Insurgés et opposants au coup d’Etat dans les Bouches du Rhône. Chapitre 2

Insurgés et opposants au coup d’État de décembre 1851 dans les Bouches-du-Rhône

 

Hugues BREUZE 

 

1ère partie

Opposition démocratique au coup d’État et tentative d’insurrection

 

Chapitre II : La réaction dans les campagnes

 

B/ L’arrondissement d’Aix

 

Les choses se présentent différemment dans l’arrondissement d’Aix. Les meilleures capacités organisationnelles des républicains locaux leur permettent de se poser aux yeux des autorités comme nettement plus menaçants dans les campagnes et villes du 2ème arrondissement.

La situation de cet arrondissement à la veille du coup d’Etat semble en effet relativement favorable à une résistance républicaine : les démocrates s’y sentent en nombre et relativement bien organisés, alors que la formation d’un parti de l’ordre local ne semble pas encore achevé.

 

L’exemple d’Hubert Gay, présentant la situation à Marignane, renforce l’idée que les républicains de l’arrondissement se sentent en position de force : « (…) cité de 2 183 habitants au recensement de 1851, [Marignane] possède un Cercle, celui de l’Union, transformé en Fraternité, qui comprend 255 adhérents, soit plus de 10% de la population totale (…) 112».

Ainsi, Vitrolles, « cité « républicaine » dès le départ 113 », Marignane, et toutes les « villes ouvrières » entourant l’Etang de Berre apparaissent comme autant de bases possibles au mouvement insurrectionnel :

« (…) lorsqu’il est nécessaire de défendre la République, les communes de Vitrolles et de Marignane répondent présentes et mettent à la disposition du département leurs militants bien préparés psychologiquement 114 ».

Quant à des villes comme Berre, Istres et Martigues, qui représentent près de 30 000 habitants en 1851 115, elles sont, elles aussi, acquises en majorité dans leurs classes populaires à la cause démocratique.

 

L’arrondissement d’Aix ne pouvait donc rester insensible aux injonctions des principaux chefs républicains du département. Si elles restent subordonnées à la réaction d’Aix et de Marseille, les communes du 2nd arrondissement vont toutefois faire preuve de défiance aux mesures présidentielles. Voici leurs réactions résumées par le Procureur de la République d’Aix :

« Aussitôt que les décrets du 2 décembre furent publiés les projets de résistance armée, que les démagogues avaient préparés pour une éventualité plus éloignée durent s’accomplir, le mot d’ordre fut communiqué, avec la rapidité d’une traînée de poudre. Des émissaires se rendirent à Marseille et une levée générale fut décidée pour le 7 décembre. (…) Toutes les sociétés secrètes de l’arrondissement préparaient leur contingent pour aller renforcer les insurgés [du Var et des Basses-Alpes]. Dans la soirée et dans la nuit du   6 au 7 décembre le canton de Berre, celui de Martigues, celui de Peyrolles, ceux d’Aix, celui de Lambesc, d’Istres, de Trets et de Gardanne délibéraient, s’armaient et échangeaient leurs correspondances ; les sociétaires liés par des serments étaient sommés sous peine de mort de faire leurs préparatifs de départ. Le mouvement devait avoir lieu le 7. Il était concerté avec Marseille, car ce jour-là une nombreuse bande était partie de Marseille, et s’était montrée, dans les collines du canton de Gardanne. Le 9, les sociétaires de tous les cantons devaient se retrouver réunis au village du Puy-Sainte-Réparade, ils devaient y trouver les chefs, passer la Durance à Pertuis et se jeter dans les Basses-Alpes et le Vaucluse. Le plan fut contrarié par la nouvelle que des troupes partaient en poste de Marseille pour se rendre à Digne . Le canton de Berre, de Gardanne et de Trets, et celui de Martigues reçurent contre-ordre de Marseille, le canton de Peyrolles renonça à ses projets lorsqu’il vit les troupes traverser son territoire. Lambesc fut aussi prévenu. Les deux cantons d’Aix ne furent pas sans doute  avertis, car le 9 leur contingent se porta au Puy-Sainte-Réparade, mais quand ils virent que le reste de l’arrondissement faisait défaut, que le chef principal, le sieur Richaud s’était arrêté à moitié chemin (à Puyricard) ils se découragèrent et après avoir jeté les armes s’en retournèrent dans la ville. Le bruit de ce mouvement , l’apparition de quelques bandes composées presqu’en totalité de Marseillais qui se montrèrent dans le canton de Gardanne et de Roquefavour, coïncidant avec l’envahissement de Pertuis jetèrent l’alarme dans la ville d’Aix et dans tout l’arrondissement. Le 9 je fut averti que des bandes avaient pénétré dans plusieurs campagnes et s ‘étaient emparé de vive force de fusils et des autres armes et munitions qui s’y trouvaient. De toutes parts on demandait des secours (…) 116 ».

 

Cependant, si l’on souhaite appréhender la véritable nature des événements, il devient nécessaire de détailler les réactions que l’on a pu observer dans différentes communes composant le 2ème arrondissement.

Certaines villes reçoivent la nouvelle du coup d’Etat en même temps que la sous-préfecture : par les nouvelles transportées par des voyageurs venus de Marseille, Martigues est par exemple au courant des événements dès le 3 décembre 117.

Le sous-préfet s’empresse donc le lendemain 4 décembre, de distiller les instructions « qui conviennent à la gravité des circonstances » aux maires des cantons d’Istres, de Lambesc, de Martigues et de Salon.

Il les invite ainsi à « avertir leurs administrés de conserver la plus entière confiance, que rien n’était changé dans la marche ni dans la puissance du gouvernement (…) et que si la moindre agitation avait lieu dans les communes rurales, elle serait réprimée promptement et vigoureusement 118 ».

L’autorité administrative, pourtant très préoccupée par la situation de la sous-préfecture, garde donc présent à l’esprit le risque que pourrait courir l’arrondissement si l’agitation se propageait dans les campagnes. Généralisée, l’insurrection ne pourrait peut-être plus être contenue dans le siège de la Cour d’Appel et compromettrait gravement la paix publique dans tout le département. On s’attache donc à pousser les municipalités à prendre leurs responsabilités et à diffuser la menace de répression si l’envie de réagir prenait aux républicains locaux. Le sous-préfet n’est pas dupe : il sait que les sociétés secrètes ne tarderont pas à se réunir.

 

C’est ainsi le cas à Grans et à Salon dans les jours qui suivirent le 4 décembre : le Juge de Paix de Salon, dans son rapport au procureur général du 19 décembre, a relevé qu’à Grans, quatre réunions avaient eu lieu les 5, 6, 7 et 8 décembre, dont certaines en pleine campagne. Il signale même que « le 8, des émissaires de Marseille, 25 environ, sont venus à Grans et y ont passé deux jours ». Sans préciser les raisons exactes, il insiste cependant sur l’échec du mouvement dans cette commune : Olivier le Noir, menuisier, chef local des démagogues et chez lequel une des réunion s’était tenue, « s’est battu avec l’émissaire (…) [qui] faisait tous ses efforts pour l’entraîner à le suivre dans une bande insurrectionnelle» 119. Quant à Salon, voici les renseignements qu’il a obtenu :

« Dans cette ville et dans ces circonstances des étrangers joints à des gens du pays, se sont réunis plusieurs fois. On prétend que des propos infâmes ont été tenus sur le sort des habitants de la ville. On a discuté et arrêté l’attaque de la ville et sans deux chefs qu’on ne me désigne pas, mais qui ont refusé leur service, elle aurait été facile 120 ».

 

On voit donc au sein de nombreuses communes de l’arrondissement, une fois la nouvelle du coup d’Etat répandue, des émissaires partir des principales villes du département – en l’occurrence Aix et Marseille – pour tâcher de souffler le feu d’une levée d’armes « rurale », la perspective d’une insurrection « urbaine » commençant déjà à s’obscurcir.

 

A Saint-Cannat, « le 4 ou le 5 de ce mois, vers 6 h du soir, (…) on lisait au café Hurm, une lettre arrivée d’Aix, dans laquelle on invitait les démocrates de la localité à partir de suite pour cette ville, afin de se joindre à l’insurrection 121 ».

Devant ces multiples alertes, la répression tente de se mettre rapidement en place ; les municipalités, lorsqu’elle se sentent en force suffisante et sont au courant des agissements des républicains de leurs cantons, suivent les recommandations du sous-préfet :

« (…) j’ai prescrit l’arrestation du Sieur Lesque à Saint-Cannat [le chef de la démagogie du pays s’était absenté le 4 ou le 5 accompagné d’un cultivateur. Il sera arrêté à Marseille quelques jours plus tard], et des membres du Cercle de Berre condamnés d’avoir fait partie d’une société secrète, par un verdict récent du jury 122 ».

Cependant, devant l’urgence de la situation à Aix dans les premiers jours qui ont suivi le 2 décembre et face à la nécessité de garder concentrées toutes les forces disponibles de la garnison au sein de la ville, les municipalités du 2ème arrondissement voient l’ardeur de leurs républicains « ruraux » s’amplifier, puisque pour l’instant, l’étau d’une menace répressive dans les campagnes se desserre.

Les républicains d’Aix comprennent d’ailleurs que quitter la ville reste la meilleure solution pour espérer lancer le mouvement :

« 300 individus environ d’Aix étaient partis pour la Durance le Puy Sainte Réparade où ils comptaient se trouver au nombre de 1 000 que Richaud devait commander et qu’il ne s’était pas rendu à son poste et qu’enfin les individus trompés sur les assurances qui leur avaient été données étaient rentrés à Aix au moins en majeure partie 123 ».

 

Mais alors que la bande partie d’Aix, apprenant le départ d’une troupe de ligne de Marseille pour Pertuis, rebrousse chemin, les républicains des cantons limitrophes du Puy-Sainte-Réparade profitent encore eux, du relâchement de l’autorité dans le canton.

Voici comment le percepteur des contributions directes du canton du Puy-Sainte-Réparade témoigne de la situation de son arrondissement de perception : « la révolte (…), je puis le dire a reçu un commencement d’exécution dans une partie de mon arrondissement ».

Le 7 décembre, « jour où la révolte a éclaté », se trouvant le soir à Meyrargues, il y apprend que « la société de la montagne veut partir le 8 décembre à cinq heures du matin pour aller au rendez-vous général de tous les montagnards (…), Le Puy Sainte Réparade ».

« Le lendemain matin 8 décembre [il apprend] que 300 ou 400 montagnards se sont rendus dans la nuit du dimanche [7] au Puy Sainte Réparade mais qu’ils se sont dispersés d’eux-mêmes se voyant en si petit nombre en égard au nombre considérable qu’il devait y avoir (…) ». Le percepteur, rentrant au siège de sa caisse de perception, arrive « à 5 heures du soir trouvant la population terrorisée, sans aucun moyen de défense, et livrée à la merci d’un tas de forcenés qui, s’ils avaient épargnés la vie à quelques personnes, c’était pour les forcer à marcher avec eux contre le gouvernement (…) ».

La situation n’a quasiment pas évoluée le 13 décembre, date à laquelle il envoie son rapport à sa hiérarchie :

« chaque jour nous voyons circuler de ces bandes d’insurgés qui quoique démoralisées évidemment cherchent à se rallier, les rouges du Puy les soutiennent, leur font la main et ces enragés nous menacent chaque jour et nous savons qu’ils disent : ce n’est pas fini, leur chef contre qui il y a un mandat d’amener lancé contre lui demeure au Puy, il va et vient de la maison qu’il occupe ici, à sa campagne qui est sur le territoire de Rognes (…), nous n’avons pas même ici l’ombre de l’autorité. Le maire est malade, il n’y a aucune police (…) ».

Etant le seul représentant de l’autorité publique au Puy-Sainte-Réparade et devant la précarité de la situation, le percepteur est contraint de demander secours au sous-préfet Grimaldi, qui lui refuse, prétextant que « la ville d’Aix ayant très peu de troupes pour la protéger ». Au mieux, il lui promet d’envoyer ce qu’il pourra lors du remplacement des autorités municipales, inactives pendant les événements 124.

Le 15 décembre, la situation se tasse finalement d’elle-même au fur et à mesure que les autorités départementales assoient leur emprise sur chacun des cantons et que la répression commence à se mettre en place :

« Les ennemis du repos des gens paisibles, sentent maintenant que la terreur qu’ils inspiraient a cessé et que c’est à eux maintenant à rendre compte devant la société outragée de leurs actes et de leurs coupables espérances (…) ils disaient à peu près à qui voulaient l’entendre qu’ils avaient 30 à 40 assassinats à faire (…) ».

Cependant, des bandes semblent continuer à graviter autour de la commune ; la répression anti-républicaine n’a pas encore atteint les portes du Puy-Sainte-Réparade :

« leur chef n’est pas pris et jusqu’à ce qu’ils se voient capturé (sic) ils conserveront leurs sinistres espérances ; (…) on en voit dans les montagnes qui avoisinent le Puy, de petites bandes à la vérité, errantes et exténuées demandant à boire et à manger aux gens de campagnes, ils retourneraient bien volontiers chez eux, mais disent-il : nous savons le sort qui nous attend ; Dans cette commune, quartier général des insurgés, le sol était jonché de fusils, de poudres que les insurgés avaient laissés, afin de pouvoir retourner chez eux librement ; ces fusils et poudres étaient cachés pour la plupart, on a vu des étrangers qui sont venus les recueillir » 125.

 

Le Puy-Sainte-Réparade tient donc une place centrale dans le mouvement de résistance démocratique de décembre 1851 ; cette commune devait donc être le point de rendez-vous général les 7-8 décembre des républicains, décidés à se réunir en bandes armées devant l’échec de l’insurrection des principales villes du département, pour ainsi porter leur aide dans les départements limitrophes, là où la révolte avait pu se dresser.

 Ce plan paraissait d’autant plus réalisable que les autorités déapartementales, préoccupées par la défense des sous-préfectures et de Marseille, laissent comme seule opposition aux républicains des communes rurales, les autorités municipales locales, parfois sympathisantes au mouvement démocratique ou parfois incapables de prendre les mesures répressives adéquates.

Cependant, le passage dans les alentours de troupes de ligne parties de Marseille le 7 décembre pour se porter sur Pertuis, et de celles d’Aix se dirigeant sur Digne le 8, sème le trouble dans l’esprit de certains chefs républicains.

Certaines bandes rebroussent alors chemin ; d’autres reçoivent le contre-ordre avant même de se mettre en marche ; tout ceci amenuise considérablement la portée du soulèvement républicain initial : le grand rendez-vous général du Puy-Sainte-Réparade n’est plus que l’ombre de lui-même.

 

L’importance de ce rassemblement et de son échec, additionné à l’inaction des grandes villes, semble avoir scellé la défaite de l’opposition républicaine départementale au coup d’Etat. Il paraît néanmoins nécessaire de se pencher sur des conjonctures locales plus précises, et cela pour mieux appréhender le sentiment et la volonté de résistance des démocrates des communes rurales du 2ème arrondissement.

 

A Jouques, c’est le maire qui a pris le commandement du mouvement local : « [Il] s’est mis à la tête de 150 hommes armés et que bien qu’il n’ait fait aucune manifestation hostile, ses intentions étaient suspectes ». Le sous-préfet d’Aix prend alors la décision « de le suspendre immédiatement par un arrêté et de confier provisoirement le maire à (…) [un] ancien officier de l’empire » 126. Pour l’occasion, la fidélité bonapartiste du nouveau maire ne paraissait plus poser de problèmes !

Le percepteur du canton de Jouques signale en outre un objectif qui diffère sensiblement du plan initial prévu par les sociétés secrètes républicaines :

« Dans la nuit du 7 au 8 décembre toutes les sociétés avaient décidé, que celle de Vauvenargues et de Saint Paul viendraient joindre celle de Jouques vers une heure du matin, et qu’avant de partir ils viendraient forcer la caisse du percepteur et l’obligeraient de plus à le suivre pour aller de là se réunir aux sociétés de Peyrolles, Meyrargues et le Puy Sainte Réparade jusqu’à Lambesc, et que de là ils marcheraient sur Saint-Chamas pour s’emparer de la poudrière et ensuite sur Aix. Ce projet fut déjoué par le départ des troupes qui venaient d’Aix pour se rendre à Digne qui se trouvèrent à Peyrolles vers 3 heures du matin, départ dont furent prévenues toutes ces sociétés par un individu qui se rendit d’Aix à Meyrargues, et qui donna les ordres pour que des exprès fussent envoyés dans toutes les communes 127 ».

C’est ainsi au minimum près de 200-300 personnes qui composaient la bande armée qui s’arrêtent à Meyrargues au passage des troupes partant vers les Alpes ;  à Jouques, selon l’avis de son percepteur, c’est « un 5ème de la population [qui] est du parti de l’insurrection »; on y compterait en effet « une société secrète composée de 200 à 250 individus » 128.

Mais le fait le plus étonnant réside bien dans la différence d’objectif par rapport au plan initial énoncé plus haut : si l’on ne peut être sûr de la persévérance des insurgés du canton de Peyrolles à vouloir porter leur attaque sur Aix, il n’en demeure pas moins que le sujet a dû être évoqué au sein des sociétés secrètes du 2ème arrondissement : soit attaquer le siège de la Cour d’Appel et en cas de victoire tenter d’attaquer Marseille, soit porter secours aux insurrections voisines déjà en marche. Il est possible que de mauvaises communications ou de mauvaises relations entre sociétés des différents cantons aient pu exister ; ou bien ces deux plans de résistance furent-ils simplement envisagés consécutivement. Quoi qu’il en soit, les éventuels conflits d’influence pour mener la résistance aussi bien que les retards de communications entre les différentes sections, ajoutés au passage de troupes militaires aux alentours découragent finalement toute velléité de victoire républicaine.

De simples mouvements d’opposition ou bien d’autres bandes armées se sont toutefois formés en d’autres point de l’arrondissement. Ne pas les signaler, même si elles sont moins importantes, reviendrait à occulter la diffusion et la réception générale de l’idéologie démocrate-socialiste dans ces cantons.

Le 5 décembre, vers 10 heures du soir, le maire de Trets informe le sous-préfet d’Aix que « des bandes armées avaient été aperçues la nuit précédente sur la route de Trets, à Fuveau, où elles avaient allumé des feux ». Refusant d’envoyer à son secours un détachement de troupe de ligne, prétextant qu’     « aucune force ne pouvant être détachée en ce moment de la garnison de la ville d’Aix », le sous préfet Grimaldi estime que même si « quelques unes de ces communes viennent à être occupées par les bandes armées des départements voisins, ou par des insurgés de l’arrondissement », l’autorité pourra les reprendre plus tard.  Il fait néanmoins arrêter Roumieu, « fils du maire révoqué et chef des socialistes du pays » 129.

Les autorités communales ne se pressent cependant pas de seconder les mesures de sûreté publique prises par le dépositaire de l’autorité administrative dans le 2ème arrondissement. Alors que ce dernier a pris un arrêté suspendant et ordonnant l’arrestation d’un garde-champêtre ayant refusé de porter un pli urgent 130, il se voit contraint à subir les réticences de l’autorité locale à appliquer ses prérogatives : « Monsieur le maire de Trets et le brigadier de gendarmerie n’ont pas osé arrêter le garde champêtre Marius Bourge dans la crainte de soulever la commune ».

Le sous-préfet estime pourtant que « cette crainte est fausse » : « J’ai suffisamment intimidé les agitateurs de cette commune par l’enlèvement de Monsieur Roumieu pour y opérer toute arrestation avec quatre gendarmes bien commandés ».

Le garde-champêtre est finalement arrêté le lendemain [8 décembre], le sous-préfet proposant en outre des mesures contre le maire et le brigadier 131.

Il est difficile de dire si cette passivité était volontaire ou due à une réelle crainte de la réaction des républicains de Trets, sûrement déjà ulcérés par l’arrestation de leur meneur. Toujours est-il que le 7 décembre quatre individus sont partis de Fuveau (canton de Trets), accompagnés de « 20 à 25 jeunes gens qui les suivirent jusqu’à la grande route d’Aix à Toulon, pour se joindre indubitablement à une bande de factieux (…) sur Petuis, et ne revinrent qu’à Fuveau qu’après 3 jours d’absence (…) 132 ».

 

Ainsi, comme dans l’arrondissement d’Arles, si la déception d’être privé d’un meneur, arrêté par les autorités, empêche des mouvements de résistance importants et massifs, des républicains les plus « rouges » de certaines communes du   2ème arrondissement souhaitent quand même tenter l’aventure de l’insurrection. Il se ravisent toutefois assez vite.

Ce qu’on retrouve toutefois invariablement dans chacune de ces communes, ce sont les réunions de sociétés secrètes que provoque le coup d’Etat. Ainsi, à Martigues, le maire apprend au préfet qu’« une réunion nombreuse et clandestine présidée par trois étrangers inconnus a eu lieu avant hier-soir [7 décembre] dans un café, à laquelle ont pris part tous les démagogues. Dans la nuit qui a suivi la bande s’est disséminée en différens (sic) points écartés de la ville et de la campagne fesaient (sic) entendre des chants et des cris séditieux.

« A Port de Bouc la fermentation est encore plus grande ; différens (sic) rapports donnant l’assurance qu’il existe une société secrète animée des plus mauvais desseins, ayant un dépôt de poudre et des munitions de guerre.

« (…) Les environs de Marignane ont été hier et aujourd’hui [8 et 9 décembre] le rendez-vous de toutes sortes d’étrangers sans affaires, qui y viennent soit par le chemin de fer, soit par la route d’Aix, soit du côté de Martigues.

« Enfin le bruit a couru hier que tous ces hommes de désordre avaient le projet de se ruer sur notre ville la nuit dernière. (…) Heureusement, les pronostics ne se sont pas réalisés, mais j’ai appris ce soir par une lettre qui m’a été adressé que les perturbateurs avaient remis à après demain à faire leur descente 133 ».

On peut donc voir que si les républicains ne sont pas passés à l’action, le canton de Martigues reste en émoi, près à basculer dans l’émeute. Et alors que Marseille monopolise la plupart des brigades de gendarmerie du département, le maire de Martigues pose au préfet la question de la sécurité publique pour sa ville :

« Une ville de 9 000 âmes, entourées de fabriques peuplées par des ouvriers étrangers peut-elle et doit-elle rester sans aucune défense dans des momens (sic) aussi calamiteux ? 134 ».

Cependant, le risque d’insurrection semble se déplacer vers le Nord-Est de l’Etang de Berre : « (…) les malveillans (sic) doivent demain ou après demain [10 ou 11 décembre] avoir un grand rendez-vous au pont de Roquefavour 135 ».

Le fait est confirmé par le maire de Vitrolles qui en rentrant de Marseille, le 10 décembre à 2 heures du matin par le Vallon de l’Assassin, a rencontré « par intervalles plusieurs individus qui se dirigeaient du côté des Pennes ». Arrivé dans sa municipalité, il livre ce témoignage au préfet :

« (…) Nous avons trouvé le pays calme, il paraît que les individus qui se trouvaient dans nos murs hier au soir [9 décembre] à notre départ de Vitrolles se sont cachés chez leurs affiliés et qu’ils sont préalablement repartis ce matin ; on m’a informé qu’ils se dirigeaient sur le pont appelé Roquefavour en passant par divers chemin de travers » 136.

Dans la matinée du 9, des bandes armées commencent aussi à se montrer à Cabriès et à la Mérindolle 137 – celles-là même qui avaient fait craindre aux autorités aixoises une attaque de la ville (cf. ch. I b/) -. Ces bandes semblent alors revenir du rassemblement de Roquefavour. Il est aussi acquis qu’une « colonne d’insurgés » est passée le 10 décembre « dans la commune de Simiane 138 ».

Le percepteur de Bouc, présent à Cabriès le 16 décembre, donne des renseignements plus précis sur ces bandes armées :

« Mardi dernier [9 décembre], une bande de 60 à 80 hommes, les uns armés de fusils, d’autres de pistolets, de hache, de faucilles s’est présentée dans cette commune [Cabriès] vers les 10 heures du matin. Elle demande à manger. Quelques habitants leur portèrent du pain et du vin, et après un séjour d’une heure, elle se dirigea sur Simiane, sans avoir fait aucune démonstration contre qui que se soit. L’autorité municipale était absente. (…) J’appris dimanche [14 décembre] à Simiane que cette même bande y avait fait aussi une courte halte et qui après avoir demandé à manger et à boire, elle s’était dirigée sur St Savournin [canton de Roquevaire – 1er arrondissement] 139 ».

 

Plusieurs phases se distinguent donc dans la tentative d’insurrection que les républicains du 2ème arrondissement ont souhaité lancer. Tout d’abord, devant l’échec du mouvement dans les principaux centres urbains, les sociétés secrètes du département décident d’envoyer chacune un contingent armé au point de rendez-vous fixé le 8 et 9 décembre au Puy-Sainte-Réparade. Seulement 400 personnes environ s’y retrouvent, la plupart venus des communes limitrophes de la Durance, les autres bandes ayant reçu contre-ordre de marche. Bon nombre de chefs locaux, à l’exemple de Richaud 140, s’enfuient, se sachant poursuivis par les autorités, avant même d’avoir tenté quelque chose.

Un plan d’attaque d’Aix a même été évoqué alors que le rendez-vous du Puy-Sainte-Réparade devait servir de base de départ vers le Vaucluse et les Basses-Alpes. Ce plan semble être, soit la conséquence de l’échec du précédent, soit l’expression d’un conflit d’opinion entre sociétés secrètes pour fixer un objectif plus précis à l’insurrection.

Devant l’échec des ces deux plans, les républicains du sud de l’arrondissement tentent de se réunir à Roquefavour le 9 ou 10 décembre ; trop peu nombreux pour tenter l’attaque d’Aix ou de Marseille alors que ces villes demeurent bien placées entre les mains des autorités, ils décident de se porter sur Saint-Savournin, pour rejoindre le canton de Roquevaire qui, dès les premiers jours suivant le coup d’Etat, s’est agité ; la proximité du Var en insurrection résonnait d’ailleurs autant comme élément perturbateur que comme possible porte de sortie…

 

 

                       



112 GAY Hubert, « Il y a 150 ans, Vitrolles et Marignane défendaient la République », Provence 1851, une insurrection de la République, Association 1851-2001, p.209.

113 Ibid 112, p. 208.

114 Ibid 112, p. 210.

115 GAY Hubert, « Résistance au coup d’Etat du 2 décembre 1851 sur les rives de l’étang de Berre », Les amis du vieil Istres, Bulletin n° 21, p. 91.

116 14 U 47, Rapport du procureur de la République d’Aix au procureur général, sur « les événements qui ont suivi les décrets du 2 décembre dans l’arrondissement d’Aix », le 30 décembre 1851.

117 1 M 595, Maire de Martigues au préfet des Bouches-du-Rhône, le 4 décembre 1851.

118 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône,  le 4 décembre1851.

119 14 U 47, Juge de paix de Salon au procureur général, le 19 décembre 1851.

120 Ibid 119.

121 14 U 47, Juge de paix de Lambesc au procureur général, le 19 décembre 1851.

122 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 6 décembre 1851.

123 12 U 11, Procureur de la République d’Aix au procureur général, le 13 décembre 1851.

124 1 M 595, Percepteur du canton du Puy-Sainte-Réparade au receveur général, le 13 décembre 1851.

125 1 M 595, Percepteur du canton du Puy-Sainte-Réparade au receveur général, le 15 décembre 1851.

126 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851.

127 1 M 595, Percepteur du canton de Jouques au receveur général, le 14 décembre 1851.

128 Ibid 127.

129 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 6 décembre 1851.

130 Ibid 129.

131 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 7 décembre 1851.

132 14 U 47, Juge de paix de Trets au procureur général, le 15 décembre 1851.

133 1 M 595, Maire de Martigues au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851 ; une soixantaine de personnes venues de Port de Bouc pour se réunir aux républicains de Martigues furent repoussées par l’autorité (1 M 595, Percepteur de Martigues au receveur général, le 13 décembre 1851).

134 1 M 595, Maire de Martigues au sous-préfet d’Aix, le 9 décembre 1851.

135 Ibid 134.

136 1 M 595, Maire de Vitrolles au préfet des Bouches-du-Rhône, le 10 décembre 1851.

137 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851.

138 1 M 595, Percepteur de Gardanne au receveur général, le 12 décembre 1851.

139 1 M 595, Percepteur de Bouc au receveur général, le 16 décembre 1851.

140 Encyclopédie des Bouches-du-Rhône (Par Raoul Busquet & Joseph Fournier, sous la direction de Paul Mason) : Tome V, Vie politique et administrative, (Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 1929), p 177. Richaud, libraire, était le chef des républicains d’Aix avec Pust, imprimeur et Payan, chapelier.