Seillans
Seillans Les années tumultueuses : 1848-1852 par Jean Salomone première partie
Le 24 février 1848, Louis-Philippe est brusquement renversé par une émeute parisienne. La révolution de 1848 a pour résultat la chute du régime de la Monarchie constitutionnelle censitaire établi en France depuis 1815 et le retour de la République démocratique. La République est proclamée en fait par la volonté du peuple. Le suffrage universel est établi.
La nouvelle de la République est connue aussitôt dans la région alors que les nouveaux Représentants ne sont pas encore en place. D’où une période de flottement. Cependant le calme règne à Seillans bien que l’on sache qu’un début d’émeute a lieu à Draguignan avec destruction des baraques et registres de la perception des droits de régie sur les vins et sur les droits d’octroi. Cette abolition des droits de régie sur les vins est très bien accueillie chez nous. Cela répond au vœu de toute la population, exprimé depuis bien des années.
Le Commissaire de la République pour Marseille, avec autorité sur les deux départements des Bouches-du-Rhône et du Var, est un jeune avocat de 23 ans, Emile Ollivier, disciple de Lamartine. Il doit ramener le calme.
La municipalité gérant les affaires du temps de Louis-Philippe, continue à expédier les affaires courantes. Mais elle ne bénéficie plus de l’approbation unanime. Les Républicains seillanais, groupés immédiatement en Cercle Républicain ou « Chambrette », demandent donc l’établissement d’une Commission municipale investie par le Gouvernement Républicain :
« Préfecture du département du Var – Liberté, égalité, fraternité –
Au nom du peuple français
Le commissaire du gouvernement provisoire dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Var, délègue le citoyen Jean-Jacques Arnaud dans les arrondissements de Draguignan, Grasse et Brignoles, il l’investit des pouvoirs de Préfet et l’autorise à prendre les mesures d’ordre et de salut public qu’il jugera nécessaires. Toutes les autorités civiles et militaires sont sous ses ordres. Le Commissaire du gouvernement provisoire Signé : Emile Ollivier. »
« Nous Préfet,
En vertu des pouvoirs qui nous sont conférés par le citoyen Emile Ollivier, Commissaire du Gouvernement provisoire de la République française pour les départements des Bouches-du-Rhône et du Var Arrêtons
v Article 1er : le Conseil municipal de Seillans est dissous. v Article 2 : Une Commission municipale est constituée, elle se compose des citoyens Eugène Jordany, maire, Emmanuel Giraud, Martin Pellicot médecin, Bonnefoy ancien conseiller municipal, Christine dit Bellon ménager, Antoine Trestounel dit du Clos, ménager, Firmin Pastoret ébéniste, Saurin fils aîné dit Flore, charpentier. v Article 3 : Le présent arrêté sera transmis au citoyen Jordany, maire, pour en assurer l’exécution.
Draguignan, le 15 mars 1848 Signé Arnaud pour ampliation conforme Jordany, maire »
Un des premiers soucis de la Commission municipale est de demander au Préfet un crédit supplémentaire pour faire face aux dépenses imprévues dont « une somme de cent francs pour subvenir aux secours des blessés et orphelins, des combattants contre la dynastie déchue ». Peu après on procède au vote de la prestation en nature pendant l’année 1848 « et qu’il convient de voter une journée par habitant conformément à la loi et aux instructions qui régissent la matière ». Cette Commission municipale reconnaît « de plus en plus l’utilité de la prestation en nature pour les besoins des chemins vicinaux ». Elle juge utiles l’entretien des hôtes et des marchés, l’entretien des promenades publiques, l’entretien de la salle des tambours de la Garde Nationale, l’abonnement au bulletin du ministère de l’intérieur, l’indemnité de jardin du desservant de l’église, le salaire du conducteur de la prestation en nature. Le 17 mai 1848 les citoyens suivants sont adjoints à la Commission municipale : Laugier Félix dit Manosque, ménager, Vaille Pons Lazare propriétaire, Pellicot Thomas dit l’Espagnol, propriétaire, Bonnefoy Honoré perruquier, Giraud Eugène propriétaire, Guiot Antoine Barthélemy propriétaire, Gal André maréchal ferrant, Pastoret fils de Vincent, époux Gal, propriétaire. Les nouveaux capitaines de la Garde Nationale sont Perruche Etienne, Pellicot Honoré et Transtournel Honoré. Les lieutenants sont Giraud Ignace, Gal Joseph, Audibert Marius, Saurin Jean, Cabasse Honoré et Pellicot Joseph. Tous les officiers, sous-officiers et caporaux de la Garde Nationale s’engagent « pour la défense de la République, pour maintenir l’obéissance aux lois, conserver ou rétablir l’ordre ou la paix publique ». Le 13 août suivant, le Conseil municipal de Seillans est alors officiellement installé et un vote intervient pour approbation.
Les premières élections organisées les 23 et 24 avril 1848 sont une victoire décisive des modérés sur les socialistes. L’Assemblée Constituante se réunit le 4 mai et comprend plus de 500 républicains modérés sur un total de 880 représentants. La Commission exécutive comprend Lamartine, Arago, Marie, Garnier-Pagès et Ledru-Rollin, très populaire dans notre région. Notre département a désigné une représentation plutôt conservatrice qui d’ailleurs arrive en tête à Seillans : l’amiral Casy, préfet maritime, le maire de Vence l’avocat Marcelin Maurel, le banquier de Draguignan Augustin Alleman, le rentier Jules Philibert maire d’Aups, le sous-préfet de Toulon et avoué Marc-Antoine Arène, et un ouvrier de l’arsenal de Toulon Marius André, mécanicien, l’ avocat Edmond Baume de Toulon, Lucien Guigues de Callas et Henri Arnaud de Draguignan. Il faut reconnaître qu’à ce même moment la gauche est à peine organisée à Seillans où les évènements de février 1848 ne sont pas mesurés comme ils devraient l’être. Les journées de juin 1848, si meurtrières à Paris et qui furent une véritable lutte de classes, furent approuvées par la bourgeoisie seillanaise, inquiète surtout du début d’insurrection marseillaise du 27 juin. Dès lors les démocrates seillanais sont sur la défensive et soutiennent Ledru-Rollin et Raspail. Au contraire les modérés et la bourgeoisie soutiennent Cavaignac à qui l’Assemblée avait confié des pouvoirs dictatoriaux. Seillans, une fois de plus, se trouve coupé en deux, au détriment de la République. Désormais les évènements se précipitent tandis que l’ordre est maintenu dans la région.
On procède ensuite à l’élection du Maire : « le citoyen Pellicot Honoré Antoine ayant obtenu la majorité absolue des suffrages a été proclamé maire de cette commune de Seillans… le citoyen Bonnefoy André Balthazard ayant obtenu la majorité absolue des suffrages a été proclamé adjoint ». La nouvelle Municipalité est donc mise en place alors que la nouvelle Constitution est mise en place et prévoit la délégation du pouvoir exécutif à un Président de la République élu pour quatre ans au suffrage universel et direct. Louis Napoléon obtient, pour l’ensemble de la France, cinq millions quatre cent mille voix, Cavaignac 1 400 000, Ledru-Rollin 370 000, Raspail 36 000, Lamartine moins de 8 000 suffrages. Voici d’ailleurs les résultats arrondis et rendus en pourcentage par rapport aux votants qui représentent 65% des inscrits pour le Var, ce qui est énorme pour l’époque :
Le Var apparaît donc très nettement – à contre courant de l’ensemble de la France – républicain et anti-bonapartiste. Dans l’ensemble c’est la bourgeoisie varoise qui vote Cavaignac, tandis que les ouvriers agricoles votent Ledru-Rollin. En fait, dès que Louis Napoléon Bonaparte entrera en fonction il nommera à Draguignan, comme Préfet, Georges Eugène Haussmann, bonapartiste convaincu, chargé de contenir les « démagogues » de cette « mauvaise région » de l’Est varois située entre la Préfecture du Var et Grasse. Mais examinons d’abord en détail les résultats locaux :
A Seillans on compte également 1 voix à Raspail. A noter le vote très significatif de Fayence où Ledru-Rollin devance Cavaignac, ce qui est très rare, et où Louis Napoléon est ridiculisé. Comme on peut le constater à Fayence, à Mons, à Montauroux et peut-être à un degré moindre à Seillans, « non seulement Bonaparte est largement distancé par Cavaignac, mais encore il est suivi de près par Ledru-Rollin. Ce dernier point est important. Car si la méfiance à l’égard d’un Napoléonide peut encore passer pour un fait de tradition, la nature des forces qui lui résistent se trouve renouvelée : désormais, dans ces flots de l’opinion publique populaire hostile à l’autorité, c’est une opposition de gauche qui forme le courant principal. » (Maurice Agulhon) Quand l’Assemblée Constituante de 1848 dut céder la place à une Assemblée Législative en mai 1848, les Républicains modérés, vainqueurs aux élections de 1848, furent vaincus. Les « Montagnards », le parti de Ledru-Rollin étaient maintenant 180, ce qui alarma la bourgeoisie. Mais le parti de l’ordre formait la majorité : 450 élus. A Seillans, au 13-14 mai 1849, pour la première fois les partis se comptent nettement : le « parti de l’ordre » contre « démocrates-socialistes ». En fait c’est toujours la lutte des « Blancs et des Bleus » contre les « Rouges » ou tout simplement cette lutte, vieille de plus d’un demi-siècle, des royalistes contre les républicains. La droite remporte trois sièges sur sept dans le Var. Les quatre autres sièges du Var vont aux démocrates-socialistes dont Ledru-Rollin et Suchet. Ces deux derniers seront d’ailleurs arrêtés à Paris peu après, après la manifestation de la « Montagne » dans la capitale contre l’expédition de Rome. Les républicains avancés marquent cependant des points dans le Var. Mais en ce qui concerne exclusivement Seillans, ce sont les modérés et la droite qui l’emportent encore, malgré des progrès de Ledru-Rollin et de Suchet, Arnaud et Conte et Ortolan :
Cependant, à la suite des invalidations de Suchet et de Ledru-Rollin, une élection partielle doit avoir lieu dès le début de 1850 :
Cette fois ce sont les deux « rouges » qui sont en tête à Seillans, mais de très peu. Il faut dire que Ledru-Rollin ne s’est pas représenté car, après juin 1849 il s’était réfugié à Londres, mettant fin à une carrière politique qui, pourtant, promettait beaucoup. Cependant Emile Ollivier était revenu dans la région pour se mettre à la disposition des démocrates du Var. Il remporte à Draguignan un énorme succés qui est fortement ressenti à Seillans et explique le renversement de tendance[1].
[1] Emile Ollivier était connu à Seillans. A diverses reprises il séjourna aux Taillades, hôte de la famille Bonnier. Il se réfugia à Seillans en 1871 lors de sa fuite.
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