Chavannes, 1848-1851

[Article pour les journaux « l’Impartial de Romans » et le « Local de la Vallée de l’Herbasse », compte-rendu de la soirée du 26 octobre 2001]

Chavannes 1848, 1851: Pour la République

Jean-Michel Effantin

 

             A l’invitation de la commune de Chavannes, près de 70 personnes se sont retrouvées vendredi 26 octobre pour assister à la soirée sur le thème « Chavannes 1848, 1851: Pour la République », qu’avait préparée l’Association de Sauvegarde du Patrimoine en collaboration avec Sports et Loisirs de Chavannes.

            M. René Merle, agrégé d’histoire et docteur ès lettres, président de l’association « 1851-2001 », s’était déplacé de Toulon pour porter sur les événements de Chavannes le regard d’un historien spécialiste de la Seconde République. Son exposé encadrait les interventions de M. J.-Michel Effantin qui, par une lecture de témoignages et documents d’époque, prêta sa voix aux Chavannais d’il y a 150 ans, et de M. Robert Serre, historien venu de Grane, pour tracer un tableau des affrontements qui eurent lieu à Crest entre les insurgés républicains et l’armée les 6 et 7 décembre 1851.

 

            Le public attentif et intéressé découvrit ainsi comment se manifestèrent ouvertement dès l’avènement de la République en 1848, les aspirations progressistes d’une part de la population de Chavannes, qui comprenait aussi bien des propriétaires aisés que de pauvres cultivateurs ou artisans, et qui s’affrontait aux « blancs » de la commune dont le chef de file était le notaire Jean-Antoine Galland, propriétaire du château du Mouchet. C’est le parti des « rouges » qui remporta les premières élections municipales au suffrage universel masculin, autour du nouveau maire Benjamin Boffard, natif de Bren.

            Contraints à la clandestinité à la suite du durcissement de la politique du président Louis-Napoléon Bonaparte, les républicains se constituèrent en sociétés secrètes dans tout le Sud-Est: À Chavannes, à partir de l’été 1851 ces sociétés se réunirent régulièrement de nuit dans des endroits isolés (baumes, combes ou bois de Briand), elles faisaient partie d’un réseau départemental bien structuré qui touchait tout le canton de Tain, et ses environs, dont en particulier Marsaz.

 

            À l’annonce du Coup d’Etat du 2 décembre 1851, où la force militaire et policière fut employée pour disperser l’Assemblée et abroger la constitution, les sociétés secrètes sortirent de la clandestinité pour faire échec au coup de force en tentant de s’emparer de la préfecture de Valence. Mais la défaite de l’insurrection devant Crest le 7 décembre, comme les hésitations des chefs républicains accablèrent les insurgés de Chavannes : ceux-ci, qui s’étaient conformés aux instructions du plan de résistance en se rassemblant au début de la nuit du 7 décembre pour marcher sur Valence, s’emparèrent d’abord avec violence des fusils des « blancs » avant de se porter sur le château du Mouchet, mais ils se dispersèrent assez vite à l’arrivée d’un contre-ordre venu des chefs de Tain.

            Ces deux heures d’agitation, dont le bilan matériel se résume en fait à deux ou trois serrures de portes forcées, et où les seules blessures aux personnes furent celles que causèrent menaces et injures, seront cependant lourdes de durables conséquences pour tous les « rouges » de Chavannes. Emprisonnés après de véritables chasses à l’homme, 30 inculpés, dont 5 des 10 conseillers municipaux élus en 1848, furent victimes d’une justice d’exception particulièrement expéditive: 9 seront condamnés à la déportation en Algérie, pour 5 ou 10 ans (Benjamin Boffard père et fils, Saraillon François père et fils, Silvestre Jacques père et fils, Pierre Michon, Jean Carre, Jean Vatelier) et 1 au bagne de Cayenne. Les déportés en Algérie seront tous graciés avant fin 1853 mais certains devront quitter leur village. Frédéric Bret, âgé de 26 ans, embarqué pour Cayenne en mai 1852, ne sera de retour en France qu’en février 1857. Il rentrera alors à pied en 30 jours de Quimper à Chavannes, où il passera les vingt dernières années de sa vie.

            Chavannes, dont près de 10% de la population fut inquiétée pour sa participation à la résistance au Coup d’Etat de 1851, est la commune du département de la Drôme qui fut en regard de sa taille la plus fortement touchée par la répression.

           

            L’émotion de l’assistance à l’évocation de ces moments tragiques de l’histoire des Chavannais était manifeste, comme chez beaucoup la satisfaction de voir que toute leur signification était enfin redonnée à des événements dont le souvenir, 150 ans après, était singulièrement confus ou incomplet.

            On peut souhaiter que les matériaux présentés en cette soirée et les commentaires qui les ont accompagnés soient rassemblés dans une brochure qui permette aux Chavannais, comme à tous les curieux de notre histoire locale, de retrouver l’écho d’une soirée à tous points de vue exceptionnelle.