Bédarrides : la réaction des Républicains face au coup d’Etat
publié dans le bulletin numéro 18, octobre/novembre 2001 Bédarrides (Vaucluse) : La réaction des républicains face au coup d’État du 2 décembre 1851 par Alain Sicard
L’histoire officielle n’aura retenu dans l’événement du 2 décembre 1851, que la naissance du Second Empire ponctuée d’un soulèvement populaire dans la capitale. Certes il existe encore des ouvrages récents qui ne disent pas un mot du soulèvement de la province. A. Castelot a écrit deux forts volumes sur Napoléon III sans une seule ligne sur la résistance populaire en province. Luc Willette dans son excellent livre Le coup d’État du 2 décembre 1851, édition Aubier Montaigne, 1982, termine son ouvrage par un paragraphe intitulé “Un petit guide de lecture”, dans lequel on peut lire : “Sous la IIIe République, – le souvenir de l’empire étant encore très vivant – l’on trouvera d’une part l’ouvrage de M. de la Gorce, apologiste de l’ordre, donc du coup d’État, et le livre fondamental de Seignobos, La Révolution de 1848 et la Seconde République dans l’histoire socialiste de Jaurès.[…] Mais la quasi-totalité de ces études braquent le projecteur sur Paris, ignorant presque totalement les événements de la province, pourtant essentiels”. La réalité est plus intéressante, plus nuancée. Il ne s’agit pas d’une jacquerie, mais de soulèvements plus ou moins importants suivant les régions, sans liens de coordinations, en quelque sorte une multitude de révoltes locales, aujourd’hui bien connues grâce aux travaux d’historiens confirmés, de thèses et mémoires d’étudiants, d’érudits locaux. Les départements du Sud-Est de la France ont été les plus ardents défenseurs de la République, leur résistance au coup d’État de Bonaparte fut à la hauteur de l’émoi qu’il suscitait dans les campagnes. Le département de Vaucluse y participa bien que la répartition géographique à l’insurrection fut tout à fait inégale et ne couvrît pas l’ensemble du territoire. Les grandes villes, Avignon, Carpentras, furent rapidement contrôlées par l’armée, à l’exception de la ville d’Orange qui passa sous le contrôle des insurgés poussant une zone d’influence d’Ouest en Est comprenant les villages de Caderousse, Courthezon, Bédarrides, Monteux. La commune de Sorgues qui présentait une concentration ouvrière naissante resta à l’écart de l’insurrection. À noter que Sorgues comptait une bourgeoisie d’industriels, d’influence carliste. Une seconde zone montre une adhésion républicaine encore plus marquée, le secteur Sud-Est du département, comprenant les villes d’Apt, Pertuis, Isle sur la Sorgue. L’éloignement d’Avignon et le voisinage des Alpes-de-Haute-Provence font certainement partie des éléments expliquant cet engagement. Le Vaucluse, à ma connaissance, n’a pas fait l’objet d’études globales sur la réaction au coup d’État, à l’exception de L’histoire du département de Vaucluse, qui effleure cette période. En ce qui concerne les études universitaires, thèses, mémoires, deux documents dactylographiés sont déposés aux archives départementales : (A.D Vaucluse 1F98) Le parti révolutionnaire à Avignon au coup d’état et sous le second Empire, de M.Glockner. (A.D.Vaucluse 1J227) L’insurrection républicaine dans le canton d’Orange lors du coup d’état du 2 décembre 1851, de Françoise Veyne.
– Le canton de Bédarrides dans l’opposition au coup d’État. Bédarrides situé au centre du triangle, borné par Avignon, Carpentras, Orange, est un bourg comprenant en 1848-1851, 3635 habitants, le village ne comporte pas d’industries importantes, il est essentiellement agricole. Administrativement, Bédarrides est le chef-lieu de canton et dépend de l’arrondissement d’Avignon. Un moment fort a marqué l’histoire du village. En septembre 1791 s’est tenue dans l’église l’assemblée électorale qui a décidé le rattachement du Comtat Venaissin à la France. À cette date, Bédarrides unissait sa destinée à la République. La défendre quelques années plus tard peut apparaître comme logique.
– L’insurrection à Bédarrides Dans la soirée du 4 décembre 1851 entre 7 et 8 h. du soir, une foule d’hommes et de femmes ayant leurs meneurs en tête partirent en troupe du café Tort[1] où était autrefois la société de la Montagne et se rendirent à la mairie. Ils arrivèrent en criant et vociférant : “vive la république rouge”, “vive la sociale”, “à bas les blancs”, “il faut faire passer le maire par la fenêtre”. Enfin ils envahirent la salle des séances. L’adjoint Chabert[2] y tenait une réunion pour l’adjudication de la ferme du pesage et mesurage public. Les bougies de l’adjudication brûlaient encore lorsque le dénommé Benjamin Daruty[3], l’un des meneurs parut tenant en main un papier sur lequel était écrite la dépêche télégraphique mentionnant la dissolution de l’Assemblée Nationale. C’est alors l’adjoint Chabert lui-même dont le témoignage nous est parvenu (A.D.V1M776) qui décrit la scène : “Je voulus essayer de m’adresser à la foule pour les appeler à la tranquillité, mais je fus interrompu par la voix du dit Daruty, lequel après avoir donné lecture de la dépêche, donna également la liste des membres du comité républicain provisoire de la commune de Bédarrides qu’ils avaient organisé avant dans leurs réunions. Le président du comité[4] mit aux voix en demandant à ces forcenés s’il devait me mettre en prison. La foule répondit “ faites le passer par la fenêtre ” en y ajoutant toutes les injures et menaces possibles. Enfin Mr Daillan[5] qui était sans doute l’instigateur de cet attroupement, usant de son influence, prit la parole et dit : “ la république demande des actes de clémence, je vous demande grâce pour le citoyen Chabert ”. Alors la foule se tut et Mr Daillan me prit par la main et me conduisit à ma maison, les membres du comité restèrent maîtres de la mairie… Toute la nuit des promenades, des chants et des vivats se firent entendre dans Bédarrides”. Ce texte est tiré de la déposition faite par le premier adjoint Chabert Joseph le 6 décembre 1851. Durant la nuit du 4 au 5 décembre 1851, les membres de la société secrète restèrent à la mairie et tinrent un véritable conseil de guerre. Les nouvelles du département faisant défaut ainsi que les directives des chefs républicains, cette situation commençait à peser sur les décisions. Vers 9 heures du matin, le comité décida de dépêcher César accompagné d’un autre personnage, dont on ne signalera pas l’identité, afin d’attendre l’arrivée du facteur de Sorgues. La déposition du facteur en date du 9 décembre complète l’information sur cette arrestation : “Je me nomme François Abadie, âgé de trente-deux ans, facteur rural attaché au bureau de Sorgues, domicilié à Sorgues. Le vendredi 5 décembre vers 9 heures du matin, arrivé au Pont Neuf sur la Sorgue de Bédarrides, je fus arrêté par deux hommes dont un armé d’un fusil et d’un sabre. L’autre avait une fourche et un panier au bras, celui qui était armé du fusil était le nommé César Michel, l’autre je ne le connais pas, c’était un homme d’une quarantaine d’années, ayant des moustaches. Ils me dirent : “ nous avons ordre de vous conduire à la mairie ”. Je m’accompagnai d’eux jusqu’au portail dit Poustarlon. Je voulais m’arrêter pour distribuer quelques lettres et savoir ce qu’il se passait dans le pays, mais on ne me permit pas, et celui qui avait la fourche disparut. Je me rendis à la mairie. En arrivant, je trouvai la grande table des séances jonchée de bouteilles, de pain et d’assiettes. À ce moment, une dizaine d’individus sortirent du cabinet du maire et me demandèrent si j’avais des dépêches. Je leur répondis que cela ne les regardait pas, alors un des assistants me dit : “ vous n’avez rien à craindre, les autorités ont été dissoutes hier au soir. Je vous invite à me donner les dépêches. Je suis le président du comité démocratique et social ” Malgré leurs paroles, je m’apprêtais à résister et me disposais à partir, quand on cria : “ fermez la porte, arrêtez-le ”. Une trentaine d’individus me sautèrent dessus, me saisirent par les bras, par le corps et allaient m’enlever les dépêches quand une voix qui partit du cabinet dit : “ ne lui faites pas de mal, qu’il donne les dépêches et nous lui donnerons un reçu ”. Voyant que la résistance était inutile, je leur remis les dépêches destinées à la mairie de Bédarrides”. Dans son rapport, le facteur Abadie signale la présence de Daruty et Reynaud, ancien secrétaire de la mairie, qui écrivait. D’autre part, deux factionnaires montaient la garde en armes, l’un à la porte de la mairie, l’autre à l’entrée de la salle du conseil qui était remplie de fusils. Le facteur repartira pour Sorgues avec un reçu pour deux dépêches télégraphiques datées du 2 décembre 1851, l’une contenant trois proclamations du président de la République à l’armée, l’autre trois appels au peuple. Le reçu daté du 5 décembre est signé Daruty avec l’en-tête suivante : “Le Comité provisoire de la commune de Bédarrides” (A.D.1M776). Ce jour du 5 décembre fut employé par le comité à collecter des nouvelles. Les dépêches remises par le facteur Abadie n’ont pas démoralisé le comité, la lutte contre le coup d’état lui semble encore possible, il cherche des appuis et essaie de porter l’insurrection dans les communes voisines.
À Châteauneuf-Calcernier (Châteauneuf du Pape)[6] où se rendent le 5 au matin Gonnet Antoine et Tort Napoléon. En chemin, ils s’arrêtent au domaine de la Fortiasse (actuellement Château Fortia) pour exciter les paysans à faire insurrection et à s’emparer de l’autorité municipale. Le fermier de la Fortiasse sera amené à comparaître devant le juge de paix le 30 janvier 1852. Les renforts d’Orange[7] : Le 4 décembre, un dénommé Petit de Bédarrides fit venir d’Orange des renforts. Ces hommes dont on ne connaît pas le nombre se rassemblèrent aux St Laurent entre Courthezon et Bédarrides. Les Républicains du village de Sarrians[8] : Dans la nuit du 4 décembre Crestian et Ligouzat, tous deux membres de la société secrète de Bédarrides, se rendirent au village de Sarrians pour y chercher des renforts qui vinrent tout près de la grange de Prend toi garde. Une lettre anonyme adressée au commissaire de police de Sorgues signale que le maître de Prend toi garde épouvanté tomba malade.
– La répression À lire la presse de l’époque, la résistance républicaine au coup d’état a été une affreuse jacquerie. À Bédarrides, les républicains se sont levés pour défendre la République, s’opposant à Bonaparte qui en avait violé les principes. Il n’y eut pas de châteaux brûlés. L’église ne fut pas saccagée, pas de citoyens égorgés ni de jeunes filles violées. L’attitude du maire Daillan prenant l’adjoint Chabert sous sa protection lui vaudra la clémence de la commission mixte de Vaucluse. Pourtant la répression va être terrible, en proportion de la peur éprouvée par les gens du pouvoir. Les départements insurgés vont être mis en état de siège et livrés à l’armée, Bédarrides n’échappera pas à la chasse à l’homme L’adjoint Chabert collaborera avec l’armée et la gendarmerie, en facilitant les arrestations. Le rapport du 5 décembre de la 16ème légion de gendarmerie décrit avec détails la méthode employée : “L’an 1851 et le 5 décembre, nous Blancar Jean Baptiste Joseph, lieutenant de gendarmerie, officier de justice auxiliaire de Mr le Procureur de la République à Avignon, rapportons avoir été délégué et requis par Mr le Préfet de Vaucluse à l’effet de me transporter dans la commune de Bédarrides avec le brigadier Rott, 10 gendarmes, d’un détachement de 25 hussards, y arrêter les individus qui, dans la soirée du 4, s’étaient dirigés à la mairie de cette localité armés de fusils doubles, simples, et de pistolets, s’être emparés de vive force des pouvoirs de Mr Chabert adjoint, remplissant les fonctions de maire provisoirement, en le forçant sous peine d’être précipité par la croisée de rendre le sceau. Arrivés au dit lieu, nous sommes allés à la mairie où nous avons fait inviter Mr Chabert de venir. Là, avons prié cet administrateur de vouloir bien nous désigner les noms des personnes qui s’étaient livrées à un pareil acte à l’égard de son autorité ; a répondu ne pas les connaître toutes par leurs noms, mais qu’en les voyant il pourrait en désigner une grande quantité, ce à quoi nous avons procédé immédiatement. L’arrivée du détachement à Bédarrides ayant excité la curiosité et attiré presque toute la population dans les rues où elle stationnait, avons saisi cette occasion pour opérer. Nous nous sommes empressés de parcourir les boulvards (sic) du lieu en compagnie de Mr Chabert et des gardes, et par des signaux convenus il nous montrait ceux qui s’étaient rendus coupables des faits mentionnés ci-dessus. Après avoir terminé notre parcours et opéré les arrestations, nous sommes de nouveau rentrés à la mairie pour nous assurer des noms des individus en notre possession, lesquels, interpellés les uns après les autres, ont répondu se nommer : Thor Baptiste, Girardin Joseph, Michel César, Reymond Pierre, Bonhomme Étienne, Roux Joseph, Guérin Auguste, Gonet Jacques, Christian Joseph, Girardin Étienne, Dupin Théodore, Barthelemy Pierre, Laffay Eugène, Gonet Joseph, Auban, Joseph, Thor Mathurin. Les nommés Arnaud, Bertet Isidore, Marron Noël, Monnier, se sont trouvés absents et n’ont pu être arrêtés”. Morny ministre de l’intérieur, demi-frère de Louis Bonaparte entend contrôler totalement la répression et la rendre acceptable pour la justice. Écraser les Rouges reste son but, sans toutefois faire basculer l’ensemble de la population de leur côté. La création de commissions mixtes départementales est définie par la circulaire du 3 février 1852. Ce sont les juridictions exceptionnelles qui prendront le relais de la répression exercée par l’armée. Une circulaire du 11 février 1852 signée Morny définit les compétences de ces commissions départementales : – juger tous les individus ayant pris part à l’insurrection. – les hommes hostiles au gouvernement. – ceux qui ont des opinions avancées. La procédure se déroule à huis clos ; les inculpés n’ont pas droit à un avocat, les décisions sont sans appel. Treize républicains de Bédarrides seront jugés par la commission mixte de Vaucluse. Une brève analyse socioprofessionnelle des condamnés en dit plus qu’un long discours, la composition du groupe républicain qui a tenté de s’opposer au coup d’État est la suivante : Un médecin, un boulanger, un cafetier, un postillon, un cordonnier, un cantonnier. Sept agriculteurs soit 53,8% des condamnés. Trois seront condamnés à l’Algérie -, six internés hors du Vaucluse, quatre internés en Vaucluse.
Alain SICARD (Bédarrides)
A.Sicard a joint à son étude la liste des condamnés et des pensionnés de 1882, des documents sur la période, ainsi qu’une belle biographie d’Étienne Daillan (1808-1854), médecin, maire de Bédarrides du 15 septembre 1848 au 21 avril 1849, date à laquelle il est suspendu par le préfet. Militant démocrate-socialiste, fondateur de la société secrète de Bédarrides après la dissolution par le préfet du cercle “rouge” de la Bienfaisance, reformé sous le nom de cercle des Paysans, Daillan sera une figure marquante de l’opposition au coup d’État. Nous tenons ces documents à la disposition de nos adhérents. [1] Le café Tort était situé dans la grande rue à proximité de la mairie, le premier étage étant occupé par une salle de réunion, siège de républicains. [2] L’adjoint Chabert est désigné comme d’opinion légitimiste par le commissaire de police deSorgues dans un rapport au préfet de Vaucluse. [3] Benjamin Daruty, né Colin le 1er juillet 1827 de Marguerite Colin et de père inconnu (état civil de Bédarrides). Il était connu à Bédarrides sous l’appellation Daruty. Les documents de pensions pour les victimes du coup d’État (A.N ,INV/AMF8) donnent l’état civil suivant : Colin ou Collin Benjamin dit Daruty (dossier 27, F154110). [4] Arnaud Claude, cordonnier, âgé de 28 ans, président du Comité. [5] Daillan Etienne Théodore, médecin, né à Lorient, Morbihan, fondateur de la société secrète à Bédarrides. Cf indications à la fin de l’article. [6] A.D.Vaucluse 1M776 [7] Id. [8] Id. |