Hommage à Maurice Janetti

Article publié dans l’ouvrage d’hommages Maurice Janetti. Du Verdon au Palais Bourbon, Itinéraire d’un laïque républicain, Patrimoine et Libertés, 2003

 

Maurice Janetti

 

 

René Merle

 

Nous étions quelques rares Varois, dont Maurice Janetti, élèves-maîtres dans cette promotion de l’école normale d’Aix, en ce début des années 1950. Mais ce n’est pas notre origine varoise qui en ce temps aurait pu nous rapprocher.

Car les terres du Haut-Var sur lesquelles il retournait à l’occasion de nos “décales” bi-mensuelles étaient alors pratiquement inconnues au Varois du littoral (La Seyne) que j’étais. Mes parents n’avaient pas de voiture et mes déplacements en vélo vers ce Grand Nord ne dépassaient pas Brignoles.

Et donc, lors de nos jours de sortie, c’est vers l’Ouest, vers Saint-Maximin, et Seillons, qu’il s’en allait, alors que je “descendais” prendre le train à Marseille. C’est seulement dans le giron de l’école que nous pouvions vraiment échanger. Échange difficile : Janetti était un garçon renfermé, silencieux, presque écorché vif, plus enclin à l’exercice physique qu’à la discussion adolescente, surtout si elle s’engageait sur des sujets politiques. Sans doute cette timidité butée procédait-elle d’un double complexe qu’il ressentait-il durement, dans cette école au recrutement pourtant très majoritairement populaire, et grandement rural, le double complexe des origines italiennes directes et de la pauvreté familiale ?

Je n’en ai été que plus (heureusement) surpris, plus tard, quand le Varois que j’étais redevenu, après des plus septentrionales années de professorat, de découvrir dans M. Janetti, à travers mes engagements pédagogiques, et politiques, non seulement le réalisateur que l’on sait, mais un vrai communicateur.

Mais je n’étais pas surpris de voir avec quelle sincérité évidente il se réclamait de ses origines populaires pour défendre ses idées et les mettre en œuvre, en illustration de ce “socialisme pratique” qui est celui d’un certain socialisme varois depuis ses origines, depuis les caves coopératives et les fontaines de village aux charnières des 19e et 20e siècles.

Et j’ai vraiment alors compris combien ce fils du peuple, et fils d’immigré, à travers ce qui pouvait apparaître à certains comme du narcissisme ou du dirigisme, voyait dans la “République démocratique et sociale” celle de l’égalité des chances qui devait pouvoir permettre à tous, dans la mesure de leurs capacités et de leur énergie, de se réaliser, non pas dans l’égoïsme individuel, mais dans le progrès collectif.

Nos dernières rencontres se sont justement faites autour de la remise en circulation publique, et citoyenne, de cette tragique insurrection républicaine qui vit le Var se lever contre le coup d’État, en décembre 1851, et arborer le rouge drapeau de la “République démocratique et sociale”.

Par une après-midi glaciale de décembre 1998, il était venu, presque timidement, un parmi les autres, se joindre à nous, devant le monument de Barjols, élevé en l’honneur des Insurgés de 1851 et qui salue les deux résistances, celle du 19e siècle et celle des années 1940.

Il m’avait promis de faire le maximum pour que la commémoration de 2001 soit ce qu’elle devait être.

Et il avait tenu parole. Non seulement en magnifiant le souvenir des insurgés de Saint-Julien et des pays du Verdon, alors levés en masse, mais encore en secouant très vigoureusement (ceux qui l’ont bien connu sauront donner tout son sens à l’adverbe) des “décideurs” régionaux incapables de comprendre combien une commémoration provençale de cette insurrection (qui toucha tous nos départements) aurait pu être un élément fédérateur autour de l’idéal républicain, si menacé dans notre Région. La mort l’a malheureusement empêché de poursuivre ces démarches tenaces, et de les faire aboutir.

 

René Merle, agrégé d’histoire, docteur ès lettres, président de l’Association 1851 pour la mémoire des Résistances républicaines