La répression à Riez

article publié dans le n°88 du Bulletin d’information des Amis du Vieux Riez, mars 2003, pp. 1-24

La répression de la résistance au coup d’Etat de 1851

(dans la région de Riez)

 

À la mémoire des républicains de 1851

 par Maxime Amiel

première partie

 

Le mardi 9 décembre 1851, entre les Pénitents des Mées et la Durance, les 4 à 5 000 républicains commandés par André Ailhaud repoussent un fort bataillon du 14e léger commandé par le colonel Parson. Les soldats reculent jusqu’à Vinon, soit une retraite de 40 km. Les insurgés ont fait des prisonniers : un capitaine, un lieutenant et des soldats. Deux insurgés sont blessés, dont Ferdinand Garcin à l’oreille (il a 22 ans et il est tailleur d’habits à Roumoules) ; il ne semble pas qu’il y ait eu des morts1.

 

Les arrestations

 

Mais les républicains victorieux ont appris par leurs prisonniers que la résistance est matée dans les villes – Marseille a si peu bougé ! – et que les Montagnards de la Drôme ont été écrasés (massacre de Crest la veille). Plusieurs régiments de ligne arrivent par le sud (les Varois seront mis en déroute, avec des morts, le lendemain mercredi), par l’ouest, par le nord. Au soir de la victoire, Buisson et le Comité de résistance, malgré Ailhaud et Escoffier, donnent l’ordre aux Montagnards bas-alpins invaincus de se disperser et de rentrer chez eux. La plupart rejoignent leurs villes et leurs villages, amers et découragés, et essaient de reprendre la vie quotidienne.

 

Un bataillon du 14e léger, commandé par Cercelet, occupe Riez vers le 15 décembre, et confisque toutes les armes. Arrêté inséré dans le registre des délibérations du Conseil : “ Par ordre supérieur et en vertu de la loi sur l’état de siège, toutes les armes sans exception devront être portées à la mairie. Le délai accordé est une heure et demie. Passé ce laps de temps tout homme pris avec une arme sera immédiatement fusillé. ” (La plupart des Provençaux sont chasseurs ! )

 

Le 5 janvier 1852, le préfet publie un arrêté portant que “ Toute inscription politique et notamment les mots Liberté, Égalité, Fraternité, seront immédiatement effacés sur les édifices publics et sur les maisons particulières. Les arbres dits de Liberté seront coupés et arrachés.2 ”

 

La résistance étant rapidement liquidée à Paris, la machine répressive se met en route dans les départements insurgés. Dans les Basses-Alpes,

 

“ des troupes de plus en plus nombreuses y pourchassent les républicains qui tiennent encore la campagne [André Ailhaud et ses compagnons résistent encore dans la montagne de Lure, Ailhaud sera arrêté le 27 décembre]… C’est dans les Basses-Alpes que la terreur atteint son paroxysme. Le département avait été mis en état de siège[…] par un décret présidentiel du 9 décembre ; le préfet Dunoyer étant totalement discrédité, les militaires dirigent seuls la répression, sous la direction du général Morris arrivé le 16 de Marseille avec des instructions particulièrement rigoureuses. En quelques jours, les Basses-Alpes sont inondées de troupes […]. L’atmosphère est irrespirable, durant ces jours terribles, sur les deux rives de la Durance.3 

 

Le général Morris, commandant l’état de siège dans notre département, arrive de Marseille le 16 décembre à Digne et organise immédiatement une répression systématique, avec des méthodes très “ modernes ”, qu’on retrouvera sous les régimes totalitaires du xxe siècle ! Maurice Agulhon, pour sa part, parle de Terreur blanche. Jusqu’à Noël, des colonnes mobiles organisent une véritable chasse à l’homme, opèrent de grandes battues dans les bois de la montagne de Lure où Ailhaud s’est réfugié et fusillent dans la région de Saint-Étienne les insurgés pris les armes à la main. On arrête tous les participants à l’insurrection, les montagnards affiliés aux sociétés secrètes, les démo-soc qui, sans avoir marché sur Digne ou Les Mées, ont simplement affirmé leur attachement à la Constitution proclamée trois ans auparavant.

 

            Des garnisaires (soldats en faction au domicile) sont placés chez les familles d’insurgés en fuite, mais il n’ont pas été nombreux dans notre canton : Louis Aubert et Jacques Gasquet de Riez, Joseph Julien d’Allemagne et Jean-Louis Surian de Puimoisson. Nous ne savons pas où ils sont allés.D’après André Compan, le comté de Nice, qui fait partie du royaume de Piémont jusqu’en 1860, “ fut la terre d’asile par excellence ” des réfugiés politiques après le 2 décembre. Il estime à 350 le nombre de proscrits qui arrivent soit par le pont du Var, soit par les drailles de transhumance de la haute vallée du Var (Entrevaux – Guillaumes). Nice aurait ainsi accueilli 41 Bas-Alpins, en fuite ou expulsés, parmi lesquels Duchaffaut père et fils, leur ami Jean-Baptiste Itard, Laurent de Loth, les trois Tartanson, le sous-préfet Astoin, le président du tribunal Latil. “ L’ex-huissier Pierre Aillaud, de Valensole, réfugié d’abord en l’île de Malte, gagne Nice à la fin de 1852 ”. Nous savons par Jules Duchaffaut que l’abbé Chassan, de Sainte-Croix, trouve un emploi comme professeur de français au petit séminaire de Nice5.

 

Frédéric Négrel raconte la fuite de Duteil, chef des insurgés du Var. Après le combat d’Aups qui fait plus de (o morts, dans la matinée du mercredi 10 décembre, Duteil et un groupe de résistants quittent Aups, gagnent les Basses-Alpes par Baudinard et Montagnac puis le Piémont par Entrevaux. Duteil fait sa soumission avant même d’arriver à Montagnac, il n’arrive à Nice que le 17 décembre6.

 

La délation est encouragée, lors des interrogatoires qui se passent, à Riez, dans le prétoire de la justice de paix : c’est là que Marcellin Martiny donne au procureur “ en desscente à Riez ” les noms des responsables des sociétés secrètes de notre canton1.

 

Honoré Veyan, 41 ans, cultivateur de Riez, a laissé à ses enfants un cahier de notes intitulé “ Souvenir ”, où il raconte avec précision son arrestation et sa déportation7 :

 

“ De là [des Mées], nous nous rendîmes chacun dans notre maison. Quelques jours après, on mit le département en état de siège, on fit rendre les armes à la commune, on vint chez moi : quatre militaires et deux gendarmes, faire la fouille dans ma maison. On ouvrit des commodes, on mit le linge par terre, on monta au grenier à foin avec des bayonnettes, on les faisait entrer dans la paille pour voir si on pouvait trouver quelque chose, mais on s’enfuit sans rien pouvoir trouver. 

 Quelques jours après [la perquisition], la gendarmerie vient encore de nouveau chez moi et demande à mon épouse : “ Votre mari n’est pas ici ? ” Elle lui répond : “ Non, messieurs, il est allé à la campagne. – Eh bien, dites-lui qu’il vienne voir monsieur le juge, on le veut faire expliquer ”. Mais ce n’était pas tout cela, on voulait me mettre les griffes dessus.

Alors, j’arrive le soir ; à mon épouse, je lui dis : “ Va voir le brigadier, tu lui diras que demain matin j’irai me rendre ”. Le lendemain, je me rends à la prison et je trouve des camarades : il y avait Maxime Vincent dit Consout. On nous laissa trois jours, on nous fit partir dix-neuf ensemble pour Digne le deux janvier mil huit cent cinquante-deux.

 Nous arrivâmes à Digne. Notre auberge : on nous plaça au séminaire dans une petite chambre que nous avions que trois mètres pour promener. Nous étions huit personnes par chambre. Nous restâmes deux mois à Digne ”.

 

Témoignage de François Barbarin8, 20 ans, cordonnier à Valensole, qui restera emprisonné dans le grand séminaire jusqu’au 2 mai 1852 :

 

“ Ayant été vaincus, avec un grand nombre de camarades, je fus fait prisonnier le 20 décembre 1851 et incarcéré à Digne dans un local du Grand Séminaire où nous couchions sur le carreau par une température de 20° au-dessous de zéro. Dans cette circonstance, j’eus les pieds gelés à tel point qu’ils ne formaient plus qu’une plaie ”.

 

            Témoignage d’Eugène Jaubert, dans ses souvenirs de décembre 18519 :

 

“ Partout, dans le département, on arrêta ceux qui étaient convaincus ou soupçonnés d’avoir pris part au mouvement […]. Les insurgés arrêtés de tous côtés étaient journellement ramenés en grand nombre à Digne par les gendarmes et les soldats. Avant de les expédier devant les Conseils de guerre [et la Commission mixte], on les interrogeait sommairement, puis on les entassait où l’on pouvait. La prison du département une fois comble, on remplit une maison de trois étages, que l’on appelait la Caserne des passagers sur le boulevard Gassendi. À chaque fournée d’hommes que l’on empilait là-dedans, des cris de protestation s’échappaient à travers les murs et ne se calmaient qu’à de rares intervalles pendant la nuit. Des odeurs nauséabondes s’exhalaient de cette foule d’êtres pressurés et foulés, qui ne trouvaient pas même une place suffisante pour allonger leurs corps brisés de fatigue […] ”.

 

Les plébiscites et les élections législatives

 

Le préfet Dunoyer recule la date du plébiscite des 21-22 décembre 1851 aux samedi 27 et dimanche 28 décembre pour attendre que l’ordre règne dans les Basses-Alpes. On procède à des perquisitions à Riez comme ailleurs, mais la vague d’arrestations n’a peut-être lieu que plus tard, pour les insurgés sans responsabilités importantes : il semble que Honoré Veyan ne soit arrêté qu’après Noël mais Prosper Allemand a été arrêté dans la nuit du 11 au 12 décembre. Les Montagnards auront eu l’occasion de “ bien ” voter.

 

Pour réduire au maximum le nombre d’abstentions, tous les moyens de pression sont bons. Les municipalités sont épurées : “ 33 maires et 40 adjoints sont remplacés du 15 au 27 décembre ” dans le département 3”. Le maire de Riez, Benjamin Maillet, est assez habile pour conserver son poste, mais Jules Proal est nommé adjoint en remplacement de Deblieux et Segond. Sont aussi remplacés les maires et adjoints d’Albiosc, Esparron, Montpezat et Quinson.

 

Les électeurs savent bien que le scrutin n’a rien de secret (l’isoloir ne sera mis en usage qu’en 1914) et les abstentionnistes sont facile à repérer. Seuls les bulletins “ oui ” ont été imprimés, pour voter “ non ”, il faut écrire ce mot sur un morceau de papier – quand on sait écrire !

Les résultats de ce “ plébiscite de la peur ”, comme l’appelle Vigier, sont ce que le ministre de l’Intérieur de Morny pouvait attendre : c’est notre “ département qui a donné la plus forte proportion de votes affirmatifs ” en France : 74,47 % des électeurs inscrits  (Vigier souligne la signification politique des abstentions), il y a 10 000 votants de plus qu’en décembre 1848. 614 électeurs seulement ont la témérité de voter non !

 

Dans le canton de Riez10, le résultat de ce premier plébiscite qui confie à Louis-Napoléon la présidence de la République pour dix ans et le droit de modifier la Constitution est magnifique : les voix bonapartistes atteignent   81,37 % des électeurs inscrits.

 

Plébiscite des 27-28.12.1851

Plébiscite du 21.11.1852

Communes

Inscrits

Votants

OUI

NON

Inscrits

Votants

OUI

NON

Albiosc

31

30

30

0

30

30

30

0

Allemagne

201

187

187

0

198

185

185

0

Esparron

143

112

112

0

141

108

108

0

Montagnac

203

193

193

0

202

128

128

0

Montpezat

40

37

37

0

49

49

49

0

Puimoisson

412

264

264

0

391

341

336

4

Quinson

251

251

248

3

279

249

244

3

Riez

868

684

673

8

807

739

722

13

Roumoules

174

157

156

1

179

163

163

0

Ste-Croix

147

123

105

18

148

129

129

0

St-Laurent

59

53

53

0

63

61

61

0

    TOTAL

2 529

2 091

2 058

30

2 487

2 182

2 155

20

Département

45 943

34 912

34 215

614

45 921

39 3781

39 145

166

1Dans la publication au Moniteur, on validera 67 bulletins de plus, tous OUI.

 

Le second plébiscite, du 21 novembre 1852, portant rétablissement de l’Empire, est préparé avec soin pour réduire au maximum le nombre d’abstentions. Le maire Maillet écrit le 18 novembre au préfet, le comte de Bouville : “ Comme par le passé, je parviendrai à stimuler le zèle des électeurs. Vous aurez lieu d’être satisfait du résultat que j’espère obtenir ”. Le juge de paix A. Arnoux est beaucoup plus actif. Il rend compte au préfet, le 14 novembre, qu’il s’est rendu deux fois dans toutes les communes du canton, et que des affiches officielles – ce sont les seules – ont été lacérées. Il ajoute, le 20 novembre, qu’il a fait faire des tournées par les percepteurs de Riez et d’Allemagne et par le receveur à cheval.

 

Le résultat dans le canton de Riez est très satisfaisant : plus de votants, moins de Non, de même que dans le département, où on inscrit près de 5 000 votants de plus et 5 fois moins de Non, avec cette conclusion du procès-verbal du 25 novembre : “ L’empressement avec lequel les électeurs se sont rendus aux comices permet d’établir que l’esprit, notamment dans les campagnes, sous l’impulsion de l’autorité actuelle, s’est complètement régénéré. Quelques abstentions dues aux émigrations après les travaux de la campagne, à la maladie, à l’âge et aux obstacles atmosphériques ne sont pas significatives10”.

 

Sans perdre de temps, on procède aux élections au Corps législatif : un seul représentant pour notre département élu pour 6 ans. Dès le début janvier, le ministre Hippolyte Fortoul impose la candidature de son frère Fortuné, et le préfet fait la chasse aux abstentions. Les 28 et 29 février 1852, les résultats sont inespérés : Fortuné Fortoul obtient 30 117 voix sur 30 468 votants11.

L’Empire proclamé, c’est le colonel Réguis qui sera le député des Basses-Alpes au corps législatif, avec des résultats encore “ meilleurs ”.  Il sera réélu en 1857 et en 1863, pendant tout le second Empire.