Lettres de la mère d’un déporté de Gonfaron (Var)

article mis en ligne le 7 mai 2022 et complété le 22 juin 2022

Documents aimablement communiqués par Mathieu Debels

 

Documents

 

Lettres de la mère d’un déporté de Gonfaron (Var) à son fils transporté en Algérie

 

L’orthographe originale est respectée dans la transcription.

 

Monsieur Minjaud Auguste interné politique à Bouffarick

Afrique

P. d’Alger

 

Gonfaron, le 4 juin 1853

 

Mon cher fils Auguste,

Un rayon d’espoir vient de luire, tu touche enfin au terme de tes peines, car le jour de ta délivrance approche ; mais il faut que tu fasses toi-même des démarches sitôt après la réception de la présente tu te feras faire une soumission à l’Empereur par une personne qui soit capable et tu la feras signer par un des chefs qui te commandent après l’avoir signée toi-même. Sans la signature d’un de tes supérieurs elle ne produirait aucun effet ; après avoir rempli toutes les formalités voulues tu me l’enverras, moi je la ferais parvenir à un Monsieur employé à la Préfecture à Draguignan quia promis de te mettre sur la liste que l’on doit présenter à l’Empereur le 15 d’août ; alors en ayant cette pièce tu es sur de ne plus être oublié ; ainsi fais tes diligences et de tarde pas longtemps parce qu’il faut que la liste soit clôturée avant la fin du mois.

Il faut que tu me l’envoie avant le 15 courant.

Reçois les compliments affectueux de tous tes parents et amis. Ton frère et moi t’embrassons du cœur.

Dans le doux espoir que tu me seras enfin bientôt rendu je me dis ta mère dévouée.

Elisabeth veuve Minjaud

 

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La seconde lettre porte le cachet du Luc le 19 septembre, celui de Marseille le 20 et d’Alger le 27.

 

Gonfaron, le 18 7bre 1853

 

Mon cher fils Auguste,

 

Je viens une troisième fois te prier et te renouveler de faire une demande en grâce et de l’adresser, cette fois. Tu trouveras au bas de la présente le modèle de cette soumission que ton oncle l’abbé Benjamin a rédigé lui-même aujourd’hui, il m’a aussi tracé la marche que tu dois suivre et que je vais te transmettre. Tu devras obtenir des autorités un certificat de bonne conduite et le faire signer par le plus grand nombre possible des habitans de Bouffarick[1] plus un certificat de ton commandant militaire ou une demande en grâce ; et m’adresser le tout à Gonfaron et ton oncle l’abbé l’enverra à monsieur le préfet. Je t’en prie au nom de l’amour que j’ai pour toi fais ce que je te dis et tu mettras un terme à mes douleurs qui sont toujours plus vives.

Tu trouveras ci-derrière le modèle de la demande en grâce.

 

Sire,

Permettez à un pauvre interné dans la province de Bouffarick en Afrique, de se jeter à vos pieds et de vous prier de le rendre enfin à la patrie.

Voilà bientôt deux ans que je vis loin de ma vieille mère veuve et toujours désolée ; depuis lors j’ai fait remettre entre les mains de mes chefs l’expression de mes regrets et de ma soumission pure et simple à votre gouvernement et que je renouvelle volontiers en ce jour.

Oui, Sire, je déplore du fond de mon cœur la part que j’ai prise, dans un moment d’entrainement, aux malheureux événements de Décembre 1851 et je vous promets qu’une fois auprès de ma famille, vous n’aurez pas de sujet plus fidèle que celui qui a l’honneur d’être,

Avec le plus profond respect, de votre majesté le très humble et très obéissant serviteur et sujet.

Auguste Minjaud

Bouffaric le……. 1853 de Gonfaron dépnt du Var

 

Voici le modèle, fais la faire à une personne capable.

Reçois les compliments de tes parents et amis.

Ton frère et moi t’embrassons du cœur.

Ta mère dévouée

Elisabeth veuve Minjaud

 

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André Auguste Minjaud est né à Gonfaron le 4 août 1822, d’André, tailleur[2], et d’Elisabeth Rousse.

Bouchonnier à Gonfaron en 1851, il habite rue de la Boucherie avec sa mère et son frère ainé Auguste Benjamin, propriétaire cultivateur.

Il est condamné par la commission mixte à la déportation en Algérie pour 5 ans : « A pris part à l’insurrection. A arrêté le brigadier de gendarmerie en lui disant : « Coquin c’est au nom du peuple souverain que vous êtes prisonnier » et l’a emmené. »

Déporté au camp de Birkadem, sa peine est commuée en surveillance le 16 août 1855, à l’occasion des grâces données la veille pour la Saint-Napoléon, fête nationale.

L’inventaire des Demandes de grâces des condamnés des commissions mixtes de 1852, établi par Danis Habib[3], ne répertorie pas de demande d’Auguste Minjaud. On peut donc raisonnablement douter qu’il ait suivi les conseils de sa mère…

Il fera toutefois une demande de grâce le 2 mars 1856 pour mettre fin à la surveillance[4].

Il épouse à Gonfaron, le 13 avril 1856, Dorothée Marie Benestan, 20 ans, née à Gonfaron d’un cultivateur de Sainte-Anastasie. Ils auront deux enfants nés en 1857 et 1858 qui seront les bénéficiaires de la pension attribuée aux victimes du coup d’Etat en 1881.

Auguste Minjaud est décédé à Gonfaron le 25 novembre 1862. Il était alors employé de la gare.

 


[1] Lire Boufarik. Après un internement dans la colonie pénitencière de Birkadem, certains déportés étaient transférés à Boufarik.

[2] Cultivateur au recensement de 1841.

[3] Centre historique des Archives nationales, 1997

[4] Demandes de grâces…, op.cité.