1851 en Tarn et Garonne

texte publié dans Confluences

1851 en Tarn-et-Garonne

par Jean-Paul Damaggio

 

Dans le précédent numéro vous aviez eu la liste des insurgés de 1851 qui furent condamnés en Tarn-et-Garonne pour leur riposte au coup d’état de Louis Bonaparte le 2 décembre 1851. Cette fois étudions plus précisément leur action en sachant que la liste nous indique les lieux de leur intervention.

 

En Tarn-et-Garonne, à la législative de 1849, la liste démocrate-socialiste assure le succès à deux de ses membres sur les 5 députés élus. Les deux hommes de gauche, Détours et Delbrel sont de Moissac ce qui ne peut réjouir les démocrates de Castelsarrasin et de Montauban et ils confirment le lien de cette nouvelle Montagne avec l’ancienne puisque les pères des deux hommes furent engagés dans la Première République.

La riposte du coup d’Etat confirmera l’importance prise par les départements (c’est le cadre général de l’action républicaine) pourtant encore jeunes en 1851 mais pour le Tarn-et-Garonne elle confirmera son côté artificiel. Ce département bâti de bric et de broc en 1808, pour faire plaisir à la bourgeoisie montalbanaise, ne saura pas s’unir à ce moment crucial de l’histoire. Les élections législatives étant au scrutin départemental avaient obligé les républicains des trois villes importantes à se rencontrer et peu avant le coup d’état ils se préparaient enfin à publier un journal mais ce ne fut pas suffisant pour tisser de réels liens de solidarité.

Alors qu’il y a moins de dix kilomètres entre Moissac et Castelsarrasin, les républicains de Moissac allèrent à Agen chercher les consignes tandis que ceux de Castelsarrasin partirent pour Toulouse comme ceux de Montauban.

Contrairement au Gers, à l’Aveyron ou au Lot-et-Garonne dont les chef-lieux servirent de pivot à l’organisation de la riposte au crime de Louis Bonaparte, les républicains du Tarn-et-Garonne ne manifestèrent aucune coordination dans l’action.

A Montauban, une réunion des républicains sera le seul cri de révolte.

A Moisssac il y aura tentative de prise de la mairie.

A Castelsarrasin la mairie n’étant pas à prendre, la révolte consista à contrôler le sous-préfet.

D’autres lieux moins marquants eurent leur agitation comme Lamagistère ou Montpezat de Quercy mais sans conséquence importante.

 

Après les lieux revenons donc aux hommes.

La riposte comprend trois catégories d’insurgés : une bourgeoisie riche soucieuse de défendre la légalité mise à mal par le Prince-Président, une petite bourgeoisie plus tournée vers les idées d’une république sociale et une partie du peuple habitée par des idées égalitaires. Là où cette partie du peuple n’a pu pousser les deux autres éléments de la révolte à l’action, le coup d’Etat passa comme une lettre à la poste.

Pour le Tarn-et-Garonne c’est la ville de Moissac qui représente le mieux le mélange détonnant que je viens de mentionner. La riche bourgeoisie est représentée surtout par la famille Chabrié dont seul le fils du patriarche de la famille sera condamné : Victorin Chabrié. Détours et Delbrel, membres en tant qu’avocat de cette couche sociale, étaient à Paris au moment de la révolte et ne seront pas inquiétés bien qu’ayant participé à la réunion interdite de l’assemblée.

Pour la petite-bourgeoisie viennent souvent en tête les cordonniers ou les menuisiers et les tailleurs d’habits. A Moissac nous avons Courtès, Castéran et Leygue Jean.

Parmi les éléments du peuple deux seulement subirent des condamnations, Lambert et Doucet, car le plus souvent les «juges » différencièrent les « égarés » des responsables de l’égarement de leurs concitoyens. En clair il fallait frapper les leaders ce qui représenta tout de même en France 25.000 condamnations ! Les paysans, les ouvriers furent le plus souvent considérés comme de simples égarés.

La permanence à Moissac de l’union des républicains avancés pendant toute la Seconde République a permis une virulente riposte au crime de Louis Bonaparte. Il y eut prise d’armes, manifestation, tentative de prendre la mairie par la force, événements qui seront la pièce à conviction de la répression. Pour faire figure de ville très insurgée, il suffisait aux habitants de Moissac de constituer une colonne marchant vers Préfecture. Cette éventualité n’a même pas été envisagée vu le peu de liens entre les républicains des deux villes pourtant nous trouverons l’avocat Jean-Pierre Manau condamné à Montauban et son frère condamné à Moissac.

 

Pour Castelsarrasin les membres de la grande bourgeoisie tenteront l’apaisement du haut de leur statut d’élus municipaux. Ils se concentrent autour du clan Constans avec Bergé Roch qui est le clerc d’Isidore Constans l’avoué en pointe pour la République à Castelsarrasin. Comme dans la famille Chabrié, il y a un frère plus modéré qui siège au Conseil Général.

La contestation plus virulente viendra de la nouvelle génération républicaine emmenée par Pierre Flamens et qui obligera la mairie à envoyer une lettre au sous-préfet pour lui dicter sa conduite, lettre qui sera la pièce à conviction de la répression. Les forces plus populaires se manifesteront peu peut-être à cause d’une histoire républicaine locale très mouvementée.

 

Pour Montauban, on en revient davantage au cas de figure de Moissac sauf que dans les préfectures les moyens répressifs étant plus imposants, la révolte a été tuée dans l’œuf. Une réunion imposante eut lieu, comme à Moissac, pour rassembler les insurgés et décider de la démarche à suivre. A Moissac c’était Jean Bousquet qui dans son café rapporta les consignes agenaises et à Montauban c’est le jeune Poumarède qui fit l’aller-retour jusqu’à Toulouse en quatre heures pour informer de la conduite à tenir. Comme à Rodez, Agen, Auch ou Albi les républicains du chef-lieu envoie des émissaires dans les cantons (ça sera fait pour Saint-Antonin, Caussade, Montpezat, Bourret) et une délégation chez le maire pour demander l’armement de la garde nationale.

La surprise vient du Préfet Pardeilhan-Mezin qui indique :

« Un grand événement vous est annoncé : les circonstances vous demandent plus que jamais l’ordre, la paix, l’union. Vos intérêts les plus chers et les plus sacrés vous y convient. Cependant la conscience a des appréciations souveraines et des lois inflexibles. J’ai donc demandé un successeur… »

Cette démission d’un préfet aussi rare sans doute que celle de Jean Moulin face à Pétain laissait une marge de manœuvre importante aux républicains.

Le Maire, pour nager entre deux eaux, laisse entendre qu’il peut armer la garde nationale mais pas tout de suite. C’est Manau qui fera le compte-rendu de la rencontre avec le maire dans une réunion orageuse du club. Delpech, l’étudiant de la faculté de théologie protestante se met en colère : « Qu’on en finisse avec toutes les tergiversations ! Le peuple doit se porter immédiatement à la préfecture pour obtenir sur le champ l’armement des citoyens.» Et Manau, comme Constans et d’autres ailleurs, en tant que membre de la grande bourgeoisie va prôner l’apaisement : « Il ne faut pas agir trop légèrement. Il faut attendre. Nous ne savons pas encore ce qui se fait à Paris et dans les départements voisins.» C’est alors qu’un choriste employé au théâtre s’exclame : « Il ne faut pas attendre demain pour agir ! » Et des cris fusent dans la salle : «Aux armes ! Vive la République démocratique et sociale ! »

D’après le Courrier du Tarn-et-Garonne cette réunion a été interrompue par l’armée :

« La force armée s’est transportée au local où le parti démocratique tenait une séance et elle a voulu faire évacuer la salle. Une résistance s’étant manifestée plusieurs chefs du parti ont été arrêtés et conduits en prison à travers un immense concours de population. Ces arrestations ont occasionné une vive émotion et sont en ce moment le sujet de toutes les conversations. »

Comme partout en France le parti républicain sera décapité pour remonter peu à peu à la surface et s’imposer petit à petit entre 1871 et 1881. Sauf qu’il ne s’agira plus du même parti républicain. Entre-temps la France aura été centralisé et à la place d’un parti républicain « horizontal » on aura un parti hiérarchisé avec, il vrai, les multiples nuances du radicalisme. Entre-temps le peuple aura été mis sous contrôle et le parti républicain prendra ses distances avec « La Sociale » qui devra inventer un nouveau parti, « le parti socialiste ». Entre-temps surtout le suffrage universel masculin aura été mis sous contrôle étatique (ne pas oublier que le premier décret de Louis Napoléon a été de rétablir le suffrage universel masculin qui avait été mis à mal en 1850) aussi la République n’aura plus le même goût de souffre au point qu’aujourd’hui des monarchies constitutionnelles sont moins monarchiques que notre … République !