LES DECRETS DES 4 ET 5 MARS 1848

LES DECRETS DES 4 ET 5 MARS 1848

Texte de l’allocution prononcée par Jarry Jean à l’occasion du banquet annuel du 24 février 2005 au « Cercle démocratique des travailleurs » de Nans-les-Pins (Var)

Mesdames, Messieurs, Chers amis,

S’il fallait choisir deux bonnes raisons, deux seules pour fêter, avec le 24 février, l’avènement de la Seconde République, je choisirais  les deux décrets des 4 et 5 mars 1848.

 

Le décret du 4 mars :

«…considérant que nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves » il avait créé une commission présidée par Victor Schoelcher qui décidera le 27 avril de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

 

Le décret du 5 mars :

Reprenant une décision de principe du 2 mars prise par le gouvernement provisoire décide que :

« Le suffrage sera universel et direct, sans la moindre condition de cens ».

Tous les Français mâles âgés de 21 ans sont appelés à élire le 9 avril, au scrutin de liste et au chef-lieu de canton, une Assemblée Constituante dont les 900 membres toucheront chacun une indemnité parlementaire de 25 francs par jour.

Le nombre des électeurs passe de 250 000 à plus de 9 millions.

Le ministre de l’Intérieur, Ledru-Rollin est chargé de l’application. Il s’agit d’écarter  les « éléments corrupteurs » qui, sous le règne de Louis-Philippe, avaient faussé le jeu électoral : il faut permettre à la volonté populaire de s’exprimer librement.

Ledru-Rollin remplace les préfets de Guizot par des commissaires du gouvernement provisoire. Pour la plupart d’origine bourgeoise, ils s’appuieront rarement sur les couches populaires. C’est ainsi qu’à Marseille arrive le jeune Emile Ollivier.

 

Le 17 mars 1848, une importante manifestation ouvrière oblige le gouvernement provisoire à reporter du 9 au 23 avril la date des élections à l’Assemblée Constituante.

Deux semaines supplémentaires, cela ne suffira pas. Les ouvriers parisiens le savent bien : faute d’une éducation politique suffisante, les masses rurales éliront des notables royalistes, soutenus par le clergé.

 

L’Assemblée Constituante élue est quasi exclusivement bourgeoise. Elle ne compte qu’une quinzaine seulement d’artisans ou d’ouvriers élus. 300 députés sont des royalistes connus. Seulement 285 sont d’authentiques républicains de la veille. Les « radicaux », les « socialistes », sont les grands vaincus.

 

A SAINT-MAXIMIN (VAR), SOUS LOUIS-PHILIPPE

Une quarantaine de censitaires a seule le droit de voter aux municipales et dirige donc la ville. Leur revenu annuel déclaré va de 400 francs (Porte, fabricant de cierge) à 4000 francs (Sudre, Boyer). Jean Honnorat, notaire et propriétaire, déclare 2500 francs, Louis Rostan, 1800 francs. Un ouvrier est payé 0,20 francs de l’heure quand il a du travail.

La commune est divisée en trois zones (Nord, Sud et Centre, parallèlement à la Grand-rue, rue Marie-Magdeleine à l’époque.) Chaque zone élit ses conseillers municipaux tous les trois ans

(quinze conseillers en 1840) qui choisissent le maire et deux adjoints (mais ceux-ci sont « nommés » par ordonnance royale et ils prêtent serment : « je jure fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aussi aux lois du royaume »)

 

APRES FEVRIER 1848, A SAINT-MAXIMIN 

Une commission municipale est nommée après février et à ce titre organise les élections municipales du 30 juillet 1848. La commission -nommée par le préfet, commissaire de la République- est dirigée par Amable Moutte, propriétaire, qui fut maire censitaire en 1841-43-46 et est devenu un « républicain du lendemain ». C’est lui qui nous donne le résultat des « municipales de 1848 » dans un « Rapport confidentiel à propos des élections municipales » qu’il adresse au préfet :

 

« Depuis que le renouvellement des municipalités existantes a été proposé à l’Assemblée Nationale, le parti légitimiste  a commencé à s’agiter, soutenu par le clergé et notamment par le curé ; ce parti, qui se vante publiquement de voir arriver au premier jour son roi de prédilection, était parvenu à mettre de l’hésitation parmi les hommes timides qui se rangent toujours du côté de ceux qu’ils croient être les plus forts. »

 

Moutte explique ensuite pourquoi il ne s’est pas lui-même présenté avec ses adjoints, puis continue son analyse :

 

« 174 électeurs sur 998 inscrits (17% des inscrits) ont fait les élections municipales. Les conseillers municipaux élus sont tous royalistes, pas un d’eux n’est républicain. »

 

Le dernier recensement donnait 3663 habitants. Curieuse élection et difficile apprentissage du suffrage universel !

Les électeurs rassemblés sont appelés par ordre alphabétique et le scrutin dure trois heures. Le 23ème conseiller n’ayant pas obtenu la majorité requise, il faudra procéder à un second tour, le lendemain à 8 heures. Il n’y aura plus que 30 votants.

L’élection du maire est un feuilleton : Ricard, commandant de la garde nationale et arrivé en tête, refuse le poste ; Louis Rostan également, mais huit jours plus tard, élu à l’unanimité, il acceptera mais démissionnera en novembre et laissera la place à Jean-Joseph Honnorat, le notaire.

 

Et les républicains ?

Ils ne sont pas présents aux élections. Ils existent, peu nombreux. Clandestins, semi-clandestins, jusqu’au 24 février. Leur travail sera remarquable dans les semaines qui suivent ; en deux années, ils vont faire de Saint-Maximin une commune républicaine.

Qui sont-ils ? Un organisateur respecté, connu, Monsieur Moulet, Pierre Moulet, menuisier, fils d’aubergiste, devenu marchand de bois ; Bonfils, le pharmacien ; Bayol, le greffier ; deux fils de riches propriétaires, puis des artisans : perruquier, cafetiers, le fournier Giraud…

Ils vont, jour après jour, rallier à eux des petits paysans propriétaires ou journaliers. Comment ?

Traditionnellement, artisans et paysans se retrouvent dans les « chambrées », dans l’arrière- salle d’un cafetier, dans une remise aménagée. On se retrouve par affinité pour passer une soirée. On y joue, on y lit un journal…

Ces « chambrées » vont devenir des « cercles » républicains. Leurs membres prêteront un serment et seront affiliés à une société secrète : la « Jeune Montagne ». Saint-Maximin est reliée à Marseille et au Haut-Var. Ils veulent une « bonne » république : des prêts à des taux modérés, une école gratuite et au-delà…

Il faut faire vite. Dès 1850, la Seconde République est menacée. La France rurale a élu Président, Louis Napoléon Bonaparte, le neveu. Et les Républicains espèrent gagner les élections de 1852.

Le Prince-Président prendra les devants …

 

Ainsi, en quelques années (1849-1850-1851), Saint-Maximin, ville blanche légitimiste, est devenue une ville au républicanisme avancé.

 

Avec le 24 février, ce sont ces petites gens que nous saluons aujourd’hui.

Ces paysans, ces artisans (qui ont fait, en même temps que Victor Hugo, le même chemin que lui) et qui, courageusement, fidèles à leur serment, prendront les armes pour défendre la République.

Jean Jarry