œuvre historique. Mon propos est seulement de jalonner un itinéraire en renvoyant pour chaque lieu à des sites internet où passionnés, militants, historiens, élus, responsables associatifs, etc., éclairent l’événement et l’accompagnent d’une abondante iconographie.

Il n’est pas question bien sûr, au risque de stériliser la compréhension du présent, de se réfugier dans un passé mythifié, d’opposer l’héroïsme d’antan au prosaïsme du présent.

Le présent, au quotidien, c’est en zone rurale la ténacité des derniers producteurs et entrepreneurs agricoles pour développer des modes de consommation de proximité, c’est l’équilibre à trouver dans le cadre de vie entre les aspirations des urbains, proches ou lointains, et c’est bien sûr la défense et la promotion des services publics, indispensables à cette survie, Ces défis sont porteurs d’avenir, et les échos dans nos terres varoises de la récente manifestation de Guéret en témoignent à l’évidence.

 

Pigerolles

 

Point de départ : Pigerolles (Creuse), sur les hautes terres du plateau de Millevaches. Allez, un peu de pub : La ferme des Nautas – Ferme Auberge – Chambres d’hôtes, Pigerolles, 23340 Gentioux-Pigerolles.

 

Gentioux

 

Quelques kms à l’Ouest, Gentioux (Creuse). 370 habitants. Sur la place, un monument aux morts, comme partout. Mais ici, pas de “Poilu” glorieux ou de Marianne Madelon. À côté de la stèle, un enfant en sarrau, un orphelin, lève son poing serré vers la terrible liste des 58 jeunes hommes tués en 1914-1918, pour accompagner l’inscription “Maudite soit la guerre”. Pacifisme et révolte contre cet injuste sacrifice des humbles…

Malgré l’hostilité des autorités préfectorales, ce monument a été érigé en 1922, à l’initiative des anciens combattants, du Conseil Municipal et du Maire Jules Coutaud, “républicain avancé”, lui-même ancien combattant et victime des gaz asphyxiants.

Ce refus de l’injustice et du nationalisme cocardier se prolonge vingt-cinq ans plus tard par le refus patriotique et combattant du fascisme, de l’occupant et de ses complices français. GMR pétainistes, miliciens, SS ont ratissé le plateau : sur l’autre face du monument, après les noms des trois victimes de 1939-1940, ceux de trois maquisards…

Le monument de Gentioux a suscité une abondante bibliographie et plusieurs sites lui sont consacrés.

Scène assez surréaliste : je rencontre à plusieurs reprises autour du monument les blindés des soldats en manœuvre autour du camp militaire de la Courtine, tout proche.

 

La Villedieu

 

Quittons Gentioux. Toujours sur ces hautes terres limousines, à quelques kilomètres à l’Ouest, passé Faux-la-Montagne, voici la petite localité de La Villedieu (Creuse).

Une plaque sur la place : “Place René Romanet, maire de la Villedieu de 1935 à 1958. Révoqué pour son action en faveur de la paix en Algérie”.

Reportez-vous au site memoiravif.free.fr

Vous y lirez notamment le discours du maire Thierry Letellier, prononcé le 6 octobre 2001 à l’occasion de la pose de la plaque (la photo ci-contre figure sur le site) : un propos d’une grande pertinence et lucidité tant dans l’analyse de l’Événement de 1956 que dans celle de son rapport à notre présent.

1956 : le gouvernement socialiste de Guy Mollet a envoyé le contingent en Algérie. 7 mai : un convoi militaire monte vers le camp de la Courtine. Vers 19 h, un des véhicules s’arrête à La Villedieu : à son bord, des jeunes rappelés qui manifestent contre leur départ, contre la guerre. La population de la localité, maire en tête, les entoure et les soutiendra toute la nuit. D’autres manifestants arrivent des communes voisines. Le 8 au matin, le bourg est investi par C.R.S et gendarmes. Trois habitants sont arrêtés et emprisonnés : la maire communiste René Romanet, l’instituteur Gaston Fanton, militant communiste, instituteur à Faux La Montagne, et Antoine Meunier, invalide de guerre.

René Romanet, dont la famille a durement souffert de la guerre de 14, a été “maçon de la Creuse” dans le Nord après 1918. Il revient travailler comme artisan charpentier à La Villedieu, dont il est élu maire en 1935. Pacifiste, antifasciste, acquis aux idéaux de la république démocratique et sociale, il milite pour un socialisme défenseur des humbles et libérateur. Il adhère au parti communiste pendant la guerre. Il constitue avec l’instituteur Fanton et d’autres résistants locaux le groupe F.T.P.F La Villedieu-Nedde, sous les ordres du colonel Guingouin.

Douze ans après la Libération, fidèles à leurs engagements, ces hommes refusent que la France de la Résistance à l’oppression puisse être la France de l’oppression coloniale.

Malgré une forte mobilisation populaire en leur faveur, Romanet et Fanton seront incarcérés huit mois au fort du Hâ à Bordeaux, avant d’être condamnés par la justice militaire à 3 ans de prison avec sursis et 5 ans de privation des droits civiques.

Gaston Fanton fut également privé du droit d’exercer sa profession d’instituteur pendant 5 ans. Meunier sera condamné 1 an de prison avec sursis avec privation des droits civiques.

Romanet sera révoqué de son mandat de maire par le Préfet en 1958.

Les 5 et 6 octobre 2001, la Municipalité de Villedieu saluait la mémoire de Romanet et de ses camarades, et réclamait une fois de plus leur réhabilitation à des pouvoirs publics demeurés sourds depuis plus de quarante ans.

À cette occasion naissait l’Association Mémoire à vif ; les élèves de l’Atelier Cinéma du lycée Marcel-Pagnol de Limoges réalisaient un documentaire sur l’idée de leur professeur d’histoire, Danièle Restoin.

Daniel Mermet popularisera l’événement de La Villedieu et soutiendra la lutte pour la réhabilitation, dans son émission de France Inter.

En 2002, une plaque honorait la mémoire de l’instituteur Fanton.

Cf. mdh-limoges.org

 

Eymoutiers

 

Quelques kms encore à l’ouest, la petite ville d’Eymoutiers (Haute-Vienne), au pied de cette montagne limousine.

Arrêtons nous à l’entrée, dans le superbe espace Paul Rebeyrolle centre d’Art.

Paul Rebeyrolle, enfant d’Eymoutiers, est un des plus grands peintres contemporains. Né en 1926, il est décédé en février 2005 : Cf. les hommages rendus par le Maire d’Eymoutiers et de nombreuses personnalités :

Au coeur de l’Espace, voici l’immense, l’extraordinaire tableau “Le Cyclope, Hommage à Georges Guingouin”, (Guingouin dont le collège d’Eymoutiers porte le nom) : Hommage polysémique, tellurique, qui noue l’engagement personnel et l’engagement collectif, le microcosme et l’universel.

Le géant clairvoyant qui jaillit de son volcan utérus, ventre fécond et obscur de la Terre-mère, cratère où, comme dit l’hymne de la révolte et de la fraternité, “la raison tonne”, nait de la ruralité ancestrale, de la vertu populaire. Il n’est monstre effrayant que pour les es tièdes, les consensuels, les renonciateurs. Il incarne les fils du pays limousin, résistants, responsables, invincibles, qui vont piétiner les symboles du nazisme et du pétainisme, et au delà ceux de toutes les lâchetés, de toutes les ignominies, de toutes les barbaries. Baffe gigantesque à tous ceux qui se couchent.

 

Le Mont Gargan

 

Avec un crochet de quelques kms au sud d’Eymoutiers, reprenons la route des hautes terres, Sur les horizons immenses du Mont Gargan (Haute-Vienne), un bloc dressé porte une inscription surmontée d’une cocarde tricolore : “Dans ce secteur du 18 au 24 juillet 1944 après le parachutage de conteneurs par les forteresses volantes alliées le 14 les francs tireurs et partisans du Colonel Guingouin se sont opposés aux unités allemandes du Général Otenbacher … Les pertes allemandes furent de 342 tués et blessés et celles de la 1ère brigade FTP de 38 tués 34 blessés et 5 disparus”.

Au pied du mont, voici Saint Gilles-les-Fôrets (Haute-Vienne), où Guingouin était instituteur depuis 1935, et secrétaire du rayon communiste d’Eymoutiers comprenant les cantons de l’Est du département, Saint Gilles où Guingouin entra en résistance dès 1940 contre le régime de Pétain assassin de la République, et où il est revenu vivre à la retraite.

Sur cette figure historique de la Résistance, que des attaques venues hélas d’horizons fort divers ont odieusement tenté de briser dans les années 1950, on consultera aussi l’abondante bibliographie présente sur le Net.

 

Linards

 

Remontons de quelques kilomètres vers le Nord-Ouest. Linards (Haute-Vienne), en proche pays d’Eymoutiers, dans le bocage qui s’étend jusqu’à Limoges.

À l’entrée du bourg, passée la mairie, face au grand champ de foire – parking et prairie, à l’angle de la route qui s’en va dans la campagne, une modeste plaque : “Rue des Insurgés”.

C’est ici que le 6 décembre 1851 un détachement de hussards attaqua un rassemblement de 150 insurgés, paysans, artisans, venus de Linards et des localités voisines. Linards était en effet une localité acquise dès 1848 aux idéaux de la République démocratique et sociale, et hostile au conservateur Parti de l’Ordre qui s’était accaparé la République. Le gouvernement avait destitué l’instituteur Patillaud et le maire démocrate, le notaire Faucher. À l’annonce du Coup d’État du 2 décembre, les républicains de Limoges appellent les démocrates de tout le terroir à se lever et marcher sur la ville bien tenue par l’armée.

Mais la nouvelle de l’écrasement de la résistance parisienne les fait renoncer. Les démocrates de Linards, non prévenus du contre-ordre, sont rassemblés en armes le 6 en fin d’après-midi, quand les hussards les surprennent. La répression sera cruelle.

Une belle journée commémorative s’est déroulée le 1er mars 2002 ; une plaque y fut dévoilée, à l’initiative des municipalités de Linards et de Châteauneuf-la-Fôret, de la Société Historique du canton de Châteauneuf. De remarquables allocutions de Robert Fraisseix, maire de Linards, et de Claude Virole, conseiller général du canton de Châteauneuf-la-Forêt, qui lient les espérances démocrates de 1851 à celles de la Résistance à l’État français de Pétain, naufrageur de la République, puis à l’occupant nazi, résistance si active dans ces communes, et à celles du présent. « Vive la République laïque, sociale et démocratique », conclut R.Fraisseix.

Cf. le n°5, 1998, de la Revue de la Société historique du canton de Châteauneuf-la-Forêt, où Jean Marion et Christian Palvadeau présentent une étude détaillée de la situation dans le canton sous la Seconde République et de l’insurrection du 6 décembre 1851.

La commémoration s’est poursuivie, devant une salle comble, par la projection au cinéma de Châteauneuf-la-Forêt du film de Christian Philibert Ils se levèrent pour la République (COPSI – FR3-Provence), film auquel notre Association 1851 a grandement contribué. MM Danthieux et Grandcoing, professeurs d’Histoire et animateurs de l’association Mémoire Ouvrière en Limousin, ont présenté le film et mené un débat avec les spectateurs.

En saluant les Insurgés de Linards, je pense aussi à ce soldat limougeaud, enfant de la Creuse, mort en combattant les insurgés varois à Aups, le 10 décembre 1851… Paysan fourvoyé par le Pouvoir contre d’autres paysans…

 

Limoges

 

Lue dans une des principales rues piétonnes, une plaque en l’honneur de Bugeaud, natif de Limoges.

Reportons nous au Guide vert Limousin Berry, 1995 : “Le nom du maréchal Bugeaud (1784-1849) est lié à la conquête de l’Algérie et à la lutte victorieuse qu’il mena contre Abd-el-Kader ; sa bravoure et sa générosité lui acquirent un prestige immense auprès de ses soldats, mais aussi des indigènes”. Les victimes de la répression sauvage de Paris en 1834 et des colonnes infernales en Algérie auraient certainement apprécié…

Mais en ce printemps 2005, Limoges commémore son “printemps rouge” de 1905. Expositions, théâtre, conférences, musique, débats, parcours thématique, films, publications à l’initiative de nombreuses associations (où l’on retrouve Mémoire à vif et l’atelier cinéma du lycée Marcel Pagnol), et avec le concours des collectivités territoriales.

Début avril 1905, une grève éclatait à la manufacture Haviland contre un contremaître accusé de vouloir exercer un « droit de cuissage » sur une ouvrière. Remarquable exemple de solidarité et d’aspiration à la dignité chez ces ouvriers de la porcelaine, très qualifiés, avides de connaissances et de culture, et combatifs : leurs luttes avaient arraché des avantages salariaux non négligeables. Pour briser la contagion de cette combativité, les patrons porcelainiers décident de fermer leurs usines. Le 14 avril, Limoges s’embrase dans un climat tendu où la colère ouvrière contre l’autoritarisme patronal se nourrit aussi d’antimilitarisme et d’anticléricalisme. Le 15 apparaissent les premières barricades apparurent, le 17 la foule des insurgés attaque la prison, la Troupe tire et abat un jeune porcelainier de 19 ans. Une foule immense assiste à ses obsèques le 19 avril.

La bibliographie est très abondante. On consultera avec profit une toute récente publication, qui met en valeur la complexité polysémique de cet événement paroxystique, à la fois aboutissement et acte fondateur : Vincent Brousse, Dominique Danthieux, Philippe Grandcoing, avec la collaboration des membres de l’Association Mémoire ouvrière en Limousin, 1905, le printemps rouge de Limoges, Culture & Patrimoine en Limousin, avril 2005. Préface du romancier Nicolas Bouchard, postface en occitan limousin de Jan dau Melhau.

 

Une suite….

 

Aux amis qui quitteraient Limoges sur la route de l’Ouest, je ne peux que conseiller la terrible visite d’Oradour sur Glane et celle de la proche cité de Saint-Junien, baignée de combativité et de conscientisation ouvrière : Pour mon compte, je suis remonté vers ces confins des Marches et du Berry, en ces limites indécises de la langue d’OÎl et de la langue d’Oc où j’ai situé le dénouement de mon roman Le couteau sur la langue, Jigal, 2001 (voir sur mon blog linguistique archivoc.canalblog.com)

Ce n’était pas cette fois pour enquêter sur les parlers locaux, mais pour retrouver, de Gargilesse à Nohant, le souvenir de George Sand, et, vers Boussac, celui du grand initiateur Pierre Leroux, dont, comme Pauline Rolland, elle fut l’amie.

 

René Merle