Vidauban et le coup d’Etat

Bulletin de l’Association 1851-2001, n° 3, mai 1999

 

Vidauban (Var) et le coup d’État de 1851

 

collection Gilbert Suzan

Mon propos, volontairement limité à Vidauban, se décompose en trois chapitres :

– L’état d’esprit de la population avant le coup d’État,

– Les trois jours qui ont précédé la bataille d’Aups, 

– Les jugements des Vidaubanais.

Pourquoi Vidauban ? parce que cette ville était le lieu de résidence de mes grands-parents dont les « grands oncles » Célestin et Joseph Gayol, ont été malgré eux, les héros locaux de ces événements, avec, à un degré moindre, leur père Antoine, et dans l’autre camp leur cousin, Magloire, le garde champêtre.

Je ne parlerai pas de l’assassinat de Célestin (héros sous le nom de Sylvere dans un roman d’Émile Zola) dont Noël Blache et Henri Maquan ont retracé l’agonie dans leurs ouvrages.

1848. Les élections présidentielles de décembre placent nettement en tête Cavaignac suivi de Ledru-Rollin, donnant ainsi la couleur locale de ses habitants.

 

1849. Un rapport de gendarmerie dénombre 8 chambrées pour un total de 560 membres. La qualification de chacune de ces sociétés va « d’esprit d’ordre, opinions partagées », jusqu’à « société très turbulente » et se termine par la plus importante (255 membres) constituée de « rouges exaltés ».

1850. Le mardi 12 février, dernier jour de carnaval, le maire refuse à la société la Peyrière la permission d’organiser une farandole. Farandole qui se déploya néanmoins vers les 9 heures du soir. La gendarmerie, sous les huées, intervint pour arrêter cette fête populaire. Réflexion de M.Carbonnel : « Ah si nous avions une bonne république ». Le lendemain quelques personnes manifestèrent dans la rue en promenant un mannequin vêtu de blanc contre lequel Joseph Raimond dit : « Blanc, tu nous a empêché de faire la farandole, je te condamne à mort », ce qui fut immédiatement exécuté par la décapitation du mannequin. Le 13 mai la cour d’assises du Var condamne deux meneurs à 4 et 3 mois de prison.

1851. Tout au long de l’année, la gendarmerie, le maire, adressent au préfet des rapports alarmants sur l’activité des sociétés. Le 6 novembre le commissaire de police M.Terrasse a en main une liste de personnes établie par la Montagne vidaubanéenne désignées pour former le nouveau conseil municipal « tous fidèles d’Émile Ollivier » ; M.Maillan en sera le nouveau maire.

18 novembre. Rapport de gendarmerie : « Les démagogues de Vidauban sont assez calmes, mais attendent 1852 pour, disent-ils, fricasser leurs épinards ».

3 décembre 1851. Dès l’annonce du coup d’État les membres de la Petite Montagne se réunissent et passent la nuit en discussion, surveillés sans le savoir par la gendarmerie.

Le 4 au petit matin, le chapelier Baptistin Jouannet, 21 ans, part pour Draguignan prendre les ordres. À son retour, vers les 14 heures, dès sa descente de cheval, un rassemblement s’opéra. Les fils de Joseph Marin se mirent à battre du tambour, la foule s’amassa. Émile Truc, maréchal-ferrant, enfonça la porte du clocher et les sons lugubres du tocsin appelèrent aux armes les citoyens des campagnes. Les insurgés installèrent une grande banderole en travers de la grande place et les gens dansaient la farandole. Le maire essaya de la faire enlever par le garde champêtre, mais la foule l’en empêcha.

À la mairie, le maire, M.Bernard, a essayé de faire front. Il a envoyé la gendarmerie aux lieux de réunion des sociétés secrètes, mais les gendarmes furent vite désarmés, menacés sans être trop malmenés, ils furent ensuite amenés à la mairie occupée entre temps par les insurgés, et emprisonnés dans ses cachots. Le maire classé « docile et acquis au coup d’État » dans un rapport au préfet, n’avait plus la situation en mains.

Les membres des sociétés secrètes tinrent un véritable conseil de guerre. Ils désignèrent une commission municipale forte de 13 hommes, dont Antoine Gayol, sous la présidence du vannier Joseph Bergier. M.Maillan, « officiellement » parti à la chasse pour deux ou trois jours à Cogolin et à La Garde Freinet, n’en faisait pas partie.

Des groupes de personnes armées furent placés à chaque entrée de la ville pour en contrôler les entrées et intercepter le courrier. C’est ainsi que, sur la route du Luc, le gendarme Neveu qui se dirigeait vers Vidauban dut rebrousser chemin après qu’Eugène Mouriès et Joseph Gayol eurent tiré quatre coups d’arme à feu dans sa direction sans l’atteindre. À ce niveau, une question vient à l’esprit, ces hommes étaient-ils vraiment des révoltés ? Tirer quatre coups de fusil de chasse sur un homme à portée de voix sans l’atteindre, il faut être vraiment mauvais tireur, je ne leur ferai pas cette injure. Ces coups de feu s’apparenteraient plutôt à des coups de semonce ou d’intimidation. Toujours est-il qu’à chaque fois la « maladresse » a empêché Joseph et ses compagnons de commettre l’irréparable.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, le pharmacien Isaac Votrin et le propriétaire Florentin Robert, en poste à la mairie, envoient Louis Blanc et Auguste Varagnol à Draguignan, au café Alter, rendre compte de la situation à Vidauban et prendre des ordres auprès de l’avocat Pastoret. Les coursiers arrivent à Draguignan peu avant le lever du jour, les ordres de l’avocat Pastoret étaient : « Restez tranquilles, lorsque les colonnes du Luc et de La Garde Freinet passeront par Vidauban pour marcher sur Draguignan, Vidauban devra les suivre ».

C’est également cette nuit-là que M.Maillan, prévenu, retourne à Vidauban et prend la tête de la commission municipale. Au petit matin, il organise, sous la surveillance d’Antoine Gayol, le retour des gendarmes dans leur casernement. Les gendarmes furent consignés dans leur caserne, vidée auparavant de ses armes et munitions.

La journée du vendredi, selon les rapports de gendarmerie, fut assez calme, la ville était soumise à un important va et vient.

Samedi 6 décembre. Jean Barthélémy, bouchonnier, avertit dans l’après-midi les gendarmes qu’une colonne d’insurgés arrivait du Luc emmenant avec elle des prisonniers dont les gendarmes de cette localité. Le brigadier Godillot, sa femme et les autres gendarmes s’enfuirent. Ne pouvant traverser la rivière d’Argens au pont naturel d’Entraigues gardé par des hommes en armes, le brigadier et sa femme revinrent à Vidauban où le brigadier fut à nouveau fait prisonnier. Le gendarme Rastignac put, lui, traverser la rivière à la nage (un coup de froid s’était répandu sur le département et la neige était tombée en abondance).

La colonne en provenance du Luc arriva vers les 4 heures du soir. Celle de La Garde Freinet à 7 heures. Je passe sous silence l’arrivée de Duteil, les réunions houleuses et les décisions prises. Toute la nuit, de ce samedi à dimanche, la ville fut parcourue par des hommes qui allaient frapper aux portes essayant de trouver le plus d’armes possible, amenant les hommes à moitié vêtus à la mairie, pieds nus dans la neige, pour Magloire Gayol, garde champêtre. L’excitation était à son comble, mais pendant ces trois jours aucune victime n’a été à déplorer, aucun blessé, aucune vengeance personnelle.

Le dimanche 7, vers 4 heures du matin, la colonne quittait Vidauban. Elle amenait avec elle son petit groupe de prisonniers auxquels s’était joint le brigadier Godillot. Privilégiés, Messieurs De Colbert père et neveu, Cahors, percepteur, Martial Geoffroy et le recteur des Mayons avaient obtenu d’être conduits en voiture sous la surveillance et parfois même la protection d’Auguste Pons et Paulin David.

Pour sa part, le brigadier Godillot n’a pas vécu sa marche aussi tranquillement, je le cite : « On nous a dit, si on nous attaque vous nous servirez de rempart, on vous placera au premier rang et si vous ne faite pas feu sur la troupe nous ferons feu sur vous. Nous arrivâmes à Salernes dans la nuit où on nous mit à l’hôtel Basset où nous séjournâmes tout le lundi et une partie du mardi. Dans l’après-midi, on nous fit partir pour Aups. Le lendemain mercredi nous fûmes délivrés par les troupes du 50e de ligne ». Pour eux, tout était terminé, non seulement ils n’avaient pas servi de boucliers humains mais ils avaient été logés à l’hôtel.

À la bataille d’Aups, les gouvernementaux n’eurent qu’un seul tué, le voltigeur Trunde de la Chapelle Saint Martial dans la Creuse et deux blessés. Les parents de Trunde ont reçu le produit d’une collecte organisée à Aups qui a rapporté 206 francs. L’un des deux blessés, certainement plus atteint que son camarade, a reçu de la part du préfet une somme d’argent donnée par les prisonniers délivrés.

Vidauban eut à déplorer deux morts : Célestin Gayol, vingt ans, et l’épicier Motu, père de 4 enfants, à Aups.

Joseph Gayol et M.Maillan firent partie du groupe qui réussit à rejoindre l’Italie.

Le temps des jugements était arrivé. Les gendarmes rédigèrent rapports sur rapports dont on peut mesurer la hargne dans celui-ci : « Goirand Jacques, cafetier, n’était pas à Vidauban lors de l’insurrection. N’a pas pris part aux désordres. A fermé son café qui était cependant le rendez-vous des démagogues. S’est sauvé quand il a vu ce qui se passait et a engagé plusieurs personnes honnêtes à fuir. Malgré les faits qui militent en sa faveur, il serait convenable, à cause de ses mauvais antécédents de l’interner pendant plusieurs années ».

288 Vidaubanais considérés comme insurgés furent inscrits sur un registre, certains étaient en fuite. Les âges s’échelonnaient de 18 à 65 ans. Parmi ces 288, 188 sont partis « de bonne volonté », 86 sont partis « contraints et forcés », 14 ne sont pas partis mais « prirent une part active à l’insurrection ».

6 femmes furent arrêtées et détenues à la prison de Draguignan, elles ont été libérées le 25 janvier 1852, soit après 45 jours de prison. Leurs témoignages se ressemblent. Elles ont suivi leurs maris, partis contraints et forcés, pour d’une part les aider à s’enfuir si possible et leur éviter d’être fusillés.

77 hommes furent condamnés dont 39 par contumace :

– 5 par la cour d’assises du 26 janvier 1853 dont Joseph Gayol condamné à mort.

– 72  par les commissions mixtes.

La sentence des commissions mixtes a été :

– 1 transfert à Cayenne

– 5 conseils de guerre

– 8 internements

– 3 transferts devant un tribunal de police correctionnelle

– 5 expulsés du territoire

– 12 transferts en Algérie +

– 28 transferts en Algérie –

– 3 éloignés temporairement

– 12 placés sous la surveillance de la police nationale, dont 2 femmes.

Le transféré à Cayenne a été le bouchonnier Jean Barthélémy, 40 ans. C’est pourtant lui qui avait prévenu les gendarmes et les avait engagés à s’enfuir. Il était parti, a-t-il dit, contraint et forcé. Mais pour son malheur il avait été condamné à l’âge de 19 ans à 11 ans de travaux forcés pour crime de vol. Il avait été réhabilité en 1848. En face de son nom, le juge avait noté ancien forçat. Son sort était réglé. Transporté à Cayenne, il a été par la suite rapidement gracié.

Antoine Gayol a effectué 4 mois de prison, motif : Immixion dans la fonction publique. Dans quel état d’esprit devait être cet homme, un fils mort, un autre condamné à mort…

Joseph Gayol a été acquitté le 30 octobre 1857, il est resté à Nice où il avait trouvé refuge et où il a fondé un foyer. On le retrouve toutefois le 13 octobre 1881 à Vidauban venu instruire son dossier d’indemnisation. Il signe un dossier intitulé « Dossiers d’une partie des hommes qui ont pris part aux événements du coup d’État en 1851 et qui plus tard se sont jetés corps et âme dans les bras de l’empire ». Suivent 16 noms et ce qui leur est reproché. Julien Donnat a eu droit à cette étiquette : « Après avoir été l’homme de la terreur rouge, il est devenu l’homme de la terreur blanche ». Le rapport se termine ainsi : « Les soussignés déclarent que toutes les personnes indiquées plus haut ont fait depuis 1851 de l’opposition systématique à la République et protestent contre toute indemnité qui pourrait leur être accordée ».

Avant de terminer, une petite touche de sourire. Déposition de Madame Claire Blot : « Mon mari, le sergent de ville Riboud, a reçu de la part de Joseph Gayol un coup de pied au derrière tellement fort qu’il est allé heurter de la tête la porte d’en face ».

Voilà brièvement rapporté ce qui s’est passé à Vidauban durant cette douloureuse période.

 

Georges GAYOL

 

Bibliographie : Archives Départementales du Var, Séries U 4 U 3-7, U 4-187, U 2-4, M 4 M 15 à 39

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